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L’indice i dans les premiers textes écrits

DEUXIÈME PARTIE

I. Le marqueur i en créole réunionnais 1. Introduction

I. 2. L’indice i dans les premiers textes écrits

Les textes anciens écrits dans les différents créoles permettent de reconstituer leur évolution et leur histoire. Ils nous offrent, entre autres, des informations capitales sur la formation des différents systèmes verbaux. Le tout premier texte créole est un texte écrit en 1757 par Duvivier de La Mahautière. Il s’agit d’un poème qui s’intitule Lisette quitté la plaine. Le premier ouvrage écrit en créole mauricien date de 1820 : Le Bobre africain écrit par François Chrestien. Du côté de la Réunion, le premier ouvrage écrit en créole réunionnais est Fables Créoles et explorations dans l’intérieur de l’île Bourbon écrit par Louis Héry et publié en 1828. Le premier ouvrage en seychellois est celui de Rodolphine Young : il s’agit d’une traduction des Fables de La Fontaine.

Les textes anciens ont fait l’objet d’études conséquentes : Chaudenson (1981) s’est intéressé aux textes créoles écrits en réunionnais et mauricien ancien et Hazaël-Massieux (2008) s’est intéressée, pour sa part, aux textes anciens de la Caraïbe.

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Pour notre part, nous nous intéresserons principalement aux créoles réunionnais et mauricien.

Notre but n’est bien évidement pas ici de décrire complétement l’état ancien des systèmes verbaux mais d'en donner un bref aperçu. Notre étude porte principalement sur l’indice i. Il y a ici, un double enjeu : d’une part voir si l’indice i est présent dans le système verbal du créole réunionnais ancien : si son usage est moindre ou, au contraire, s’il est plus usité qu’aujourd’hui et d’autre part, s’il a, un jour, existé dans le système verbal du créole mauricien ancien. Pour cela, nous explorons les Fables de Héry (1828) et de Le Bobre africain de Chrestien (1820)40.

I. 2. 1. L’indice i en créole réunionnais ancien

Nous proposons d'examiner un petit échantillon d’énoncés en créole réunionnais ancien afin de voir si le marqueur i est présent.

I. 2. 1. 1. L’expression du passé

I. 2. 1. 1. 1. Recueil des données, description et classification

Le passé s'inscrit de différentes manières dans le recueil de Héry. Exemples avec : Le marqueur y + suffixe -ait :

Li causait ensemb’ son z’amis (Fables créoles, p.15) « Il parlait avec ses amis » Viniss y riait tou comme ein folle (op. cit., p.21) « Viniss riait comme une folle » La séquence l’était qui :

Li morgrogn’, li l’était qui plère (op. cit., p.25) « Il râle, il pleurait » Le marqueur la :

Cat la saut’sis la tabl’ (op. cit., p.31) « Le chat a sauté sur la table »

Z’aut l’a coup’ son collet sans tarder davantaze (op. cit., p.30) « Ils ont coupé son cou sans tarder davantage »

Son gourmand la fait mort à li (op. cit., p.35) « Sa gourmandise l’a fait mourir » Moi l’a rempli mon gros bedaine (op. cit., p.43) « J’ai rempli mon gros ventre »

I. 2. 1. 1. 2. Essai d’explication

Le passé s’inscrit de trois manières dans l’ouvrage de Héry. Nous retrouvons la forme l’était qui. Reprenons l’exemple que nous avons recueilli : Li morgrogn’, li l’était qui plère (op.cit., p.25) « Il râle, il pleurait ». Pour une explication précise de cette séquence, nous proposons

40 Les éditions que nous utilisons sont respectivement celles de 2009 et 2011.

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l’explication de Watbled (2015 : 115) qui note « qu’historiquement, […] on a commencé par une périphrase imperfective progressive avec une relative progressive et une relative enchâssée au présent : zot lété ki mãz > zot lété i manz > zot té (i) mãz ». Selon lui, il y a une relation diachronique entre la particule té et la particule lété (k)i41.

Le passé est aussi indiqué par i suivi du verbe avec désinence en -ait comme dans l’exemple : Viniss y riait tou comme ein folle (op.cit., p.21) « Viniss riait comme une folle » ce qui correspond selon nous à l’imparfait flexionnel actuel i + suffixe -é comme dans l’exemple : Zot i dansé « Ils dansaient ».

