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Système d’action concret et usage du droit : appréhender (empiriquement) le droit comme modèle d’action ou de référence

L’ÉTUDE DE L’USAGE DES RESSOURCES PROPOSÉES PAR LE DROIT : PRÉSENTATION DU CADRE CONCEPTUEL

A. Système d’action concret et usage du droit : appréhender (empiriquement) le droit comme modèle d’action ou de référence

Comment expliquer que les normes ne produisent pas toujours les effets qu’elles prescrivent ? Est-ce que le recours au droit comme ressource pour l’action dépend de la disponibilité de certaines ressources ? Quel est l’impact de la mise en concurrence de certaines représentations sociales soutenues par différents acteurs avec les modèles proposés par le droit83 ? Comment ces modèles cohabitent-ils ?

79

Michel Crozier et Erhard Friedberg, L’acteur et le système, Paris, Éditions du Seuil, 1977 à la p 458.

80

Jeammaud et Serverin, « Évaluer le droit », supra note 73 à la p 267.

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C’est la prémisse forte intéressante d’une recherche conduite par Mireille Lapoire et dans laquelle elle s’intéresse à l’augmentation du recours au travail intérimaire malgré l’importance grandissante de l’encadrement normatif dont fait l’objet cette industrie. Voir Mireille Lepoire, « Travail temporaire, marché permanent » (2011) 77:1 Droit et société 19.

82

Ewick et Silbey, « La construction », supra note 40 à la p 4.

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L’évaluation de l’usage du droit impose au chercheur de s’intéresser à la façon dont ses destinataires naviguent parmi ses prescriptions en cartographiant « les stratégies individuelles et collectives [qui] permettent de dégager des modèles d’usages sociaux du droit »84. Les stratégies résultent des « ressources et des capacités matérielles, affectives, cognitives et relationnelles »85. Dans la plupart des cas, ses destinataires opèreront une médiation entre la situation à laquelle ils sont confrontés et la règle de droit à l’issue de quoi ils endosseront ou rejetteront le modèle référentiel ou d’action proposé par celle-ci.

S’il convient de s’attarder à la façon dont les individus atteignent leurs objectifs, il importe de ne pas se limiter à une telle conception instrumentale de la rationalité : les individus ne sont pas des « atomes suspendus dans le vide social »86. Une approche plus holistique s’impose : les individus composent, de façon plus ou moins consciente, avec les contraintes et les opportunités que leur propose le contexte. Si certaines représentations font l’objet d’une puissante intégration, certains schémas d’action émergent de façon circonstanciée.

Rendre compte des attitudes et des comportements des destinataires eu égard aux modèles d’action et de référence proposés par la norme nous suggère d’écarter le « modèle de l’aliénation », lequel propose que les comportements, perspectives et attitudes des individus ne sont que le produit d’une « lourde socialisation conditionnée par un ensemble de stimuli inséré dans un système de fonctions sociales ou dans une structure de domination »87. De notre point de vue, le rapport que les destinataires entretiennent avec le droit est toujours un rapport d’appropriation et de redéfinition

84

Rangeon, supra note 44 à la p 143.

85

Crozier et Friedberg, supra note 79 à la p 470.

86

Raymond Boudon, La rationalité, Paris, PUF, 2012 à la p 12.

87

Stéphane Dion, « Une stratégie pour l’analyse stratégique » dans Francis Pavé, dir, L’analyse

stratégique : sa genèse, ses applications et ses problèmes actuels, Paris, Éditions du Seuil, 1994, 99 à la p

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qui n’est toutefois pas indifférent aux « irritants » l’entourant88. Les normes juridiques ne sont donc pas auto-agissantes ; les activités de mobilisation du droit ne relèvent ni d’un univers totalement surdéterminé ni de la seule action spontanée du destinataire parfaitement rationnel.

Ainsi, le recours aux ressources proposées par le droit dépendra « des opportunités et des contraintes matérielles et humaines proposées par le contexte »89. Les destinataires de ces normes ajusteront leurs stratégies en regard notamment de ces contraintes et opportunités. En effet, en appréciant le droit en qualité de « système de potentialités »90, l’incidence d’un certain contexte « tourmenté »91 aura vraisemblablement des conséquences sur l’usage du droit.

