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Chapitre 2. Recension des écrits 6!

2.6 Modifications du patron de marche selon les conditions environnantes 38!

2.6.1 Tapis roulant à double courroie 38!

L’utilisation du tapis roulant à double courroie est une approche novatrice, qui permet de symétriser le patron de marche des personnes hémiparétiques. Alors qu’un protocole de marche sur un tapis roulant à double courroie symétrise le patron de marche des personnes hémiparétiques (Reisman et al., 2007), il induit un patron de marche asymétrique chez les personnes en santé quand les vitesses de courroie redeviennent identiques (Bruijn et al., 2012; Lauzière et al., 2014b; Mawase et al., 2013; Ogawa et al., 2014; Reisman et al., 2007;

Roemmich et al., 2014). Pour expliquer les changements spatiotemporels de la marche durant l’adaptation, c.-à-d. lorsque les vitesses de courroies sont asymétriques, et durant la période post-adaptation, c.-à-d. lorsque les vitesses de courroies sont à nouveau identiques, des études récentes ont quantifié l’activité musculaire (Ogawa et al., 2014) et la biomécanique des membres inférieurs (Lauzière et al., 2014b; Roemmich et al., 2012) ainsi que les forces de réaction du sol (Mawase et al., 2013; Ogawa et al., 2014). Ces études ont tenté de mieux comprendre les adaptations lors de la marche sur un tapis roulant à double courroie durant les périodes d’adaptation et de post-adaptation. Deux mécanismes d’adaptation ont été identifiés. Le premier, dit réactif, est observé pour les paramètres intra-jambes, tels que la longueur du cycle et la durée d’appui (Bruijn et al., 2012; Morton et al., 2006; Ogawa et al., 2014; Reisman et al., 2005; Reisman et al., 2007; Roemmich et al., 2014). Il est caractérisé par des changements qui se produisent instantanément au début de l’adaptation (période où les courroies ont des vitesses différentes). Ces changements sont immédiats et évoluent peu au cours de la période d’adaptation et ne montrent pas de post-effet (Morton et al., 2006; Reisman et al., 2005; Reisman et al., 2007). Ce mécanisme d’adaptation est réactif (contrôle «!feedback!») puisque les changements seraient produits en réaction immédiate aux changements de vitesse des courroies grâce aux informations sensorielles provenant de chaque membre inférieur qui détectent la modification de situation locomotrice et commandent l’ajustement (Morton et al., 2006; Reisman et al., 2005; Reisman et al., 2007). Des changements réactifs ont aussi été décrits dans certaines composantes des forces de réaction du sol telles que la composante de propulsion de la force antéropostérieure, la composante de la force verticale durant la phase d’appui unipodal et la force médiolatérale (Mawase et al., 2013; Ogawa et al., 2014).

Le second mécanisme d’adaptation, dit prédictif, reflète la capacité du système nerveux à réagir progressivement à une perturbation afin que l’exécution du mouvement intègre cette perturbation pour en atténuer l’effet. Il s’observe dans les changements de longueur de pas et de durée de double appui, considérés comme des paramètres inter-jambes. Ces paramètres sont très asymétriques au début de la période où les vitesses de courroie sont différentes, et ils se corrigent progressivement au cours de cette période (Bruijn et al., 2012; Malone et al., 2014; Ogawa et al., 2014; Reisman et al., 2005; Reisman et al., 2007; Roemmich et al., 2014). Le

mécanisme pouvant expliquer ce phénomène serait que l’exagération de l’asymétrie durant la perturbation donnerait une meilleure information au système nerveux pour développer des stratégies pour la diminuer (Reisman et al., 2010b; Reisman et al., 2007, 2009). Lorsque les courroies sont ramenées à la même vitesse (période de post-adaptation), les changements persistent pendant 15 (avec un ratio de 2 : 1; (Malone et al., 2010)) à 50 (avec un ratio de 3 : 1; (Malone et al., 2014)) cycles. Ce phénomène de conservation du patron de mouvement résultant de l’adaptation, appelé «!post-effet!», est reproduit dans la nouvelle situation (contrôle «!feed-forward!») et doit être progressivement réajusté pour la nouvelle condition de marche (vitesses des courroies identiques). En plus des paramètres spatiotemporels, la composante de freinage de la force de réaction du sol antéropostérieure au contact du talon ainsi que la force verticale durant la phase de double appui présentent une réponse prédictive durant la période d’adaptation suivie d’un post-effet dans la période de post-adaptation (Mawase et al., 2013; Ogawa et al., 2014). Ce mécanisme d’adaptation est défini par Noble et al. (2006) comme les ajustements du patron de marche réalisés pour s’habituer aux nouvelles propriétés mécaniques du membre ou des conditions dans lesquelles la tâche est réalisée. Ces ajustements sont effectués pour atteindre un patron de marche stable et peuvent persister après le retour à une condition de marche normale (sans perturbation) (Bastian, 2008; Noble et al., 2006; Reisman et al., 2005; Reisman et al., 2007).