Une troisième forme avec le marqueur l’a exprime l’aspect accompli.

I. 2. 1. 2. L’expression du présent

I. 2. 1. 2. 1. Recueil des données, description et classification

Dans notre corpus, l’expression du présent se manifeste avec le marqueur ϕ. Exemples : Moi dire à vous la vérité (op.cit., p.19) « Je vous dis la vérité »

Nout’ la langue y ramasse malhèr ensemb’ la honte (op. cit., p.24) « Notre langue ramasse le malheur et la honte »

Vous dimande à moi mon voitire (op. cit., p.25) « Vous me demandez ma voiture » Di l’eau y bouill ’dans la rivière (op. cit., p.26) « L’eau boue dans la rivière »

Z’aut’ y boire, y boire grand gorzée (op. cit., p.26) « Ils boivent, boivent de grandes gorgées » La honte y ’touffe à moi (op. cit., p.26) « La honte m’étouffe »

Z’aut’ mêm’mett au fé z’aut’ marmite (op. cit., p.26) « Vous mettez votre marmite au feu »

Moi dir’ dans n’vout l’oreille ça qu’mon plis gros pécé (op. cit., p.29) « Je vous dis dans votre oreille mon plus gros péché »

La soif y touffe, y trangle à moi (op. cit., p.43) « La soif m’étouffe, elle m’étrangle »

I. 2. 1. 2. 2. Essai d’explication

Le marqueur ϕ sert à exprimer l’expression du présent. Le verbe est nu. Dans les exemples que nous avons recueillis i apparaît parfois, la plupart du temps sous la forme écrite y. Tout comme en créole réunionnais actuel, ce y précède le verbe.

I. 2. 1. 3. L’expression du futur

I. 2. 1. 3. 1. Recueil des données, description et classification

41 Il s’agit d’un extrait de la note de bas de page n°25.

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Le futur est exprimé grâce aux marqueurs s’en va, va et à la désinence -ra. Exemples avec : Le marqueur s’en va :

Tout’ blancs gros’ têt’ s’en va promène en France (op.cit., p.23) « Tous les gros blancs s’en vont se promener en France »

Z’aut dé s’en va (op.cit., p.28) « Ils s’en vont » Le marqueur va :

Moi va rapporte à li l’ouvraze (op. cit., p.17) « Je vais lui rapporter l’ouvrage »

Moi va rapport’ mon bours’ tout plain. (op. cit., p.18) « Je vais rapporter ma bourse pleine » Moi va mett’dé, trois, dans’n troupeau (op. cit.,.18) « Je vais mettre quelque uns dans le troupeau » Moi va rôd’ ein bambou (op. cit., p.23) « Je vais chercher un bambou42 »

Vous va rafraîchir vout’ visage (op. cit.,.43) « Vous allez rafraîchir votre visage » La désinence -ra :

Moi n’don’ra pas vous ein bicique (op. cit., p.13) « Je ne vous donnerai pas un bichique43 » Maman vous n’gagn’ra pas la pomme (op. cit., p.20) « Maman, vous ne gagnerez pas la pomme » Vous n’sentira pas l’poids d’mon z’os (op. cit., p. 44) « Vous ne sentirez pas le poids de mes os » Vous n’manz’ra pas tout mon commère (op. cit., p.31) « Vous ne mangerez pas ma commère » Moi n’acout’ra plis l’ambition (op. cit., p. 49) « Je n’écouterai plus mon ambition »

I. 2. 1. 3. 2. Essai d’explication

L’expression du futur s’exprime de trois façons dans le recueil de Héry : s’en va, va et la désinence -ra. La forme s’en va n’est pas précédée de i comme il l’est en créole réunionnais actuel. La forme va semble être la forme la plus répandue dans ce recueil et tout comme en créole réunionnais actuel, elle n’est jamais précédée de i. Enfin, l’expression du futur marquée par la désinence -ra est plus rare. Les formes s’en va et -ra ne sont pas précédées par i comme elle le sont toujours pour sava et parfois pour -ra en créole réunionnais actuel.

