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Telle qu’elle est décrite par Claude Duchet, la sociocritique « vise d’abord le texte. Elle est même lecture immanente en ce sens qu’elle reprend à son compte cette notion de texte élaborée par la critique formelle et l’avalise comme objet d’étude prioritaire89 ». Elle constitue un champ de recherche encore fertile apparue à la fin des années soixante du XXe siècle qui a pour objectif de renouveler l’approche sociologique de la littérature en intégrant les dernières nouveautés du structuralisme, de la linguistique et de la sémiologie. Elle se situe par ailleurs à l’intersection des sciences humaines, s’intéresse à toutes les recherches menées sur l’institution littéraire, sur le discours et l’idéologique.

La méthode sociocritique porte une attention toute particulière au fonctionnement interne du texte, au travail de l’écrivain, en somme à la teneur esthétique du texte. Elle est conçue, selon André Belleau, comme « l’ensemble des moyens conceptuels, analytiques et discursifs mis en œuvre pour l’étude des déterminations et de la signification sociales des textes littéraires90 ». En arrêtant notre choix sur cette méthode, nous espérons pouvoir dégager du corpus les éléments transcendants et constitutifs du jeu littéraire propres à l’ironie et au discours social dans les romans d’Ahmadou Kourouma. Pour y parvenir, nous « interroge[rons] le texte avec candeur et obstination91 », comme l’écrit Bernard Valette.

Le choix de la méthode sociocritique s’explique aussi par le fait que l’analyse de ce qui fait l’œuvre littéraire débouche sur l’appréciation de la valeur intrinsèque du texte. Nous

89 Claude Duchet (dir.), Sociocritique, Paris : Nathan-Université, 1979, p. 3.

90 André Belleau, « La démarche sociocritique au Québec », Voix et Images, op.cit., p. 299.

91 Bernard Valette, « Cendrillon et autres contes. Lectures et idéologie », Claude Duchet (dir.), Sociocritique,

passerons ainsi de l’étude des procédés à l’intentionnalité, afin de tenter de faire un rapprochement entre l’écriture ironique et le regard qu’Ahmadou Kourouma porte sur les sociétés africaines. Tel est l’objectif de la sociocritique qui entend étudier l’inscription du social, du politique et de l’histoire dans le texte. Aussi, Claude Duchet pouvait-il écrire :

L’intention et la stratégie de la sociocritique sont de restituer au texte des formalistes sa teneur sociale. L’enjeu, c’est ce qui est en œuvre dans le texte, soit un rapport au monde. La visée, de montrer que toute création artistique est aussi pratique sociale et partant, production idéologique, en cela précisément qu’elle est processus esthétique […]. C’est dans la spécificité esthétique même, la dimension valeur des textes, que la sociocritique s’efforce de lire cette présence des œuvres au monde qu’elle appelle leur socialité92. La sociocritique installe le texte et le discours social au centre de l’activité critique. Elle se veut une tentative d’explication de la structure et du fonctionnement de la création littéraire à partir du contexte discursif. Pour analyser les signifiés sociaux, la sociocritique se réfère au hors- texte93 qui, selon le principe de Claude Duchet, se retrouve au cœur même du texte. Dans ces conditions, texte et hors-texte deviennent deux champs de recherche, l’œuvre étant considérée comme « un dedans dehors ». En interrogeant la socialité du texte sous toutes ses formes, la sociocritique est susceptible d’intégrer des réflexions, des démarches, des méthodes issues d’autres traditions, d’autres disciplines, qui lui sont alors autant de disciplines connexes apportant une aide au sociocriticien dans sa recherche.

Ainsi, l’approche sociocritique apparaît-elle comme un domaine très pertinent qui pose la difficulté scientifique lorsqu’il s’agit de la saisir de manière univoque. Claude Duchet écrivait déjà en 1975 qu’« il n’est pas sûr que le terme de sociocritique […] soit lavé de toute ambiguïté94 ». L’approche rassemble donc plusieurs tendances ou écoles95 et n’a pas à se

92 Claude Duchet, « Positions et perspectives », Claude Duchet (dir.), Sociocritique, op.cit., p. 3-4.

93 Roger Fayolle tient le même discours si on se réfère à sa déclaration : « La sociocritique se donne pour objet

d’étudier le statut du social dans le texte (entendons la société décrite dans le texte) et non le statut social du texte ». Roger Fayolle, « Quelle sociocritique pour quelle littérature ? », Claude Duchet (dir.), Sociocritique, op.cit., p. 215.