Des études, utilisant un tapis roulant à double courroie, ont montré qu’en accélérant le membre inférieur qui effectuait un pas plus court (souvent le membre inférieur non parétique) lors de la période d’adaptation, la longueur de ce pas était augmentée comparativement à l’autre côté, lorsque les courroies reviennent à la même vitesse (période de post-adaptation) rendant ainsi les patients plus symétriques à court terme (Malone et al., 2014; Reisman et al., 2007, 2009). Cette réduction de l’asymétrie était transférable au sol, dans une proportion de 60 % de la correction obtenue sur tapis roulant (Reisman et al., 2009). De plus, après l’adaptation, on a observé également une augmentation du moment fléchisseur plantaire du membre inférieur qui était sur la courroie lente. Considérant l’importance de ce groupe de muscles pour la propulsion du membre inférieur lors de la marche, il serait particulièrement intéressant de placer le membre inférieur parétique sur la courroie lente lors de la phase d’adaptation afin d’en augmenter les capacités de propulsion (Lauzière et al., 2014b). Bien que

ces résultats démontrent que les personnes hémiparétiques à la suite d’un AVC unilatéral sans atteinte cérébelleuse (Morton et al., 2006) préservent une capacité d’adaptation, très peu d’évidences permettent de conclure à une adaptation permanente d’un patron de marche plus symétrique (Reisman et al., 2010a).

Les effets obtenus durant les périodes d’adaptation et de post-adaptation sur tapis roulant à double courroie dépendent de plusieurs facteurs. Premièrement, le post-effet induit par la marche avec des vitesses de courroies asymétriques sur les paramètres spatiotemporels dépend de l’asymétrie initiale de ces paramètres de sorte que le membre inférieur qui a une longueur de pas plus courte doit être sur la courroie rapide pour augmenter sa longueur de pas et diminuer l’asymétrie chez les personnes hémiparétiques (Lauzière et al., 2014b; Reisman et al., 2010a; Reisman et al., 2007, 2009). De façon similaire, selon Lauzière et al. (2014b), l’effet du tapis roulant à double courroie sur la cinétique semble bénéfique seulement quand le membre inférieur parétique, qui produit un moment fléchisseur plantaire plus faible, est sur la courroie lente. Ces auteurs ont montré que le moment fléchisseur plantaire augmentait pour le membre inférieur qui était sur la courroie lente et diminuait pour le membre inférieur sur la courroie rapide chez des personnes en santé et hémiparétiques (Lauzière et al., 2014b).

L’effet de la perturbation dépend aussi de la vitesse de marche et de la différence entre les vitesses des courroies lors de la période d’adaptation (Roemmich et al., 2014; Vasudevan et al., 2010). La plupart des études utilisent un protocole avec des vitesses de courroie fixes (0,5 m/s et 1,0 m/s) et un ratio de 2 : 1 (Bruijn et al., 2012; Mawase et al., 2013; Ogawa et al., 2014; Reisman et al., 2005; Reisman et al., 2007), malgré une vaste étendue de vitesses de marche confortables des personnes en santé (Bohannon et al., 2011) et hémiparétiques (Nadeau et al., 1999; Patterson et al., 2008). L’amplitude du post-effet est plus importante lorsque la vitesse des courroies en post-adaptation est équivalente à la vitesse de la courroie lente (Hamzey et al., 2016; Vasudevan et al., 2010).

Un autre facteur à considérer est l’effet de l’âge sur l’adaptation locomotrice bien qu’il n’y ait pas de consensus entre les études. Selon Bruijn et al. (2012), les personnes âgées s’adaptent moins durant la période d’adaptation, c.-à-d. quand les vitesses de courroie sont asymétriques, et montrent peu de post-effets sur les paramètres spatiotemporels durant la phase de post-adaptation comparativement à de jeunes adultes, probablement à cause de la

dégénérescence du faisceau cortico-cérébelleux liée à l’âge. Toutefois, l’étude de Roemmich et al. (2014) ne parvient pas à la même conclusion puisque ces auteurs ont trouvé une seule différence mineure pour les paramètres spatiotemporels entre les personnes âgées et jeunes. Finalement, une étude a montré que la réalisation d’une tâche cognitive durant la période d’adaptation ralentissait la correction de l’asymétrie et lors de la période de post-adaptation, le post-effet prenait plus de temps pour disparaître. Aucun effet n’a été trouvé sur l’amplitude de la correction ou du post-effet (Malone et al., 2010).

Actuellement, l’impact d’un tel protocole sur l’équilibre des personnes hémiparétiques n’est pas connu. Considérant la réorganisation locomotrice (spatiotemporelle et cinétique) exigée pendant les périodes d’adaptation et de post-adaptation, il est probable que le contrôle de l’équilibre soit compromis.