I. 2. 2. L’absence de l’indice i en créole mauricien ancien

Existe-t-il un indice i en mauricien ancien ? Nous nous proposons d’explorer l’expression de la temporalité en créole mauricien.

42 Plante des régions tropicales ou subtropicales, à tige cylindrique, creuse et ligneuse, aux nœuds proéminents, à croissance rapide, et qui peut atteindre quarante mètres de hauteur. (Dictionnaire Le petit Larousse illustré (2013 : 102)).

43 Un bichique est un alevin. Cet énoncé est à comprendre comme « Je ne vous donnerai rien ».

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I. 2. 2. 1. L’expression du passé

I. 2. 2. 1. 1. Recueil des données, description et classification

L’expression du passé se manifeste avec le marqueur (é)té. Exemples :

Garçon qui té vidé flacon fair li-zié doux avec Lizon (Le Bobre africain, p.15) « Le garçon qui vidait les flacons fait les yeux doux à Lison »

Zamais moi té soupiré (op. cit., p.21) « Jamais je ne soupirais »

Ein torti’avec lièvre été voulé parié (op. cit.,p.41) « Une tortue et un lièvre ont voulu parier » Et li té perdi son pari (op. cit., p.42) « Et il a perdu son pari »

Li té cherché son compagnon (op. cit., p.31) « Il cherchait son camarade »

I. 2. 2. 1. 2. Bilan

Le passé44 est exprimé par le marqueur (é)té. Aucune trace de i n’est visible dans ces énoncés.

I. 2. 2. 2. L’expression du présent

I. 2. 2. 2. 1. Recueil des données, description et classification L’expression du présent se fait grâce au marqueur ϕ. Exemples :

Moi donné vous la viand’ salé (op. cit., p.7) « Je vous donne de la viande salée » Vous connais galopé bien vite (op. cit., p.8) « Vous savez courir bien vite » Moi dir vous li té zoli ! (op. cit., p.9) « Je vous dis qu’elle est jolie »

Donn’moi boir pour blié-li... (op. cit., p. 9) « Donne-moi à boire pour l’oublier » Moi vé pas souffri d’avantaze (op. cit., p.13) « Je ne veux pas souffrir davantage »

I. 2. 2. 2. 2. Bilan

L’expression du présent se fait grâce au marqueur ϕ. Dans le recueil de Chrestien, il n’y a aucune trace de i qui apparaît dans l’expression du présent.

I. 2. 2. 3. L’expression du futur

I. 2. 2. 3. 1. Recueil des données, description et classification Le futur s’exprime grâce au marqueur va. Exemples :

L’amour va fair’ moi vini bête (op. cit., p.9) « L’amour va me faire devenir bête »

Moi parié vous va fair’ mariaze (op. cit., p.11) « Je vous parie que vous allez vous mariez »

44 L’expression du passé est également exprimée grâce au marqueur fini qui marque l’aspect accompli. Exemple : Madam’ vous fini tendé […]. (Le Bobre africain, p. 35) « Madame vous avez entendu […] ».

63 Moi va vini (op. cit., p.19) « Je vais venir »

Lion dir’ : c’est moi qui va fair’ la partaze (op. cit., p.23) « Le lion dit : c’est moi qui vais faire le partage »

I. 2. 2. 3. 2. Bilan

Le futur s’exprime grâce à la particule va. Il n’y a aucune trace de i dans les phrases au futur avec va.

Résumé

En créole réunionnais ancien, nous avons retrouvé une trace de l’indice i (sous la graphie y le plus souvent) dans certains énoncés au présent et dans l’expression du temps passé avec la désinence -ait qui marque l’imparfait. Nous avons également recensé la forme l’était qui.

Nos analyses ont montré que l’indice i tel qu’on l’a en créole réunionnais ancien ou actuel n’existe pas en créole mauricien ancien45. En fait, nous pouvons dire que plus nous remontons dans le temps plus les deux créoles se ressemblent. Enfin, les différences sur l’indice i entre les deux créoles ne datent pas d’aujourd’hui.