94 Claude Duchet, « Introduction. Le projet sociocritique : problèmes et perspectives », dans Graham Falconer et

Henri Mitterand (dir.), La lecture sociocritique du texte romanesque, Toronto : A. M. Hakkert, 1975, p. IX.

95 Le domaine de l’étude sociocritique a suscité une diversité de centres de recherche et d’écoles. Nous pouvons

citer, entre autres, les centres de recherche comme l’Institut international de sociocritique de Montpellier, le Centre interuniversitaire d’analyse du discours et de sociocritique des textes (CIADEST), le centre de recherche interuniversitaire en sociocritique des textes (CRIST), les écoles de Vincennes, de Montpellier, de Montréal, de Francfort (Theodor W. Adorno, Max Horkheimer, Erich Fromm et Herbert Marcuse, entre autres), etc. Tous ces

concevoir dans une opposition radicale, dans un isolationnisme ignorant plus ou moins les travaux issus de ces disciplines qui lui sont connexes. Pierre Popovic n’avance-t-il pas que « le nombre de façons de travailler est pratiquement infini, et le lecteur est instamment prié d’avoir de l’imagination96 » ? C’est peut-être dans cette perspective que Kasimi Djiman97 parle de la sociocritique au pluriel.

Nous proposerons, dans ce chapitre, un survol des approches de quelques-uns des piliers théoriques de la sociocritique, en confrontant le bilan de leurs propositions afin d’en relever les points de convergence. Nous nous en tiendrons particulièrement aux tendances plus préoccupées par les fondements d’une sociologie littéraire (Pierre Zima), aux tendances attachées à l’étude linguistique des textes (Edmond Cros), à celles fondées sur une sociopoétique du texte (Claude Duchet) et à celles fondées sur la théorie de l’imaginaire social (Pierre Popovic). Les tendances issues de l’analyse du discours (Marc Angenot, Régine Robin) nous aideront à étudier l’esthétisation du discours social en littérature.

1.2.1. La sociologie littéraire

L’ouvrage de Peter (Pierre) Václav Zima, Manuel de sociocritique, constitue une sorte de première introduction à la notion de sociocritique. Si nous tenons compte de ses analyses, nous voyons bien que la sociocritique, qui a pour point de départ la question de savoir comment le texte littéraire réagit aux problèmes sociaux et historiques au niveau du langage, trouve ses fondements dans les soubassements de la philosophie, de la sociologie puis de la sociologie de la littérature. Zima avance que la sociocritique doit « devenir une science à la fois empirique et

centres et écoles confèrent à la sociocritique une certaine dynamique qui a mis au point un champ définitoire riche et abondant digne d’intérêt pour les recherches littéraires.

96 Pierre Popovic, « Situation de la sociocritique — L’École de Montréal », Olivier Parenteau et Yan Hamel (dir.),

Spirale : Arts. Lettres. Sciences humaines, op.cit., p. 16.

97 Dans un article intitulé « La sociocritique au pluriel », Kasimi Djiman a pour objectif de mettre en lumière

l’hétérogénéité des démarches méthodologiques qui traversent le questionnement sociocritique au point que cette « théorie de l’entre-deux […] revendique sa place au confluent de la critique marxiste et du structuralisme […]. [C]ette théorie manque parfois d’homogénéité ». L’article a, selon l’auteur, « pour point d’ancrage les démarches de Claude Duchet, Pierre Zima et Edmond Cros, en puisant dans l’univers de la littérature africaine d’expression anglaise, pour être ce ‘‘serviteur de la preuve’’ […] » et vise à montrer que « la diversité est déjà inscrite dans les dénominations, les différentes démarches méthodologiques et la pluralité qui traverse le champ notionnel ». Dans Kasimi Djiman, « La sociocritique au pluriel », Sociocricism, vol XXV 1 y 2, 2010, p. 28-29.

