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Le système verbal des créoles martiniquais, guadeloupéen et haïtien

TROISIÈME PARTIE

I. Les systèmes verbaux du français et des créoles de l’océan Indien et de l’océan Atlantique

I. 6. Le système verbal des créoles martiniquais, guadeloupéen et haïtien

I. 6. 1. Le verbe en créole antillais

Nous revenons sur les propos de Valdman (1978), de Tourneux & Barbottin (2008) et de Hazael-Massieux (2011). Valdman (1978 : 210) note que « l’invariabilité du verbe rend difficile la démarcation entre le nom et le verbe ». Tourneux & Barbottin (2008 : 13) confirment cette invariabilité du verbe en créole antillais :

Le prédicat […] peut être un verbe […]. La marque de conjugaison, quand elle est visible, est insérée entre le sujet et le prédicat. Voici les principales particules qui permettent de donner au prédicat créole sa valeur temporelle ou aspectuelle.

absence de marque (0) : passé général On notera que cette marque ne peut s’employer qu’avec un prédicat verbal.

ka (2) :

On notera que le verbe est invariable à toutes les personnes […].

Hazaël-Massieux (2011 : 54) donne une description de ce qu’elle appelle « le verbe créole » :

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Le verbe créole est caractérisé par la quasi-invariabilité du lexème verbal (certains créoles de l’océan- Indien connaissent l’alternance entre forme longue et brève du verbe, motivée par le contexte (Li koz buku / Li kapav kozé) ; les valeurs du discours étant données par des particules préverbales variées et invariables qui permettent de faire passer les valeurs de temps, d’aspect et de modalité nécessaires.

Il nous paraît important de commenter ce propos. Beaucoup tendent à utiliser la formulation générique « le verbe créole » de manière abusive pour parler des verbes en créole faisant croire qu’il y a, ni plus ni moins, qu’un seul type de verbe en créole. Cette formulation générale laisse croire que tous les créoles obéissent aux mêmes principes. Or, ce n’est pas le cas : chaque créole possède dans son système verbal des marqueurs qui lui sont propres. Même si elles ont quelquefois les mêmes formes, elles n’ont pas les mêmes valeurs.

Selon Hazaël-Massieux (2011 : 54), les verbes antillais varient :

Dans la Caraïbe, on trouve parfois deux formes de la base mais qui sont en distribution libre, sans que l’on puisse établir des règles précises pour l’utilisation de l’une ou de l’autre forme. Ainsi en Guadeloupe, on peut aussi bien dire : mwen ké vini que mwen ké vinn « je viendrai ».

En réalité, les verbes antillais sont invariables : il n’existe aucune variation qui serait liée à des propriétés flexionnelles. Ils ne connaissent pas la morphologie flexionnelle : ce sont les marqueurs préverbaux qui portent le temps, l’aspect et le mode.

I. 6. 2. ét et avwar en martiniquais, guadeloupéen et haïtien

La plupart des énoncés en créole martiniquais sont des extraits du recueil Contes de nuits et de jours aux Antilles de Césaire (les initiales de l’ouvrage et le numéro de page sont indiqués à la fin des énoncés en créole). Les énoncés en créole haïtien sont issus du recueil Ravinodyab de Morisseau-Leroy (noté Ravinodyab suivi du numéro de page à la fin de nos énoncés créoles).

Pour le reste, il s’agit d’énoncés spontanés de la vie de courante.

I. 6. 2. 1. ét dans les créoles martiniquais, guadeloupéen et haïtien

ét revêt plusieurs rôles dans les créoles martiniquais, guadeloupéen et haïtien.