L’analyse stratégique, développée par les sociologues de l’organisation Crozier et Friedberg, propose de rompre avec les présupposés déterministes liés à la nature humaine. Comme le rappelait le sociologue des organisations Philippe Bernoux, l’ajustement « naturel » n’existe pas92. L’analyse stratégique et l’individualisme méthodologique ont en commun de refuser que le « devenir collectif » soit déterminé par des forces aveugles qui manipulent les acteurs à leur insu93. Cette posture analytique postule l’indétermination des choix de l’acteur, lequel réalisera une pondération entre ses objectifs et les possibilités conférées par le contexte. Du point de vue opératoire, le point de départ doit être le système d’action concret dans lequel s’insère le destinataire.

88

Pierre Noreau, « Comment la législation est-elle possible? Objectivation et subjectivation du lien social » (2001) 47 Revue de droit McGill 195 à la p 215 [Noreau, « Comment »].

89

Crozier et Friedberg, supra note 79 à la p 46.

90

Lescoumes et Serverin, « Le droit comme activité social », supra note 37.

91

Nous empruntons ce terme à Philippe Auvergnon, « Une approche comparative de la question de l’effectivité du droit » dans Auvergnon, L’effectivité du droit, supra note 21 à la p 13.

92

Bernoux, supra note 78 à la p 160.

93

Jacques Lautman, « L'analyse stratégique et l'individualisme méthodologique » dans Pavé, supra note 87 à la p 180.

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Puisque l’analyse stratégique propose des outils afin de saisir les schémas d’action intervenant dans une organisation, nous estimons que cette approche se prête à l’étude de l’usage social du droit. En effet, l’usage du droit est susceptible d’intervenir dans une pluralité de contextes qu’il importe de saisir empiriquement. De notre point de vue, l’usage du droit est donc inextricablement lié au système d’action concret dans lequel s’insèrent ses destinataires. Le système d’action concret est « un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c’est-à-dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux »94. Le système d’action concret n’est pas une donnée naturelle ; on ne peut connaitre à l’avance ses configurations ou ses propriétés. En effet, l’on ne peut saisir la logique du monde social qu’à condition de s’immerger dans la particularité d’une réalité empirique, historiquement située et datée. La prise en compte du système d’action concret permet de documenter un « cas particulier du possible »95.

Une communauté ou une organisation ne constitueront pas toujours un système d’action concret ; le système d’action ne peut être caractérisé in fine96. C’est l’appréhension empirique des pratiques et des stratégies des acteurs y interagissant qui permet d’étudier la façon dont le système d’action se maintient et se modifie97. Ces acteurs sont interdépendants et entretiennent des rapports interactionnels.

Questionner l’usage du droit oblige donc le chercheur à élargir ses perspectives au-delà du cadre dans lequel s’appréhende généralement l’étude de la mise en œuvre formelle

94

Crozier et Friedberg, supra note 79 à la p 286.

95

Pierre Bourdieu, Raisons pratiques : sur la théorie de l’action, Paris, Éditions du Seuil, 1994 à la p 16 [Bourdieu, Raisons pratiques].

96 Crozier et Friedberg, supra note 79 à la p 280. 97

Erhard Friedberg, « Le raisonnement stratégique comme méthode d’analyse et comme outil d’intervention » dans Pavé, supra note 87 à la p 140.

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des règles juridiques98. Il importe ainsi de considérer de nouveaux acteurs, lesquels interviennent dans des « terrains » hétérodoxes. Si « l’acteur n’a d’existence que par son appartenance au champ d’action et dans la mesure où son action contribue à structurer le champ »99, il importe de ne pas se confiner à l’action des acteurs endogènes au champ normatif étudié. Pour ce faire, le chercheur doit s’intéresser au système d’acteurs interagissant, dans les faits, au sein du système d’action concret considéré ; celui-ci est composé d’acteurs endogènes et exogènes au champ normatif étudié. Un acteur, que celui-ci soit un seul individu, une organisation ou un groupe, est celui qui participe à une action dans un système ou contexte donné100.

