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Par rapport à la Société des Nations, la prise de décision au sein de l’organe restreint de l’Organisation des Nations Unies n’est plus régie par consensus – attribuant ainsi à chaque membre un droit de veto –, mais par une légère majorité qualifiée, en attribuant toutefois à cinq nations le droit de veto.94 Les puissances invitantes de la conférence de San Francisco ont pu imposer la « formule de Yalta »,95 sur la base de deux considé-rations majeures. Premièrement, il était considéré nécessaire de leur consacrer ce droit pour assurer leur présence dans l’Organisation, qui pouvait les restreindre dans leurs politiques.96 Deuxièmement, à l’époque, aucune action coercitive n’était véritablement envisageable sans l’accord ou contre la volonté et l’aval de ces États à ces décisions.97 Outre l’élément de prestige que tant la permanence que le droit de veto octroie aux P-5, l’Organisation et plus particulièrement le Conseil fonctionnent depuis largement selon leurs règles de jeux.

CONU Article 27

1. Chaque membre du Conseil de sécurité dispose d’une voix.

2. Les décisions du Conseil de sécurité sur des questions de procédure sont prises par un vote affirmatif de neuf membres.

3. Les décisions du Conseil de sécurité sur toutes autres questions sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents, étant entendu que, dans les décisions prises aux termes du Chapitre VI et du paragraphe 3 de l’Article 52, une partie à un différend s’abstient de voter.

(emphase ajoutée)

Cet article 27 établit les modalités de vote au sein du Conseil, en posant le principe de la majorité qualifiée (§ 2 et § 3) ainsi que le droit de veto des membres permanents sur toutes questions autres que procédurales. Une version limitée du principe d’abstention dans le cas d’implication dans un différend est également fixé dans la deuxième phrase du § 3.

94. Voir notamment Kolb (2008) p.149, Bailey (1969) p.13, pour la signification constitutionnelle du droit de veto : Fassbender (1998),passim

95. Attribution de sièges permanents assortis du droit de veto pour l’Union soviétique, les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine, la France rejoignant ce groupe que tardivement avec la conférence de San Francisco ; voir pour d’autres, Bailey (1969) p.12

96. Pour une analyse sur la pertinence contemporaine de cet argument : Loweet al.(2008) p.133 s.

97. Kamath (2007) p.66, Sands et Klein (2009) p.38

La majorité requise pour l’adoption d’une décision dépend de la taille de l’organe restreint, et donc au final dépend de l’étendue d’un éventuel élargissement. Le ratio ne pose cependant pas de grandes difficultés, oscillant autour des trois-cinquièmes des voix positives de tous les membres.98 L’enjeu majeur de cette question dans le cas d’un élargissement constitue la question de la minorité de blocage, le veto collectif. Ainsi, comme reflété dans la section précédante, un Conseil élargi demandera un travail de consultation accru en amont de la prise de décision afin d’assurer une majorité.

Les demandes de reformes se concentrent sur les questions relatives au droit de veto (Sous-section 3.1 p.17) ainsi que de façon plus marginale sur le principe Nemo judex in re sua (Sous-section 3.2 p.20).

3.1. Droit de veto

«The veto is as much a fact of life as the realities it reflects.»99

Le droit de veto constitue le privilège de pouvoir prévenir l’adoption d’une décision qui autrement serait entrée en vigueur. Depuis la conférence de San Francisco de 1945, il y a eu des tentatives répétées pour limiter son utilisation.100 Le droit de veto attribué aux P-5 est considéré comme une entrave institutionnalisée à l’égalité souveraine sur laquelle la communauté internationale est théoriquement basée,101 mais reflète en même temps les inégalités et les rapports de force sur la scène internationale après la deuxième guerre mondiale.102

L’interprétation faite à l’article 27 (3) de la Charte constitue une réforme informelle qui a permis d’assouplir le droit de veto. En contradiction avec le sens ordinaire du paragraphe, l’abstention, l’absence ou la non-participation d’un Membre permanent lors d’un vote sur une question de substance ne sont pas comptabilisées comme un vote négatif.103 Cette pratique a permis de garder une certaine marge de manœuvre au Conseil, surtout pendant la guerre froide, en laissant s’exprimer un message politique de désaccord, sans