I. 6. 2. 1. 1. ét en tant que copule

I. 6. 2. 1. 1. 1. Recueil des données, description et classification

Dans nos énoncés en créole guadeloupéen, martiniquais et haïtien, la copule est parfois absente ou se présente sous la forme yé ou sé. Exemples avec :

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L’absence de la copule être, soit la copule ϕ

I chiré (gua / mar) « Il / elle est déchiré(é) » An kontan (gua) « Je suis content »

Ou bel (gua/ mar / haï) « Tu es belle »

Nou rivé (gua /mar haï) « Nous sommes arrivés » W-anform ? (haï) « Tu es en forme ? »

I malad (gua/ mar) « Il est malade » M-lékol (haï) « Je suis à l’école » M-lopital (hai) « Je suis à l’hôpital »

Ki moun ki la ? (CNJA, p.25) « Qui est là ? »

Sé moin, Malin-pasé-Rwa ki la ! (op.cit., p.25) « C’est moi Plus-malin-qu’un-Roi qui suis là ! » Plis li piti, plis li difisil pou kase an de. (Ravinodyab, p.12) « Il est bien plus difficile de fendre en deux le plus petit »

M-pa nèg ki di m-ap fé on bagay pou m-pa fè-l. (op.cit., p.21) « Je ne suis homme à faire une promesse pour ne pas la tenir »

Men nou présé (op.cit., p.33) « Je suis pressé »

Nou lakay nou. Antre chita (op.cit., p.82) « Vous êtes chez vous. Entrez vous asseoir »

Mari-m mouri. Manman-n mouri. Gen vennsenk an depi nou deyò (op.cit., p. 87) « Mon mari est mort.

Ma mère est morte. Il y a vingt-cinq que nous sommes dehors » L-ansent (op.cit., p.100) « Elle est enceinte »

M-rich, rich, Bibit, ak tout fanmi-m, ak tout zanmi-m (op.cit., p.106) « Je suis riche, riche, bibit, ainsi que toute ma famille, ainsi que tous mes amis »

yé

I mandé bèl-mè-ï ki koté Adelaide yé (CNJA, p.11) « Il demanda à la vieille : où est- elle partie ? » Ola ou yé ? (gua / mar) « Où es-tu ? »

Ki koté ou yé ? (gua/ mar/ haï) « Où es-tu ? »

Épi, pitit fy ou byen kote l-ye a. L-ansent (Ravinodyab, p.100) « Et puis, votre fille est tellement bien là où elle est. Elle est enceinte »

sé

Se fini (op.cit., p.40) « C’est fini »

Potchanm, se on seksyon riral komin Grangozye (op.cit., p.95) « Pot de Chambre est une section rurale de la commune de Grand-Gosier »

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Konnen Pa Mal, se on kokken henn twou anba tè ki gen Lansapit (op.cit., p.97) « Konin-Pa-Mal est une immense grotte des Anses-à-Pîtres »

I. 6. 2. 1. 1. 2. Essai d’explication pour les trois créoles considérés

Dans notre corpus, la copule ét est rendue de trois façons différentes dans les créoles martiniquais, guadeloupéen et en haïtien : ϕ, yé, ou sé.

L’absence de la copule ét

La copule ét prend la forme ϕ (il n’est pas exprimé) devant un adjectif. Reprenons des exemples : Pyé kontan (gua / mar) « Pierre est content »

An kontan (gua) « Je suis content »

M-rich, rich, Bibit, ak tout fanmi-m, ak tout zanmi-m. (Ravinodyab, p.106) « Je suis riche, riche, Bibit, ainsi que toute ma famille, ainsi que tous mes amis »

La copule ét prend également la forme ϕ devant un complément indiquant le temps, la manière ou le lieu comme dans les exemples : I katré (gua / mar) « Il est quatre heures » et M-lékol (hai)

« Je suis à l’école ».

yé

La copule ét peut être rendue par yé. Cette forme apparaît aussi bien dans les structures interrogatives directes, comme par exemple Ki koté ou yé ? (gua / mar/ haï) « Où tu es ? », que dans les structures interrogatives indirectes, comme, par exemple, I mandé bèl-mè-i ki koté adelaide yé (CNJA, p.9) « Il demanda à la vieille : où est-elle partie ? ». Les exemples de notre corpus montrent que la copule est toujours placée en fin de phrase. Jamais nous ne la retrouverons en début ou en milieu d’énoncé : l’énoncé : Ki koté ou yé ? « Où tu es ? » est grammatical ; a contrario, les énoncés :*Ki koté yé ou ? et *Yé ki koté ou ? sont agrammaticaux.