Ainsi, la régulation du système d’action concret est assurée par différents jeux et mécanismes à travers lesquels les « calculs rationnels et stratégiques des acteurs se trouvent intégrés »101. Ces jeux résultent des effets des normes juridiques régulant le système d’action concret mais également des stratégies et des schémas d’action qu’adoptent les acteurs interagissant dans le système d’action concret. L’analyse des pratiques et des schémas d’action des acteurs permettra de débusquer les cas où « tout en restant interdépendants, les acteurs ne sont plus en interaction »102.

Les relations qu’entretiennent les acteurs ne sont pas toujours parfaitement équilibrées; certains acteurs disposeront parfois d’une meilleure capacité d’agir. Le pouvoir des acteurs interagissant dans le système d’action concret émerge d’une multitude « de rapports de force qui sont immanents au domaine où ils s’exercent »103. Or, le pouvoir « n’est pas une institution ou une structure, ce n’est pas une certaine puissance dont certains seraient dotés : c’est le nom qu’on prête à une situation stratégique complexe

98

Ce sont les auteurs Lascoumes et Serverin qui insistent sur le changement d’acteurs, de terrains et de système normatif que doit opérer le chercheur lorsque celui-ci cherche à « questionner le système juridique sur son efficacité juridique ». Voir Lascoumes et Serverin, « Théories », supra note 19.

99

Marc Maurice, « Questions à la méthode de l'analyse stratégique à partir de l'analyse sociétale » dans Pavé, supra note 87 à la p 170.

100

Bernoux, supra note 78 à la p 188.

101

Crozier et Friedberg, supra note 79 à la p 285.

102

Bernoux, supra note 78 à la p 163.

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dans une société donnée »104. Les formes de rapports de pouvoir ainsi que leurs modes d’expression sont aussi multiples que les institutions dans lesquelles ils ont cours. Ces institutions, ou cellules sociales, dépendent de l’action humaine, qui permet de « construire, reproduire et déconstruire »105 les rapports sociaux.

Dans la vie sociale, le pouvoir prend plusieurs formes et il est rarement exercé à travers l’usage déclaré de la force physique, « il est bien plutôt transmué en une forme symbolique, se trouvant de ce fait investi d’une sorte de légitimité qu’il n’aurait pas autrement »106. Le pouvoir en soit ne constitue pas un attribut ou une structure d’autorité : il n’est que le « résultat contingent de la mobilisation par les acteurs des sources d’incertitudes pertinentes qu’ils contrôlent [dans un système donné] par leurs relations et tractations avec les autres acteurs »107. Le pouvoir a un caractère relationnel; il médiatise les différents intérêts, parfois divergents, des acteurs interagissant dans le système d’action concret108. Il découle de la « capacité d’un acteur de se rendre capable de faire agir un autre acteur, [la] chance de faire triompher sa propre volonté dans une relation sociale »109. Les ressources du pouvoir sont multiples ; elles comprennent notamment la maîtrise des communications dont dispose un acteur à l’intérieur du système d’action concret et de la connaissance de celui-ci des mécanismes de jeux qui y interviennent. Afin de reconstruire « les structures de pouvoir ainsi que la nature des règles du jeu qui régulent l’interaction entre les acteurs et conditionnent leurs conduites »110, le chercheur devra donc consigner, lors de son enquête, les différentes données descriptives quant aux schémas d’action des acteurs.

104

Ibid à la p 123.

105

Rocher, « Le regard oblique », supra note 17 à la p 6.

106

John B. Thompson, « Préface » dans Pierre Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Éditions Points, 2001 à la p 39 [Bourdieu, Langage et pouvoir].

107

Crozier et Friedberg, supra note 79 à la p 30.

108

Ibid.

109

Bernoux, supra note 78 à la p 188.

110

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Le recours au droit ne doit pas être questionné en fonction de déterminismes éloignés, mais en fonction du contexte dans lequel celui-ci est susceptible de se déployer111. En effet, il importe de considérer « les mécanismes et engrenages multiples, les rapports d’autorité et de force qui créent, modifient, appliquent et font respecter les normes juridiques sans s’identifier à celles-ci »112. L’étude de l’usage du droit que nous proposons ne suggère pas qu’un délaissement de la norme juridique est causé par « la passivité, l’incapacité ou la domination de ses destinataires »113 ; elle vise à rendre compte du cadre dans lequel se déploie leur libre-arbitre.

