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Les approches par l’apprentissage

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 30-34)

MATÉRIAUX POUR CONSTRUIRE UNE APPROCHE

1- ÉTUDIER LES OUTILS ET MÉDIAS ÉDUCATIFS

1.1 Les approches par l’apprentissage

Nous avons regroupé ici plusieurs démarches que Jacques Wallet distinguait entre approches centrées sur l’« apprenant » et l’« accompagnement » (Depover, 2009, pp.

15–24). Elles relèvent principalement des Sciences de l’Éducation, et portent leur attention sur l’efficacité des outils et médias éducatifs. Dans ce cadre, on se demande si certaines technologies vont avoir un effet, ou non, sur l’apprentissage et les formes qu’il revêt. Au départ, ce type d’approche privilégie des aspirations nomothétiques, visant à établir des lois générales, au détriment de recherches qualitatives.

Le développement de la télévision, dans les années 1960, est un moment particulièrement fort en terme de productions scientifiques, notamment aux États-Unis. C’est à cette période qu’émerge la notion de « télé-enseignement » qui, pour certains auteurs, est un prolongement modernisé des cours par correspondance. Les nouveaux moyens audiovisuels permettraient de toucher un nouveau public, éloigné des lieux de formation. L’argument de la nouveauté y est récurent. Néanmoins, la réflexion sur les outils éducatifs est sans doute aussi ancienne que la réflexion sur l’éducation et elle s’organise notamment autour des incidences de ces outils sur l’apprentissage. À ce titre, on peut citer les nombreuses références qui sont faites à Gorgias, dialogue de Platon entre Socrate et Phèdre, sur la nature de l’écriture et son statut vis-à-vis du savoir (Moeglin, 2005, p. 18) ; ou encore à l’histoire de Pline l’Ancien sur la nature des images (Perriault, 2008, p. 65). Lorsque cette question est abordée du côté des Sciences de l’Information et de la Communication, il s’agit d’interroger le statut des technologies de l’information et de la communication (TIC).

Pour Yves Jeanneret, « Le Phèdre est seulement une contestation de la prétention de l'écriture (c'est-à-dire d'un média d'enregistrement) à être de l'intelligence et, plus largement, celle d'un objet à être du savoir » (Jeanneret, 2000, p. 30). Même si elle n’est pas formalisée en tant que telle, c’est la question de la légitimité des TIC dans la transmission des savoirs qui est en creux des travaux centrés sur l’apprentissage.

La notion d’« efficacité » des technologies éducatives est tout à fait symptomatique de cet enjeu. Alain Chaptal, dans une recherche comparative entre approches américaines

et françaises, montre combien cette notion traverse les discours scientifiques et politiques sur la question scolaire (Chaptal, 2003). De nombreuses études cherchent à quantifier et à évaluer l’efficacité des technologies éducatives, mais force est de constater qu'il n'en ressort pas pour autant de réponse univoque, malgré la dénomination englobante de la « technologie éducative ». Cette approche a cependant

« matricé » ce champ de recherche (années 1960) et doit être mise en regard des recherches américaines du courant fonctionnaliste. En effet, ces chercheurs ne visent pas autre chose qu’une étude scientifique des incidences sociales des médias et de la communication en général, à travers l’exemple des technologies éducatives.

Du côté des études centrées sur l’apprenant, on retrouve plusieurs inspirations théoriques relevant de la psychologie. En Amérique du nord, par exemple, les influences du behaviorisme se manifestent à travers l’écho que leur offre Burrhus Frederic Skinner, conférant aux outils et médias éducatifs le rôle de stimuli. Mais le succès de ces approches est dû, selon Guy Berger (1982), à la rencontre

« malencontreuse » entre pédagogues progressistes et technologues. Les premiers, qui luttent contre l’élitisme du modèle magistral de l’école, scellent une alliance opportuniste avec les seconds, partisans d’un apprentissage mécanisé d’inspiration industrielle. Pour Pierre Moeglin, c’est un « accord superficiel par conséquent, et, à terme, marché de dupes » (Moeglin, 2005, p. 130). Il est donc important de revenir sur le contexte qui œuvre au succès de cette rencontre. De ce point de vue, Pierre Moeglin juge que « l’effet Spoutnik » est déterminant. Le lancement réussi du satellite par l’URSS, en 1957, provoque un véritable choc du côté du « Monde libre » qui réalise son retard dans la conquête spatiale. L’éducation devient un secteur stratégique, au sein duquel les nombreuses critiques du « système éducatif » servent de prétexte pour imposer une nouvelle politique, basée sur la technologisation de l’éducation. Les travaux de Burrhus Frederic Skinner ont alors l’avantage d’apporter des réponses simples, sous couvert d’un pragmatisme scientifique, qui fait écho aux travaux de Paul Lazarsfeld et Elihu Katz dont les visées sont plus générales et commerciales. Assurément, le secteur de l’éducation n’est pas le seul à se préoccuper des questions de communication et Burrhus Frederic Skinner s’inscrit dans ce mouvement, tout en rappelant le fait que ses propositions permettront à la culture américaine de faire face au défi soviétique25. En visant à la « description objective, systématique et quantitative du contenu manifeste des communications » (Mattelart &

