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2.

Parallèlement aux travaux sur la mise au point de ces procédés d’inspiration bio-mimétiques, les chercheurs s’intéressent également à l’étude de systèmes naturels et plus particulièrement à la compréhension des mécanismes d’action et à la relation structure-réactivité à l’origine de leur unique efficacité catalytique.

Métalloenzymes et activation de O2

2.1.

Le dioxygène joue un rôle majeur dans de nombreux processus biologiques tels la métabolisation de substances xénobiotiques et la production d’énergie dans la cellule. Ces réactions sont catalysées par des métalloenzymes dont la réactivité spécifique est liée à la nature du site actif.

Présentes tant chez les bactéries que chez l’homme et les plantes, certaines de ces métalloenzymes sont capables de réaliser l’insertion d’un ou de plusieurs atomes d’oxygène dans les substrats organiques. Il s’agit des oxygénases, découvertes en 1955 par Hayaishi au Japon et Mason aux Etats-Unis et longuement étudiées depuis pour comprendre leurs propriétés chimiques et physiques.13,14 Essentiellement, ces oxygénases utilisent O2 afin de réaliser des réactions d’oxygénation, avec un apport d’électrons et de protons via des cofacteurs (NAD, FAD, FMN…).

Nous avons fait le choix de restreindre cette présentation au cas des enzymes à fer même si des enzymes à Cu et à Mn existent dans les systèmes naturels. Plus précisément, nous nous intéresserons dans ce chapitre aux systèmes à site actif contenant un hème tel que le cytochrome P450 et la cytochrome c oxydase.

Le cytochrome P450 est capable de réaliser une réaction d’oxygénation en insérant un atome d’oxygène dans un substrat organique selon la réaction (1.3) et donc de réaliser la réduction contrôlée de O2 à deux électrons.

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La cytochrome c oxydase quant à elle est capable de réaliser la réduction de O2 à quatre électrons en H2O selon la réaction (1.4)

Cytochrome c oxydase: réduction de O2 à 4 électrons

2.2.

La cytochrome c oxydase (CcO) est une enzyme membranaire au cœur de la chaine respiratoire (figure 1-1), présente chez les organismes eucaryotes comme chez les procaryotes et qui catalyse la réduction de O2 en H2O selon la réaction (1.4). Cette réaction nécessite l’apport de quatre électrons et quatre protons. Les électrons sont fournis par le cytochrome c, petite protéine et les protons sont pompés au travers la membrane.

Figure I-1 : Représentation schématique de la chaîne respiratoire mitochondriale.

Dans cette partie, nous nous intéresserons uniquement à la CcO de la chaine respiratoire.

 Structure de la cytochrome c oxydase

La structure tridimensionnelle de la cytochrome c oxydase de la bactérie Paracoccus

denitrificans a été obtenue dans les années 90 par diffraction des rayons X, ce qui a permis des

avancées significatives dans la compréhension du fonctionnement de cette enzyme.15

La CcO est une protéine transmembranaire de plusieurs sous-unités (8 à 13 sous-unités) se présentant comme un dimère dans la membrane. Les sous unités I et II contiennent quatre

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centres rédox, deux hèmes à fer (hème a et a3) et deux centres à Cu (CuA et CuB). La structure du site actif de la CcO, représentée en figure I-2 est donc une structure bi-nucléaire avec un hème à fer ainsi d’un centre à cation cuivre proximal.16

Cette structure élaborée permet de contrôler très finement l’apport des électrons et des protons nécessaires à la réaction et d’empêcher la production d’espèces réduites de O2 (ROS).

Figure I-2 : A gauche, centres oxydoréducteurs de la CcO.17 L’acheminement des réactifs (électrons, protons et dioxygène) est indiqué par les flèches bleues. Les flèches rouges indiquent le pompage transmembranaire de protons couplé à cette réaction du « N-side » (chargé négativement) vers le « P side » (chargé positivement) de la membrane. A droite, structure du site actif binucléaire de CcO.18

 Mécanisme catalytique

De nombreux groupes travaillent encore sur la compréhension du mécanisme catalytique de la CcO bien que les travaux de Wikström et Babcock par des techniques spectroscopiques ont permis des avancées majeures.19 Le cycle catalytique de réduction du dioxygène en eau est composé de réductions et de protonations successives.