L’usage du droit ne dépendra pas exclusivement d’un quelconque « désir » ou de la « volonté » de ses destinataires, laquelle serait toujours susceptible de se déployer114. L’étude de l’incidence sur l’usage du droit des contraintes et des opportunités découlant du système d’action permet de rendre compte de la façon dont la marge de liberté des destinataires se déploie. Or, il est plausible que ceux-ci « subissent » parfois certaines contraintes, lesquelles agissent sans que ceux-ci en aient réellement conscience. En effet, s’il importe de rendre compte de cette marge de liberté, certaines contraintes agiront de façon incidente et sans que l’intervention active du destinataire soit requise.

Un individu, compte tenu de la pluralité de ses foyers d’action, s’insèrera dans différents systèmes d’action concrets. Chaque système d’action concret génère des contraintes et des opportunités spécifiques ; l’appréhension de ceux-ci impose que l’on découvre les mécanismes de jeux qui structurent les relations entre les acteurs y interagissent et qui conditionnent leurs stratégies115. Les destinataires du droit composent, plus ou moins consciemment, avec ces contraintes et ces opportunités, lesquelles varieront selon le système d’action en cause.

111

Bernoux, supra note 78 à la p 41.

112

Santi Romano, L’ordre juridique, Paris, Dalloz, 1975 à la p 10.

113

Philippe Warin, Le non-recours : définition et typologies, Document de travail 1, Observatoire des non- recours aux droits et services, 2010 à la p 7.

114

Comme le rappellent Silbey et Ewick, il s’agit là du mantra de l’idéologie libérale de la « volonté individuelle » : Ewick et Silbey, The Common Place of Law, supra note 4 à la p 336.

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Ainsi, l’étude du système d’action concret, en tant que périmètre mouvant de l’action, ne vise pas à introduire des déterminismes éloignés du contexte. Une telle approche ne saurait se réconcilier avec la proposition selon laquelle le système d’action concret et les stratégies des acteurs qui y interviennent se développent de façon coextensive.

Une telle approche a l’avantage de placer les destinataires du droit au cœur de l’analyse tout en prenant acte du système d’action concret en cause ; elle permet de mieux saisir pourquoi les destinataires acceptent, rejettent ou ignorent les ressources pour l’action ou les modèles référentiels proposés par le droit. Ainsi, le système d’action concret peut être considéré « à la fois comme un champ de forces, dans lequel les acteurs qui sont engagés peuvent puiser des ressources, et un champ de luttes à l’intérieur duquel les agents s’affrontent avec des moyens et des fins différenciées selon leur position dans la structure du champ de forces et contribuant à transformer ou à conserver sa structure »116.

Le recours à cette méthode d’analyse oblige toutefois le chercheur à identifier clairement le groupe de destinataires auquel il s’intéressera. Les « groupes » ou « classes » sont constitués des différents ensembles d’individus ou d’agents qui sont « placés dans des conditions semblables et soumis à des conditionnements semblables [et qui] ont toutes les chances d’avoir des dispositions et des intérêts semblables et donc de produire des pratiques et des prises de position semblables »117. Bourdieu qualifia ces groupes de « classes sur le papier » ou de « classes probables » ; leur utilité, d’un point de vue empirique, est d’expliquer et de prévoir, dans une certaine mesure, les schémas d’action que privilégiera ce groupe de destinataires lorsque confronté, par exemple, au choix de recourir à la norme.

116

Bourdieu, Raisons pratiques, supra note 95 à la p 55.

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Bien qu’il nous semble plausible d’envisager que certaines récurrences sont susceptibles d’être constatées auprès d’un groupe de destinataires composant avec un ensemble similaire de contraintes et d’opportunités, il importe toutefois de ne pas prétendre que l’incidence des contraintes et des opportunités issues du système d’action concret, sera strictement identique chez tous les destinataires du groupe. Certaines de leurs stratégies découleront d’expériences ou de pressions ex-ante du système d’action concret118. En outre, les diverses expériences d’un individu « déposent une multitude d’habitudes de pensée et de schémas d’action, qui constituent des répertoires disponibles, utilisables selon les contextes »119. Ainsi, compte tenu du « degré d’hétérogénéité des dispositions dont sont porteurs les acteurs individuels en fonction de leurs parcours et de leurs expériences »120, certains destinataires de l’ensemble appréhendé peuvent s’engager dans des schémas d’action qui se démarqueront.

