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3.

Dans cette partie, nous présenterons l’approche historique de l’activation réductrice de O2 par des modèles moléculaires synthétiques du cytochrome P450. Nous ne donnerons pas de modèles de la cytochrome c oxydase dont la structure décrite en partie 2.2 montre l’extrême complexité. De nombreux travaux, utilisant des modèles moléculaires pour mimer cette enzyme, ont été développés ces dernières années mais ne seront pas décrits dans ce manuscrit, dans la mesure où les travaux de cette thèse sont centrés sur l’activité d’oxydation des cytP450 et non sur la catalyse de la réaction de réduction de O2.

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Les métalloporphyrines, modèles des cyt P450

3.1.

Après la découverte des cyt P450 et de leur structure dans les années 50, les premiers modèles synthétiques sont apparus à la fin des années 70. L’objectif est alors de synthétiser des complexes modèles des sites actifs afin d’étudier la réactivité et produire des connaissances sur les mécanismes réactionnels de ces enzymes. Les complexes porphyriques de fer sont utilisés pour tenter de (i) reproduire les intermédiaires connus du cycle catalytique, (ii) reproduire l’activité d’oxydation de substrat organique des cyt P450.

Les premières porphyrines pentacoordinées comportant un ligand axial thiolate ont été obtenues en 1975 par Collman et Holm.46,47 Les caractéristiques spectrales (UV-Vis, RPE) obtenues avec ces complexes de type [Fe(P)(SR)] (SR groupement thiolate) sont très proches de celles enregistrées pour l’état Fe(III)SH pentacoordiné du cycle catalytique du cyt P450 (figure I-5) et constituent de bons modèles du site actif de l’enzyme.48

Figure I-9 : Porphyrines de Fer majoritairement utilisées comme modèle moléculaire des CytP450.(a) Structure de la protoporphyrin IX avec R1 CH=CH2 , R2 CH3 et R3 (CH2)2-COOH. (b) Structure de 5,10,15,20-tétraphénylporphyrine de Fer ,Fe(TPP) ; avec Ar groupement aryl.

Les premières études de réactivité des porphyrines de fer vis-à-vis de O2 sont réalisées dans le contexte de l’étude de transporteurs de O2, modèle de l’enzyme myoglobine. Il est alors montré que les porphyrines de Fe (II) peuvent réagir de façon réversible avec O2 (réaction 1.6)

où L est un ligand axial (H2O, Cl…)

Citons l’exemple de la porphyrine à « bras imidazole » publiée en 1973 par l’équipe de Taylor (figure I-10).49

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Figure I-10 : Structure de la porphyrine pyrroheme-N-[3-(1-imidozolyl)propyl]-amide utilisée par Chang et Taylor. X= pas de substituant, H2O, O2 ou CO le Fer est alors au degré d’oxydation +II ou Cl avec le Fer au degré d’oxydation +III.

L’étude par spectroscopie UV-Vis montre que la porphyrine de Fe(II) peut complexer de façon réversible O2 en présentant un comportement similaire à la myoglobine. Cependant, la réaction de O2 avec les complexes porphyriniques Fe(II) peut conduire à la formation de dimères µ-oxo selon la réaction 1.7.50

Les chercheurs ont alors développé des stratégies afin de minimiser cette réaction de dimérisation en choisissant par exemple de travailler à basse température afin de ralentir la réaction de dimérisation, très lente par rapport à celle des intermédiaires d’intérêt.51 Une autre approche fut de fonctionnaliser la porphyrine de façon à l’encombrer stériquement et prévenir ainsi les réactions de dimérisation même à température ambiante. On pourra citer l’exemple emblématique de la « picket-fence » porphyrine de Collman52 mais également les modèles développés par le groupe de Momenteau.53 Enfin, adsorber le catalyseur sur une surface de façon à ce que deux atomes de Fer ne puissent pas interagir constitue également une stratégie utilisée.54

Cette courte présentation de quelques exemples de porphyrines de fer utilisées comme modèles des cytochromes P 450 a pour ambition d’introduire la famille des complexes de cette étude. Le présent travail de thèse, comme nous le verrons plus loin en section 4.1, est réalisé sur un modèle unique et commercial. Les revues de D. Mansuy publiées en 2007 et de J. Groves en 2018 offre aux lecteurs le désirant une présentation détaillée de la contribution des métalloporphyrines à l’étude de la réactivité du cyt P450.

