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Télévision scolaire et éducative

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 113-176)

MATÉRIAUX POUR CONSTRUIRE UNE APPROCHE

2- ARCHÉOLOGIE COMMUNICATIONNELLE DE L’AUDIOVISUEL ÉDUCATIF

2.3 Télévision scolaire et éducative

« L'audiovisuel est entré à l'école par effraction » (Balle, 1995, p. 119) et l’exemple de la télévision est de ce point de vue-là exemplaire150. En effet, avec l’émergence de ce média de masse, les questionnements amorcés avec la lanterne magique, puis le cinéma, se développent avec une singulière acuité. Nous montrerons que les évolutions de la télévision, en tant qu’industrie culturelle de masse, vont interroger l’ambition initiale qui était d’en faire « une fenêtre ouverte sur le monde ». Cette fois-ci, les institutions éducatives et audiovisuelles publiques vont très vite collaborer pour répondre à cet objectif. Plus que les logiques militantes, ce sont les enjeux administratifs, économiques et pédagogiques qui rythment cette période de l’audiovisuel éducatif. L’émergence de l’« idiot-visuel »151, comme on appelle alors l’audiovisuel dans les sphères éducatives institutionnelles, interroge l’école sur le sens des connaissances qu’elle doit transmettre : en 1982, la Déclaration de Grünwald sur l’éducation aux médias relève que les enfants passent déjà plus de temps devant un écran de télévision qu’à l’école, au grand dam de ceux qui glosent sur la mort de l’enfance (Buckingham, 2010).

Malgré l’importance statistique des expériences de télévision scolaire, puis de télévision éducative, les ouvrages historiques ou les essais sur la télévision font marginalement référence à la télévision éducative. Pour Viviane Glikman, cela en fait la « parente pauvre de la vraie “télévision” » (Glikman, 1989, p. 17). Depuis, plusieurs publications152 et manifestations scientifiques153 tendent à infléchir cette

149 Sauvaget Daniel, (n.d.), « PATHÉ », Encyclopædia Universalis, consulté le 25 July 2014, http://www.universalis.fr/encyclopedie/pathe/

150 Mais contrairement à ce que dit Francis Balle (Balle, 2012, p. 75), la télévision n’est pas le premier média de masse à s’intéresser à l’éducation, comme nous l’avons vu avec le cinéma scolaire et éducateur qui ne s’est pas non plus développé dans un contexte totalitaire, bien au contraire.

151 « Terme péjoratif utilisé par les détracteurs de l’audiovisuel scolaire, repris pas Henri Dieuzeide pour en questionner le sens » (Trémel, 2014, p. 21).

152 Les actes du colloque Télévision : le moment expérimental (Delavaud, 2011a) et La permanence de la télévision (Delavaud, 2011b), abordent ces questions. Notamment les contributions de François Jost (Jost, 2011), Ira Wagman (Wagman, 2011), et Jacob Smith (Smith, 2011). Enfin, Francis Balle dans Les Médias, y consacre un chapitre (Balle, 2012, chap. IV).

153 Colloques : Pour une histoire de l'audiovisuel éducatif (1950-2007), organisé à la BNF le 14 novembre 2007 ; Pour une histoire de la Radio-Télévision scolaire, sous la direction de Thierry

tendance. Nous montrerons que ces expériences sont riches d’enseignements pour saisir les évolutions de la télévision : depuis la Radiodiffusion-Télévision Française (RTF) jusqu’aux développements actuels de la télévision numérique (Gabszewicz &

Sonnac, 2010). Mais le développement de l’appropriation éducative de la télévision se fait au prix de questionnements récurrents. Geneviève Jacquinot les résume ainsi, la télévision éducative est-elle « [une] utopie des sociétés, [un] alibi des marchands ou [une] illusion des éducateurs ? » (Jacquinot, 1998). De son côté, René Duboux considère que l’histoire de la télévision scolaire reflète à la fois l’évolution des technologies, des idéologies et des modes (Duboux, 1996, p. 21). Sans porter un jugement aussi total, nous verrons que cette application est effectivement propice à l’examen de la télévision.

