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Épidamne-Dyrrhachion

Dans le document Dieux, épiclèses et panthéons en Épire (Page 104-108)

Les ruines de l’ancienne cité d’Épidamne-Dyrrhachion sont aujourd’hui recouvertes en grande partie par Dürres, la principale ville portuaire d’Albanie, située sur la côte adriatique à un peu plus de 150 km au nord de la frontière grecque, à hauteur de Tirana. Le double nom de la cité antique — tantôt Épidamne, tantôt Dyrrhachion, est encore sujet à interprétation : selon les auteurs, tant antiques que modernes302, on considère soit qu’il s’agit de deux sites différents, Épidamne étant fondée en premier et le port de Dyrrhachion, à proximité immédiate, s’y ajoutant peu après — soit que c’est le nom de la ville qui a changé, prenant celui de Dyrrhachion à l’époque romaine.

Héraklès fondateur

La fondation d’Épidamne est évoquée par Thucydide303, qui attribue à la cité un fondateur de la dynastie Héraclide ; Appien, par la suite, évoque Dyrrhachion qu’il distingue d’Épidamne, et selon qui la ville est le fruit d’une alliance entre Dyrrachos, fils de Poséidon, et Héraklès304. La présence dans la région d’un culte dédié à Héraklès est attestée par la trouvaille d’un relief sculpté, daté du VIe ou du Ve s. Il comporte deux inscriptions, l'une sur le panneau du relief (A), l'autre sur la plinthe (B), qui sont contemporaines et écrites en alphabet corinthien archaïque :

Α: Περίκαλος | τo͂ ιἩρακλε⟨ῖ⟩ | Β: Ηιστιαῖος µ[- - -]

302 Un bilan des interprétations modernes et des sources littéraires sur le sujet est exposé dans le CIGIME I.1, p. 21-23. Pierre Cabanes conclut sur « l’absence de solution unique » pour cette problématique ; en 1976, Vangjel Toçi optait, d’après les données archéologiques recueillies, pour la considération de deux sites différents, dont les premiers colons étaient corcyréens d’un côté et corinthiens de l’autre. (TOÇI V., La population..., p.301-302). C’est également dans ce sens qu’allaient les remarques du Professeur Selim Islami, rapportées par P. Cabanes (op.cit., p. 22), qui soulignait l’existence dans la région de plusieurs cas où deux villes se sont développées en étant très proches l’une de l’autre, à l’instar de Klos et Byllis. Rappelons que la situation du site, dont la majeure partie est recouverte par l’actuelle Durrës, ne permet pas d’envisager de fouilles systématiques qui permettraient éventuellement de dégager la topographie de la ou des cités.

303 THUCYDIDE, I, 24.

A : Périkalos à Héraklès. B : Histiée m’a fait.

CIGIME I.1, n° 1

Il a été trouvé sur le site actuel de Shijak, situé à une dizaine de kilomètres de la côte à l’est de Dürres, au bord du fleuve et au pied des collines, au carrefour de deux voies de passage : l’une suivant le fleuve vers le sud-Ouest, l’autre à la travers une vallée reliant la plaine côtière à la plaine où se trouve actuellement Tirana. Mentionnons enfin que le type monétaire le plus fréquent retrouvé à Dyrrhachion présente Héraklès et ses armes, l’arc et la massue305.

L’Artémision

Un sanctuaire d’Artémis est désormais formellement identifié à Épidamne Dyrrhachion306, au nord-ouest de la ville, dans un vallon sur les flancs de la colline de Dautë et face à celle de Kokomani où se trouvent les restes de la nécropole. Ce monument fut mis au jour en 1970 par Vangjel Toçi307, qui n’y dégagea pas de structures architecturales mais une quantité importante de matériel votif, dont une grande quantité de figurines de terre cuite. Une équipe franco-albanaise menée par F. Tartari et Arthur Müller a entrepris entre 2003 et 2013 d’étudier de manière systématique l’ensemble de cette découverte : l’identification récente de cet ensemble comme un Artémision est fondée sur différentes catégories d’objets, qui sont principalement des figurines et des inscriptions. L’occupation humaine sur le site est datée au moins du début du VIe siècle, atteint un pic au IVe et se poursuit jusqu’au Ier siècle. Un examen des offrandes monétaires, de faible valeur et d’origine locale dans leur très grande majorité,

305 Les autres divinités représentées sur les monnaies de Dyrrhachion sont Zeus, avec un trépied ; Hélios à tête radiée, avec une proue de navire ; Apollon lauré, Hermès, ainsi qu’une vache allaitant son veau associée à un motif floral. Voir GJONGECAJ S., « Le trésor de Lleshan », in RN, n°163, 2007, p. 101-140 et « Les monnaies », BCH

134 (2), 2010, p. 393.

306 MUKA B. et MULLER A., « Epidamne-Dyrrhachion: the Artemision », in GJIPALI, PËRZHITA L. et MUKA

B. (dir.), Recent Archaeological Discoveries in Albania, Tirana, p. 118-125 ; DUFEU-MULLER M., HUYSECOM S. et MULLER A. (dir.), Artémis... p. 383-489.

307 Celui-ci avait suggéré d’attribuer le sanctuaire à Aphrodite ; les inscriptions ont entretemps orienté les conclusions vers un sanctuaire d’Artémis ; notons néanmoins la présence de quatre figurines représentant Aphrodite, dont trois dans un coquillage, et d’une Nikè. (HUYSECOM-HAXHI S. et MUKA B., « Les terres cuites votives : analyse du répertoire », BCH 134-2 (2010), p. 391). Aphrodite est aussi représentée en compagnie de Nikè à Apollonia.

permet en outre de suggérer un rayonnement limité du sanctuaire308. La localisation du site marque le passage vers les hauteurs, et corrobore un témoignage d’Appien qui fait état de l’existence d’un sanctuaire d’Artémis dans le récit de la bataille qui oppose César à Pompée, en 48309.