Dans le paragraphe suivant, nous présenterons les intermédiaires successifs proposés pour le cycle catalytique du cyt P450.

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Espèces intermédiaires du cycle catalytique du cyt P450

3.2.

Au cours de ces vingt dernières années, différents intermédiaires réactionnels de type Fe-oxygène ont été identifiés dans le cycle catalytique du cyt P450, soit par des études spectroscopiques sur l’enzyme elle-même (section 2.3), soit à l’aide de composés modèles. Dans ce dernier cas, les espèces intermédiaires Fe-oxygène sont obtenues par voie chimique, c’est-à-dire à partir d’un précurseur FeIII

ou FeII et d’un réactif chimique source de donneur d’atome d’oxygène. Ce réactif peut être l’ion superoxyde O2

•-, H2O2, des peracides (m-CPBA) ou encore PhIO (iodosylbenzene). Dans certains cas, O2 lui-même est utilisé comme donneur d’atome d’oxygène en présence alors d’un réducteur chimique tel que NaBH4. Nous donnons ci-dessous une brève présentation des intermédiaires réactionnels modèles et leur réactivité associée.

L’adduit Fe(II)-O2

Dans les systèmes naturels, la première étape de l’activation réductrice de O2 par les systèmes hémiques est la complexation de O2 après réduction du FeIII en FeII (figure I-5). Le FeIII ne présentant aucune affinité vis-à-vis de O2, celui-ci va se lier au FeII et va s’accompagner d’un transfert de charge formant ainsi un adduit Fe-superoxo FeIII-OO•-.

Collman a caractérisé par cristallographie une telle espèce FeIII-OO•- dans le cas de l’étude de l’affinité Fe/O2 du complexe hémique « picket fence porphyrin » modèle de la myoglobine.55 Ce modèle moléculaire présente un bras imidazole en position axiale qui prévient la formation de dimère µ- oxo mais qui permet également d’améliorer l’affinité de O2 au fer. Traylor et al montrent que l’affinité de O2 pour des porphyrines présentant un ligand imidazole est plus importante car l’imidazole fortement π conjugué stabilise la liaison Fe-O faible.56

L’espèce FeIII

-superoxo est souvent considérée comme une espèce de passage vers des intermédiaires de haute valence plus réactives. Dans la nature, la réactivité de cet intermédiaire existe pour des métalloenzymes non hémiques et des modèles synthétiques ont permis de confirmer un caractère oxydant de FeIII-superoxo.57,58 Cependant il n’existe à notre connaissance aucun exemple de réactivité d’un adduit FeIII-superoxo hémique dans la littérature.

Au stade FeIIIOO•- du cycle catalytique du cyt P450, O2 est réduit partiellement à un électron et sa coordination au Fe va alors enclencher son activation réductrice.

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 Fe(III)-Peroxo

C’est la réduction de l’adduit Fe-superoxo qui conduit à la formation de l’intermédiaire FeIII

-peroxo (figure I-5).

Valentine et al ont préparés pour la première fois cet intermédiaire dans un solvant aprotique à partir de FerIII(TPP)Cl par ajout de 2 équivalents de KO2 ou à partir de FeII(TPP) et d’un équivalent de KO2 (figure I-11).59 Le premier équivalent de O2

sert à réduire l’ion FeIII en FeII puis le second équivalent de O2•- se coordine au FeII.

Figure I-11 : Formation de l’intermédiaire FeIII-peroxo par voie chimique.59 Le premier équivalent de O2•- sert à réduire l’ion FeIII en FeII puis le second équivalent de O2•- se coordine au FeII.

L’intermédiaire FeIII

-peroxo peut donc être obtenu par voie chimique par ajout d’équivalents réduits de dioxygène O2•- sur un modèle moléculaire hémique. L’intermédiaire FeIII-peroxo peut alors prendre une configuration dite « end-on » (η1-peroxo) ou « side-on » ( η2-peroxo) après réarrangement électronique.60

Figure I-12 : Structure end-onou η1-peroxo et side on ou η2-peroxo du Fe-peroxo.