A Présentation)du)médium))

Alors que Patrick Le Lay affirmait sans détour que, selon lui, le rôle de la télévision était d’offrir du « temps de cerveau disponible »154 aux annonceurs, force est de constater que la privatisation de TF1 (1987) ne s’est pas faite au profit du « mieux-disant culturel ». Peu après la privatisation, Francis Bouygues déclarait d’ailleurs qu’en tant que chaîne privée « Il y a des choses que nous ne souhaitons pas faire, par exemple : du culturel, du politique, des émissions éducatives »155. Cette vision marchande156 de la télévision n’est pourtant pas à l’origine de l’invention du média télévisuel, ni de son institutionnalisation. Le développement de la télévision, jusqu’à sa forme stabilisée, se fait au croisement d’enjeux technologiques et de représentations sociales (Frau-Meigs, 2011, p. 33). Nous aborderons ici la télévision en tant que dispositif technique et social, tant à travers la configuration concrète de ce média que par les implications d’ordre plus culturel qu’elle convoque, a fortiori dans son contexte éducatif.

· L’invention)de)la)télévision):))

Comme le « cinématographe » avant de devenir le cinéma, le « téléviseur » est imaginé comme un média offrant de nouveaux horizons éducatifs, avant de devenir la télévision. Si sa portée éducative est pensée dès l’origine, il est important de revenir en premier lieu sur les contraintes techniques de ce support émergent. Au départ, rien

Lefebvre (Université Paris Diderot) et Laurent Garreau (CNDP) à l’Université Paris Diderot le 28 novembre 2012.

154 Dépêche AFP du 9/07/2004, reprise notamment par Libération, 10-11/07/2004 : « Patrick Le Lay, décerveleur ».

155 In Halimi Serge, « Bon anniversaire, TF1 ! », Le Monde Diplomatique, mercredi 4 avril 2007, http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2007-04-04-TF1 (consulté le 10 février 2015).

156 France 5 avec Berlusconi puis Canal+ avec la mise en place d’une chaîne à péage, contribueront d’une certaine manière à cette vision.

ne détermine l’émergence d’un média de type broadcast plutôt qu’unicast157. C’est un faisceau d’innovations qui préside au développement du medium télévisuel, avec le pantélégraphe (Caselli en 1856), la phototélégraphie (Korn en 1907) ou le belinographe (Belin en 1911). Cette préhistoire de la télévision est celle de la transmission d'images fixes. En ce qui concerne les images animées, la télévision résulte d'un complexe technologique fait de trois autres types de mises au point : la photo-électricité, les procédés de décomposition et de recomposition de photographies en lignes de points lumineux et obscurs, l'usage des ondes hertziennes. Les premières expériences de Karl Braun, sur les rayons et l'oscillographe cathodiques, vont être déterminantes dans cette préhistoire (Lamizet, 1999, p. 74). De nombreuses expériences de transmissions vont se poursuivre jusqu’aux années 1930 (Rosling, Baird, Bell, Barthélémy), mais le contexte de guerre des années 40 les stoppera.

Toutefois, grâce aux avancées relatives au radar par exemple, « tout sera prêt, après la guerre, pour que la télévision change de statut, et passe d’une étape expérimentale à des logiques d’usage dans le champ de la communication et des médias destinés au grand public » (Lamizet, 1999, p. 75).

Figure 16 - Albert Robida, La Vie

Électrique, Paris, Engel, 1890, p. 25 (source Gallica)

D’ailleurs, la télévision est d’ores et déjà pensée comme un média éducatif par des auteurs comme Albert Robida qui, en 1890, l’imagine comme un outil de formation à distance (cf. Figre 16) : on y voit une étudiante suivant le cours d’un enseignant à domicile, par écran interposé. L’auteur précise même que la jeune fille « avait fait toutes ses classes par Télé » : le e-learning ou les MOOC158 avant l’heure. Pour lui et ses contemporains, c’est la télédiffusion159 « pour la récréation ou l’éducation du

157 Une diffusion de masse comme la radio (brodcast), plutôt qu’une diffusion interpersonnelle comme le téléphone (unicast).