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Figure I-3 : Mécanisme de réduction de O2 par la cytochrome c oxydase. 20

Le complexe oxydé [Fe(III)-OH Cu(II)] subit dans un premier temps deux réductions à un électron consécutives depuis le cytochrome c pour prendre une forme [Fe(II) Cu(I)]. Au cours de ce processus, un proton est transféré et une molécule d’eau est libérée. Le dioxygène peut alors se lier au Fe(II) pour former le composé oxy, puis par réarrangement électronique, le complexe P oxyferryle [Fe(IV)=O2- HOCu(II)] est obtenu. Une troisième réduction à partir du cytochrome c associé à l’acquisition de deux protons donne le composé F [Fe(IV)=O

2-Cu(II)] avec libération d’une seconde molécule d’eau.Un dernier transfert d’électron associé à un transfert de proton donne le composé oxydé [Fe(III)-OH Cu(II)] et referme le cycle catalytique. La réaction de réduction de O2 en eau est présentée par le bilan suivant :

Pour réaliser cette réaction, 4 protons sont pompés au travers de la membrane de l’intérieur vers l’extérieur (figure I-2). Bien que ce mécanisme de pompage soit encore mal connu, il contribue au gradient de protons qui assure la synthèse de l’ATP.

Ce système enzymatique, dont la structure est très élaborée, possède une activité catalytique remarquable suscitant l’intérêt de nombreux groupes qui tentent de mimer cette réactivité par des modèles moléculaires. Cela représente un intérêt majeur pour des applications énergétiques comme dans les piles à combustibles et les batteries métal air où la réaction de réduction de O2 est une étape clé. 21,22,23,24

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Cytochrome P450 : activation de O2 à 2 électrons

2.3.

Le cytochrome P450 est la monooxygénase la plus étudiée, capable d’insérer un atome d’oxygène dans un substrat organique.

Cette enzyme, fortement oxydante, peut réaliser diverses réactions telles que l’hydroxylation de liaisons C-H, l’époxydation de liaisons C=C, l’oxydation d’aromatiques. Une molécule de O2 est utilisée pour insérer un atome d’oxygène à un substrat organique et le second oxygène est réduit pour produire une molécule d’eau (réaction 1.3). Les électrons nécessaires à la réactivité du cytochrome P450 sont apportés par un cofacteur NADPH.

En 1958, Garfinkel et Klingenberg ont reporté pour la première fois l’apparition d’un pigment jaune orangé dans les fractions microsomales hépatiques de rat et de cochon en présence de monoxyde de carbone.25,26 Par la suite, Omura et Sato élucidèrent en 1962 la structure biochimique de ces pigments, montrant qu’il s’agissait d’hémoprotéines appelées ensuite cytochrome P450 en raison d’un maximum d’absorption à 450 nm en présence de CO.27,28

Des études au début des années 1960 ont permis de démontrer l’implication de cette enzyme dans la transformation des stéroïdes par Estabrook, Cooper et al en 1963 et dans l’oxydation de composés exogènes par Cooper et al quelques années après.29,30 A la fin des années 1960, le premier cytochrome P450 a été purifié à partir de la bactérie Pseudomonas putida qui catalyse l’hydroxylation du camphre en 5-exo-hydroxycamphre.31

 Structure du cytochrome P450

Des études spectroscopiques et structurales menées sur les cytochromes P450 ont permis de résoudre la structure de cette enzyme. Après l’obtention de la première structure 3D du cytochrome P450 du camphre par Poulos et al en 1986, la structure de cette enzyme et sa fonction ont été de mieux en mieux compris.32

Le site actif de l’enzyme comporte un ion FeIII

coordiné à quatre atomes d’azote d’une protoporphyrine IX et relié à une chaîne polypeptidique par un ligand axial thiolate cystéine. Ce ligand thiolate est responsable de l’absorption de Soret maximum à 450 nm caractéristique pour l’adduit FeII

-CO. Une sixième position de coordination du Fe, vacante ou occupée par une molécule d’eau, est susceptible de fixer une molécule de O2.

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Figure I-4 : Structure du site actif du cytochrome P450  Cycle catalytique du cytochrome P450

De nombreuses études ont permis d’élucider le mécanisme du cycle catalytique de cette enzyme.33 Le cycle communément admis est présenté sur la figure I-5 et illustré dans le cas de réactivité avec un substrat RH.

Figure I-5 : Cycle catalytique du cytochrome P450.34

Le fer initialement dans un état d’oxydation +III est coordiné par une molécule d’eau en position axiale. Lorsque le substrat arrive à proximité du site actif, la molécule d’eau se décoordine facilitant ainsi la réduction de l’ion fer par une réductase à un état d’oxydation +II. Une molécule de O2 peut alors se coordiner au FeII pour former l’adduit FerIII

-superoxo (FeIII -OO•-) puis réduit pour donner l’espèce FeIII-peroxo (FeIII-OO-) qui est rapidement protonée en

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FeIII-hydroperoxo (FeIII-OOH), un intermédiaire à très courte durée de vie. Après une seconde protonation, la liaison O-O est coupée de façon hétérolytique libèrant une molécule d’eau et formant l’espèce FeIV

=oxo radical cation (P+•FeIV=O) avec le radical cation délocalisé sur la porphyrine. Cette espèce est également notée FeV=O en particulier dans le cas des monooxygénases non hémiques. Dans les systèmes porphyriniques, cet intermédiaire, appelé compound I, est l’espèce oxydante capable de réaliser l’insertion d’atome d’oxygène sur un substrat organique. L’espèce FeIII

-H2O est alors régénérée après libération du produit de la réaction terminant le cycle catalytique.