Des dédicaces trouvées sur le matériel votif ont ensuite permis de confirmer avec certitude un culte d’Artémis, qui est aussi Soteira et accompagnée d’Hécate dans ce sanctuaire. L’une, sur un fragment de calcaire, non datée, porte le nom d’Artémis précédé de l’épithète

Soteira :

[Σ]ῴτειρ[αι | ̓Αρ]τέµ[ιτι | ἀνέθ]ε[κεν] 310.

Deux autres, peintes sur des fragments de vases, s’adressent respectivement à Artémis et à Hécate ; leur datation est estimée à 350-300 :

[Ἀ]ρ̣τέµιτιἀνέθηκ̣[εν]

SEG 59, 623 [- - -] Ἑ̣κάτᾳ

SEG 59, 624

La conclusion collective proposée dans les actes du colloque d’Athènes311 souligne le rôle salvateur d’Artémis à Épidamne-Dyrrhachion : elle garde le col du passage vers la ville, protège les femmes et les épouses procréatrices de la cité, et patronne aussi les hommes qui devront assurer la défense de la ville.

Autres traces cultuelles

308 GJONGECAJ S., Les monnaies..., p. 393-396.

309 APPIEN, II, 60.

310 publiée par DUFEU-MULLER M., « Autres offrandes », BCH 134-2 (2010), p. 397 ; Musée de Durrës, inv. 11690.

Un hermès d’Asklépios qui se trouve au musée de Durrës, dont le lieu de trouvaille est inconnu, est daté du IVe-IIIe s. et porte la dédicace suivante : Ἀσκλαπιῶι | Ἀρι̣σ̣τίω̣[ν]312.

Du IVe-IIIe s. également, sur une urne de pierre calcaire, un ex-voto est peut-être adressé aux « Grands dieux », si l’on en suit la restitution du CIGIME :

[Θεοῖς µεγά]λοιςεὐχάν

CIGIME I.1, n° 3

Cette restitution est contestée par Marion Dufeu-Muller, qui lit un epsilon au lieu de l’alpha : [...]ε̣λοιςεὔχαν, et précise que l’urne a été retrouvée dans l’Artémision313.

Notons enfin l’existence de deux autres sanctuaires extra-urbains à proximité de la cité : le sanctuaire de Këneta, et le sanctuaire de Spitallë. Le sanctuaire de Këneta, qui se trouve à 700m au sud-ouest de la ville actuelle, a été fouillé fin des années 1980 par Halil Myrto314, qui propose de l’interpréter comme un sanctuaire à Déméter315. Le sanctuaire de Spitallë, fouillé en 2004-2006 et qui n’est pas encore attribué, est daté d’entre l’époque archaïque et l’époque hellénistique316.

Kashar

Le village de Kashar se trouve à une vingtaine de kilomètres à l’est de Dyrrhachion, sur un relief montagneux à mi-chemin entre les vallées de l’Erzen au sud et celle où se trouve la ville de Vorë au nord. Une trouvaille fortuite fait apparaître la présence d’un culte à Zeus Mégistos : l’inscription, sur un petit autel d’une quinzaine de centimètres de hauteur, n’est pas datée.

Ἀρχέ|λαος | Διὶ µε|γίστῳ.

312CIGIME I.1, n° 2.

313 DUFEU-MULLER M., Autres offrandes..., p. 397.

314 Voir MYRTO H., « Un luogo di culto con altare a gradini a Durazzo », in SA 8-1 (1995), p. 259-274.

315 Les fouilles sur le site, qui couvre près de 900m2, se poursuivent ; voir les travaux en cours sous la direction de Catherine Abadie-Reynal.

CIGIME III, n° 435

C’est la seconde trace attestant un culte de Zeus Mégistos au nord des Monts Acrocérauniens, avec la dédicace d’Olympè.

Kocaj (zone de Baldushk)

Un sanctuaire aux Dioscures a été mis au jour dans la localité de Kocaj, située au bord de la Zhullima à une quinzaine de kilomètres au sud de Tirana. À l’embouchure d’un ruisseau, sur un espace aujourd’hui occupé par une exploitation agricole, on a retrouvé deux statues et des céramiques. Les seuls vestiges de bâti mis au jour sur le site correspondent à un habitat rural des premiers siècles après J.-C., il faut donc supposer que le sanctuaire lui-même était de taille modeste. Les statues retrouvées, en marbre et quasi identiques, représentent chacune deux garçons dont l’un tient un cheval par la bride. Leurs bases portent des dédicaces de l’époque impériale, toutes deux effectuées par des affranchis :

Α) ̔ΙταλικὸςΣεβ(αστοῦ) ἀπελἑυθ(ερος) Διοσκόροις | ἐπηκόοιςὑπὲρτέκνου. Italikos, affranchi de l'empereur, aux Dioscures qui écoutent, pour son enfant.

Β) CAST(ORIBUS) AUG(USTIS) | EPICTETUS AUG(USTI) LIB(ERTUS) ET

PETILIUS APOLLONIUS | V(OTUM) S(OLVERUNT) L(IBENTE) A(NIMO) Aux Dioscures augustes, Épictète affranchi d'Auguste et Petilius Apollonius ont acquitté ce vœu avec empressement.

CIGIME III, n° 434

II. Questions sur les divinités et les panthéons épirotes

Dans le document Dieux, épiclèses et panthéons en Épire (Page 104-108)