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La question de la présentation du récit se pose à tout écrivain qui pense à réaliser un roman. Le romancier réfléchit sur l’épaisseur qu’il donnera à son récit en utilisant tout un système de jeux d’optique, une sorte de jeu de miroirs entraînant le reflet des évènements sur les personnages romanesques qui les vivent et les commentaires du narrateur qui accentue la distanciation jusqu’à détruire entièrement l’illusion romanesque. Ce cas de figure se remarque chez Ahmadou Kourouma.

232 Ibid., p. 9 et 108.

233 Oswald Ducrot et Tzvetan Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris : Seuil, 1972,

p. 286.

En effet, dans sa recherche de nouvelles formes d’écriture du roman africain, Ahmadou Kourouma crée des œuvres toujours plus originales, ne ménageant aucun effort pour innover et rénover ses œuvres en utilisant les procédés d’écriture et les techniques romanesques diversifiés. Ses romans sont traversés par un souffle de subversion des codes et des significations romanesques ayant grandement séduit les critiques littéraires. Ahmadou Kourouma veut écrire autrement, chercher toujours à innover en déconstruisant le discours romanesque. Pour y arriver, il a recours aux matériaux et procédés de l’ironie, de la satire, de la parodie et de l’humour.

1.5.1. L’ironie et les autres figures de distanciation

L’esthétique littéraire en général et celle du roman en particulier interpelle à la fois l’humanité et l’écrivain lui-même. Celui-ci adopte une attitude lui permettant de défaire son « sérieux » par l’ironie qui prend le sens de la dénonciation et se caractérise par une contradiction entre les faits présentés et les jugements auxquels ils conduisent. Le texte ironique convoque un autre ou d’autres textes ou un autre discours antérieur. Il introduit un jugement de valeur. L’ironie romanesque provient d’une instance qui, tel un metteur en scène, entraîne la ridiculisation d’un personnage ou d’une situation, ou du moins tente de créer les conditions d’un jugement négatif. Comme l’écrit Sébastien Rongier, « l’ironie interroge les certitudes. Elle les déplace. Elle déborde et renverse les habitudes pour explorer les marges de l’incertitude de la pensée235 ». Le texte recourant à l’ironie éveille chez le lecteur une réaction pouvant être l’émotion, l’indignation ou l’incite à la révolte ou à la revanche. L’ironie est un procédé qui consiste à dire le contraire non de ce que l’on pense, mais de ce que l’on dit pour se moquer de quelqu’un ou de quelque chose. Elle utilise le plus souvent la figure de l’antiphrase et joue un rôle important dans le rapport entre le roman et les discours qui ont présidé à sa genèse. Elle peut être entendue comme une opposition entre un énoncé et l’intention qui la caractérise. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre les propos de Beda Allemann qui définit l’ironie comme une « opposition transparente entre ce qui est littéralement et ce qui est vraiment dit236 ». La vocation première des propos ironiques est de mettre à distance une réalité en la stigmatisant.

235 Sébastien Rongier, De l’ironie. Enjeux critiques pour la modernité, Paris : Klincksiech, 2007, p. 9. 236 Beda Allemann, « De l’ironie en tant que principe littéraire », Poétique, n° 36, novembre 1978, p. 389.

L’ironie est un concept qui a une histoire particulièrement complexe de sorte qu’il s’avère très délicat de lui trouver une définition simple et univoque. Cette histoire fait de l’ironie un objet d’étude passionnant vu que cette notion permet d’établir des connexions entre des domaines d’études aussi divers que la rhétorique, la littérature, la philosophie et la linguistique. En effet, depuis Aristote, plusieurs définitions de l’ironie ont été données par différents auteurs dans le but de montrer que l’ironie fonctionne comme un contre-chant des textes et discours d’autrui. Dans les années 1960, la recherche linguistique s’est beaucoup intéressée à la notion pour tenter de redéfinir une ironie « verbale », recentrée sur le langage. Nous pouvons considérer, par exemple, les travaux de Catherine Kerbrat-Orecchioni237 qui avance que l’ironie désigne un procédé consistant à associer deux signifiés à un même signifiant : un signifié littéral manifeste et un signifié intentionnel suggéré. Kerbrat-Orecchioni aborde l’ironie comme un espace stratégique privilégié dans lequel sont essentielles les compétences culturelles, idéologiques et linguistiques de l’émetteur et du récepteur. Sur le plan formel, l’ironie peut être définie comme une figure de rhétorique (trope) par laquelle un mot ou une expression est détourné de son sens propre. De ce point de vue, Kerbrat-Orecchioni conçoit l’ironie comme « une sorte de trope sémantico-pragmatique […] qui nage le plus volontiers dans les eaux troubles de l’ambiguïté […]. Le principal intérêt de ce trope réside […] dans le brouillage sémantique et l’incertitude interprétative qu’il institue238 ». Cependant, l’approche linguistique de l’ironie adoptée par Kerbrat-Orecchioni ne prend pas en considération le comportement ironique tel qu’il se donne dans le contexte de communication réelle où les éléments non linguistiques jouent un rôle non négligeable.

