• Aucun résultat trouvé

PROCÉDURES ET MÉTHODES DE CRÉATION LEXICALE

LANGUES NATIONALES ET DÉVELOPPEMENT

TRADUCTION EN LANGUES CONGOLAISES DE LA CONSTITUTION DU 15 MARS 1992 : ETUDE D’EXPÉRIENCE

4. PROCÉDURES ET MÉTHODES DE CRÉATION LEXICALE

La première démarche pratique a consisté à déterminer un domaine pour en définir et en décrire la terminologie dans les deux langues-cibles. Mais comme la terminologie est censée correspondre à un système notionnel, la manière d’aborder un domaine est une question essentielle. De ce point de vue, on doit distinguer au moins deux types de domaines :

1. Les domaines théoriques. Ils sont généralement centrés sur un objet distinct. Le projet terminologique doit alors rassembler et comparer les termes employés dans les diverses théories : termes différents, (à confronter), termes identiques véhiculant des valeurs notionnelles différentes.

2. Les domaines techniques. Chaque domaine est constitué par des finalités pratiques. Dans les secteurs administratifs, juridiques ou d’organisation, l’élaboration d’un modèle représentant la forme du domaine pose d’autres problèmes qu’en sciences, parce qu’elle dépend en partie de contingences culturelles ou socioéconomiques. A ce sujet, Howard Gardner traitant des variations linguistiques transculturelles, fait observer :

Une fois que le langage a décollé, il a rempli d’innombrables fonctions. On peut avoir une idée de cette variété en considérant seulement comment les représentants

des différentes cultures ont utilisé le langage, et comment ces cultures ont récompensé ceux qui excellaient dans de telles utilisations.57

En ce qui concerne notre sujet, disons qu’en raison de la différence manifeste de Statuts et de niveaux des langues en présence, quelques procédés ont été repérés.

Il s’agit particulièrement :

- des possibilités internes des langues congolaises - de l’emprunt

- des calques phonologiques - des néologismes;

Le domaine lexical d’une langue comme le soulignent Maurice Houis et Rémy Bole Richard, « correspond à la culture du peuple qui la parle, c’est à dire à son environnement, ses techniques, ses croyances, son expérience du monde ». On peut dire qu’il est en fait adapté aux besoins de ses locuteurs. « En ce sens, il est vain de vouloir mesurer une éventuelle richesse ou pauvreté lexicale d’une langue, ou de comparer deux langues pour dire laquelle est la plus riche ».

Une Constitution relève des domaines liés à l’organisation des institutions, à l’administration et au droit. Les langues congolaises renferment-elles autant des termes juridico-administratifs éprouvés que le français ? Evidemment non, mais elles disposent d’atouts internes pour combler ces lacunes par la création de nouveaux mots ou par emprunt.

4.1. Les possibilités internes de la langue

Les langues bantu regorgent d’énormes potentialités de création lexicale. Faisant appel à leurs structures syntagmatiques propres notamment la composition et la dérivation, le lingala et le munukutuba ont proposé des mots pour désigner bon nombre de concepts enrichissant de fait le vocabulaire des langues cibles.

4.1.1. Mots créés par dérivation

Ces mots ont été crées à partir de lexèmes affixés d’un morphème dérivatif. Ce sont des mots qui touchent beaucoup de domaines dont la justice.

Par exemple :

57 GARDNER Howard. Les formes de l'intelligence. Paris 1997 p.99

Langue Verbe Nom Locatif

Français Juger Juge Palais de justice

- - Jugement

Lingala Ko-samb-a Mo-sambi-si e-samb-is-el-o

- Ko-samb-is-a bo-samb-is-i

- - li-samb-is-i

munukutuba ku-fund-is-a ki-fund-is-i

- - lu-fund-us-u

4.1.2. Mots créés par composition

Langue Verbe Nom

Français hériter héritage

Lingala ko-tik-al-a na biloko bya mowei58 bo-tik-al-i na biloko

- - bya mowei

Une autre possibilité interne de la langue est l’élargissement ou le transfert sémantique. Elargissement sémantique lorsqu’un terme d’acception usuelle définie est utilisé pour désigner une notion nouvelle par analogie ou métaphore; par exemple :

« Haute Cour de Justice » qui donne en munukutuba : lufundusu ya bantu ya nene, ce qui donne littéralement : « Le tribunal des personnes grandes / importantes ».

