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TÉMOIGNAGES DE TRADUCTEURS / INTERPRÈTES :

LANGUES NATIONALES ET DÉVELOPPEMENT

NATIONALES : UN LEVIER POUR LE DÉVELOPPEMENT DES LANGUES NATIONALES

6. TÉMOIGNAGES DE TRADUCTEURS / INTERPRÈTES :

Des traducteurs interprètes mooré-français et français-mooré que nous avons approchés témoignent volontiers de la meilleure connaissance qu’ils ont de leur propre langue maternelle (en particulier) et du français depuis qu’ils mènent cette activité. Ils ont élaborés des glossaires personnels dont le contenu finit par être vulgarisé à force d’être utilisé publiquement. En d’autres termes, ils ont découvert ou redécouvert leur propre langue à travers l’activité traduisante ou interprétative et l’ont redécouvrir ou

redécouvrir à leur nombreux public cible qui les ont parfois aidé dans cette tâche. Cela est évidemment une source de renforcement de la connaissances de nos langues surtout chez les jeunes générations chez qui la tendance est de plus en plus à verser dans la facilité de l’emprunt au français. L’un d’eux déclare que cette activité a fait naître en lui un amour particulier pour sa langue maternelle. Chaque découverte de mot ou d’expression « en voie de disparition » est un heureux événement qu’il s’empresse de

« publier » dès que l’occasion se présente. « La traduction, dit-il, me permet de rechercher la racine de certain mots en mooré, leurs sens premiers et le sens que l’évolution de la langue donne aujourd’hui ». Voici quelques de mots, entre de nombreux autres, cités en exemple :

- « peemleega » qui veut dire « fenêtre », - « parwende » qui veut dire « monstre »,

- « banga » qui veut pour « téléphone » mais dont le sens premier est « fer ».

L’équivalent du verbe « téléphoner » est l’expression idiomatique « wẽ banga » dont le sens littéral est « taper le fer ».

L’utilisation d’emprunts est, selon un autre interprète, le dernier recours, « quand je n’ai pas le choix ». Il se dit parfois obligé « d’inventer » des mots dans sa langue maternelle quand il n’y a pas d’équivalents pour les mots français et que le public « ne peut pas accepter » l’emprunt du français, comme dans l’exemple du mot français

« veuf » : le mooré a des équivalents pour « veuve » et « homme célibataire » qui sont respectivement « pυgkõore » (littéralement « femme sans mari ») et « rakõore » (littéralement « homme sans épouse ». C’est ainsi que le mot « sidkõore » (littéralement « mari sans épouse ») aurait été créé par analogie avec« pυgkõore » tout en marquant la différence avec « rakõore » qui semble être le premier venu des trois termes..

La « publication » de ces découvertes entraîne comme une réaction d’approbation du public cible qui en fait parfois des commentaires après la réunion concernée. « Ce sont des personnes qui ont les deux langues bien classée dans la tête, capables de parler l’une ou l’autre des langues sans les mélanger ». Comme l’a dit Balliu (1996), c’est le public qui est le meilleur appréciateur de l’interprétation qui leur est servie.

Des observateurs extérieurs que nous avons approchés (parfois des linguistes ou des traducteurs professionnels) nous ont dit leur émerveillement devant les prouesses de ces interprètes sans formation formelle, ce qui semble corroborer la déclaration d’un de ces interprètes formés « sur le tas » : « la traduction améliore non seulement ma connaissance du mooré, mais aussi ma connaissance du français ».

CONCLUSION

Cette observation sommaire que nous venons de faire permet de tirer quelques enseignements :

- La traduction /interprétation français – langues nationales peut être un levier pour le développement, voire, de pérennisation de nos langues nationales en favorisant leur standardisation. En outre, elle est un facteur de développement solidaires des langues et cultures impliquées. Nous avons délibérément survolé l’aspect appropriation du français (si chère à Senghor64), mais l’activité traduisante ou interprétative y contribue grandement et permet en fin de compte à l’africain de se retrouver dans le français qu’il parle tout en comprenant le français qu’on lui parle. Ainsi, nous préserverons notre culture dans "notre" français, mais également nous la préserverons, et l’enrichirons dans nos langues locales.

- La recherche terminologique dans le cadre de la standardisation des langues africaines gagnerait à maintenir fermement les locuteurs natifs (unilingues au besoin) au cœur de la recherche car ils sont les vrais dépositaires de la qualité de leurs langues.

- Pour que « Plan d’Action Linguistique pour L’Afrique » adopté par l’Organisation de l’Unité Africaine à Addis Abeba, en juillet 1986 ne reste pas un vœux pieux, il faudra que les décideurs africains prennent au sérieux, entre autres, les recommandations n°

21, 24, et 185, des premiers « Etats généraux de l’Enseignement du français en Afrique Subsaharienne Francophone » (mars 2003, à Libreville) ainsi libellées :

- 21 Nécessité d’enseigner conjointement le français et nos langues. (p12)

- 34 Aider à la formation d’interprètes et traducteurs (français – langues partenaires et vice-versa). D’une façon générale, développer dans toutes les universités en Afrique des départements de traduction.65 (p12)

- 185 Que la diversité linguistique et culturelle soit consolidée. (p21)

64 « Léopold Sédar Senghor, ancien président de la République du Sénégal, agrégé de grammaire, linguiste, chantre de la Négritude et un des pères fondateurs de la francophonie, écrivait dans la préface au Lexique du français au Sénégal :

‘Nous sommes pour une langue française, mais avec des variantes, plus exactement, des enrichissements régionaux.’ » Daff (1998).

65 Souligné par nous.

Bibliographie

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