Différents intermédiaires réactionnels impliqués dans le cycle catalytique du cytochrome P450 ont pu être observés par des techniques spectroscopiques. En effet, l’adduit FeIII

-OO•- a été étudié par spectroscopie Raman.35 Les espèces FeIII-OO- et FeIII-OOH ont été caractérisées par spectroscopie Raman et RPE lors de la réduction de l’adduit FeIII

-OO•- à basse température (T= 77 K). L’espèce P+•FeIV=O a été caractérisée par spectroscopie Mössbauer, RPE et UV-Visible en 2010 par Green et al.36

Dès l’étape d’addition du deuxième électron dans le cycle catalytique, la réaction d’hydroxylation a lieu. Le mécanisme d’oxydation ou « Oxygen Rebound Mechanism » proposé par Groves et al dans les années 1970, est centré sur l’ion Fe qui reçoit l’atome d’oxygène et le cède au substrat organique.37

Il a été montré que le substrat RH passe par un intermédiaire à l’état radicalaire Rdû à la cassure homolytique de la liaison C-H engendrée par l’espèce à haute valence P+•FeIV

=O, communément appelée FeV=O.38,39 Un intermédiaire [FeIVOH │ R] est alors formé avant d’obtenir la formation de la liaison C-O et retour à l’état Fe(III) du CytP450.

Figure I-6 : Mécanisme d'hydroxylation d'un alcane R-H. 38

Les cytochromes P450 peuvent également réaliser de façon efficace et stéréoséléctive, l’époxydation de différentes oléfines.40

Dans ce cas, il a été montré que l’intermédiaire FeIII -hydroperoxo est l’espèce oxydante impliquée dans une telle réactivité mais les mécanismes restent encore à élucider.41

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Ainsi, cette variété de réactivité est due au fait qu’il existe une multitude de cyt P450 bien spécifique à une réaction. Ces cyt P450 présentent des différences structurales, notamment au sein de leur seconde sphère de coordination, à l’origine leur spécificité.

 Réactions catalysées par le cyt P450

Comme indiqué précédemment, les cyt P450 sont capables de réaliser des réactions très variées. Il ne s’agit pas ici d’en faire une liste exhaustive, cependant le schéma ci-dessous rassemble quelques exemples de ces réactions répertoriées.

Figure I-7 : Réactions d’oxydation catalysées par les cytochromes P450 d’après Mansuy.42

Par ailleurs, des réactions de déshydratation, des isomérisations ou encore des réductions ont également été observées, montrant ainsi cette grande versatilité de réactivité dont les chercheurs peuvent s’inspirer pour développer de nouvelles voies de synthèse.43

 Application des cytochromes P450 dans l’industrie

Il est difficile d’isoler et de produire des cyt P450 pour une utilisation commerciale vu la complexité de ces voies enzymatiques, de ces différents partenaires protéiques et des différents cofacteurs nécessaires à sa fonction. Leur faible stabilité et leur nombre de cycles catalytiques peu élevés sont également des inconvénients majeurs. Cependant, leur exceptionnelle réactivité

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a conduit les chercheurs à fournir des efforts considérables pour isoler et manipuler ces enzymes pour en faire des catalyseurs à application commerciale notamment dans l’industrie pharmaceutique. Même si on trouve peu d’exemples dans la littérature, il est cependant possible de citer le cas de l’utilisation de cette enzyme dans la chaine de production de la pravastatine, médicament utilisé mondialement et produit à échelle industrielle pour traiter l’hyperlipidémie, soit la présence de taux élevés de lipides dans le sang. En effet, la pravastatine est produit via la biotranformation de la compactine, un précurseur dans l’organisme de S. carbophilus où le gène d’une enzyme P450 (CYP105A3) est hyper-exprimé.

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Figure I-8 : Biotransformation de la compactine en pravastine par CYP105A3 dans l’organisme de S.carbophilus.

L’une des approches utilisées en biotechnologie pour contrer les limitations de l’utilisation de cette enzyme est la mutagénèse pour créer de nouvelles enzymes P450 plus efficaces et robustes et de trouver des coenzymes redox pour assurer le fonctionnement de ces enzymes. Cependant cette approche est peu rationnelle, très coûteuse et chronophage. L’intérêt de développer des modèles moléculaires à ces enzymes est alors d’autant plus justifié.