La copule yé a une place bien précise au sein de l’énoncé : elle compose le dernier élément de celui-ci.

sé

La copule ét peut être rendue par sé. Il a un homonyme qui se présente sous la même forme et qui est employé comme présentatif. Alors comment différencier ces deux formes homonymes ? Bernabé & Pinalie note (1999 : 66) qu’à la forme négative sé copule disparaît tandis que le sé à valeur présentative reste.

sé en tant que copule se manifeste devant un groupe nominal comme dans l’exemple : Potchanm, se on seksyon riral komin Grangozye (Ravinodyab, p.95) « Pot de Chambre est une

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section rurale de la commune de Grand-Gosier ».

La copule sé peut être suivie du marqueur du passé té (soit la forme sété) pour former l’imparfait français comme dans l’exemple : Pi bon zanmi-m se te lolo, kouzin mwen (op.cit. p.96) « Ma meilleure amie était ma cousine Lolo ». Dans ce cadre, la particule précède toujours immédiatement la particule té : un énoncé tel *Pi bon zanmi-m té se Lolo, kouzin mwen est agrammatical. Le marqueur té est l’un des seuls marqueurs qui peut suivre la forme sé.

Dans notre corpus, nous avons relevé que la copule peut prendre trois formes. Toutefois, Bernabé & Pinalie (1999 : 66) notent une quatrième forme de la copule : la forme ét qui apparaît selon eux dans le créole francisé. Ils notent son absence quand le pronom personnel i permet la forme ϕ devant un attribut comme dans l’exemple Pyè fè sa pou i (pé sa) chomè « Pierre a fait ça pour être chômeur » et sa présence quand il n’y a pas de pronom personnel comme dans l’exemple Pyè fè sa pou èt chomè. Ils déclarent que la forme ét devient utile dans des énoncés équivoques tels I lé èt an bon dòkté « Il (elle) veut être un bon médecin », I lé an bon doktè « Il (elle) veut un bon médecin ».

I. 6. 2. 1. 2. ét en tant qu’auxiliaire (à la manière de l’auxiliaire ét en créole réunionnais) existe-t-il dans les créoles martiniquais guadeloupéen et haïtien ?

Nous pouvons nous demander si ét existe en tant qu’auxiliaire dans ces trois créoles comme il existe en créole réunionnais ou s’il n’existe pas, auquel cas nous serions dans la même configuration que les créoles mauricien et seychellois où ti est marqueur du passé et non auxiliaire.

Si ét dans les créoles antillais existait à la manière de l’auxiliaire ét en créole réunionnais, nous aurions six formes conjuguées de celui-ci. Or ce n’est pas le cas. En réalité, le té des créoles antillais est invariable : il s’agit du marqueur préverbal du passé.

Résumé

ét en tant que copule peut être rendu de diverses façons dans les créoles de l’Atlantique : la forme zéro, yé, sé, ét. Dans notre corpus, trois formes : la forme zéro, yé, et sé apparaissent. Ces formes ont des règles de fonctionnement différentes. L’absence de la copule ét correspond schématiquement à :

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nom ou pronom + ϕ + adjectif

complément de temps complément de lieu complément de manière

La copule yé pour sa part trouve sa place dans les structures interrogatives où il est placé en fin de phrase tandis que la copule (qu’il ne faut pas confondre avec son homonyme : le présentatif) se retrouve devant un nom. Enfin, nous avons pu voir que té est non pas un auxiliaire mais un marqueur temporel du passé dans ces trois créoles.

