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4. Présentation du cas d’étude

4.2. Systèmes de production maraîchers provençaux et modes de gestion des NàG . 53

Les systèmes de culture sous abris maraîchers sont généralement constitués de rotations courtes avec, à l’échelle de l’année, de longues périodes de culture et des périodes d’interculture très courtes, rendant très difficile la gestion des NàG (Gamliel and van Bruggen 2016). En Provence, ces systèmes sont essentiellement composés de familles de culture sensibles aux NàG : Solanaceae (tomates, aubergine, poivrons) et/ou Cucurbitaceae (concombre, melon, courgette) en été, et Asteraceae en

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hiver parfois avec deux cultures successives (Gauvrit 2008) (voir exemples Fig. 5). Les rotations en bio, bien que plus diversifiées, restent assez spécialisées sur les mêmes familles botaniques en culture d’été, et sont de ce fait également vulnérables aux NàG (Gamliel and van Bruggen 2016), (Fig. 5). Elles sont plus diversifiées en hiver (Fig. 5), y compris avec la possibilité d’intégrer des cultures mauvaises ou non hôtes des NàG lors des périodes d’activités de ces derniers.

Cette vulnérabilité des systèmes de culture aux NàG est corrigée en agriculture conventionnelle par l’utilisation de techniques de désinfection chimique ou physique des sols (Table 2) (Djian-Caporalino et al. 2009; Hoefferlin et al. 2018). Des alternatives existent (Table 2), mais restent peu utilisées par rapport aux techniques conventionnelles. Elles sont en progression dans les systèmes de culture des exploitations pratiquant une agriculture « raisonnée » et fortement présentes dans les exploitations en agriculture biologique. La Table 2 résume ces différentes options techniques et la Figure 5 montre leur application dans certains systèmes de culture existants.

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Figure 5 - Systèmes de culture type en maraîchage conventionnel sous abris (C1 et C2) et bios (B1 et B2) sur 4 années (GONEM).

Table 2 - Techniques de gestion des nématodes à galles utilisées ou en voie de développement en maraîchage sous abris provençal. L’étoile * indique qu’un temps d’attente significatif (de quelques semaines à 1 mois selon les cultures) doit être respecté avant l’implantation d’une nouvelle culture. Le niveau de spécificité est qualifié par rapport aux auxiliaires de culture, en fonction du mécanisme d’action de la technique. Il est qualifié de non spécifique quand la technique tue toute forme de vie sans résistance particulière, peu spécifique quand elle tue une diversité importante d’organismes, spécifique quand elle cible spécifiquement les NàG (Meloidogyne arenaria et incognita).

Leviers techniques Techniques Spécificité aux NàG Autorisé en bio Traitements nématicides

La fumigation chimique* consiste à injecter dans le sol recouvert d’un film plastique une substance de synthèse y produisant un gaz biocide. Les produits encore homologuées en 2017 sont le Metam-Sodium et le Dazomet (Hoefferlin et al. 2018).

Non-spécifique

Non Le fluopyram est une substance biocide inhibant la chaîne respiratoire cellulaire, dont l’efficacité a été

démontrée sur les nématodes et champignons telluriques. Il s’applique par mélange dans l’eau d’irrigation du goutte-à-goutte. Le produit encore homologué en 2017 est le Velum® Prime. (Heiken 2017; Hoefferlin et al. 2018).

Désinfection thermique

La désinfection vapeur consiste à provoquer l’augmentation de la température du sol (30 premiers cm) au-delà de 80°C pendant 3 à 8h, par l’injection de vapeur d’eau dans le sol (Djian-Caporalino et al. 2009).

Oui La solarisation consiste à provoquer l’augmentation de la température des 25 premiers cm du sol par capture

du rayonnement solaire à l’aide d’une bâche plastique, pasteurisant ainsi le sol. Ce procédé vise le maintien d’une température d’environ 40°C pendant 45j. Elle nécessite un travail du sol et un arrosage à saturation,

Peu spécifique

F M A M Jn Jt A S O N D J F M A M Jn Jt A S O N D J F M A M Jn Jt A S O N D J F M A M Jn Jt A S O

C1 Tomate greffée* + VP Laitue Tomate greffée* + VP Laitue Tomate greffée* + VP Laitue Tomate greffée* + VP C2 Concb greffé + VP Sorgho JumboLaitue Laitue Sorgho Laitue Laitue Concombre grefféSorghoLaitue Laitue Concb greffé + VP

B1 Courgette Sol° Persil Aubergine greffée* Laitue Tomate greffée* Fenouil Courgette

B2 Tomate greffée* Cébette Concb greffé Sorgho Mache Tomate greffée* Epinard Tomate greffée*

Non cultivé Solanacées Laitue Solarisation Retrait racines Cucurbitacée Couvert végétal Diversification VP Velum Prime * Porte-greffe résistant Mi

Année n+3

Légende:

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avant l’application de la bâche, la période idéale se situant entre mi-juin et juillet en Provence (Gamliel and van Bruggen 2016; Hoefferlin et al. 2018).

