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RÉGULATION DU TRAVAIL ET POLITIQUES (IM)MIGRATOIRES CANADIENNES : CADRE SOCIOJURIDIQUE DE L’ÉTUDE

A. Fonctions du droit du travail

Le droit du travail « est concerné par la protection et la production »19 ; cette branche du droit résulte d’une synthèse entre les revendications sociales des travailleurs et les « exigences » économiques de l’employeur. Incidemment, deux fonctions principales peuvent être associées au droit du travail : une première afférente aux fonctions protectrices du travailleur et une seconde aux fonctions régulatrices qui assurent le fonctionnement de l’économie20. Comme le souligne l’auteur Emmanuel Dockès, « si l’on s’intéresse à l’importance et l’immédiateté des enjeux, le droit du travail apparaît alors comme la plus importante des branches du droit économique »21. Ainsi, le droit du travail encadre les paramètres en vertu desquels le salariat, en tant que groupe social, accède à ses moyens de subsistance; les salariés « se dépouill[ant] de la richesse sociale dont ils avaient la gouverne

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Nous présenterons toutefois de façon plus détaillée les normes et recours qui feront l’objet de notre démonstration dans le chapitre portant sur les considérations méthodologiques. Voir ci-dessous aux pages 153 et s.

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Judy Fudge, « Labour as Fictive Commodity : Radically Reconceptualizing Labour Law » dans Davidov et Langille, supra note 16 à la p 120 [Fudge, «Labour as Fictive Commodity»].

20

Verge et Vallée, Un droit du travail?, supra note 9 aux pp 31 et s.

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pour proposer leur force de travail au profit d’un tiers »22. Le contrat de travail est de nature singulière : il résulte d’une « chosification » de la force de travail du salarié, que l’on dissocie de la personne l’exécutant23. Cette objectivation de la force de travail du salarié constitue une fiction juridique, le salarié étant indissociablement lié à sa contrepartie contractuelle qu’est sa force de travail. Le contrat de travail, dans les faits, résulte de la subordination du salarié à l’employeur24.

Le contrat de travail, en tant que contrat nommé, est asymétrique de par sa nature; c’est précisément en réaction au postulat libéral d’égalité formelle ayant présidé au développement de l’industrialisation qu’est né le droit du travail. Sur le plan strictement juridique, la vision libérale du droit commun appréhendait alors le contrat de travail comme le résultat de l’autonomie de la volonté des parties à celui-ci. Ainsi, au plan juridique, les parties devaient négocier, d’égal à égal, les termes du contrat de travail. La prestation de travail était perçue « comme un bien, une marchandise, dont les conditions d’accès et d’utilisation [étaient] laissées aux aléas du libre marché par le droit : c’est en réaction à ce postulat, propre au droit commun du XIXe siècle, que nait le droit du travail »25. Le droit du travail vise donc spécifiquement « à limiter, tout en l’organisant, l’emprise du pouvoir de direction qui s’exerce sur le salarié dans cet ‘’ensemble inégalitaire’’ qu’est l’entreprise, ‘’siège d’un pouvoir d’une personne sur d’autres’’»26. Pour le salarié, le rôle protecteur du droit du travail se manifeste par la sécurité « dans » le travail et « par » le travail27. Cet ensemble normatif dit de protection s’étend donc à la sécurité physique du travailleur, mais aussi à sa dignité et à sa sécurité financière.

22

Gérard Courtois, «La critique du contrat de travail chez Marx» (1967) 12 Archives de philosophie du droit 33 à la p 35.

23

Guylaine Vallée, « La contribution scientifique de Pierre Verge à l’affirmation et la recomposition du droit du travail » dans Dominic Roux, dir, Mélanges Pierre Verge – L’autonomie collective en droit du travail :

perspectives nationales et internationales, Québec, PUL, à paraître en 2014 à la p 13 [Vallée, « La contribution

scientifique »].

24

Muriel Fabre-Magnan, « Le contrat de travail défini par son objet » dans Supiot, Le travail, supra note 12 à la p 101.