I. 6. 3. avwar dans les créoles martiniquais, guadeloupéen et haïtien I. 6. 3. 1. Receuil des données, description et classification I. 6. 3. 1. 1. avwar dans les créoles martiniquais et guadeloupéen

avwar est rendu par plusieurs formes dans ces deux créoles. Exemples : La forme zéro

Man pé (mar) « J’ai peur » Man pé (mar) « J’ai faim » Ou frêt (gua / mar) « J’ai froid » La forme ni

Zôt sav bon mantè dwèt ni bon mémwa (CNJA, p. 11) « Vous savez que tout menteur a bonne mémoire. »

Jistèman man ni an travay ba-ou. Man ni an troupo mouton la (op.cit., p.19) « J’ai, en effet, un travail à te proposer. Je possède un troupeau de moutons »

Missié lou Rwa, ni an boug ki vini fou ! I ka krasé porié-ou a ! (op.cit., p.25) « Monsieur le roi, il y a là un homme qui a perdu la raison ! Il casse le poirier ! »

Tan ni tan Tonèr tan ni tan Didié… (op.cit., p.53) « Le temps a le temps - Tonnerre Le temps a le temps - de Dieu… »

La séquence té ni (avec té marqueur du passé suivi de ni)

Mésiézédam, té ni an manman ki té ni an fi yo té ka kriyé Adélaide (op.cit., p.9) « Messeiurs et dames, il y avait une maman qui avait une fille qui s’appelait Adélaide »

Ti bolôm-la té ni an ti shouval yo té ka kriyé Shérina (op.cit., p.9) « Le garçon possédait un cheval qu’on appelait Chérina »

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I té ni an ti gason ki té tèlman piti ; yo té ka kriyé-ï Siyé-pa-tè (op.cit., p.53) « Il avait un garçon, si petit de taille qu’on l’appelait Essuie-par-Terre »

Mésiézédam, té ni an manman ki té ni dé ti manmay, dé gason (op.cit., p.79) « Messieurs et dames, il y avait une mère qui n’avait que deux fils »

I. 6. 3. 1. 2. avwar dans le créole haïtien

avwar peut prendre plusieurs formes. Exemples avec : La séquence gen

Émé gen yon pakét sé « Émé a beaucoup de sœurs »

Pèp la gen rezon di : pi piti pi rèd (Ravinodyab, p.12) « Le peuple a raison de dire que le plus petit est le plus fort »

Pèp la gen rezon lè nan chante a li di : kòmansman evenman gouvènman se menmman parèyman (op.cit., p.71) « Le peuple a raison de chanter : commencement gouvernement événement c’est mêmement et pareillement »

La séquence té gen (avec gen marqueur du passé suivi de gen)

Michan milatrès kou manman-l, dyana te gen on meleng nan janm li ki rete twa zan anvan l-geri (op.cit., p.73) « Une très jolie mulâtresse comme sa mère, elle avait à la jambe une plaie qui mit trois ans à guérir »

M-te gen anpil rezon pou m-renmen ri Potchanm. Tout longè ri Potchanm, se on sèl pyès glasi wòch.

(Ravinodyab, p.95) « À cela il y avait plus d’une raison. Sur toute sa longueur la rue du Pot de Chambre n’est qu’un seul rocher plus ou moins plat, bien plus dur que la pierre ordinaire. »

Lolo te gen menm laj ak mwen. (Ravinodyab, p.96) « Nous avions le même âge. »

I. 6. 2. 1. 3. 2. Essai d’explication

En créole martiniquais et guadeloupéen

Pour marquer l’actualisation, l’existence, les parlers des Petites Antilles usent de deux tournures : d’une part de la forme ϕ : dans ce cas de figure, les énoncés expriment un sentiment ou bien encore des sensations comme dans l’exemple Man pé (mar) « J’ai peur » et d’autre part de la forme ni qui a une valeur existentielle équivalent du français « il y a ». La forme ni peut également indiquer la possession comme dans l’exemple Jistèman, man ni an travay ba-ou Man ni an troupo mouton la (CNJA, p.19) « J’ai, en effet, un travail à te proposer. Je possède un troupeau de moutons ». Au passé, ni est précédé de té comme dans l’exemple I té ni an ti gason ki té tèlman piti, yo té ka kriyé-i Siyé-pa-té (op.cit., p.53) « Il avait un garçon, si petit de

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taille qu’on l’appelait Essuie-par-terre ». Enfin, ni ne sert jamais d’auxiliaire de prédication.