Désinfection biologique

La biofumigation* consiste à produire et enfouir des couverts qui vont relâcher des composés nématicides après enfouissement. Les plus utilisés sont le sorgho, les espèces de la famille des alliacées et des brassicacées (Djian-Caporalino et al. 2009; Hoefferlin et al. 2018).

Peu spécifique

Peu spécifique Les biopesticides* tels que l’extrait d’ail sont des substances extraites de produits « naturels » (par opposition

à « synthétique ») qui ont des actions biocides sur les NàG et d’autres organismes (Hoefferlin et al. 2018).

Peu spécifique

Casser le cycle de développement

La résistance variétale21 sur les espèces commerciales permet d’empêcher la multiplication des NàG pendant leur période de production. Les espèces réputées mauvaises ou non-hôtes des NàG sont la mâche, les alliacées, les brassicacées. Les gènes de résistance pour les espèces sensibles sont rares : gène Mi (tomate, porte-greffe aubergine; inactivé à 32°C), gène Me1 et Me3 (poivron), Solanum Torvum (porte-greffe aubergine). (Djian-Caporalino et al. 2009; Villeneuve et al. 2013).

Spécifique

Le couvert végétal intercalaire résistant fonctionne de la même manière, avec des cultures non commerciales. Peu d’espèces et variétés adaptées à la culture sous serre ont été identifiées. Un exemple est le Sorgho Jumbo

Star (Djian-Caporalino 2018).

Spécifique

Entretien de la fertilité des sols

L’apport (massif) d’amendements organiques* permet de stimuler les antagonistes des NàG dans le sol (ex : champignons prédateurs, compétiteurs pour les ressources). En grande quantité, un effet direct nématicide dû à l’émission de composés volatils peut avoir lieu (Djian-Caporalino et al. 2009; Djian-Caporalino 2018).

Peu spécifique

Les produits de biocontrôle permettent d’introduire des antagonistes connus des nématodes dans le sol

(Djian-Caporalino et al. 2009). Spécifique

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Piégeage des

nématodes

Les plantes pièges sensibles sont cultivées en couverts végétaux intercalaires. Etant sensibles, elles attirent les nématodes et doivent ensuite être détruites avant la fin du cycle de développement des NàG (Hoefferlin et al. 2018).

Spécifique

Les plantes pièges résistantes vont laisser les larves des NàG pénétrer dans la racine mais vont les empêcher

de terminer leur cycle (ex : en relâchant des composés toxiques) (ex: piment résistant - Navarrete et al. 2016). Spécifique

Prophylaxie

Le nettoyage des outils et bottes permet de limiter la propagation des nématodes d’une parcelle à l’autre

(Djian-Caporalino et al. 2009). /

L’arrachage des racines des plantes infectées pourrait permettre d’empêcher la fin du cycle des nématodes

dans les racines (Hoefferlin et al. 2018). /

Le décalage du calendrier de culture consiste à décaler l’implantation des cultures d’hiver sensibles après

mi-Octobre pour éviter la période d’activité des NàG et donc leur multiplication (Hoefferlin et al. 2018). / Le désherbage permet d’éviter la reproduction des nématodes sur les adventices qui sont souvent hôtes des

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À l’échelle de l’exploitation maraîchère, la multiplicité des cultures et des opérations culturales et la production de légumes toute l’année grâce aux abris sont à l’origine d’une charge de travail et d’une charge mentale importante pour l’exploitant (Dupré et al. 2017). Elles génèrent un grand besoin de main d’œuvre ainsi qu’un besoin de formation pour l’agriculteur et ses employés (Gauvrit 2008; Navarrete et al. 2015). En particulier, la culture sous abris requiert un niveau de technicité élevé (Gauvrit 2008). Enfin le niveau d’investissement nécessaire pour installer des abris hauts fait que les surfaces sous abris sont souvent un facteur limitant sur les exploitations. Dans ce contexte, l’introduction de techniques de gestion des NàG alternatives à la solution chimique génère une complexité organisationnelle au niveau de l’exploitation a priori difficile à gérer (Lefèvre et al. 2020).