Sur le plan pragmatique, Alain Berrendonner soutient que l’ironie repose sur l’identification d’une contradiction interne à l’énoncé et revendique, dans Éléments de pragmatique linguistique239, la nature argumentative et défensive de ce trope. Pour lui, l’ironie serait surtout défensive puisqu’elle agit comme un agent protecteur contre certaines formes d’agression ou de sanction qui résultent du non-respect des normes institutionnelles, celles qui

237 Catherine Kerbrat-Orecchioni, « Problèmes de l’Ironie », Catherine Kerbrat-Orecchioni, (dir.), L’Ironie, Lyon :

Presses Universitaires de Lyon, 1978, p. 19.

238 Ibid., p. 6.

239 Alain Berrendonner, « De l’ironie ou la métacommunication, l’argumentation, et les normes », dans Alain

régissent le code communicationnel partagé par les utilisateurs de la langue et ses déploiements sémiotiques. L’ironie échappe à la censure tout en mettant en évidence les injustices du système et ébranle les bases du discours dominant. Elle révèle la vérité en exposant le faux et l’hypocrite et, comme l’écrit Vladimir Jankélévitch, « l’ironie force l’injuste à être bien ce qu’il est, franchement, brutalement, pour qu’il en crève; elle le contraint de s’avouer lui-même240 ». Ainsi le dire ironique veut-t-il corriger, redresser le monde, le rendre moins cynique. Sur le plan littéraire, l’ironie permet de remettre en question les normes sociales, éthiques ou artistiques traditionnellement admises. Contrairement au mensonge, l’ironie ne veut pas être prise au pied de la lettre, elle instaure un rapport ludique avec la construction du sens.

L’ironie attribue symboliquement plus de force à tous ceux qui se l’approprient et implique une distanciation obligatoire entre lecteur et texte. Pour bien saisir les significations du texte, le lecteur doit avoir des compétences suffisantes. À cet égard, Beda Allemann utilise le concept de l’initié qui serait le récepteur capable de dévoiler les enjeux ironiques d’un texte, d’un énoncé ou d’un acte. L’initié n’est pas ce « lecteur non prévenu qui ne connaît pas d’avance, en raison de sa culture littéraire, le déroulement du discours241 ». Il est doué d’un sixième sens qui lui donne accès à la compréhension des subtilités artistiques, linguistiques, etc.; il est quelqu’un d’éveillé. En fait, il s’agit du récepteur idéal qui possède la compétence interprétative basée notamment sur le principe de la coopération entre lui et l’auteur.

Pour que l’ironie soit efficace, Linda Hutcheon postule qu’il existe « des normes (syntaxiques, sémantiques, diégétiques) à la fois analysables et établies dans le texte lui-même qui sont en état de fournir au lecteur (à partir de leurs transgressions) les signaux d’une évaluation ironique, surtout quand ces transgressions sont répétées ou juxtaposées242 ». De cette façon, l’auteur doit laisser certains signaux aux lecteurs pour qu’ils puissent facilement repérer les passages ironiques. Beaucoup moins frappants dans des textes écrits alors qu’ils occupent une place de choix dans la conversation courante, ces signaux sont d’une espèce tellement cachée, selon Beda Allemann, qu’on n’a presque plus le droit de parler de signaux. En fondant