La structure η1

-peroxo présente une seule liaison Fe-O alors que dans la structure η2-peroxo, les deux atomes d’oxygène sont liés au fer rendant cette structure plus stable. Ces deux structures peuvent être discriminées par des techniques de spectroscopie vibrationnelle IR ou Raman.61 Bien que le FeIII-peroxo est plus favorablement en configuration « side-on », l’intermédiaire peroxo « end-on » a pu être observé par Jin-Gang-Liu et al en 2010.62

Parmi les techniques de caractérisation des intermédiaires du cycle catalytique, la spectroscopie UV-Vis a été largement utilisée pour déterminer la formation de l’intermédiaire FeIII-peroxo.

Typiquement, le spectre UV-Vis de la porphyrine [FeIII(F20TPP)Cl] avec F20TPP le ligand porphyrinique 5,10,15,20-tetrakis-(pentafluorophényl) porphyrinate (cf figure I-18) présente

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une bande de Soret à λ = 410 nm et des bandes Q à λ = 528 et 568 nm. Après génération par voie chimique du FeIII-peroxo, un spectre présentant une bande de Soret à λ = 431 nm et deux bandes Q à λ = 538 et 589 nm est obtenu, caractéristique de la formation de cet intermédiaire FeIII-peroxo.63

Figure I-13 : Spectre UV-Vis de FeIII-peroxo, formé à partir de [FeIII(F20TPP)Cl] et KO2 dans CH3CN.63

La réactivité catalytique de Fe-peroxo vis-à-vis de substrats organiques a également été étudiée. Dans la littérature, la réactivité du peroxo dans le cas des cytochromes P450 n’a jamais été mis en évidence. Valentine et al ont montré qu’un η2-FeIII-peroxo pouvait réaliser l’époxydation d’oléfines déficientes en électrons selon le mécanisme en figure I-14.64

Figure I-14 : Epoxydation d’une oléfine pauvre en électrons (2-methyl-1,4-naphtaquinone) par un FeIII-peroxo.

L’utilisation de substrats riches en électrons comme le styrène n’a pas donné de résultats concluants, démontrant ainsi le caractère plutôt nucléophile de l’intermédiaire FeIII

-peroxo. Cette nucléophilie résulte des caractéristiques électroniques du macrocycle porphyrinique, structures riches en électrons, et par la présence d’un ligand axial.

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Ainsi, cet intermédiaire, plutôt précoce dans l’activation réductrice de O2 est une espèce oxydante possédant une réactivité nucléophile intéressante. Cepenant, la majorité des études a montré que cette espèce n’était qu’un intermédiaire pour générer des espèces bien plus oxydantes à la suite de réaction de protonation et de la cassure de la liaison O-O.

 Fer(III)-hydroperoxo

L’espèce FeIII

-hydroperoxo (FeIII-OOH) appelé également « compound 0 » dans les cyt P450 est un intermédiaire bien connu dans le cycle catalytique des monoxygénases hémiques résultant de la protonation du FeIII-peroxo (figure I-5). Par son caractère transitoire (très courte durée de vie), FeIII-OOH est difficile à isoler et caractériser. Par des techniques de cryoréduction combinées à des méthodes spectroscopiques, notamment par RPE et spectroscopie ENDOR, il a cependant été possible d’accéder à sa structure.65

La protonation de l’oxygène distal de FeIII

-OO- conduit à l’espèce FeIII-OOH. Alors que le caractère oxydant est attribué aux espèces Fe-O à haute valence, Coon et al ont montré que, dans la nature, l’intermédiaire FeIII

-hydroperoxo est également capable de réaliser la réaction d’époxydation d’oléfines.40

Parallèlement à l’étude du « compound 0 » des métalloenzymes, des analogues synthétiques ont été préparés et caractérisés. Par addition d’un excès de H2O2 à différentes porphyrines de Fer(III) à basse température, Tajima et al ont préparé et caractérisé par spectroscopie UV-Vis et RPE l’intermédiaire FeIII

-hydroperoxo (figure 1-15).66

Figure I-15 : Formation de l’intermédiaire FeIII-hydroperoxo par voie chimique selon Tajima.66