En conclusion, les systèmes de culture maraîchers provençaux sont particulièrement vulnérables aux nématodes. Un panel de solutions techniques permet de les contrôler pour pallier cette vulnérabilité (Table 2). Néanmoins, l’utilisation des techniques basées sur des intrants chimiques non spécifiques aux NàG est encore massive en Provence. Des éléments au niveau de l’exploitation rendent a priori difficile l’introduction de techniques alternatives. Je fais l’hypothèse que la forte intégration des systèmes de production maraîchers sous abris dans le système agri-alimentaire provençal et en particulier la filière participent également à ce choix de pratique.

4.3. Le système agri-alimentaire maraîcher provençal

 Importance économique du bassin maraîcher provençal

Le Sud-Est de la France constitue l’un des 4 grand bassins de production maraîchère français (Jeannequin 2017) avec 18% des exploitations légumières (5620 exploitations) et 9% de la SAU légumière (18 910ha) de France en PACA et Languedoc Roussillon (Agreste, 2010). 23% des surfaces de maraîchage français plein air ou sous abris bas (5820ha) et 40% de surfaces sous serre ou abris haut (3010ha) se situent dans ces deux régions (Agreste, 2010). Pour le Languedoc Roussillon, l’essentiel de cette production est réparti essentiellement entre le Gard Provençal (partie Est) et la région de Perpignan (Fig. 6). En PACA, 65% des exploitations en OTEX22 maraîchage cultivent sous abris (Agreste, 2010). La Provence constitue donc un bassin économique maraîcher important avec une spécialisation forte en culture sous abris (Fig. 6), ce qui en fait un cas d’étude intéressant.

 Intégration des systèmes de production maraîcher sous abris dans le système agri-alimentaire provençal

Le bassin maraîcher provençal est historiquement majoritairement tourné vers l’expédition vers les grands bassins de consommation du Nord de la France et vers l’Europe, donc vers les circuits longs. La commercialisation des légumes frais en circuit long pose des contraintes importantes en matière de qualité visuelle, sanitaire (ex : résidus de pesticides), calendrier de culture, logistique (ex : risque de choc) et de conservation, en lien avec les acteurs de l’aval de la filière (Navarrete et al. 2006; Bernard de Raymond 2013; Lefèvre et al. 2020). Les cultures étant plantées et non semées pour réduire les cycles de culture, l’achat de plants peut également poser des contraintes en matière d’accessibilité en choix d’espèces et de variétés, en fonction de la stratégie de production des pépiniéristes. Les systèmes

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de production maraîchers provençaux en circuit long sont donc fortement intégrés dans la filière. Enfin la production tout au long de l’année rend les maraîchers et les acteurs de leur environnement sociotechnique peu disponibles, constituant un défi pour la co-conception (Navarrete et al. 2017). Le réseau R&D accompagnant le maraîchage sous abris est important en Provence, grâce à la présence et l’engagement de multiples acteurs sur le territoire : conseillers de chambres d’agriculture départementales, conseillers de groupes techniques (CETA, CIVAM), conseillers privés, centre technique (CTIFL), plateformes d’expérimentation (APREL, GRAB), centre de recherche (INRAE).

Figure 6 - Bassin maraîcher provençal produisant essentiellement sous abris autour d'Avignon, a. côté Languedoc Roussillon

(Agreste 2012), b. côté PACA (RGA 2010). L’essentiel du bassin sous abris est situé dans l’espace « Rhône-Durance-Vaucluse » (AURAV 2015)

Je fais le choix de travailler spécifiquement sur les exploitations en circuit long, en faisant l’hypothèse que ce sont celles subissant le plus les déterminants du SAT sur leur choix de production, du fait de leur importance économique et leur intégration dans la filière. Les exploitations commercialisant en circuit court ont a priori plus de marges de manœuvre pour mettre en œuvre des techniques agroécologiques de gestion des nématodes à galles, telles que la diversification des cultures (Lefèvre et al. 2020)

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 Le maraîchage sous abris Provençal, une diversité de systèmes de production et de

circuits de commercialisation

Le modèle de production et de commercialisation dominant décrit ci-dessus n’a pas empêché la genèse d’une diversité de systèmes de production et de modes de commercialisation au sein de l’espace « Rhône-Durance-Vaucluse » (Fig. 6).