98. De 1946 à 1965, 7 voix sur 11 (63 % des voix), depuis, 9 voix sur 15 (60 % des voix) 99. Bailey (1969) p.53

100. Bailey (1969) p.48 s., Notamment par des résolutions de l’Assemblée générale : UN Doc. 40(I), 117 (II), 267 (III)

101. Voir CONU article 2 § 1, ainsi que Evans (2006) p.222-224 102. Cede et Sucharipa-Behrmann (2001) p.303

103. Voir également Conforti (2005) p.65 s., qui soutient la thèse de la création d’une règle de droit cou-tumier, voir cependant Amerasinghe (2005) p.50, cette interprétation a été confirmé par :Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif C.I.J. Recueil 1971, p. 22.

pour autant bloquer totalement l’action du Conseil.

La problématique du veto s’articule sur deux axes. Premièrement, il s’agit d’aborder les propositions de reforme du veto par rapport à son utilisation actuelle (3.1.1). Deuxiè-mement, l’éventuelle extension de ce privilège à de nouveaux membres permanents sera brièvement traitée (3.1.2 p.19).

3.1.1. Droit de veto existant

La pratique a montré que le droit de veto rend une action improbable quand un des membres permanents est impliqué dans un conflit,104même si une intervention du Conseil serait souhaitable. Une série d’États, et notamment le groupe « S-5 » soumettent l’idée de justifications honnêtes dans le cadre d’une utilisation raisonnable et responsable de ce droit. Un vote négatif d’un membre permanent devrait ainsi être dûment motivé et publié avec les raisons sous—jacentes. D’autre part, selon cette proposition, l’émission d’un veto serait interdit en cas de génocide, crimes contre l’humanité et graves violations du droit humanitaire. Alors que pendant la période de la guerre froide, l’utilisation du droit de veto était fréquente,105 peu de vetos ont été émis depuis lors. Cependant, une des critiques récurrentes du droit de veto attaque le caractère arbitraire ou injustifié de son utilisation pour défendre les intérêts propres ou ceux d’alliés. La France en particulier prône l’utilisation responsable du droit de veto, l’engagement volontaire de ne l’utiliser que dans le cadre du chapitre VII. Toutes ces propositions tiennent a encadrer cette prérogative, en créant une responsabilité politique incombant à ses détenteurs. À ce stade, toute limitation voire même abolition du droit de veto requièrt le consentement des cinq,106 ce qui ne semble guère envisageable.

Contrairement à la période de la guerre froide, depuis 1990, un usage modéré a été fait de ce droit.107 D’une part, ce développement s’explique par une convergence des positions et une volonté de négociations entre les P-5, d’autre part, les vetos cachés évitent de présenter à un vote formel un projet de résolution voué à l’échec à cause de l’opposition signalée par un ou plusieurs membres permanents.

104. Un exemple plus récent est le conflit en Irak, impliquant les États-Unis, rendant le Conseil de sécurité incapable de réagir de façon adéquate, voir pour une approche systématique de situations de non-action de la part du CS : Lowe et al. (2008) p.494 s., Patil (2001) passim, ainsi que la liste des projets de résolutions ayant fait l’objet d’un veto formelhttp://www.un.org/fr/documents/sc_vetos.

shtml(vérifié le 1 avril 2010)

105. 236 sur 261 vétos ont été émis entre 1946 et 1985 ; voirhttp://www.globalpolicy.org/(vérifié le 1 avril 2010)

106. Toujours d’actualité : Bailey (1969) p.27 107. Muracciole (2006) p.82 ainsi que liste précitée

Plusieurs formes de veto ont été identifiées par la doctrine qui peuvent avoir un impact particulier sur la prise de décision, dont le double veto et le veto renversé. Le premier procédé consiste à soumettre la décision portant sur le caractère procédural ou substan-tiel d’une question aux exigences d’une question substansubstan-tielle. Les défendeurs de cette pratique invoquent la chain of events theory, consistant à classer comme question sub-stantielle toute décision qui amorce le processus vers une décision sur fond. Cependant, la question préliminaire sur la nature d’une question et la majorité requise pour en dé-cider n’est pas soumise à une pratique constante et un-équivoque.108 Le veto renversé concerne les décisions de terminaison ou de modification d’une action décidée auparavant.