240 Vladimir Jankélévitch, L’ironie, Paris : Flammarion, 2011 [1964], p. 105.

241 Beda Allemann, « De l’ironie en tant que principe littéraire », Poétique, op.cit., p. 390.

242 Linda Hutcheon, « Ironie, satire, parodie : une approche pragmatique de l’ironie », Poétique, vol. 12, n° 46,

ses préoccupations sur la question de l’ironie, comme mode de discours, comme phénomène avant tout littéraire, Beda Allemann affirme que « l’ironie littéraire est d’autant plus ironique qu’elle sait renoncer plus complètement aux signaux d’ironie, sans abandonner sa transparence243 ». Constatant une certaine « hostilité » du texte ironique envers les signaux de l’ironie, Beda Allemann insiste sur l’importance fondamentale du contexte dans la recherche du sens et considède que « le texte ironique idéal sera celui dont l’ironie peut être présupposée en l’absence complète de tout signal244 ». Par là, nous voyons qu’il rejette l’interprétation de l’ironie à partir des signaux. Allemann pose pour la première fois des traits caractéristiques et définitoires clairs applicables au texte littéraire.

Dans la lignée de Beda Allemann, Philippe Hamon a consacré un ouvrage entier à l’étude de l’ironie littéraire. Il a ainsi tenté d’esquisser une poétique de l’ironie qui, selon ses propres termes, « s’efforcerait de considérer l’ironie comme une forme, comme une posture d’énonciation type, intégrée à l’énoncé, voire comme un genre littéraire à part entière245 ». Dès l’introduction de son livre, il précise la spécificité de l’ironie en littérature :

[…] un texte ironique n’est pas une succession de calembours ou de traits d’esprit juxtaposés et isolables, et l’ironie globale dont traitera le littéraire ne saurait être réduite à un échantillonnage de phrases ironiques, à la somme des figures locales de l’ironie. Et d’autre part, le littéraire, à la différence du linguiste (ou de certains linguistes), se souviendra que l’énonciation dont il traite est une posture d’énonciation construite en énoncé […] a[yant] toutes les chances d’être […] plurielle et multivalente246.

Dans ses tentatives de cerner l’ironie, Philippe Hamon retient que « l’ironie paraît bien être, comme un montage scénographique, une sorte de jeu de rôles ou de postures d’énonciation formant système, comme la mise en scène du ‘‘spectacle d’un aveuglement’’ où un spectateur, complice d’un auteur ou d’un de ses personnages d’ironisants délégués […], regarde sur une scène un naïf s’enferrer dans un piège de parole qu’il ne comprend pas247 ». C’est dans cette optique qu’on entend parler d’ironie de situation ou ironie dramatique pour signifier un

243 Beda Allemann, « De l’ironie en tant que principe littéraire », Poétique, op.cit., p. 390. 244 Ibid., p. 393.

245 Philippe Hamon, L’ironie littéraire. Essais sur les formes de l’écriture oblique, Paris : Hachette supérieur, 1996,

p. 4.

246 Ibid., p. 5. 247 Ibid., p. 111.

rapprochement de faits qui font scandale à l’esprit. Philippe Hamon nous rappelle les modalités du discours ironique. Pour lui, l’ironiste « brouille volontiers l’identité et l’origine de sa propre parole en s’en désolidarisant et en multipliant les citations et les échos des discours d’autrui248 ». En se plaçant à une distance ironique de son énoncé, l’auteur force donc le lecteur à s’interroger sur le lieu idéologique d’où parle l’énonciateur.

Réalisant que « toute ironie est la construction sémiotique d’une posture d’énonciation visant à un effet […] [et] un montage scénographique complexe qui informe ensuite le réel », Philippe Hamon conclut que le texte ironique n’est jamais neutre, et que « l’ironie serait alors une posture essentiellement ‘‘réactionnaire’’, au sens très général : tout ce qui s’oppose aux diverses idéologies du mouvement et du progrès, et qui résiste aussi bien à l’introduction de néologismes dans la langue qu’à l’importation de modes venus de l’étranger249 ». Ce qui veut dire que tout texte ironique renferme une idéologie lui permettant de se positionner par rapport aux discours idéologiques dominants au moment de sa production. Cela pousse Hamon à concevoir un certain point de vue de l’ironie qui se définirait « soit comme un ‘‘contresens’’, le contresens volontaire d’un énonciateur parlant ‘‘contre’’ un sens appartenant à autrui, soit comme un acte de réécriture, réécriture qu’opère le lecteur à partir du texte de l’auteur250 ». Ainsi, l’ironie constitue une arme dont usent les faibles pour se défendre contre l’oppression. Dans cette voie, Hamon soutient que « l’ironie est l’apanage des classes dominées, des minorités, une ruse du faible pour contrecarrer le pouvoir du fort, pour ‘‘biaiser’’ avec lui sans l’attaquer de front251 ». En évitant cette attaque frontale, le texte ironique adopte une posture d’énonciation qui met « à distance et en tension » et « construit un lecteur particulièrement actif252 ». Ce lecteur doit être compétent pour décoder le message exact du texte et sera en mesure de repérer l’intention ironique grâce à la familiarité qu’il entretient avec les textes ironiques (voir l’initié dont parle Beda Allemann). Il doit maîtriser le contexte d’énonciation, connaître celui qui parle et ce dont on parle.