Compte tenu du caractère essentiellement interactionniste de cette approche, le chercheur doit se garder de transformer les contraintes et opportunités émergeant de l’étude du système d’action concret en déterminants absolus. L’appréhension empirique des mécanismes de jeux intervenant entre les acteurs interagissant dans le système d’action concret intervient à un moment précis ; des changements sont constamment susceptibles d’intervenir.

De plus, en sus des contraintes et des opportunités agissant dans le système d’action concret, il est plausible que différents obstacles objectifs propres au champ normatif étudié interfèrent également sur le cadre dans lequel intervient l’usage du droit. Contrairement au caractère situé des contraintes et des opportunités agissant dans le système d’action concret étudié, tous les destinataires de la norme juridique doivent

118

Les auteurs Crozier et Freidberg mentionnent notamment les interdits religieux et moraux, les modes, etc. Crozier et Friedberg, supra note 79 à la p 300.

119

Philippe Corcuff, « Respect critique » dans Sciences Humaines, L’œuvre de Pierre Bourdieu. Sociologie,

Bilan critique, Héritage, 2012, vol 15, 64 à la p 65.

120

Bernard Lahire, « Prolonger le travail de Bourdieu : des attitudes à la théorie » dans Sciences Humaines, L’œuvre de Pierre Bourdieu. Sociologie, Bilan critique, Héritage, 2012, vol 15, 86 à la p 89.

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composer avec ces obstacles objectifs. Si certains objectifs constituent des règles procédurales en vertu desquelles se déroule la mise en œuvre contentieuse du droit, d’autres découlent de règles de nature substantielle qui prévoit, par exemple, les conditions permettant aux destinataires de bénéficier des ressources proposées par certains instruments normatifs.

En définitive, lorsqu’il s’agit de saisir l’usage du droit, le chercheur doit naviguer avec fluidité sur ce terrain composé en triptyque. Les composantes de celui-ci sont :

i. Le système d'action concret ;

ii. Le modèle d’action ou de référence proposé par la norme juridique ; iii. la situation factuelle précise et située avec laquelle le destinataire

doit composer et à l’égard de laquelle la norme serait susceptible d’intervenir.

Le cadre d’analyse proposé permet de rendre compte de l’utilisation du droit par ses destinataires en évitant l’écueil d’une approche trop utilitariste du droit ou qui postulerait l’existence de destinataires parfaitement rationnels. Pour ce faire, il importe que la stratégie que le destinataire déploie ne soit pas évaluée en fonction d’un critère abstrait et pseudo-objectif de « pertinence » ou de « cohérence » par rapport à la finalité de la norme appréhendée. Il est possible que le chercheur estime que les choix du destinataire le desservent. Ce jugement subjectif ne doit toutefois pas teinter la posture d’observation du chercheur car une stratégie apparemment irrationnelle ne peut trouver son explication « que dans une analyse plus serrée de la situation ou des situations à partir desquelles on peut définir ces rationalités »121.

Nous estimons que ce cadre d’analyse est utile pour l’ensemble des normes, que celles- ci soient de nature procédurale ou substantielle. Concrètement, le chercheur devra d’abord décrire la nature et la portée des normes étudiées. Il s’agira ensuite d’envisager le contenu matériel des prescriptions ainsi que les mécanismes de mise en œuvre

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prévus. Le chercheur pourra alors faire ressortir les finalités des normes étudiées ainsi que les obstacles objectifs du champ normatif. Le chercheur devra finalement s’employer à préciser le groupe de destinataires auquel il s’intéresse et à identifier le système d’acteurs interagissant dans le système d’action concret dans lequel s’insèrent les destinataires. Or, sur le plan méthodologique, le système d’acteurs interagissant dans un système d’action concret peut s’avérer difficile à identifier. Si une revue de la jurisprudence peut contribuer à cette cartographie, quelques entretiens exploratoires