critique, capable de tenir compte des structures textuelles et du contexte social dont elles sont issues98 ». Selon lui, le concept de sociocritique fait concurrence à des notions établies comme sociologie de la littérature et sociologie du texte. Zima entend alors distinguer une sociocritique considérée comme une critique d’une sociologie de la littérature empirique dont la dimension critique a été amputée. Pour lui, la sociocritique ou sociologie du texte se différencie très nettement des autres méthodes existant en sociologie de la littérature. Ces méthodes s’orientent, selon Zima, vers les aspects thématiques de l’œuvre alors que la sociologie du texte s’intéresse à la question de savoir comment des problèmes sociaux et des intérêts de groupes sont articulés sur les plans lexical, sémantique, syntaxique et narratif. La sociocritique cherche à étudier ces différents niveaux du texte comme structures à la fois linguistiques et sociales. La spécificité de sa démarche méthodologique est d’analyser les structures textuelles.

Pour Pierre Zima, la sociocritique a pour but d’appréhender l’étude du texte au niveau du langage, en particulier, par l’étude des structures sémantiques et narratives. Les différentes composantes du texte sont ici perçues comme des structures à la fois linguistiques et sociales qui articulent des intérêts collectifs particuliers. Nous arrivons donc à représenter les conflits sociaux au niveau du discours. La sociocritique s’attache alors à considérer l’univers social comme un ensemble de langages collectifs absorbés et transformés par les textes littéraires où ils jouent un rôle très important. Ces langages sont, selon Zima, en interrelation avec le contexte culturel et discursif dans lequel ils s’inscrivent. La sociologie du texte cherche alors à « définir les rapports discursifs entre la théorie et l’idéologie, et entre la théorie et la fiction99 ». Elle participe à une critique du discours et, sur le plan de la lecture, elle met en rapport la structure du texte et ses conditions de production avec les différents métatextes des lecteurs.

Ainsi, la sociologie du texte donne-t-elle une place de choix au commentaire critique. Elle exprime un jugement de valeur et tente de comprendre et d’expliquer un texte dans une situation sociale et linguistique particulière. Elle tend donc, selon Zima, à l’évaluation qui consiste, non à savoir si un produit littéraire est bon ou mauvais, mais à « cherche[r] plutôt à

98 Pierre V. Zima, Manuel de sociocritique, Paris : Picard, 1985, p. 16. 99 Ibid., p. 10.

révéler les aspects idéologiques d’un texte et à les distinguer de ses dimensions critiques100 ». C’est à ce niveau que Zima trouve plus pertinent le concept de sociocritique que celui de sociologie du texte qui semble plus neutre. Dans la perspective de Zima, la sociocritique tente de décrire les techniques narratives et se donne pour tâche d’établir leur rapport à la société.

Dans sa « synthèse méthodologique », Zima avance que la sociocritique est inséparable du concept de l’idéologie qui occupe une place de choix dans ses théories. L’idéologie est la manifestation discursive d’intérêts sociaux particuliers. Elle « est inhérente à tous les textes littéraires, philosophiques, sociologiques, psychologiques, etc. […] [Elle] est l’attitude [critique et réflexive] que le sujet d’énonciation adopte envers ses propres activités sémantiques et syntaxiques (narratives)101 ». Dans ce sens, nous affirmons que, dans le raffinement de ses outils conceptuels afin de mieux circonscrire la spécificité esthétique du texte, l’approche sociocritique fait appel à l’idéologisation. À cet effet, Régine Robin102 retient quatre instances de l’idéologisation : le projet idéologique tenant compte des idées de l’auteur et de ses motivations, le cadre idéologique de départ basé sur le repérage de l’hégémonie ou système de valeurs dominant que l’auteur tente de dévoiler, l’idéologie de référence de l’auteur et l’idéologie du texte qui a trait au travail même de l’écrivain qui procède à la théorisation, à l’esthétisation et à l’idéologisation de son écriture sur la matière verbale cotextuelle.

