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Le système TMA dans les créoles

TROISIÈME PARTIE

I. Les systèmes verbaux du français et des créoles de l’océan Indien et de l’océan Atlantique

I. 3. Le système TMA dans les créoles

« Presque tous les linguistes qui étudient le phénomène des langues créoles admettent que le système aspecto-temporel (le système TMA, c’est-à-dire de temps, mode, aspect) est le trait peut-être le plus typique de ces langues »83.

Plusieurs théories ont été mises au jour concernant le système TMA des langues créoles. Une des théories les plus controversées est celle de Bickerton. Selon lui, le système TMA prototypique des langues créoles se subdivise en trois oppositions fondamentales :

- Temps : antérieur / non antérieur - Mode : irréel / non irréel

- Aspect : non-ponctuel (habituel) / ponctuel.

Par ailleurs, on entend souvent dire que les langues créoles ne connaissent pas la flexion et que le temps, le mode et l'aspect sont exprimés par des marqueurs préverbaux.

Dans cette section, nous nous proposons de revenir sur les notions de flexion et de mode dans les langues créoles. Ensuite nous listons les différents aspects que l'on peut retrouver dans le système verbal des différents créoles.

I. 3. 1. Flexion ou non dans les langues créoles?

Cette affirmation donnée supra concernant le fait que les langues ne connaissent pas la flexion est selon nous inexacte. En effet, la flexion ne se limite pas aux accords et si les créoles mauricien, seychellois, martiniquais, guadeloupéen et haïtien connaissent l’absence d’accord du verbe avec le sujet, le créole réunionnais la connaît. Dans ce dernier, l’expression grammaticale du temps, de l’aspect et de la modalité est exprimée par la flexion verbale, l’auxiliation et les particules préverbales. Il faut noter que contrairement aux autres créoles mentionnés, le créole réunionnais ne dispose que de deux préverbes : té et i. De plus, les auxiliaires de ce système connaissent eux aussi la flexion.Afin d’avoir une définition claire des notions abordées ci-dessus, nous proposons

83 Alleyne Mervyn C., 1996, Syntaxe historique créole, p.105.

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de nous tourner vers Watbled (2015 : 112) :

Il y a flexion quand la structure morphologique du mot est affectée par l’attribution de propriétés grammaticales, dans le sens où les modifications morphologiques que ce mot subit servent de marqueurs aux propriétés grammaticales en question. Un auxiliaire est un verbe spécialisé dans l’expression grammaticale du temps, de l'aspect ou de la modalité, ou encore de la voix, identifiables par des propriétés spécifiques le distinguant des verbes non auxiliaires. Dans une langue connaissant la flexion verbale, les auxiliaires sont normalement eux-mêmes sujets à la flexion. Une particule est une forme non verbale invariable, également spécialisée dans l'expression du temps, de l'aspect ou de la modalité.

Contrairement aux auxiliaires, les marqueurs préverbaux ne peuvent être séparés des verbes auxquels ils sont reliés. Watbled (2015 : 118) cite les exemples suivants en créole réunionnais :

(38) /zot i dor pa/ (« Ils ne dorment pas ») (39) /zot la pa dormi/ (« Ils n'ont pas dormi ») (40) /zot té i dor pa/ (« Ils ne dormaient pas »)

(41) /ou va pa fé sa/ (« Tu ne feras pas ça » « Tu ne vas pas faire ça »)

Alors que la négation /pa/ sépare l’auxiliaire et le verbe suivant en (39, 41, 42), elle ne peut pas s'insérer entre la particule préverbale et le verbe en (38, 40, 42)

Dans ces exemples, la distribution de la négation se ramène à une règle simple : elle est placée après le verbe à la forme tensée : /dor/ en (38,40), /la/ en (39), /va/ en (41), /sava/ en (42). Par ailleurs, les particules préverbales /té/ et /i/ sont suivis de formes verbales tensées, alors que les auxiliaires régissent des formes verbales non tensées, ce qui constitue une autre différence. […]

Les particules et les auxiliaires appartiennent à des paradigmes différents.