Compte tenu notamment de l’impact de sanctions, une prudence accrue peut résulter de ce procédé.

Les recommandations avancées tendent à circonscrire l’usage du veto, à en limiter l’im-pact sur le travail du Conseil. Des membres permanents, seuls le Royaume-Uni et la France soutiennent une limitation volontaire de cette prérogative pour améliorer l’effica-cité de l’ONU et pour réduire l’impression d’application de double standards dans son action.

3.1.2. Extension du droit de veto

En première ligne, la proposition de l’Union africaine entend étendre toutes les pré-rogatives détenues par les P-5 aux nouveaux membres permanents, y compris le droit de veto. Le groupe des Quatre voudrait laisser les nouveaux quinze ans sans ce droit, et reconsidérer alors la question lors d’une conférence de revision et d’évaluation de la réforme à entreprendre. Dans tous les cas, les mêmes problématiques resurgissent que concernant l’application de ce droit par les P-5. Étendre le droit de veto à d’autres États réduirait, dans les yeux de beaucoup de commentateurs et de représentants, l’effectivité de l’action du Conseil de sécurité. Comme le décritEckart Klein, l’extension du droit de veto créerait encore plus de potentiel d’empêchement et irait a l’encontre des efforts d’efficacité.109 Les membres sont moins amenés à négocier et à trouver des compromis viables face à un campement sur les positions respectives. Dans le travail du Conseil, il faudrait probablement prendre encore plus d’intérêts essentiels en considération, ce qui affectera grandement son fonctionnement efficace.

108. Conforti (2005) p.69, ainsi que Bailey (1969) p.19 109. dans Baboet al.(2008) p.91 s.

3.2. Nemo judex in re sua

Ce principe, qui soutient l’abstention de vote d’un pays partie à un différend, est codi-fié dans la CONU dans l’article 27 (3)110 mais ne s’applique seulement qu’aux décisions prises sous le chapitre VI111et sous l’article 52 (3).112Il est regrettable qu’il ne s’applique ni au Chapitre VII113 ni à l’article 94 § 2 de la Charte sur la mise en œuvre des décisions de la Cour internationale de justice.114 Par conséquent, si un membre permanent est impliqué dans un tel litige, il peut bloquer l’action du Conseil de sécurité.115 L’effec-tivité de l’action du Conseil de sécurité en est largement réduite, bien que l’esprit de cette limitation est dans la conception que les membres permanents ont la responsabilité d’entériner et soutenir les décisions prises sous le chapitre VII.

Au final, la réforme du droit de veto se limite à un changement dans l’attitude vis-à-vis de son utilisation. Il reste à souhaiter que les cent-quatre-vingt-sept autres États peuvent faire assez de pression sur les P-5 pour que ces derniers respectent les recommandations émises.

110. Suivant le Pacte de la Société des Nations, Article 15 § 6 et 10, voir Fassbender (1998) p.328-331 111. Chapitre relatif au règlement pacifique des différends

112. dans le chapitre VIII sur les accords régionaux : article 52 (3) Le Conseil de sécurité encourage le développement du règlement pacifique des différends d’ordre local par le moyen de ces accords ou de ces organismes régionaux, soit sur l’initiative des États intéressées, soit sur renvoi du Conseil de sécurité

113. Chapitre relatif à l’action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression 114. Conforti (1996) p.75 s. ainsi queActivités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique),fond, Arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 14

115. Les P-5 en font usage, comme le montrent les situations délaissées par le CS : Géorgie, Irak, Tchéchénie, Tibet ; pour une analyse de ces situations : Loweet al.(2008)passim

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