158 Massive Open Online Course.

159 « Télévision fonctionnant non pas en aller et retour, au service des conversations privées, mais à sens unique » in Jean Thévenot (1946), L’Âge de la télévision et l’avenir de la radio, Les editions ouvrières, Paris, 184 p.

grand public » qui deviendra l’usage de référence (Delavaud, 2011b, p. 9). C’est effectivement la diffusion broadcast qui s’impose, ordonnançant avec elle un marché, des acteurs et des usages spécifiques. Le téléviseur est encore un objet imposant, et pour trouver une place distinctive dans les salons (Bourdieu, 1979) il faut que constructeurs et producteurs travaillent de concert afin d’en faire un objet de convoitise 160 . Du côté des organismes audiovisuels, l’Europe connaît un développement marqué par la constitution de monopoles de service public et l’affirmation de finalités sociales et culturelles (Chaniac & Jézéquel, 2005, pp. 6–9).

En France, l’expansion de la télévision se fait assez lentement à cause du coût élevé des appareils et du manque de normes techniques stable : « en 1939, le Royaume-Uni et l’Allemagne comptent chacun environ 20 000 postes de télévision, un chiffre qui ne sera atteint en France que... dans les années 1950 »161. L’émetteur installé en haut de la Tour Eiffel ne permet qu’à la région parisienne de recevoir les programmes. La constitution d’un réseau régional d’antennes ne débute qu’à partir des années 50 et le million de téléviseurs est atteint en 1958, dix ans après le Royaume-Uni.

Par ailleurs, la télévision ne diffuse ses images qu’en noir et blanc, et le passage à la couleur (1967 pour la France) illustre de nouveau l’enjeu géopolitique autour des questions de formats, comme pour le cinéma. Cette fois-ci, le domaine éducatif se plie aux tractations diplomatiques et commerciales en cours. La France, qui promeut le système SECAM162, est opposée aux Etats-Unis et leur procédé NTSC163 et à l’Allemagne qui défend le format PAL164. L’utilisation du SECAM s’observe principalement en URSS et dans les anciennes annexions coloniales françaises. Ces variétés de formats seront uniformisées par des systèmes de transcodages, mais ils montrent de nouveau l’imbrication entre choix technologique et stratégies diplomatiques dans les processus de normalisations internationales. Nous verrons que cette dynamique est à l’œuvre aujourd’hui avec les discussions relatives à la télévision numérique et connectée. Les sénateurs René Trégouët et Pierre Lafitte prédisait d’ailleurs en 1994, dans leur rapport sur L’accès au savoir par la Télévision, que « la rencontre du monde de l'informatique avec celui de la télévision provoquera un choc qui marquera la fin du millénaire » (Laffitte & Trégouët, 1993). Enfin, davantage que les questions de formats, nous verrons tout au long des expérimentations de télévisions scolaire et éducative que les aspects d’ordre institutionnels et les extensions du marché audiovisuel sont tout aussi déterminants dans l’évolution de la télévision.

160 Cf. Isabelle Gaillard, « Le téléviseur : de l’objet de laboratoire à l’objet de convoitise (1945-1955) : naissance d’un marché » (Delavaud, 2011a).

161 Rozat Pascal (2010), « Histoire de la télévision!: une exception française!? », InaGlobal, consulté le 27 Decembre 2010, http://www.inaglobal.fr/television/article/histoire-de-la-television-une-exception-francaise

162 Pour Séquentiel Couleur À Mémoire.

163 Pour National Television System Comitee.

164 Pour Phase Alternating Line.

· Les)débuts)de)la)«)société)de)l’écran)»)

À l’image du cinéma qui charriait avec lui un nouveau « régime de visibilité », via l’introduction du mouvement et du parlant, la télévision opère elle aussi des changements radicaux qui ne manqueront pas de conditionner son usage éducatif.