I. 3. 2. La notion de « mode »

Nous proposons de classer les modes selon deux catégories: les formes finies et les formes non finies. Dans la catégorie des formes finies se trouvent : le présent (manj), l'imparfait (manjé), le futur (manjra) et le conditionnel (manjré) et dans la catégorie des formes non finies se trouvent l'infinitif (manjé) et le participe passé (manjé). Contrairement au français, le mode du subjonctif n’existe pas dans les créoles.

I. 3. 3. La notion d’« aspect »

La notion d’« aspect » est assez complexe et a été explorée par beaucoup de linguistes. En ce qui nous concerne, nous souscrivons à la définition que donne le dictionnaire de Mounin (1974 : 41) :

[L’] aspect désigne à proprement parler, une catégorie grammaticale (qui n’existe pas dans toutes les langues), différentes des catégories de temps, du mode et de la voix, et qui manifeste le point de vue sous lequel le locuteur envisage l’action exprimée par le verbe : comme a ccomplie, c’est-à-dire vue de son achèvement, son résultat, ou comme inaccomplie, vue dans sa durée, sa répétition [...].

Nous proposons de revenir sur les différents aspects qui existent dans les créoles. Nos exemples

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sont en créole réunionnais.

I. 3.3.1. L’aspect imperfectif (aussi appelé aspect « inaccompli »)

L’aspect imperfectif est défini par le dictionnaire de Mounin (1974 : 169) comme suit : Dans certaines langues, valeur aspectuelle grammaticale qui s’oppose au perfectif et qui indique que l’action est considérée par le locuteur comme inaccomplie ; […]. Transposée dans les langues qui ne connaissent pas l’opposition for melle accompli - inaccompli, la notion d’imperfectif n’est plus qu’une valeur sémantique : ainsi quand on parle d’un aspect imperfectif à propos de je mange, il neige, nous partons. […].

L’aspect imperfectif se subdivise en deux sous-classes aspectuelles : le progressif et l’itératif.

I. 3. 2. 2. L'aspect perfectif (aussi appelé « accompli84 »)

L'aspect accompli ou perfectif est défini comme suit par le dictionnaire de Mounin (1974 : 253) :

Dans certaines langues, valeur aspectuelle grammaticale s’opposant à l’imperfectif et indiquant que l’action es t envisagée comme achevée, accomplie [...].

On attribue souvent un aspect imperfectif à des syntagmes verbaux appartenant à des langues qui ne connaissent pourtant pas l’opposition formelle perfectif ~ imperfectif [...].

Exemple : Ma la fine santé « J’ai déjà chanté ».

I. 3 .2. 3. L’aspect progressif

Le progressif exprime un procès en cours de réalisation au moment où le locuteur parle.

Exemple : Koi ou la pou fé ? Ma la pou manzé « Qu’est-ce que tu es en train de faire ? Je suis en train de manger ».

I. 3. 2. 4. L’aspect itératif

L’itératif est l’aspect habituel : l’événement est envisagé dans sa répétition. Ce dernier exprime l’habitude, la succession ou encore la répétition. Exemple : Tou lé dimans li manj la viann « Tous les dimanches, il mange de la viande ».

I. 3. 2. 5. L’aspect prospectif

L’événement est orienté vers le futur comme dans l’exemple : Mi sava dansé « Je vais

84 Certains parlent également d’aspect « aoriste ». Cet aspect est défini par le dictionnaire de Mounin (1974 : 31) comme une catégorie verbale qui indique généralement un passé (mais non toujours, car il y a un impératif, un subjonctif, un optatif, un infinitif aoriste en grec), sans référence à la durée, à l’accomplissement ou au développement du procès ; par rapport au parfait, à l’imparfait, l’aoriste est un pur passé, un passé non « délimité » (c’est le sens étymologique du vocable grec).

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danser ». Une autre forme du prospectif est pa loin (d) qui exprime un futur proche.

I. 3. 2. 6. L’aspect inchoatif

L’événement est vu dans son commencement comme dans l’exemple : I komans fé fré « Il commence à faire froid ».