Mattelart, 2004, p. 20), Bernard Berelson traduit cette ambition d’objectiver la communication de masse, ce qui a de quoi ravir décideurs politiques et technologues dans le cadre d’une théorie communicationnelle de l’éducation.

En France, c’est l’arrivée de la génération du Baby Boom dans les écoles et le prolongement de l’école obligatoire jusqu’à seize ans qui militent en faveur d’une

25 Cf. Burrhus Frederic Skinner (1976), La révolution scientifique de l’enseignement, Dessart &

Mardaga, Bruxelles, 3éme éd., p. 273

réponse technologique aux problèmes éducatifs. Le rapport Pour une industrie pédagogique, qu’André Delion remet au ministre de l’Éducation Nationale Edgar Faure en 1969, est significatif de l’approche industrialiste qui préside alors. On y retrouve notamment la proposition de Lê Thành Khôi de favoriser « une industrie de l’enseignement […] en substituant, dans la mesure du possible, le capital au travail » (Lê Thành Khôi, 1967, p. 14). Selon Pierre Moeglin, pour justifier le projet scientifique et unifié des technologies éducatives il faut des arguments, une méthode et des résultats, ce projet « formule les premiers, développe la deuxième et met en avant la troisième » (Moeglin, 2005, p. 134). Ce projet scientifique revisite plusieurs corpus théoriques : la théorie des systèmes de Ludwig Van Bertalanffy, la cybernétique de Norbert Wiener, le béhaviorisme de John Broadus Watson et le diffusionnisme d’Everett Rogers. Leurs inspirations épistémologique sont pour le moins hétéroclites 26 : « Le diffusionnisme est anti-behaviouriste. Au modèle mécanique du conditionnement, il oppose une représentation active du récepteur.

L'un des credo du fonctionnalisme dont il se réclame est, en effet, que les gens font à la télévision autant et plus que ce que la télévision fait aux gens. De même, si théorie générale des systèmes et cybernétique font bon ménage, il n'en va pas de même des relations que l'une et l'autre entretiennent avec le behaviorisme. À la vision holistique des premières s'oppose la centration sur l'individu du second » (Moeglin, 2005, pp.

135–136).

La combinaison de ces théories se réalise pourtant en pratique, à la faveur d’un syncrétisme porté au sein de l’Unesco par l’américain Wilbur Schramm (1907-1987) et, en France, par les acteurs de la télévision éducative formés au Centre Audiovisuel de Saint-Cloud27. Plus concrètement, Burrhus Frederic Skinner et ses collègues vont mettre au point de nombreuses « machines à enseigner ». Ils déposent plusieurs centaines de brevets entre 1870 et 1936, pour mettre en place un enseignement programmé, notamment pour les enseignements pratiques (dactylographie et apprentissage des langues). Leur vision du processus d’apprentissage est marquée par un fractionnement des connaissances à acquérir en petites unités et la vérification de leur acquisition par la réalisation de tâches concrètes, intégrant un système de feedback ; à l’image de l’apport de Norbert Wiener (1962) à la théorie de l’information de Claude Elwood Shannon et Warren Weaver. Par la suite, cet ensemble théorique sera réinterprété avec le développement de l’ordinateur personnel (cf. 1.3) qui est, lui aussi, un terrain propice aux théories cybernétiques proposées par Norbert Wiener. Somme toute, nous retiendrons que ce modèle questionne la place de l’enseignant entre le développement de nouvelles compétences et la substitution à un

26 « Henri Dieuzeide, par exemple, souligne la profondeur du fossé entre les travaux « mécaniciens », tel Robert Gagné (1965), qui proposent une approche matérialiste de l’apprentissage, et ceux des adeptes du philosophe John Dewey, dont Democracy & Education paraît en 1916, qui développent une pédagogie fondée sur l’activité du sujet et l’apprentissage par essais et erreurs » (in Moeglin, 2013, p. 23)

27 Cf. 2.3 « De la télévision scolaire… ».

nouvel interlocuteur, dans un schéma éducatif repensé à travers l’enseignement à distance.

