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Créole en référence à la langue et à la personne

III. Créole, créoles, créolisation

III. 2.1.2. Créole en référence à la langue et à la personne

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À l’heure actuelle, lorsque nous reprenons le terme « créole », celui-ci renvoie à plusieurs notions : « créole » fait référence à la langue, à la culture et à la personne.

III. 2. 1. 2. 1. Créole en référence à la langue III. 2. 1. 2. 1. 1. Une identité mise à mal

Nous parlons aujourd’hui de « langues créoles » mais il faut dire que cette étiquette que nous lui donnons a souvent été mise à mal : l’identité des langues créoles a souvent été altérée par des visions erronées. Diverses appellations leurs ont été données. Baissac (1880) par exemple, identifie le créole mauricien à un « patois »26. L’idée qu’il se fait de ce créole est, à l’époque, très péjorative (1880 : 22) 27:

[…] Le parler qui nous occupe est-il dialecte, langue ou patois ? À prendre chacun de ces termes dans son acceptation rigoureuse, le créole ne saurait prétendre à aucun. Les dialectes, en effet, sont comme autant de ruisseaux, qui sortis du même versant, coulent d’abord dans des lits séparés, jusqu’au moment où celui d’entre eux que les hasards du terrain ont fait plus important que les autres, les reçoit tous à titre de tributaires entre ses bords plus spacieux, où leurs eaux réunies vont couler désormais confondues. À ce moment les ruisseaux sont devenus rivière, et les dialectes langue. Le créole n’est, on le voit, ni une langue ni un dialecte.

Est-ce du moins un patois ? Mais un patois est l’héritier direct et légitime d’un dialecte ; c’est en plein sol natal, le rejeton d’un arbre, fécond jadis, duquel s’est retirée toute culture, mais dont les fruits dégénérés ne laissent pas de rappeler la saveur des anciens jours. Les dialectes précèdent l’unité de la langue, les patois survivent aux dialectes, après que la langue unifiée a attiré à elle toutes les forces vives du langage. Le créole, on le voit encore, n’est pas plus un patois qu’un dialecte ou une langue.

Resterait le mot jargon, que nous devrions peut-être préférer à cause même de son manque de précision. Mais l’usage avait décidé avant nous en faveur du mot patois. On nous pardonnera : le terme n’est rien moins qu’ambitieux.

26 À ne pas confondre avec le jargon ou le sabir : voici les définitions de ces deux notions d’après le dictionnaire de Mounin (1974 : 187 & 291) (nous utilisions l’édition de 2004). Jargon : Mot de la langue courante, synonyme tantôt d’argot, tantôt de galimatias. Sabir : Langue de relation née du besoin de communiquer éprouvé par les groupes de langue maternelle différente. Les sabirs proprement dits sont des langues mixtes, dont le type le plus souvent cité est la lingua franca des ports de la Méditerranée d’autrefois : on y trouvait, à côté d’éléments hétérogènes en petit nombre, une dominante de lexique italien et espagnol. Les sabirs ont un lexique sommaire, limité à des besoins spécialisés, une morphologie invariante, et une syntaxe très simplifiée par rapport aux langues où ils puisent. Les sabirs ne sont jamais langue maternelle, et s’apprennent lorsqu’en naît le besoin.

27 Nous utilisons l’édition de 2011.

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Il paraît évident que le linguiste semble influencer par les critères de classification en place lors des siècles précédents faisant par exemple, du grec, du latin et de l’hébreu, entre autres, des modèles linguistiques par excellence tandis que les autres langues vernaculaires sont mises au second plan et considérées comme moins intéressantes.

Dans certains cadres théoriques, « pidgin » et « créole » ont souvent été associés (à tort, pensons-nous : voir Bickerton 1981, 1984). Nous proposons de revenir sur ces différentes notions ; nous optons pour les définitions du dictionnaire de Mounin (1974 : 251, 263 & 92) :

Patois : Type de parler caractérisé par une divergence avec la langue commune, mais surtout par l’attitude du locuteur qui considère ce parler comme inférieur (socialement) à la langue commune, et réservé à des usages restreint, familiaux, sociaux, locaux.

Pidgin : On donne souvent le nom de pidgin aux sabirs d’origine anglaise, comme le pidgin-english du Cameroun ou le beach-la-mar (bêche-de-mer) du Pacifique.