De nombreuses exploitations combinent deux ateliers de production maraîchère : (i) un en plein champ et (ii) un sous abris (Ctifl 2013). Un petit nombre d’entre elles, essentiellement en production Bio, associent d’autres ateliers de production, e.g., élevage, grandes cultures, viticulture (Marguerie 2011; Bio de Provence 2012). Cette diversité de systèmes de production s’accompagne d’une diversité de circuits de commercialisation et d’opérateurs commerciaux : (i) circuit long via grossistes, expéditeurs, Marché d’Intérêt National (MIN), centrales d’achat de grandes et moyennes surfaces (GMS), coopératives, (ii) circuit court (zéro ou un intermédiaire) via AMAP, magasins à la ferme, magasins spécialisés et GMS (Marguerie 2011; Bio de Provence 2012; Bernard de Raymond 2013). Les exploitations agricoles commercialisent le plus souvent leur production sur un seul des deux circuits, via plusieurs opérateurs. Une part moins importante commercialise à la fois en circuit court et en circuit long. Les relations commerciales entre maraîchers et metteurs en marché sont variées : au cas par cas (ex : via le MIN), en contractualisation longue durée sur une partie de la production (ex : avec certaines GMS ou des usines de quatrième gamme) ou sur la quasi-totalité de la production (ex : avec certaines coopératives. Les attentes des acheteurs en termes de quantité et de qualité sont également diverses : les GMS ont des exigences importantes sur la qualité visuelle, demandent des volumes importants de qualité homogène, avec des variétés standards. À l’opposé, la commercialisation en AMAP permet de vendre des volumes plus restreints par légume et avec une qualité visuelle plus hétérogène.

De plus, le territoire comporte une proportion d’exploitations agricoles bio maraîchères de 12,8% de la Surface Agricole Utile en PACA en 2015 (Bio de Provence 2016) et en constante augmentation depuis. Les maraîchers bio tendent à développer des systèmes de culture plus innovants, par exemple avec une plus grande diversité culturale ou mobilisant des techniques alternatives nouvelles (cultures pièges sensibles) (Djian-Caporalino 2010; Furnion 2014; Rahmann et al. 2016). À l’échelle du SAT, les secteurs bio et conventionnel sont en partie indépendants, au niveau de la production, mais aussi de l’aval de la filière avec des acteurs spécifiques. Les acteurs traditionnels de la R&D (chambres d’agriculture, INRAE, CTIFL) travaillent à la fois sur la production bio et conventionnelle. Il existe un réseau de R&D spécialisé en bio : les groupements d’agriculteurs biologiques et le groupe de recherche en agriculture biologique (GRAB), qui est basé à Avignon. Le secteur bio tend à développer des organisations multi-acteurs innovantes par rapport au système dominant conventionnel (Rahmann et al. 2016). Par exemple, le réseau Biocoop a développé une organisation de la commercialisation et de sa gouvernance originale, prenant directement en compte les contraintes et intérêts des agriculteurs (Lamine 2014).

Ces éléments m’ont conduit à mener l’étude sur une diversité de systèmes de production et de commercialisation et en particulier sur le secteur bio et le secteur conventionnel. En effet, cela constitue un atout pour rapprocher des éléments variés de connaissance de la parcelle au SAT, et

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ainsi favoriser la générativité lors de l’exploration de solutions. Ainsi, on peut faire l’hypothèse que les innovations du secteur bio peuvent inspirer l’innovation dans le secteur conventionnel. Inversement, une partie du secteur maraîcher biologique évolue vers une structuration proche du secteur conventionnel (Navarrete 2009). Cette « conventionnalisation » du secteur bio, observée à l’international (Buck et al. 1997; Ramos García et al. 2017), fait que l’étude du maraîchage conventionnel est intéressante pour saisir les problématiques auxquelles le secteur bio risque de se trouver confronté.

En conclusion le cas d’étude de la gestion des nématodes à galles en maraîchage provençal, en production biologique et conventionnelle, est un problème d’importance en termes de développement durable (importance économique, sociale et écologique). De plus ce cas d’étude permet (i) de traiter la question de l’accompagnement au changement de pratiques dans un contexte où les échelles de la parcelle, de l’exploitation et du SAT ont chacune et collectivement un rôle prépondérant dans le choix des pratiques, (ii) d’explorer les solutions pour la gestion agroécologique de la santé des sols en maraîchage sous abris à travers un cas d’étude représentatif des problématiques de gestion des BT et en particulier des NàG.