1.2.2. La sociopoétique du texte

La méthode de la sociocritique, qui a pour objet d’étude le texte littéraire, se distingue de la sociologie de la littérature qui entend étudier la littérature comme un fait social et gravite autour du champ littéraire, des institutions, des phénomènes de réception et de lecture. Comme le remarque Gisèle Sapiro, elle pose une double interrogation « sur la littérature comme phénomène social, dont participent nombre d’institutions et d’individus qui produisent, consomment, jugent les œuvres, et sur l’inscription des représentations d’une époque et des

100 Ibid., p. 10. 101 Ibid., p. 136.

102 Pour une meilleure compréhension, on lira avec intérêt l’exposé très clair des spécificités des quatre instances

de l’idéologique que Régine Robin donne dans son article intitulé « Pour une socio-poétique de l’imaginaire social », Ruth Amossy et al. (dir.), La politique du texte : enjeux sociocritique, Lille, Presses universitaires de Lille, 1992, p. 117-118.

enjeux sociaux en leur sein103 ». Son objectif est cependant, comme le déclare Claude Duchet, « d’installer la sociologie, le logos du social, au centre de l’activité critique […], d’étudier la place occupée dans l’œuvre par les mécanismes socioculturels de production et de consommation104 ». En portant une attention toute particulière au fonctionnement interne du texte, au travail de l’écrivain, en somme à la teneur esthétique du texte, cette méthode d’analyse littéraire vise d’abord le texte et la « socialité du texte105 ».

La sociocritique se donne pour objet d’étudier « le statut du social » dans le texte qui est, selon Claude Duchet, l’élément central d’où il faut partir. Duchet souscrit à l’ouverture du texte permettant de saisir les traces les plus profondes de la socialité et produit le « manifeste » de la sociocritique, intitulé « Pour une socio-critique ou variation sur un incipit ». C’est d’ailleurs dans cet article que Duchet déclare vouloir présenter « la socio-critique comme une sociologie des textes, un mode de lecture du texte […] [qui] n’implique pour nous aucune clôture, surtout pas celle de sa majuscule initiale […] ou de son point final106 ». Le texte constitue, selon Duchet, un objet d’étude dont les frontières restent mouvantes car, même le titre du roman, la première et la dernière phrase sont tout au plus des repères entre texte et hors-texte. Duchet admet d’ailleurs que « le bout d’un texte n’est pas sa fin, mais l’attente de sa lecture, le début de son pourquoi, de son vers quoi107 ». La sociocritique se veut une explication de la structure et du fonctionnement de la création littéraire à partir du contexte social. Selon Claude Duchet, elle veut proposer un modèle de lecture qui tente de restituer au texte toute sa teneur sociale :

L’enjeu, c’est ce qui est mis en œuvre dans le texte, soit un rapport au monde […]. Toute création artistique est aussi pratique sociale, et partant, production idéologique. […] Cela

103 Gisèle Sapiro, « Littérature - Sociologie de la littérature », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 22

août 2014. URL: http://www.universalis.fr/encyclopedie/litterature-sociologie-de-la-litterature/.

104 Claude Duchet, « Pour une socio-critique ou variations sur un incipit », Littératures, n° 1, février 1971, p. 14. 105 Au sens défini par Claude Duchet, cette écriture de la socialité est analysée comme un double mouvement :

« Elle est d’abord tout ce qui manifeste dans le roman la présence hors du roman d’une société de référence et d’une pratique sociale, ce par quoi le roman s’affirme dépendant d’une réalité socio-historique antérieure et extérieure [...]. La socialité est d’autre part ce par quoi le roman s’affirme lui-même comme société et produit en lui-même ses conditions de lisibilité sociale » (Claude Duchet, « Une écriture de la socialité », Poétique, n° 16, Paris : Seuil, 1973, p. 449).

106 Claude Duchet, « Pour une socio-critique ou variations sur un incipit », Littérature, n° 1, février 1971, p. 6. 107 Ibid., p. 8.

suppose la prise en considération du concept de littérarité par exemple, mais comme partie intégrante d’une analyse sociotextuelle108.

La sociocritique s’intéresse aux conditions de production littéraire et de lecture ou de lisibilité afin de repérer dans les œuvres mêmes l’inscription de ces conditions, indissociable de la mise en texte. C’est pour cela que l’enquête sociocritique de Duchet s’intéresse aux microstructures qui sont de petits fragments particulièrement révélateurs renvoyant à la macrostructure du texte. Ainsi, la lecture sociocritique apparaît-elle comme une ouverture de l’œuvre et du langage du dedans. La sociocritique interroge le texte sur le « non-dit », les « silences », et « formule l’hypothèse de l’inconscient social du texte à introduire dans une problématique de l’imaginaire109 ». Elle tente de décrire les méandres du « non-dit », rend les silences apparents du texte sonores, et aide à faire ressortir toutes les marques textuelles ou sociotextuelles qui relèvent du non-dit, du silence, etc., vers ce qu’ils veulent signifier et qui justifie leur présence dans le texte. De cette façon, l’enquête sociocritique s’efforce constamment de reconnaître, sous le trajet du sens inscrit, le trajet du non-dit à l’expression.

