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A 3 c D'autres systèmes reposant sur une dynamique de hasard/sélection

I A 3 Variabilité et stabilisation

I. A 3 c D'autres systèmes reposant sur une dynamique de hasard/sélection

Chez les protozoaires, le phénomène dit de variation clonale phénotypique (Clonal Phenotypic variation, CPV) ressort d'un mécanisme de hasard/sélection en ce qu'il fait reposer une adaptation sur une variation phénotypique. Certains parasites protozoaires ne peuvent pas avoir de reproduction sexuée pendant de longues plages de leur cycle de vie, dépendant de leur hôte. La variation phénotypique peut être un des moyens de substitution pour s'adapter rapidement au milieu. Si les cellules filles activent les mêmes gènes pour répondre à cette pression de l'environnement, on aura alors un clone phénotypique (Meunier, 2001).

Chez le nématode Caenorhabditis elegans, connu pour le déterminisme canonique de ses destins cellulaires, certains cas de différenciation sont décrits de manière stochastique. Différentes espèces de nématodes ont pour particularité d’avoir un nombre de cellules fixes, chacune ayant une origine déterminée. On peut ainsi tracer le devenir des cellules d’un précurseur donné. Ils sont a priori des candidats de choix pour démontrer la rigueur et la puissance d’une dynamique déterministe. Or, il a été montré que pour certaines d’entre elles dans cet environnement déterminé, il existe

68 un aléa de différenciation (cellules AC et VU venant des précurseurs Z1.ppp ou Z4.aaa) (Greenwald, et al., 1992).

Chez l'annélide Helobdella robusta, dans le contexte des premières divisions cellulaires stéréotypées de l'œuf, une phase transitoire d'expression stochastique du gène HRO-WNT-A dans l'un ou l'autre des deux types cellulaires AB ou CD est observée, suivie d'une phase dite "déterministe" d'expression (Huang, et al., 2001). Un mécanisme dénommé "compétition cellulaire" (Morata et Ripoll, 1975) est documenté dans la croissance disques imaginaux de la drosophile, mécanisme par lequel des cellules certes mutées rentrent en compétition pour le facteur Decapentaplegic (Dpp) dit de survie (Moreno, 2002). Il suppose certes une différence génétique (une mutation pour un gène) mais propose à ce titre une explication à la disparition progressive des cellules mutées par des taux de prolifération différentiels. Dans un article de synthèse en 1993, James Michaelson recense lui aussi un certain nombre de cas de figures faisant intervenir une hétérogénéité de l'expression suivie d'une sélection dont il rappelle le caractère structurant dans le cas du système immunitaire, et du système nerveux mais aussi dans le développement du foie. Il montre qu'au cours du développement de cet organe chez le rat, les cellules qui synthétisent l'albumine remplacent progressivement celles qui synthétisent l'α- foetoprotéine, grâce à un taux de prolifération supérieur. Un mécanisme de concurrence identique, toujours dans le foie, est aussi mis en œuvre lors d'une inflammation. Les cellules qui synthétisent le fibrinogène se multiplient aux dépens de celles qui synthétisent l'albumine. James Michaelson élargit son propos au développement du système urogénital, et plus généralement à l'embryologie, notamment dans le développement des membres de vertébrés (Michaelson, 1993).

Ses propositions et ses remarques en font sans conteste un précurseur de l'endodarwinisme.

L'ensemble de ces observations ne fait pas preuve. Mais on est en droit de faire plusieurs constats. Une importante variabilité non génétique est observée aussi bien chez les procaryotes que chez les eukaryotes. Parmi ces derniers, et notamment dans le règne animal, elle peut concerner aussi bien les protozoaires que les métazoaires. Elle semble jouer à différents niveaux hiérarchiques du vivant. Elle concerne les phases de développement ou non. Elle est pressentie dans certaines phases de différenciation. Elle intervient dans des situations normales ou pathogènes. Cette variabilité est accompagnée de sélection dans plusieurs systèmes.

La diversité de ces cas de figures rend pertinente l'hypothèse de travail que la variabilité non génétique ait une portée plus générale que les nombreux cas sporadiques où elle est remarquée. Cette hypothèse doit bien sûr être testée. Dans ce cadre, nous aborderons ensuite une forme que peut prendre cette variabilité non génétique : l'expression stochastique des gènes.

I. B L’expression stochastique des gènes

Dans un article de synthèse proposant une théorie unifiée de l'expression génétique, il est mentionné en préambule, que chez les métazoaires composés de plusieurs centaines de types cellulaires, la "remarquable diversité dans la spécialisation cellulaire est atteinte par l'expression et la régulation finement contrôlées d'un sous- ensemble de gènes dans chaque lignée cellulaire" (Orphanides et Reinberg, 2002).

70 Cette assertion est en fait surprenante au vu d'un nombre conséquent de données montrant l'expression stochastique des gènes : celle-ci est en effet avérée, quelle que soit l’importance et la signification biologique qu’on lui accorde. Elle a été postulée dans le cadre de prédictions théoriques (Kupiec 1981, 1983 ; Ko 1991), elle a été modélisée (Arkin, et al., 1998, Cook, et al., 1998 ; Thattai et Oudenaarden, 2001 ; Kuznetsov 2001,, et al. 2002 ; Sasai et Wolynes, 2003), en plusieurs composantes (Swain, et al., 2002), elle a enfin, été observée expérimentalement (Chelly, et al., 1989 ; Ross, et al., 1994 ; Hume, 2000 ; Elowitz, et al., 2002, Heams 2003), dans des systèmes divers. Pour avoir passé ces étapes de l’investigation scientifique elle doit être considérée comme une donnée et non pas comme une spéculation. Elle semble néanmoins être une réalité souterraine, puisque des articles récents ressentent encore la nécessité d'en annoncer l'existence (Elowitz, et al., 2002), bien qu'elle ait été caractérisée de longue date. Cela souligne la difficulté à diffuser cette idée. Comme le soulignent Sasai et Wolynes, avant d’explorer des hypothèses stochastiques, la puissance de la grille déterministe n’est pas facile à remettre en question :

« La vision déterministe a beaucoup d’atouts. Les miracles du développement embryonnaire requièrent intrication et précision. Les cycles cellulaires, un élément dynamique important et constitutif du vivant, sont souvent décrits comme des horloges. Avec la grande quantité d’informations disponibles désormais à l’ère post - génomique, il est difficile de résister à faire des analogies entre les cellules et les processeurs d’information fait par l’homme, les ordinateurs électroniques, qui rectifient leurs programme avec une détermination que Laplace aurait trouvée impressionnante. La vision stochastique n’est cependant pas sans intérêt. " (Sasai et Wolynes, 2003)

Figure 9 : Technique de FRAP.

Un marqueur fluorescent est associé à une protéine nucléaire. A. Une zone du noyau est excitée par un laser.

B. Cette excitation entraîne une perte de la fluorescence des protéines présentes dans cette zone.

C. En fonction de leur mobilité, les protéines fluorescentes avoisinant la zone vont progressivement y diffuser.

D. Il y a un recouvrement progressif de la fluorescence dans la zone sous l'effet de cette diffusion. La vitesse à laquelle se fait ce recouvrement donne une indication sur le coefficient de diffusion de la molécule.

D’après Misteli, 2001

71 Non seulement cette vision ne manque pas d'intérêt mais elle est, au vu des progrès récents, le mode de description le plus rationnel des événements moléculaires. Nous allons présenter ici les données les plus récentes qui permettent de manière décisive d'affirmer que l'expression des gènes est fondamentalement stochastique.