L’avènement de la télévision marque une rupture assez nette avec le cinéma de par sa structuration autour de l’écran analogique puis numérique : c’est le passage de la camera obscura à la camera lucida. Pour Divina Frau-Meigs il est alors nécessaire de Penser la société de l’écran (2011) pour en comprendre les incidences culturelles et sociales. Cette distinction entre les écrans est aussi le fait des réalisateurs eux-mêmes.

Certains les opposent afin de valoriser le travail des cinéastes vis-à-vis des

« téléastes » du « petit écran ». François Jost rappelle à ce propos que certains réalisateurs prétendent que la « taille réduite de l’écran impose un usage du gros plan plus que du plan d’ensemble » (in Delavaud, 2011b). Avec son goût pour l’assertion, Jean-Luc Godard note quant à lui que « Quand on va au cinéma, on lève la tête.

Quand on regarde la télévision, on la baisse ». Cependant, si « les origines de la camera obscura (écran de cinéma) sont entrées dans la légende (…) celles de la camera lucida (écran de télévision comme d'ordinateur) sont moins connues » (Frau-Meigs, 2011). On peut tout de même dater les débuts de l’écran analogique au dépôt des brevets par Vladimir Zworykin, en 1923 puis 1929, relatifs à l’iconoscope et au kinescope.

Par ailleurs, son développement s’opère au sein de discours faisant de l’information la matière première de ce que serait une troisième révolution industrielle. Ces présupposés d’influence cybernétique (Mattelart, 2009, chap. III), concourent à penser la Société de l’information comme nouvelle Utopie d’une société de communication (Miège, 1996, 1997, 2007). En devenant le creuset d’une innovation technique notable et de discours holistiques, l’écran acquiert une valeur de « dispositif » :

« Cette étape opère la transformation de l'artefact en « dispositif », comme l'entend Michel Foucault, car l'écran prend aussi forme dans des structures commerciales, sociales et culturelles spécifiques pour installer des « stratégies de rapport de force » (…). Il développe son rapport à la société du spectacle d'une part et à la société du service d'autre part. (…) L'écran est d'autant plus un dispositif qu'il est associé au regard et se trouve à la croisée des discours et des normes qui sollicitent les ressources médiatiques et les institutions de la culture » (Frau-Meigs, 2011, p. 33).

La recherche d’une autonomisation de l’acte de reproduction, vis-à-vis de l’intervention humaine, est supposée limiter la subjectivité de la représentation télévisuelle du réel. Aussi, la volonté de donner à l’écran une « forme informe » (shapeless shape), proche de la vision humaine, « manifeste la quête d'une forme

idéale qui renforce l'effet de vraisemblance et d'authenticité » (Frau-Meigs, 2011, p.

21). À titre d’exemple, le choix d’un écran rectangulaire plutôt qu’ovale ne répond pas à un impératif technique. La forme ovale aurait simplifié le passage de la captation à la diffusion, étant donné que les caméras produisent des images ovales.

Divina Frau-Meigs explique avec les mots de Guy Gauthier, que le rectangle

« constitue une caractéristique formelle récurrente en Occident, [rendant] compte d'un fait culturel visant à un effet de réalité et d'objectivité, par opposition l'ovale connote l'irréel ou la subjectivité nostalgique » (Frau-Meigs, 2011, p. 21). Alors que les débuts du cinéma faisaient écho à un idéal positiviste et scientiste, l’essor de l’écran est caractérisé par l’aboutissement d’un processus de « laïcisation » de l’image : « l'imachination de l'écran s'est efforcée de gommer l'angoisse associée au statut de l'image en Occident, en l'éloignant du divin pour l'ancrer dans la matérialité et l'objectivation du réel – la spiritualité étant tronquée pour la haute fidélité. Elle opère de telle sorte que les Occidentaux éprouvent de moins en moins de crainte à juxtaposer animé et inanimé, humain et machine, corps et esprit. Les mythes anxiogènes de l'humanoïde raté (Frankenstein ou le Golem) perdent en efficacité romantique, au profit d'une image plus positive de l'androïde réussi comme Hal 9000 dans 2001 : l'odyssée de l'espace, ou Data dans Star Trek » (Frau-Meigs, 2011, p. 33).