I. 3. État des lieux des recherches sur le marqueur i du créole réunionnais L’indice i fait l’objet d’étude depuis très longtemps. Chaudenson (1974 : 966-967), reprend les études de Schuchardt et Galdi :

L’existence de ce morphème a été relevée dès les plus anciennes études. H. Schuchardt le note et tente de l’expliquer :

« Le créole de la Réunion présente à la différence de celui de Maurice et en accord avec beaucoup de dialectes romans européens, l’union régulière du pronom sujet atone avec le pronom accentué, mais le premier est le même pour toutes les personnes. Devant les voyelles c’est « l » par exemple : « moi l'est bien content voir à vous » … devant les voyelles [sic], « y », par exemple « moi y dit a vous... Nous y parle ». À la troisième personne du singulier cet « y » ne peut se manifester; on a « li voit », « li dit » qu’il faut comprendre

« li y dit ». Au r est e, cet « y » peut aussi manquer : « Moi conte a vous... Zaut'zir a li ».

Dans plusieurs cas, par exemple, devant le signe du futur (va), il n’est jamais exprimé. Il semblerait naturel de reconnaître dans « l » et « y », le pronom il : mais comme ce pronom ne vient pas d’ordinaire dans les parlers créoles, il est sans doute préférable d’y voir une forme abrégée du pronom plein « li » (lui) » (1860, pp.56-57 ; le même texte est repris dans l’article paru dans le revue Romania IX, 589-593).

Galdi (136, pp. 289-290) reprend l’étude du problème à partir des réflexions de Schuchardt : Il n’est pas étonnant, au point de vue de l’évolution générale, de retrouver le pronom copule

45 Il y a une forme y qui apparaît dans la locution y en-a mais elle n’est pas analogue à l’indice i en créole réunionnais ancien et actuel. Exemple : Vous té y en-a bonnet blanc. (Le Bobre africain, p.27) « Vous aviez un bonnet blanc ».

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(ou pronom pléonastique) parmi les compléments du thème verbal dans les parlers de la Réunion. En madécasso-créole cette particule est « l » devant les voyelles et y devant les consonnes : moi y dit à vous « je vous dit » (160, p.590). En madécasso-créole [sic] le pronom est « ni » ou « n’» : avous n'an dit : « vous avez dit » ibid., p.591. Dans ces parlers, le type de l’ordre des compléments serait : compl. personnel (sujet) + compl. pronom impersonnel (sujet pléonastique) + th. verbal46. Faute d’une documentation plus précise, ces considérations ne peuvent naturellement avoir qu’une valeur très hypothétique. » (136, p.290).

Par la suite, plusieurs chercheurs se sont également intéressés au marqueur préverbal i en créole réunionnais. Parmi eux, nous mentionnerons Chaudenson, Cellier, Staudacher-Valliamée et Ramassamy, entre autres. De ce fait, les hypothèses, qui sont nombreuses, se rejoignent où se différencient. Nous proposons de les classer selon deux catégories : la piste sémantique (temps, aspect) et la piste syntaxique. Nous pouvons classer Chaudenson, Staudacher-Valliamée et Caid dans la première catégorie (piste sémantique) et Cellier, Michaelis et Watbled dans la seconde catégorie (piste syntaxique). Ramassamy se retrouve dans les deux catégories.

Si tous les chercheurs semblent s’accorder à dire que l’indice i provient vraisemblablement du pronom français il, il n’en reste pas moins qu’ils sont en désaccord sur certains points (rôle de l’indice i ect.).

I. 3. 1. Les hypothèses sémantiques I. 3. 1. 1. La théorie de Chaudenson (1974)

I. 3. 1. 1. 1. L’hypothèse sociolinguistique des créoles de l’océan Indien

Chaudenson, spécialiste des créoles à base française, a fait un important travail (1974) concernant le lexique du parler créole à la Réunion. L’ouvrage s’ouvre sur une première partie sur le lexique tandis qu’une deuxième partie traite de l’étude à proprement parler de ce lexique.

