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LES CONTRAINTES ET PROBLÈMES

LANGUES NATIONALES ET DÉVELOPPEMENT

LES CONTRAINTES ET PROBLÈMES

S’agissant de la création lexicale, nous savons que pour créer, forger, l’équivalent dans une langue B d’un terme ou concept d’une langue A, trois principes minimaux méritent d’être observés :

- Bien comprendre, appréhender, cerner, le terme ou concept de départ. S’il relève d’un domaine spécialisé, s’attacher les services d’un spécialiste du domaine consitue un plus. Tout ce qui est clair et bien compris peut se rendre « aisément » dans la langue d’arrivée.

- Bien connaître et maîtriser les ressources et latitudes créatives et dérivationnelles de la langues B d’arrivée51. On aura souvent besoin d’un linguiste de B.

- Veiller à la transparence (et au caractère systématique, si c’est en science) et à l’acceptabilité probable du néologisme. Plus le néologisme est simple et conforme aux structures phonétiques, morpho-sémantiques et aux règles dérivationnelles de la langues B, plus il a des chances de « vivre ». Rien ne remplace le verdict des locuteurs.

Pour ce qui est de la traduction, nous savons que pour « bien » traduire, d’une langue A vers une langue B, il y a intérêt à bien maîtriser A et B et bien connaître leurs charges culturelles respectives. Il est ainsi plus facile de faire la traduction entre langues de cultures similaires ou rapprochées. Ainsi en est-il notamment quand il s’agit de traduire des expressions proverbiales, idiomatiques ou culturellement trop marquées.

La traduction « mot-à-mot » aboutit inévitablement aux non-sens, solécismes ou autres barbarismes.

La traduction des langues comme le français, l’anglais, etc. vers les langues africaines actuelles, nécessite souvent le recours à des néologismes « forgés » hic et nunc. Aussi traduction et création lexicale sont-elles étroitement liées actuellement pour ce qui est des langues autochtones africaines.

Mais malgré les grands principes ci-dessus édictés, et dont nous avons toujours tenu compte, nous avons souvent été confrontés, sur le terrain, au problèmee d’acceptabilité des termes, et ceci, pour au moins deux raisons essentiellement :

- la première est que, quelle que soit la clarté et la transparence du mot, sa conformité

« au génie de la langue » comme on dit, dès l’instant qu’il est créé au niveau des bureaux de production, il reste « le secret » de ses « créateurs ». Il n’y a pas de dictionnaires des néologies, et l’évolution endogène des connaissances et de la culture des membres de la communauté ne leur permet pas de se familiariser à un mot, fût-il peul d’origine, qu’ils ne connaissaient pas.

- la deuxième, étroitement liée à la première est la suivante : les langues n’étant pas utilisées dans le mode écrit généralisé, la génération (production) lexicale nouvelle n’est pas le produit d’une évolution scientifique, industrielle ou même simplement culturelle de la société. Les mots sont simplement étrangers, et le degré d’évolution culturelle qui a vu leur naissance dans les langues européennes d’origine n’a aucune commune mesure avec celle des sociétés réceptrices. Nous avons certes déployé beaucoup de stratégies qu’il serait long d’exposer ici, dans le cadre de cette communication, mais le problème reste entier et fort d’actualité.

51 Cf. par exemple, pour le fulfulde, notre contribution dans Structures et méthodes du projet de promotion des langues Manding-Peul (MAPE), Fary KA, Kalilou THERA & Boubacar DIARRA, ACCT, Edim, bamako, 1983.

La diffusion et de l’acceptabilité des néologismes reste un problème récurrent. En effet, comme nous l’avons vu, les deux principaux problèmes de la création lexicale en fulfulde que nous avons le plus souvent rencontrés sont : l’acceptabilité et la diffusion des néologismes. Il s’y ajoute aussi parfois celui de la normalisation interdialectale.

Pour illustrer notre propos, nous pouvons partir de quelques cas précis : un cas de succès, un d’échec (relatif !) pour l’acceptabilité, et un cas des divergences dialectales.

1. Avec la prolifération du mouvement organisationnel, lié au développement à la base, toute la terminologie nouvelle lieu à cela est si souvent utilisé au quotidien qu’elle finit par avoir droit de cité et être acceptée comme une génération spontanée de la langue. Considérons les deux mots suivants :

▪ le mot « bureau », organe de direction d’une structure ou d’un service, est rendu en fulfulde par le néologisme yiilirde « [organe] qui fait tourner [le travail] » ;

▪ le mot « secrétaire général » se dit koolaado kuubal 52 « personne de confiance en tout ».

Si on se référait aux fameux cinq critères de « viabilité » (motivation, adéquation, dérivation, acceptabilité, et maniabilité) de la Banque de terminologie (1971) de l’Université de Montréal53, ces deux néologismes ne seraient certainement pas les mieux choisis. Yiilirde a un cote de motivation quasiment nul, sans compter que son sens global laisse à désirer : l’idée de « faire tourner » fait plutôt penser à une essoreuse à salade ! Quant à koolaado kuubal, c’est un calque sémantique – tout ce qu’il y a moins recommandable en terminologie – qui reprend le premier sens (étymologique) de « secrétaire ».

Pourtant, ces deux termes connaissent un succès, une acceptabilité et une diffusion réels aujourd’hui. Ils sont employés presque quotidiennement et partout.

Cela est dû à la prolifération des organisations à la base en milieu peul (Fouta sénégalais, Mauritanie, notamment) liée au développement, ce qui est un peu « à la mode » aujourd’hui.

2. Par contre, si nous prenons le cas du couple de mots jurol et ngorol ayant respectivement pour sens premier « latte verticale » et « latte horizontale » [de la charpente de toit de la case peule traditionnelle – qui est ronde] pour désigner méridien et parallèle en géographie, on constate qu’ils ne sont pas adoptés. Ceci, pour une raison bien simple : certes, nous les avons « bien » créés (par dérivation sémantique) et par analogie (projet MAPE, Nouakchott, 1981), mais on n’enseigne pas la géographie en fulfulde ! Ils ne sont donc pas employés, et restent méconnus dans leur nouveau sens.

Ces deux cas illustrent bien, à notre sens, ce qui est le nœud gordien du problème aujourd’hui : si la création lexicale (l’interventionnisme terminologique) n’est pas accompagné et soutenu par l’enseignement et l’éducation dans et par les

52 L’absence de police de caractères en fulfulde nous oblige à mal noter les glottales de la langue : dans ce mot, aussi bien le d que le b sont glottalisés.

53 Cf. Guide de la néologie, par M. DIKI-KIDIRI, H. JOLY & C. MURCIA, Cilf, Paris, Boudin, 1981.

langues africaines, son succès restera toujours nécessairement limité. La création lexicale intra muros, en dehors du contexte que voilà, a toutes chances de n’aboutir souvent qu’à des mots/termes connus de leurs seuls auteurs et condamnés à restent dans les tiroirs, ou dans des livres non diffusés faute de politique éducative d’accompagnement.

3. Un autre problème de la création lexicale intra muros est le risque de renforcement des divergences dialectales, dans des langues à dialectes comme le fulfulde. En effet, l’expérience nous a montré que si, pour un même concept ou un même terme étranger, chaque zone dialectale crée son équivalent à part, l’atomisation dialectale de la langue va crescendo. Et c’est dommageable, au vue de la nécessité de la standardisation progressive des grandes langues africaines.