En instaurant un régime d’hyper-visualité, l’écran peut-être qualifié de dispositif cognitif, « qui installe des stratégies de rapport de force par le biais de sa structure formelle et culturelle » (Frau-Meigs, 2011, p. 80). De son côté Geneviève Jacquinot qualifie la télévision de « terminal cognitif » (Jacquinot, 1995). Elle développe notamment la spécificité des modalités cognitives propres à la télévision, qui s’opposent au modèle canonique – monolithique et transmissif – de l’école, alors que la télévision relève d’un modèle de connaissance comme processus interprétatif et relationnel. Point de vue également partagé par Pierre Molinier (Molinier, 2001) qui s’intéresse aux savoirs construits dans le cadre de l’opération d’éducation aux médias Jeunes Téléspectateurs Actifs, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement. En tout cas, l’innovation technique que représente la télévision, entraîne avec elle de nombreuses critiques – positives et négatives – à propos de sa spécificité en tant que technologie d’information et de communication. Face à cette prise de conscience de l’impact de la télévision sur les conditions d’exercice de la pensée, Jacques Derrida et Bernard Stiegler (1997) invitent par exemple à une « pédagogie intelligente et inventive » qui donne au citoyen « un droit de regard ». Outre le dispositif de diffusion par écran, la sensation d’ubiquité procurée par la télévision soulève elle aussi des discours apologétiques ou dénigrants.

· La)fable)de)l’ubiquité))

Les premières retransmissions de grands événements en direct font leur apparition en France en 1948, avec par exemple la messe de minuit à Notre-Dame et l’arrivée du Tour de France au Parc des Princes. On assiste également aux diffusions d’évènements internationaux, comme le couronnement de la Reine Élisabeth II en Angleterre (1953), qui est diffusé dans cinq pays européens. Cette capacité à montrer, en direct, ce qui se passe à l’étranger confère à la télévision la faculté de simuler le don d’ubiquité : « un rêve humain des plus ancien »165. Pour Louis Porcher, ce sentiment correspond à « ce que Sartre a appelé la « quasi-présence »166 [et] produit un effet de « proximité du lointain »167, fondement empirique du sentiment de participation du spectateur « comme s’il y était » » (Porcher, 1994, chap. 2). Le succès de ces « directs » auprès du public est manifeste, et l’uniformisation des formats à l’échelle internationale montre la volonté des acteurs de l’audiovisuel de penser une « télévision-monde » (Méadel, 1993). Ce mode de pensée à l’échelle globale se concrétise notamment avec la publication de War and Peace in the Global Village (1969) de Marschall McLuhan168. En ce sens, l’auteur s’est déjà singularisé par la publication de La Galaxie Gutenberg, dans laquelle il prophétise l’avènement d’un « village global » : « l’interdépendance nouvelle qu’impose l’électronique recrée le monde à l’image d’un village global (…) la nouvelle culture de l’électricité donne de nouveau une base tribale à nos vies »169. La télégraphe et le cinéma offraient déjà les prémices d’une mondialisation de la communication (Mattelart, 2008), mais pour certains auteurs comme Régis Debray, la rupture instaurée par la télévision est plus fondamentale.