D’un point de vue méthodologique, les recherches qui accompagnent ce modèle attestent de la domination du paradigme expérimental, ainsi que d’une forte place accordée à l’évaluation de la diffusion des technologies éducatives. C’est ce que Pierre Moeglin réprouve lorsqu’il critique une « superposition du quantitatif et des métries » (Moeglin, 2005, p. 25). Cependant, on assiste progressivement à un décentrement méthodologique. Il n’est plus seulement question d’évaluer un progrès supposé, mais de chercher à comprendre et expliquer l’efficacité des technologies éducatives. Cette évolution des problématiques traduit le passage d’une démarche déductive à une démarche inductive. Pour Georges-louis Baron et Eric Dané, la tension entre ces deux types d'approches demeure permanente (in Depover, 2009). Le paradigme expérimental est censé apporter des informations de nature causale via son modèle prototypique de « l'expérimentation randomisée ». D'autre part, les approches qualitatives, fondées sur des études de cas et des méthodes de type ethnographique, visent à expliquer ce qui advient. De nos jours, les recherches portant sur les TICE témoignent de cette ambivalence, à l’image de la diversité de la communauté de chercheurs RES@TICE28. Enfin, nous pouvons noter que dans les années 1960 les expérimentations relatives à la « technologie éducative » sont généreusement soutenues par les pouvoirs publics aux États-Unis. Mais comme le rappellent Bruno Ollivier et Françoise Thibault, « leur généralisation n’a jamais été sérieusement envisagée » (Ollivier & Thibault, 2004, p. 192), il ne suffit pas qu’un projet pédagogique soit idéologiquement cohérent avec l’agenda politique pour qu’il soit approprié par les acteurs scolaires.

La réflexion inaugurée sur les questions d’apprentissage semble toujours actuelle au regard des développements liés au paradigme technologique numérique. Elle s’en distingue, néanmoins, compte tenu de la complexification des technologies, qui ne sont plus utilisées à un niveau aussi rudimentaire que ne l’étaient les « machines à enseigner » de Burrhus Frederic Skinner. Pour Pierre Moeglin, la portée des travaux de Burrhus Frederic Skinner est affaiblie « en proportion de la place excessive qu’[ils] accordent au facteur technique et à la référence au conditionnement » (Moeglin, 1994, p. 16).

Enfin, on peut signaler qu’un mouvement important va étudier l’impact des technologies éducatives à travers les apports des approches psychosociales et

28 Réseau de près de 500 chercheurs en technologie de l’information et de la communication pour l’enseignement dont l’objectif est de favoriser l’émergence et la structuration de la recherche dans le domaine, en particulier dans les pays francophones du Sud. Cette communauté bénéficie du soutien de l’Agence universitaire de la francophonie et à pour principale activité l’animation du site www.resatice.org et l’organisation de rencontres scientifiques bisannuelles.

interactionnistes. Les travaux de Jean Piaget, par exemple, poursuivent ceux de Lev Vygtoski autour de la question de l’apprentissage (Linard, 2001). On peut également citer l’ensemble des études et travaux qui accompagnent le développement du logiciel LOGO, censé donner un sens nouveau à l’apprentissage dans l’action (Depover, 2009, p. 21). Ce logiciel est inventé en 1966 au sein du Massachusetts Institute of Technology (MIT) par l’équipe conduite par Seymour Papert et Marvin Minsky, il est initialement prévu pour une utilisation en classes de maternelle et primaire. À travers un langage programmable, il abandonne le « conditionnement instrumental » pour introduire le graphisme interactif et la résolution de problèmes comme base de l’activité d’éducation assistée par ordinateur (EAO) (Linard, 1996, p. 108). Ses promoteurs affirment ainsi que la connaissance, dans le cadre de conduites d’autoapprentissage, est une construction dérivée de l’action effective.

Mais au regard des nombreuses expériences menées, des chercheurs comme Monique Linard, relèvent que ce type de « technologies intellectuelles (…) tendent plutôt à catalyser qu’à atténuer les différences spontanées entre individus » (Linard, 1996, p.

114). L’auteure note également que l’EAO fait appel à de nouvelles compétences chez les enseignants et que cela nécessite une étude des aspects proprement sociologiques et institutionnels de la diffusion des pouvoirs dans l’innovation. Par ailleurs, ces premières recherches inaugurent les premiers travaux cognitivistes sur l’intelligence artificielle et posent les bases des nombreux travaux qui feront converger EAO et Formation à distance (FAD), puis le e-learning29, que nous évoquerons dans les approches par le dispositif (cf. 1.4 p. 45). En outre, les questionnements contemporains sont enrichis par une autre approche des outils et médias éducatifs qui se centre plus particulièrement sur les contenus que sur leurs incidences dans l’apprentissage. Elles renversent même leur point de vue en s’intéressant à la « société du savoir » que promouvrait la Digital Culture (Proulx, 2002).

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 30-34)