Claude Duchet a ainsi défini les notions de mise en texte, de valeur textuelle, de co-texte, de sociogramme et valorisé les objets précis à soumettre aux microlectures (l’incipit romanesque, par exemple). Son but est de rendre compte du mouvement sémantique des textes et mettre en évidence l’historicité des écritures littéraires.

1.2.3. La théorie de l’imaginaire social

Pierre Popovic a également démontré en quoi et comment la sociocritique peut intervenir dans l’explication des textes. Selon lui, la sociocritique, qui se distingue radicalement aussi bien de la sociologie empirique que de la sociologie de la littérature, se définit, de façon générale, comme suit :

La sociocritique n’est ni une discipline ni une théorie. Elle n’est pas non plus une sociologie, de quelque sorte qu’elle soit, encore moins une méthode. Elle constitue une perspective. À ce titre, elle pose comme principe fondateur une proposition heuristique générale de laquelle peuvent dériver de nombreuses problématiques individuellement cohérentes et mutuellement compatibles.

108 Ibid., p. 3-4. 109 Ibid., p. 4.

Cette proposition se présente comme suit :

Le but de la sociocritique est de dégager la socialité des textes. Celle-ci est analysable dans les caractéristiques de leurs mises en forme, lesquelles se comprennent rapportées à la semiosis sociale environnante prise en partie ou dans sa totalité. L’étude de ce rapport de commutation sémiotique permet d’expliquer la forme-sens (thématisations, contradictions, apories, dérives sémantiques, polysémie, etc.) des textes, d’évaluer et de mettre en valeur leur historicité, leur portée critique et leur capacité d’invention à l’égard du monde social. Analyser, comprendre, expliquer, évaluer, ce sont là les quatre temps d’une herméneutique. C’est pourquoi la sociocritique – qui s’appellerait tout aussi bien « sociosémiotique » – peut se définir de manière concise comme une herméneutique sociale des textes110.

Pierre Popovic ajoute que « la sociocritique est une perspective définissable par le geste critique qui la fonde, lequel fournit les linéaments d’une pratique de lecture des textes attentive à leur interaction avec la semiosis sociale qui les environne111 ». La sociocritique cherche à voir « comment un texte littéraire compose et dialogue avec les énoncés, les discours, les images par lesquels une société se représente à elle-même, les façons dont elle lit son passé, dont elle dispose de ce qu’elle croit être, dont elle se projette dans l’avenir112 ». Le projet sociocritique de Popovic se fonde sur deux principes : le premier affirme que les pratiques discursives et textuelles sont des produits sociohistoriques, et le second montre que le texte de littérature est en relation de perméabilité et en interaction constante avec les formations discursives circulant autour de lui. Dans ces conditions, Pierre Popovic avance que la sociocritique « conçoit texte et hors-texte dans un continuum discursif […] [et fait] toujours, reposer ses analyses sur une étude interne, sur une lecture in vivo du texte (laquelle se soutiendra de méthodes éprouvées, empruntées à la narratologie, à la sémiotique, à la rhétorique, etc.)113 ». Le mouvement de récurrence du hors-texte au texte permet de montrer la socialité de l’œuvre, de voir comment le social s’inscrit dans le texte, de saisir comment « les bruits du monde114 » deviennent texte. La socialité s’obtient « par une lecture interne, immanente, textualiste115 ». Afin de pouvoir sortir

110 Pierre Popovic, « La sociocritique. Définition, histoire, concepts, voies d’avenir », Pratiques, n° 151/152,

décembre 2011, p. 16.

111 Ibid., p. 35.

112 Pierre Popovic, « Éléments pour une lecture sociocritique de ‘‘Ça’’ de Tristan Corbière », Québec français, n°

93, hiver 1994, p. 84

113 Ibid.

114 Régine Robin, « Pour une socio-poétique de l’imaginaire social », Ruth Amossy et al. (dir.), La politique du

texte, op.cit., p. 104.