248 Ibid., p. 62. 249 Ibid., p. 18. 250 Ibid., p. 20-21. 251 Ibid., p. 18. 252 Ibid., p. 151.

Pour arriver à décoder le message ironique, le lecteur doit suivre trois étapes du modèle proposé par W. Booth repris par Hamon. Il doit : « 1) reconnaître une intention ironique chez l’auteur, ce qui suppose le repérage de certains signaux particuliers; 2) passer en revue les sens implicites possibles; avant de : 3) choisir le ‘‘bon’’ sens visé en excluant les autres ou le seul sens littéral253 ». La question qui se pose est alors de savoir comment, dans un texte ironique caractérisé par l’absence d’outils l’aidant à repérer facilement les signaux qui peuvent orienter sa lecture, le lecteur arrive à trouver ce « bon » sens.

Afin d’éviter le « piège terminologique » et « l’émiettement notionnel », Philippe Hamon retient ainsi deux grands types d’ironie paradigmatique et syntagmatique :

[…] une ironie paradigmatique d’une part, qui s’attaquera à toutes les hiérarchies et jouera sur les « mondes renversés » […], sur la permutation, la neutralisation ou le bouleversement généralisé (le carnaval) des places dans une échelle ou dans une hiérarchie […], et une ironie syntagmatique d’autre part, qui s’attaquera à la logique des événements et des enchaînements, aux dysfonctionnements, des implications argumentatives comme à ceux des chaînes de causalités […], aux diverses formes du ratage et des mauvaises évaluations de moyens en fonction des fins […] à tous les « écarts » qui peuvent survenir entre des préparations et des « chutes »254.

L’ironie paradigmatique s’attaque aux hiérarchies en jouant sur le renversement des valeurs. L’ironie syntagmatique quant à elle détermine la cohérence des déroulements et des enchaînements, des dysfonctionnements et des implications argumentatives.

Le concept d’ironie paraît tellement ambivalent que Philippe Hamon avance qu’il « a fini par incarner le ‘‘je ne sais quoi’’ le plus irréductible de toute œuvre particulière, voire de toute la littérature en général255 ». Son ambivalence constitue le moyen assurant l’autoreprésentation de l’art. L’ironie devient alors, selon Linda Hutcheon, « […] un mode d’autocritique, d’autoconnaissance, d’autoréflexion susceptible de mettre au défi la hiérarchie des lieux mêmes du discours, une hiérarchie basée sur des relations sociales de domination256 ». Elle est un trope qui a une place importante dans les genres de la parodie et de la satire.

253 Ibid., p. 35. 254 Ibid., p. 69-70. 255 Ibid., p. 3.

La préoccupation de Linda Hutcheon est de pouvoir distinguer les deux genres littéraires. En effet, Hutcheon réfute les critiques contemporains qui considèrent la satire et la parodie comme des genres littéraires qui emploient souvent le mécanisme rhétorique de l’ironie sans pour autant distinguer les caractéristiques des deux genres tout en les démarquant de l’ironie. Pour elle, ces deux genres se distinguent non seulement par les buts (sociaux pour la satire et formels pour la parodie), mais aussi par les stratégies utilisées. Alors que la parodie vise toujours une cible textuelle (soit une convention littéraire ou un texte), la satire a des intentionnalités sociales et idéologiques. La satire vise deux travers : la dissimulation et la démesure. Elle consiste donc toujours à creuser l’écart entre apparence et réalité. Le satiriste refuse d’être complice de la société. Il l’attaque de front tout en la mettant en évidence par des formes de subversion faisant voir cette contradiction. Ainsi, le satiriste établit-il « une stratégie rhétorique de persuasion : pour rabaisser sa cible, il en déforme la représentation par le biais du comique et la condamne en s’appuyant sur une norme morale257 ». Il adopte le discours de l’autre, mais en le caricaturant de façon à le disqualifier. La satire est, selon Hutcheon, « la forme littéraire qui a pour but de corriger certains vices et inepties du comportement humain en les ridiculisant258 ». En cela, sa visée est correctrice et cette intention réformatrice implique l’existence d’un système de valeurs.