En sociolinguistique, on tend à distinguer plus précisément les pidgins des sabirs, en cela que les pidgins sont moins spécialisés dans leurs emplois que les sabirs, et qu’ils résultent d’un effort d’imitation du modèle prestigieux. Ainsi, ce qu’on appelait sabir dans le Maghreb de la colonisation était, strictement, un pidgin à base de français. Comme les sabirs, les pidgins ne sont jamais appris en famille.

Créole : Langue qui ne se distingue d’un pidgin que par le fait qu’elle se transmet de parents à enfants, devenant ainsi la seule langue de certaines communautés. Ces communautés sont le plus souvent de race noire, et l’histoire des créoles est liée à celle de l’esclavage.

Il existe des créoles à base d’anglaise, de français et de portugais ; ils peuvent être vus comme des variétés de ces langues devenues autonomes. Les exemples les plus souvent cités sont ceux des Caraïbes, en particulier le créole français d’Haïti, langue populaire unique d’un état indépendant depuis un siècle et demi.

Nous proposons à présent notre propre analyse des notions de « pidgin » et « créole » qui - nous l’avons dit supra - ont souvent été associés à tort. Selon nous, « pidgin » et « créole » sont tous les deux des langues de contact.

Ce qui caractérise le plus nettement les créoles ce sont les conditions socio-historiques présidant à leur genèse. Les créoles sont nés sur les terrains avec système de plantation. S’il n’y a pas de système de plantation, ce sont des pidgins. Le critère le plus intérressant pour classer les langues de contact en type est selon nous d’ordre linguistique : selon que le parler est exogène ou endogène (Chaudenson 1974, Mufwene 2006). Considérons par exemple les cas du tok pisin

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et du créole réunionnais : le tok pisin est pour nous un pidgin endogène car il a été formé « au contact d’une population autochtone (originaire du pays qu’il habite, dont les ancêtres ont vécu dans le pays) servile ou non, et d’un groupe d’Européens colons ou commerçants » tandis que le créole réunionnais (il en est de même pour les autres créoles de l’océan Indien) est un créole exogène, car c’est un parler qui s’est formé par « contact de groupes linguistiques placés dans des situations radialement différentes […] le système de plantation [a amené] à déporter [depuis] l'Afrique une main d’œuvre servile propre à remplir les tâches que les colons ne pouvaient accomplir » (Chaudenson 1974 : 389/391).

Nous pouvons dire que les créoles (créole réunionnais, créole mauricien etc.) ne sont ni des jargons, ni des patois, ni des sabirs, ni des pidgins : les créoles sont bel et bien des langues28 récentes formées à la suite de la colonisation. Nous souscrivons à l’hypothèse de Chaudenson (2002 : 32) selon laquelle :

Les créoles sont des langues récentes puisqu’elles se sont constituées à la suite de la colonisation européenne qui, dans le cas des créoles français, s’est opérée à la fois dans la zone américo-caraïbe (Antilles et Amérique) dans la première moitié du XVIIe siècle et dans l’océan Indien au milieu du XVIIe siècle (les premiers français s’installant à la Réunion en 1665 après l’échec de la colonisation de Madagascar).

Chaudenson (2002 : 37) souligne également le fait que les créoles sont des langues autonomes par rapport au français, les créoles s’étant formés à partir des variétés orales, populaires et régionales du français :

Les créoles sont des systèmes autonomes qui se constituent au mo ment où les sociétés coloniales atteignent le stade économique et social que caractérise la mise en place des agro-industries coloniales. Les masses d’esclaves nouveaux ne sont plus désormais en contact qu’avec d’autres esclaves dont ils vont apprendre des variétés de français, elles-mêmes approximatives, sans confrontation réelle avec le modèle linguistique central. Le français déjà koinéisé dans la première phase de ces sociétés, va ainsi se transformer sous l’effet des stratégies d’appropriation, pour aboutir à l’émergence de variétés de plus en plus autonomes qui vont, à leur tour, servir de cibles linguistiques aux nouveaux arrivants.

28 Rappelons ici la définition de « langue » selon Martinet (2008) : il définit la langue comme « un instrument de communication selon lequel l’expérience humaine s’analyse, différemment dans chaque communauté, en unités douées d’un contenu sémantique et d’une expression phonique, les monèmes ; cette expression phonique s’articule à son tour en unités distinctives et successives, les phonèmes, en nombre déterminé dans chaque langue, dont la nature et les rapports mutuels différent eux aussi d’une langue à une autre ».

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III. 2. 1. 2. 1. 2. Les langues créoles : plusieurs zones, plusieurs bases

Les langues créoles se sont développées dans plusieurs zones géographiques. Nous retrouvons essentiellement les créoles à bases française, anglaise, portugaise néerlandaise et espagnole29.