Il revient brièvement sur les études qui ont été réalisées depuis 1870 sur la créolisation. Le linguiste (1974 : 443) considère que « toute réflexion sur la genèse et la formation d’un parler créole doit commencer nécessairement par une étude du peuplement ». Chaudenson ne pense pas que le processus de formation d’un créole soit lié à la rencontre de deux systèmes linguistiques. Il y a selon lui un emploi abusif du mot substrat (1974 : 1109) :

Nous avons précédemment utilisé ce terme en nous réservant de discuter cette notion qui a été souvent invoquée à propos de l’origine des créoles. (L. Adam, S. Sylvain, D. Taylor, M.

Valkhoff, A. Bentolila...). La définition du mot est bien connue, mais le concept n’est pas

46 Thème verbal.

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envisagé sans méfiance par un grand nombre de linguistes.

Chaudenson (1974 : 1111) écarte totalement l’idée d’un éventuel substrat :

Nous ne pouvons donc admettre, pour le réunionnais pas plus que pour les autres créoles de l’océan Indien, la définition qu’ont proposée certains linguistes : une langue dont le lexique est français, mais dont les structures grammaticales dérivent d’un autre idiome.

Son hypothèse du bourbonnais selon laquelle le bourbonnais est une composante majeure du créole mauricien est relaté supra.

I. 3. 1. 1. 2. Le marqueur i analysé par Chaudenson

Chaudenson (1974 : 966) relève la présence de l’indice i en créole réunionnais dès la fin du XVIIIe siècle47. S’agissant des pronoms personnels, il considère (1974 : 333), entre autres, que le pronom personnel mi est le résultat de la contraction de l’indice de la première personne du singulier m- et de la forme i « morphème du présent » :

[mi] ne constitue pas, en fait, véritablement un morphème personnel comme le montrent les distributions suivantes :

[m i dãs], [le bug i dãs], [zòt i dãs]

[m i suk], [lé syẽ i suk], [zòt i suk].

La comparaison avec le reste de la série des marqueurs personnels prouve que [m-] est l’indice de 1ère personne du singulier et que [i-] est le morphème du présent.

et le pronom personnel li comme le résultat d’une agglutination de li i (1974 : 334) :

[li dãs] ; [li la dãsé] ; [li] peut constituer une agglutination de [li i] : [li sãt], [le bug i sãt] revanche, devant les formes verbales à initiale voalique « l » se maintenait, et on a obtenu [la]

« il a », ou [lé] « il est ».

Cette distribution est importante car elle permet de comprendre la situation actuelle du morphème [i] en réunionnais. Synchroniquement on constate en effet que la série des morphèmes [mi], [vi], [li] [ni] [zòti] apparaît à d’autres temps que le présent : [mi sãté] « je chantais » ; [mi sãtra pa] « je ne chanterai pas ». En revanche, elle ne se rencontre jamais devant [la] ou [fini]. Il semble donc que [i] et [la] sont l’un est l’autre issus du tour précédant signalé,

« il » se réduisant à [i] devant les verbes à initiale le plus souvent consonantique, mais à [l]

devant l’initiale vocalique de l’auxiliaire « avoir ». (id. pour [lé]). Il en résulte que [i] et [la]

s’excluent mutuellement.

i est donc selon lui (1974 : 968)

soit […] un morphème de l’aspect non-achevé, soit […] il s’agit d’un morphème du présent qui

47 Chaudenson (1974 : 966) donne les exemples suivants : 1799 Vous y ne connaît pas, Faut que nous y tuent les blancs et il note que i apparaît avec le verbe « être » : Nous autres y les plus que les blancs.

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peut apparaître dans certains cas et à certains niveaux de langues à d’autres temps que le présent mais dans la mesure seulement où ils n’impliquent pas l’aspect achevé et où [i] précède directement le thème verbal (imparfait en [-é] ; futur négatif en [-ra]. La comparaison avec le seychellois nous fait plutôt pencher en faveur de la seconde hypothèse.

I. 3. 1. 2. La théorie de Staudacher-Valliamée (2004) I. 3. 1. 2. 1. Le cadre théorique de Staudacher-Valliamée

Staudacher-Valliamée va dans le même sens que Chaudenson. Pour elle, i est un marqueur aspectuel.