4.2. de l’emprunt

En même temps qu’une société évolue, naît chez le locuteur le besoin d’exprimer des notions nouvelles.

Pendant la traduction de la Constitution de Mars 1992, beaucoup de mots ont été empruntés aux langues vernaculaires congolaises, et au français.

4.2.1. Emprunts aux langues congolaises Bansutami < Kidondo

Mbongi < Kikongo

58 Littéralement l'on dirait : Rester avec les biens laissés par un défunt.

4.2.2. Emprunts au français

Ils sont nombreux et variés. Ce sont des mots qui relèvent du vocabulaire politique, institutionnel et administratif

Lingala Français

Ministre Ministre

Depité Député

Voti Vote

Sena Sénat

Motion de censure motion de censure

Parlema Parlement

Lasemble L’assemblée

Il en est de même en munukutuba :

Français Munukutuba

Minisitele Ministère

Basoda Les soldats

Zandalimeli Gendarmerie

Etc.

Disons qu’il peut exister des équivalents à ces mots empruntés mais le besoin sinon le souci d’être compris et de ne pas toujours créer un nouveau mot au risque de ne jamais le voir utilisé a orienté les traducteurs vers le recours à l’emprunt.

4.3. les calques phonologiques

Les calques phonologiques ont aussi été adoptés comme source de création de mots.

La forme phonique du terme calqué sera alors modifiée et adaptée à la structure phonologique de la langue congolaise cible :

Exemple :

français : juge du siège

munukutuba / lingala : zuzi ya kiti kiti signifie chaise, banc ou tabouret

Le système phonologique de la langue cible peut aussi fonctionner comme un crible au travers duquel passe un mot d’origine étrangère, qui est alors assimilé, au point de ne plus le reconnaître comme emprunt. Voyons le destin du mot Etat

Français Lingala

Etat leta

Fonction publique leta

Etablissement public administratif ndako ya leta

Si au départ, le mot leta est un emprunt, qui désigne l’Etat « autorité souveraine s’exerçant sur un peuple ou un territoire déterminés », devant la difficulté de nommer la situation ou le corps d’appartenance d’un agent du service public, le lingala recourt au mot leta non plus dans son sens premier, mais comme une réalité qui se projette et se colle à tout agent du service public.

4.4. Les néologismes

Il est évident que les langues congolaises sont le reflet de leur environnement économique, social, culturel et politique. Leur richesse lexicale dépend de la qualité de l’activité humaine qui se déploie autour d’elles. C’est dire qu’au regard du développement des sciences et des techniques, en un mot de la société, le besoin de connaître son milieu, d’identifier ses composantes, bref de les nommer est une nécessité.

Pendant l’exercice de traduction de la constitution en langues congolaises, le groupe de traducteurs s’est confronté à des difficultés liées au manque de vocabulaire en lingala et munukutuba pour dire certaines réalités. Il a donc fallu puiser dans le système lexicologique des langues – cibles afin de proposer de nouveaux mots qui pouvaient avec satisfaction, combler la lacune constatée.

Ce sont en majorité des mots relevant des domaines institutionnel, politique.

Par exemple :

Français lingala munukutuba

Démocratie bumbongi Mbongi59.

Sénateur - mbuta – nzonzi60

Emploi militaire - bosoda

Cour des comptes litaki litali bososoli bwa motango mwa biloko lufundusu ya lukonti

On peut constater que les traducteurs n’ont pas la même structure de pensée pour créer dans l’une ou l’autre langue un mot pour dire « comptes ». Les traducteurs lingala définissent et limitent l’action de la cour des comptes à un emploi de compatibilité publique (Bososoli bwa motango vient de Bososoli = "choisir, veiller sur" et de Motango = "rang, nombre"), tandis que les traducteurs munukutuba érigent cette cour en un "tribunal" où s’exerce la compatibilité publique : lufundusu = tribunal, et Lukonti

= compte(emprunt au français).

Les néologismes sont d’un apport précieux dans l’enrichissement du vocabulaire des langues, surtout quand elles commencent à remplir de nouvelles fonctions.