Les créoles à base lexicale française se sont développés dans plusieurs zones géographiques.

Nous pouvons les regrouper en deux zones distinctes : la zone de l’océan Indien où nous retrouvons les créoles réunionnais, mauricien et seychellois et la zone américo-caraïbe où nous retrouvons les créoles louisianais, haïtien, guyanais et ceux des Petites Antilles.

Les créoles à base anglaise se sont développés dans la zone Atlantique (créoles jamaïcain et miskito) ; dans la zone Surinam-Guyane (créoles aluku-ndjuka-paramaka, saramaka matawari et sranan tango) ainsi que dans la zone Atlantique-nord (gullah, créole afoséminole, créole des Bahamas, créole des turks et caicos) et dans la zone Atlantique sud et des Antilles (leeward carebaen créole ou kokoy). Les créoles à base anglaise se sont également développés dans la zone Pacifique (kriol, bislama, torres strait créole, solomon pidgin, tok pisin, haiwaiian pidgin) et enfin dans la zone Afrique (krio)30.

Les créoles à base portugaise se sont développés en Haute-Guinée (créole du Cap vert, créole de Guinée-Bissau et le créole de Casamance) et dans le Golfe de Guinée (fa dambu, angolar, forro, principense, n’gola). Les créoles à base portugaise se sont aussi développés dans la zone asiatique (créole indo-portugais, créole de Macau) ; dans la zone Malaio-Portugal (papia kristang, portugis, portugais de Bidau, Malais); dans la zone sino-Portugal (patuà macaense) et enfin dans la zone Amérique (papiamento, cafundo).

Les créoles à base espagnole se sont développés dans la zone des Philippines où nous

29 Listing effectué à partir des articles suivants :

« Créole : l’aménagement linguistique dans le monde » disponible en ligne sur : http://www.axl.cefan.ulaval.ca/amsudant/creole.htlm

« Créoles à base anglaise » disponible en ligne sur : http://www.sorosoro.org/creoles-de-base-anglaise/

« Créoles à base lexicale portugaise » disponible en ligne sur : http://www.sorosoro.org/creoles-de-base-portugaise/.

30 Une certaine tradition les appelle « créoles » mais ce n’est pas conforme à la définition de Chaudenson : ce sont plutôt des pidgins.

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retrouvons le chabacano, dans la zone colombienne où nous retrouvons le palenquero et enfin dans la zone de Gilbratar où nous retrouvons le yanito.

Les créoles à base néerlandaise se sont développés dans la zone des Antilles néerlandaises (papiamentu) et la zone indonésienne (petjoh et javindo).

III. 2. 1. 2. 2. Créole en référence à la personne

Une définition simple voudrait que la personne créole soit née dans une île. Cependant, cela est plus complexe qu’il n’y paraît : le terme créole en référence à la personne prend des sens différentes selon le contexte dans lequel nous nous trouvons (historique, social, ou géographique).

III. 2. 2. Créolisation : créolisation culturelle et créolisation linguistique

Le terme « créolisation » appelle à plusieurs notions : nous distinguons par exemple la créolisation culturelle, la créolisation linguistique, etc.

III. 2. 2. 1. La créolisation culturelle

Glissant (1997 : 37) donne une définition culturelle de la créolisation. Selon lui, il s’agit de

« la mise en contact de plusieurs cultures ou au moins de plusieurs éléments de cultures distinctes, dans un endroit du monde, avec pour résultante une donnée nouvelle, totalement imprévisible par rapport à la somme ou à la simple synthèse de ces éléments » ; mais nous allons voir que ce terme renvoie à des notions beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît.

III. 2. 2. 2. La créolisation linguistique

Pour donner une définition complète de la créolisation linguistique nous proposons la définition de Chaudenson (2002 : 34) :

La créolisation résulte de l’appropriation « sauvage » (= non guidée) de variétés de français ancien, populaire et régional, déjà elles-mêmes restructurées dans ces colonies par koinéisation. La disproportion entre les populations blanche et noire, quand s’installent les

« sociétés de plantation », entraîne pour la plupart des nouveaux arrivants, une forme de rupture avec le modèle linguistique central. Ce sont les stratégies d’appropriation

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linguistique qui, s’exerçant sur les variétés elles-mêmes approximatives des esclaves chargés désormais de l’encadrement, vont conduire à l’émergence et à l’institutionnalisation des systèmes nouveaux que sont les créoles.