I. 3. 1. 2. 2. L’indice i analysé par Staudacher-Valliamée

Staudacher-Valliamée (2004 : 88) examine l’unité i comme un marqueur aspectuel qui a pour spécificité de déterminer le verbe de manière individuelle. Selon elle, il peut aussi se combiner avec d’autres marqueurs (mais pas plus de trois) pour indiquer les différents types de procès exprimés par le verbe. Lorsqu’elle examine l’indice i Staudacher-Valliamée parle d’entrée en procès :

Le marqueur pré-verbal i indique l’entrée en procès i manzh « mange ». i atteste une valeur temporelle non passé, non futur (soit le présent traditionnel). i est exclu lorsqu’apparaît dans l’énoncé un prédicat d’un autre type exprimant l’identification comme lé, sa, zéro, sé […].

i laisse la place à la qui marque alors l’accompli la manzhé « a mangé », le progressif la pou manzhé « est en train de manger ». va est le marqueur du futur à la forme positive va manzhé « mangera ».

Elle donne pour preuve l’exemple suivant : Mon frer lé doktër, Mon frer ϕ in doktër, Mon frer sa in doktër, Mon frer sé in doktër « Mon frère est un médecin ». L’énoncé *mon frer i in doktër est agrammatical.

I. 3. 1. 2. 3. Quelques commentaires sur l’étude de Staudacher-Valliamée

Le terme « entrée en procès » mérite, selon nous, plus d’explication. Il en va de même pour l’expression du futur. En effet, qu’en est-il des variantes sava et -ra ? Nous pouvons nous demander quelle est la raison qui fait que i n’apparaît pas avec le marqueur va. De même, qu’est ce qui explique l’exclusion de i lorsque qu’apparaissent les morphèmes verbaux lé, sa, et zéro.

Il serait à notre sens plus judicieux d’utiliser les formules « accompli » et « inaccompli ».

Cela dit, nous voudrions apporter quelques précisions sur les propos de Staudacher- Valliamée qui ne s’attarde pas trop sur l’absence de i. Rappelons-le, elle déclare simplement que « i est exclu lorsqu’apparaît dans l’énoncé un prédicat d’un autre type exprimant l’identification comme la, sa, zéro ou sé » et appuie son propos sur l’exemple suivant : Mon frer lé doktër, Mon frer ϕ

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in doktër, Mon frer sa in doktër, Mon frer sé in doktër « Mon frère est un médecin ». L’énoncé

*Mon frer i in doktër est agrammatical. En créole réunionnais, le verbe ét est exprimé par la forme lé (l- étant le préfixe et -é le radical. Selon nous, l’indice i est incompatible avec le préfixe l-48. Ce préfixe l- a un rôle important : il a le même rôle fonctionnel que le préverbe i : c’est pour cela que i n’apparaît pas devant le préfixe l-. Selon nous, l’énoncé Mon frer ϕ in doktër est un énoncé non verbal et dans l’énoncé Mon frer sa in doktër, le sa reprend le groupe mon frer à la manière de « Ces chaussures elles sont jolies ». Enfin, sa constitue une mise en relief. Nous avancerons l'hypothèse que est une variante de la forme lé, ce qui suppose le même raisonnement quant à l’absence de i : s- est le préfixe et -é le radical ce qui veut dire que comme pour lé : s- joue le même rôle fonctionnel que le préverbe i donc ce dernier n’apparaît pas lorsqu’il y a la présence de sé.

Staudacher-Valliamée attribue à l’indice i la fonction de marqueur aspectuel. Mais si nous prenons les deux exemples suivants : Zot i sar dansé aswar et Zot va dansé aswar « Ils vont danser ce soir ». On se retrouve face à la présence de i dans la première phrase mais pas dans la seconde alors que dans les deux énoncés ont le même sens. Ces faits montrent que i n’a pas de valeur aspectuel, et que son rôle est probablement purement syntaxique. De plus, dans les deux

Staudacher-Valliamée attribue à l’indice i la fonction de marqueur aspectuel. Mais si nous prenons les deux exemples suivants : Zot i sar dansé aswar et Zot va dansé aswar « Ils vont danser ce soir ». On se retrouve face à la présence de i dans la première phrase mais pas dans la seconde alors que dans les deux énoncés ont le même sens. Ces faits montrent que i n’a pas de valeur aspectuel, et que son rôle est probablement purement syntaxique. De plus, dans les deux