Au niveau structural, la parodie a beaucoup de points en commun avec l’ironie. En effet, Hutcheon révèle que « là où l’ironie exclut l’univocalité sémantique, la parodie exclut l’unitextualité structurale259 ». Le contraste est fondamental pour l’ironie (au niveau sémantique) et pour la parodie (au niveau textuel) qui porte en elle l’articulation d’une synthèse entre le texte parodique et le texte parodié. La parodie serait ainsi une « synthèse bitextuelle fonctionnant toujours de manière paradoxale […] afin de marquer une transgression de la doxa littéraire260 ». Cette superposition de textes (tout comme la superposition de sens pour l’ironie)

257 Sophie Duval et Marc Martinez, La satire, Paris : Armand Colin, 2000, p. 184.

258 Linda Hutcheon, « Ironie, satire, parodie : une approche pragmatique de l’ironie », Poétique. Revue de théorie

et d’analyse littéraires, vol. 12, n ° 46, 1981, p. 144.

259 Ibid., p. 144. 260 Ibid.

est expliquée par Hutcheon de la façon suivante : « La parodie représente à la fois la dérivation d’une norme littéraire et l’inclusion de cette norme comme matériau intériorisé261 ».

Contrairement à la parodie (intertextualité) et à l’ironie (double énonciation), le genre satirique vise directement la cible de sa critique. Forme évidente de contestation littéraire, la satire est incontestablement morale dans ses intentions. Elle a de social et de moral ce que la parodie a de formel. Hutcheon avance que la « cible » visée par la parodie est toujours un autre texte ou une série de conventions littéraires, tandis que le but de la satire est social ou moral, donc extratextuel262. Pour elle, la parodie représente une modalité de l’intertextualité inhérente à tout texte littéraire. Mais elle se distingue des autres formes de l’intertextualité comme le pastiche, l’adaptation, l’allusion et la citation. Elle fait réfléchir sur un texte parodié et, telle que la concevaient les formalistes russes, elle sert de moteur de changement de la convention littéraire. De ce fait, elle occupe un rôle rénovateur fondamental dans la dynamique des genres littéraires. Chez Bakhtine, la parodie est conçue comme un procédé du plurilinguisme permettant la distanciation entre l’auteur et son texte. Bakhtine avance que « la parodie littéraire écarte plus encore l’auteur de son langage, complique davantage son attitude à l’égard des langages littéraires de son époque, sur le territoire même du roman263 ».

L’ironie, la satire et la parodie permettent à l’énonciateur de garder un écart par rapport à son énoncé explicite, mais également de rendre une situation tragique plus ou moins acceptable tout en laissant derrière des tensions irrésolues. La pratique de ces genres nous permet d’analyser les romans d’Ahmadou Kourouma dans lesquels ces éléments stylistiques participent à l’esthétisation du discours social africain. En effet, dans la production romanesque de l’auteur, nous percevons une pratique systématique de toutes les formes d’écriture oblique. Ahmadou Kourouma recourt à l’ironie, à la parodie et à la satire pour accompagner sa contestation de la tradition, du colonialisme, des dictatures africaines et des guerres tribales, etc. Ces figures de style s’exercent sur l’intolérance religieuse, les anciens colons, les monarques africains, les

261 Ibid., p., 143. 262 Ibid., p. 148.

gouvernements tyranniques, etc., et mélangent le rire et la causticité, le divertissement et l’enseignement selon le principe du Castigat ridendo mores264 de la comédie classique.

L’ironie fait partie de ces traits d’écriture qui ne se sont jamais contestés chez Ahmasou