En créole haïtien

Pour marquer l’actualisation, l’existence, le créole haïtien emploie un synonyme de avwar : le verbe gen qui vient de « gagner »155 comme dans l’exemple Pèp la gen rezon di : pi piti pi rèd (Ravinodyab, p.12) « Le peuple a raison de dire que le plus petit est le plus fort ». Au passé, la forme gen est précédée du marqueur du passé té comme dans l’exemple Lolo te gen menm laj ak mwen (Ravinodyab, p.96) « Nous avions le même âge ». Au sein de l’énoncé, gen est toujours précédé de té. Ainsi, un énoncé tel *Lolo gen té menm laj ak mwen est agrammatical.

Résumé

Le verbe avwar n’est pas exprimé de la même manière dans les créoles de l’océan Atlantique.

Dans les créoles martiniquais et guadeloupéen, awar peut prendre la forme zéro ou la forme ni.

ni marque également l’existence tandis qu’en créole haïtien avwar est rendu par le verbe gen qui vient de « gagner ».

I. 6. 4. État des lieux sur les marqueurs préverbaux des créoles de l’océan Atlantique

Plusieurs chercheurs (Bernabé, Confiant, Valdman, etc.) se sont intéressés aux marqueurs préverbaux des créoles guadeloupéen, martiniquais et haïtien. Ils sont nombreux à distinguer deux systèmes. Par exemple, Bernabé (2007) indique :

La Guadeloupe et la Martinique (800.000 locuteurs sur place, répartis de façon à peu près égale entre les îles) relèvent du groupe dit des créoles en ka (morphème à valeur durative), par opposition aux créoles en ap concernant les créoles d’Haïti et de la Louisiane.

De même, Damoiseau (2014) indique :

C’est au prédicat que se rattachent les éléments comme ka, comme ap (CH), comme té, comme ké, qui expriment l’aspect, le temps et le mode. Ces éléments constituent des systèmes, cela signifie qu’ils sont organisés de façon cohérente et stricte : ces systèmes sont appelés « systèmes aspecto-temporels et modaux ». On parle de système en ka pour les trois créoles (guadeloupéen, martiniquais, guyanais); et de système en ap pour le créole haïtien.

Dans cette section, nous revenons sur plusieurs travaux antérieurs.

I. 6. 4. 1. Les travaux de Valdman (1978)

155 Il y a eu une dérive sémantique dans les créoles : gagner > obtenir > avoir > y avoir.

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Les travaux de Valdman constituent une des contributions les plus importantes en ce qui concerne les travaux sur le créole des Antilles, notamment sur le créole haïtien. Selon Valdman, le système aspecto-temporel se compose d’une forme zéro à valeur d’aoriste et de trois oppositions : ponctuel / non-ponctuel ; prospectif / non prospectif ; antérieur / non antérieur.

I. 6. 4. 1. 1. Le système aspecto temporel du créole haïtien selon Valdman Valdman propose ceci pour le système aspecto-temporel du haïtien (1978 : 215) :

aspects non-continuatif continuatif temps

non prospectif ap non-passé

t ap passé

prospectif a av ap non-passé

ta t av ap passé

Tableau 37 : Le système aspecto-temporel du créole haïtien selon Valdman (1978 : 215)

Pour Valdman, le marqueur ϕ exprime l’aspect accompli, le présent non-continuatif, l’aspect neutre, l’injonctif et l’habituel. Le marqueur té est un marqueur du passé, le marqueur ap exprime l’état ou un procès en cours et le marqueur a (et ses variantes va, ava) est le marqueur du prospectif : il exprime la futurité. Le conditionnel est indiqué par la combinaison de marqueurs té et ap. Enfin, les formes fine et fek sont pour lui des semi-auxiliaires qui expriment différentes nuances de l’accompli.