L’approche médiologique qu’il développe, sous les auspices de McLuhan, considère que l’apparition de la télévision couleur marque le passage de la « graphosphère » à la « vidéosphère » (Debray, 2001). En tentant de « mettre à jour l'inconscient technique des mutations culturelles »170, il associe la « vidéosphère » à la période de la mondialisation. La technique permettrait désormais de maîtriser l’espace et le

165 Cf. Rovan Joseph (1960), « La Télévision », Encyclopédie pratique de l’éducation en France, Ministère de l’Éducation - IPN, Paris, p. 1145

166 Sartre Jean-Paul (1948), L’imaginaire, psychologie phénoménologique de l’imagination, Gallimard, Paris, 246 p.

167 Heidegger Martin (1961), Chemins qui ne mènent nulle part, Gallimard, Paris.

168 Dans cet ouvrage, écrit avec Quentin Fiore, le penseur canadien décrit l’impact de la télévision dans la guerre du Viêt-Nam qu’il qualifie de « première guerre télévisuelle » : « avec ce conflit, auquel assiste en direct tout foyer américain de sa salle à manger, les audiences cessent, estiment les auteurs, d’être des spectateurs passifs pour se convertir en « participants » et la dichotomie civils/militaires s’évanouit » (Mattelart, 2009, p. 69).

169 Mc Luhan Marshall (1962), The Gutenberg Galaxy : The Making of Typographic Man, University of Toronto Press, p.40

170 Debray Régis (2000), « Les révolutions médiologiques dans l'Histoire », Bulletin des bibliothèques de France, n° 1, BBF, disponible en ligne sur http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2000-01-0004-001 (consulté le 25 juillet 2014).

temps, par une abolition des distances. C’est le règne de l’immédiateté de l’image, qui en changeant de nature (technique), n’a plus les même effets (politique) ni la même fonction (symbolique) (Debray, 1992).

Les réflexions sur l’appropriation éducative de la télévision sont assez poreuses aux approches médiologique et McLuhanienne. En interrogeant l’impact culturel des évolutions médiatiques et leurs incidences sur les savoirs, elles semblent a priori opératoires pour penser le rapport entre médias et éducation. À titre d’exemple, on peut citer l’ouvrage Télévision, culture, éducation de Louis Porcher (1994). En guise d’égard à l’« imagination sociologique » de Mc Luhan, il définit les propriétés de la télévision comme étant l’ubiquité, l’immédiateté, la brièveté et l’éphémérité. Pour l’auteur, l’ubiquité de la télévision tient à la nature « d’analogon » de la photographie (Barthes, 1965) ; la télévision possèderait une puissance considérable de

« perlocution » (Langshaw, 1991), donc de conviction, et enclencherait une confiance immédiate parce qu’elle marche comme une « quasi-perception ». Ce constat l’amène à considérer que la télévision ne diffuse pas de connaissances opératoires et engendre une culture « mosaïque », faisant primer la rapidité et la sensorialité sur la rationalité (Moles, 1973). On retrouve ici une critique finalement classique de l’insertion des médias dans le contexte éducatif, tel que nous avons pu le voir avec le cinéma par exemple.

Enfin, les promoteurs de la télévision éducative et scolaire ne contreviennent pas, eux non plus, à une vision utopique de la télévision et de son impact social. On peut citer le cas exemplaire de La Villeneuve à Grenoble qui suscite un enthousiasme patent (Jacquinot, 2007, p. 175). Ce quartier de près de 7000 habitants, en 1973, est choisit pour installer un système de télédiffusion171 afin de susciter l’échange et la communication entre les habitants dans un vaste projet urbain (Beaud, Milliard, &

Willener, 1976) ayant pour objectif de « redonner une âme aux grands ensembles » (Populus, 1974). Un « collège ouvert » fait partie de la maison de quartier, qui comprend aussi une école primaire, une bibliothèque, un centre d'action culturelle, un

Willener, 1976) ayant pour objectif de « redonner une âme aux grands ensembles » (Populus, 1974). Un « collège ouvert » fait partie de la maison de quartier, qui comprend aussi une école primaire, une bibliothèque, un centre d'action culturelle, un

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