Par ailleurs, l’impact de la présence de ligands axiaux tels que l’imidazole a été exploré et a montré l’importance de la présence de groupements encombrants pour stabiliser l’intermédiaire FeIII

-hydroperoxo. L’exemple de Naruta et al (figure I-16)montre la formation d’un intermédiaire FeIII

-hydroperoxo à partir d’une porphyrine présentant un imidazole FeII(TMPIm) par ajout de KO2 en présence de méthanol à basse température.67

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Figure I-16 : Formation de l’intermédiaire FeIII-hydroperoxo.67

Ces études montrent ainsi qu’il est possible de synthétiser, stabiliser et caractériser cet intermédiaire FeIII-hydroperoxo à courte durée de vie difficile à observer lors de la catalyse enzymatique.

 Cassure de la liaison O-O : FeV

=O ou [FeV=O]•+ radical cation

Après une première protonation et la formation de l’intermédiaire FeIII-hydroperoxo, une seconde protonation permet, dans les systèmes naturels hémiques, de produire une espèce à haute valence FeV=O appelée « compound I » et dont la structure électronique est décrite comme une espèce [FeIV=O]•+ radical cation. La protonation de l’oxygène distal favorise la cassure de la liaison O-O de façon hétérolytique libérant d’une part une molécule d’eau et de l’autre part l’espèce FeIV

=O radical cation, espèce à fort pouvoir oxydant du cycle catalytique (figure I-5).

[FeIV=O]•+, présentant une réactivité remarquable, a été au cœur de nombreuses études aussi bien pour les systèmes naturels que pour les systèmes modèles.

Le premier modèle moléculaire du compound I a été obtenu par Groves et al en 1981.68 En effet, l’oxydation de la chloro-1,10,15,20-tétramésitylporphyrine de Fer (III) [FeIII

(TMP)Cl] avec 1.5 équivalents de m-CPBA à -78°C a produit une espèce Fe(IV) –oxo radical cation (figure I-17).

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Figure I-17: Formation de l'intermédiaire FeV=Opar voie chimique.68

Par la suite, différentes voies de synthèse permettent la formation d’espèces [FeIV=O]•+ par voie chimique en utilisant des donneurs d’atomes d’oxygène tels que le m-CPBA, PhIO ou ArIO réagissant directement sur le FeIII ont été développées.

Similairement aux intermédiaires FeIII-(hydro)peroxo, l’effet du macrocycle porphyrinique et des ligands axiaux a suscité un grand intérêt pour l’étude de la stabilisation et de la réactivité du [FeIV=O]•+. Cette espèce présente une grande réactivité notamment par le transfert d’atome d’hydrogène (HAT) permettant ainsi de fonctionnaliser une liaison C-C mais aussi par transfert d’atome d’oxygène (OAT) et donc insertion d’un atome d’oxygène. Un exemple d’une telle réactivité est donné par l’oxydation du norbornère par cet intermédiaire produisant un époxyde.69

Conclusion

3.3.

Ainsi, les métalloenzymes et leurs modèles synthétiques métalloporphyrines sont capables d’une grande réactivité. Les différents intermédiaires du cycle catalytique sont impliqués dans la réactivité et chaque intermédiaire est spécifique à un type de réaction. Il est cependant possible de moduler cette réactivité en modifiant la structure du macrocycle.

Les modèles biomimétiques présentés dans ce chapitre sont des structures simples par rapport aux enzymes, moins efficaces et moins sélectifs. Les intermédiaires réactionnels impliqués dans la réactivité d’oxydation sont obtenus par utilisation d’oxydants et de réducteurs chimiques souvent à basse température pour stabiliser les espèces transitoires.

Pour développer des procédés d’oxydation durables, la génération de ces espèces intermédiaires doit être réalisée à moindre coût énergétique et en minimisant les sous-produits indésirables de synthèse. Une façon de s’affranchir de réducteurs chimiques est d’utiliser une source d’électrons fiable et contrôlable, c’est-à-dire, à partir d’une électrode et O2 de l’air peut

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également être utilisé comme source d’atome d’oxygène. C’est cette approche que nous allons décrire dans le paragraphe 4 de ce chapitre.