I. 6. 4. 1. 2. Les marqueurs prédicatifs des parlers des Petites Antilles et de Guyane

Valdman explique (1978 : 218-219) que le système des marqueurs prédicatifs des Petites Antilles et de la Guyane est proche de celui de Haïti :

Du point de vue sémantico-syntaxique le système des MP156 des parlers des Petites Antilles et de la Guyane s’apparente à celui d’Haïti malgré d’importantes différences dans la forme des marqueurs […] et des différences du contenu sémantique. Sur le plan fonctionnel les deux systèmes se distinguent surtout par les valeurs notionnelles qu’assument le MP continuatif et le marqueur zéro.

Il dresse un tableau qui recense les marqueurs prédicatifs des parlers des Petites Antilles et de la Guyane (1978 : 219) :

156 Marqueurs prédicatifs.

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aspect non-continuatif continuatif temps

non prospectif

ka non-passé

té ka passé

prospectif ké / kai ké ka non-passé

té ké té ké ka passé

Tableau 38 : Le système aspecto-temporel des parlers des Petites Antilles et de la Guyane selon Valdman

(1978 : 219)

Selon Valdman, le marqueur ka peut exprimer le progressif, l’itératif, l’habituel et peut prendre une valeur prospective. Il indique que ka peut également exprimer l’inchoatif157 et le duratif158. Enfin, il note que le marqueur ké est souvent remplacé par kay dans les parlers des Petites Antilles et par key dans le créole de la Martinique.

Valdman distingue les semi-auxiliaires des marqueurs prédicatifs. Il remarque que l’auxiliaire se retrouve sous une forme tronquée. Pour lui, sòt, vinn, pran, sa, kapab sont des verbes-auxiliaires ; fok / i fo / fo, pinga / pengad / annou, kité des auxiliaires présentatifs et bezouen / bisen, manké, pito, tonbé, trouvé, vlé des semi-auxiliaires. Enfin, il distingue également des syntagmes verbaux de type verbe + verbe : le second verbe introduit une structure infinitivale dépendant du premier.

I. 6. 4. 2. Les travaux de Bernabé (1983)

I. 6. 4. 2. 1. Une présentation critique des travaux de Valdman

Dans son ouvrage (1983 : 1032-1033), il fait une présentation critique des travaux de Valdman. S’il est en accord avec certains des faits décrits par celuic-ci (distinction de deux temps en créole, etc.), il reste en désaccord sur un grand nombre de points :

Valdman fait fonctionner à tort le parallélisme suivant : ϕ + ka / té + ka / ké +ka / (té) + ké + ka. S’agissant de la séquence (té) ké + ka, Valdman se sera manifestement laissé abuser par les sources livresques, non-contrôlées à partir de protocoles d’enquêtes pertinents.

Certes, la succession (té) ké + ka existe, mais elle ne fonctionne absolument pas dans les mêmes conditions que les autres séquences ci-dessus mentionnées. Ce qui marque précisément la marginalité de la séquence (té) ké + ka, c’est qu’elle ne peut se produire que dans le cadre d’une phrase complexe. […]. Cette mauvaise appréciation du fonctionnement de la particule aspectuelle ka a des répercussions implicites sur le statut qui est attribué à

Certes, la succession (té) ké + ka existe, mais elle ne fonctionne absolument pas dans les mêmes conditions que les autres séquences ci-dessus mentionnées. Ce qui marque précisément la marginalité de la séquence (té) ké + ka, c’est qu’elle ne peut se produire que dans le cadre d’une phrase complexe. […]. Cette mauvaise appréciation du fonctionnement de la particule aspectuelle ka a des répercussions implicites sur le statut qui est attribué à