25

Verge, Trudeau et Vallée, supra note 8 à la p 31.

26

Verge et Vallée, Un droit du travail?, supra note 9 à la p 17.

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Le droit du travail dépasse la matérialité du contrat de travail pour se pencher sur la réalité factuelle découlant de l’exécution d’un travail par un salarié « au bénéfice et sous la dépendance d’une autre personne en échange de la rémunération »28. Si le droit du travail a pour principale fonction la protection des salariés, il assure également un « rapport de médiation, d’amendement et de légitimation des rapports capitalistes de production et contribue à la sauvegarde de ces rapports »29. Ce droit régulateur, qui rend supportable le rapport de domination30, se présente donc également comme « ambivalent, voire adéquat au capitalisme »31. Car même s’il vise à protéger « avec ostentation mais réellement la classe ouvrière d’une exploitation effrénée, il organise néanmoins cette exploitation et contribue à la justifier »32. Le droit du travail a d’ailleurs explicitement pour fonction l’atténuation du conflit et l’organisation de la cellule sociale qu’est l’entreprise33. L’aménagement juridique de l’ordre des rapports collectifs du travail favorise généralement le fonctionnement de l’économie en limitant, par exemple, le recours à la grève34. Ainsi, si le droit du travail est parfois confronté à un discours portant sur l’inefficacité économique générée par différentes mesures de protection, de nombreuses règles du droit du travail ont une « incontestable utilité économique »35. Il serait donc erroné d’attribuer au droit du travail une fonction de « libération » de la subordination du salarié; il conviendrait plutôt de lui conférer l’objectif d’instaurer une certaine « décence » dans la réalisation du travail.

28

Vallée, « La contribution scientifique », supra note 23 à la p 13.

29

Martine LeFriant et Antoine Jeammaud, « Le droit du travail, vecteur de citoyenneté : entre métaphore (française) et droit positif » dans Michel Coutu et Gregor Murray, dir, Travail et citoyenneté : quel avenir? » Québec, PUL, 2010, 109 à la p 110.

30

Antoine Jeammaud, « Les principes dans le droit français du travail » (1982) Droit Social 618 à la p 627.

31

Pélissier, supra note 1 à la p 34.

32

François Collin et al, Le droit capitaliste du travail, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1980 à la p 152.

33

Verge et Vallée, Un droit du travail?, supra note 9 à la p 40.

34

Ibid à la p 49. Ou encore, on envisage également l’aménagement des rapports collectifs pour assurer une continuité dans les services publics, en veillant, par exemple, à ce que les services essentiels soient assurés. À cet égard, voir Léa Laurence Fontaine, « Des services publics toujours essentiels au Québec? » (2008) 63:4 Relations industrielles 719.

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Si les premières mesures visèrent l’introduction de minima visant à réagir aux pires cas d’abus, le focus du droit légiféré s’est rapidement porté sur l’encadrement de la négociation collective. En effet, au Québec, comme ailleurs en Amérique du Nord, le droit du travail se déploie généralement au sein du périmètre de l’entreprise; certains estiment même que le « droit du travail et l’entreprise vivent en symbiose »36. Incidemment, la négociation collective ainsi que les moyens d’action dont disposent les salariés se circonscrivent généralement dans l’enceinte de l’entreprise, voire d’un seul établissement de celle-ci. En effet, au Québec, le certificat d’accréditation sera délivré à un groupe de salariés d’un même employeur en fonction de la communauté d’intérêts entre les salariés visés par la requête mais aussi selon l’histoire des relations du travail dans l’entreprise ou le secteur d’activité; on prendra également en compte la volonté des salariés37. Afin de saisir le portrait contemporain du droit du travail, il est indispensable de rappeler les grands jalons qui marquent son élaboration. Compte tenu du cadre géospécifique dans lequel se déploie notre étude, notre propos se limitera à envisager le contexte sociohistorique ayant contribué à l’émergence de la catégorie juridique « droit du travail » au Québec.