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Lorsque l’on considère la transition particule/pore, plusieurs questions doivent être résolues : – Quelle est la coordonnée de réaction pertinente pour décrire le transfert, et quelle est la forme du profil d’énergie libre, selon l’espèce considérée (eau/cation/anion) ? En particu-lier, la présence de barrières d’activation (∆F#

1→2 ou∆F#

2→1) n’est pas a priori évidente. – Comment décrire la dynamique du système le long de ce profil d’énergie libre ? Ceci

im-plique la détermination du coefficient de diffusion dans les différentes régions du système (interfoliaire et micropore). Nous verrons que ceci constitue également un point délicat, car le tenseur de diffusion est anisotrope (2D dans l’interfoliaire, 3D dans le pore) et dépend de plus de la position.

Dans ce chapitre, nous présentons la détermination par des simulations de dynamique mo-léculaire du profil d’énergie libre et du tenseur de diffusion, selon une coordonnée de réaction préalablement sélectionnée pour décrire le transfert d’eau et d’ions entre particule d’argile et pore. La partie 6.2 présente le système étudié et le détail des simulations. La partie 6.3 est consacrée au choix de la coordonnée de réaction. Les résultats pour les profils d’énergie libre et les tenseurs de diffusion sont présentés respectivement dans les parties 6.4 et 6.5. Enfin, les implications de ces résultats pour le transport macroscopique sont discutées dans la partie 6.6.

6.2 Système d’étude

6.2.1 Système et champ de force

Système

F. 6.3: Système simulé pour l’étude des transferts particule/pore. Les ions Na+sont en bleu, les Cs+

en orange et les Clen rose. Les atomes d’Al sont en vert, les Si en jaune, les O en rouges et H en blanc. Les molécules d’eau sont en gris.

Le système simulé est représenté sur la figure 6.3 : il contient une courte particule d’ar-gile faisant face a un pore rempli d’une solution saline. La structure de la montmorillonite est la même que celle présentée aux chapitres 3 et 5 pour l’étude des propriétés interfoliaires : chaque maille a pour composition Na0.75 Si8 (Al3.25 Mg0.75) O20 (OH)4, avec des dimensions

8.97 × 5.18 Å2. Chaque feuillet est constitué de 2 × 4 mailles "bulk", la plus grande dimension étant selon l’axe des x, et de 4 "demi-mailles" à chaque extrémité (4 répétitions selon y), qui correspondent à des faces [010], et dont la structure illustrée sur la figure 6.4 a été obtenue en coupant la maille élémentaire selon la direction [010], puis en saturant toutes les liaisons rompues par des atomes d’hydrogène ou des groupes hydroxyles.

F. 6.4: Structure du bord de feuillet (face [010]). Les Si tétracoordonnés (bleu) conduisent à des groupes silanols (haut et bas), tandis que les Al octacoordonnés (vert) conduisent à la fois à des groupes AlOH (haut) et des AlOH2(bas).

La distance interfoliaire a été fixée à d= 15.4 Å ce qui correspond à une bicouche d’eau [83]. Le micropore a une épaisseur de 30 Å, répartis en 15 Å de part et d’autre de la particule4. Les dimensions de la boîte sont donc de 63.0 × 20.72 × 30.8 Å3, et les conditions aux limites pé-riodiques dans les trois directions sont appliquées. Le système simulé correspond ainsi à un empilement infini (selon z) de feuillets infinis selon y, mais finis selon x. La boîte de simulation contient en tout 898 molécules d’eau (voir la section 6.2.2). En plus des cations interfoliaires, 6 ions Na+et 6 ions Clsont introduits dans le micropore, ce qui correspond à une concentration en électrolyte de 0,52 mol.dm−3, ce qui est supérieur à la force ionique typique dans les pores du Callovo-Oxfordien (plus proche de 0,1 mol.dm−3). Cette concentration relativement élevée pré-sente plusieurs avantages : meilleure statistique pour les ions avec moins de molécules d’eau5ce qui diminue le temps de calcul, plus grande probabilité d’observer des événements de transfert particule/pore, et meilleur écrantage des interactions électrostatiques entre les deux faces de la particule à travers le pore.

Champ de force : argile bulk, eau et ions

Le champ de force utilisé est celui présenté pour l’étude des propriétés interfoliaires, défini par les équations (3.25) et (3.26). Pour les atomes de l’argile "bulk", l’eau et les ions, les va-leurs des paramètres de paires i j et σi j pour le calcul des interactions de Lennard-Jones sont

4Avec les conditions aux limites périodiques, il s’agit bien du même pore.

5Si l’on se contentait d’augmenter le nombre d’ions à concentration constante, il faudrait également augmenter le nombre de molécules d’eau.

6.2. SYSTÈME D’ÉTUDE 171

obtenues par les règles de Lorentz-Berthelot (3.27) à partir des paramètres individuels i et σi. Ces derniers sont résumés dans les tableaux 3.5 et 3.6 (paramètres de Koneshan uniquement pour les cations) avec les charges partielles qi pour le calcul des interactions coulombiennes. Nous décrivons plus loin les paramètres correspondant aux atomes de bords de feuillets. No-tons que le champ de force utilisé traite les feuillets comme rigides, limitation dont ne souffrent pas d’autres champs de force comme CLAYFF [171]. Cependant nous avons déjà mentionné le fait qu’il décrit de manière satisfaisante un certain nombre de propriétés des argiles infinies, en particulier pour la dynamique interfoliaire (voir les chapitres 1 et 3). Notre premier objectif étant de développer le cadre théorique pour comprendre le transfert entre particule et pore, et en l’absence (à ce jour) de données expérimentales directes pour établir la supériorité de l’un des champs de force en présence de bords de feuillets, nous avons préféré utiliser le plus simple. Ce-pendant l’analyse que nous allons développer pourra être reprise en utilisant d’autres champs de force. En particulier, ne pas permettre la rotation des liaisons OH dans nos simulations constitue seulement une première approximation, qu’il conviendra plus tard de dépasser.

Champ de force : bords de feuillet

Les paramètres de Lennard-Jones pour les oxygènes en bords de feuillets ont été choisis identiques à ceux des autres atomes d’oxygène de l’argile (qui sont les mêmes que pour l’eau SPC/E dans le champ de force de Smith). Les charges partielles ont été obtenues à partir d’un ajustement du potentiel électrostatique autour du fragment d’argile. A cette fin, des calculs de DFT ont été entrepris par Rodolphe Vuilleumier sur un court fragment de pyrophyllite, coupé à deux extrémités selon la direction [010] et dont les liaisons rompues sont saturées par des atomes d’hydrogène ou des groupes hydroxyles. Ces derniers proviennent de la dissociation de molécules d’eau pour compléter la coordination des atomes d’Al et Si en bordure de feuillet, comme expliqué par Churakov [97].

Les détails des simulations effectuées par Rodolphe Vuilleumier sont résumés ici6. La fonc-tionnelle employée est BLYP, qui tient compte des corrections de gradient de densité dans la partie d’échange-corrélation [257, 258], et une base d’ondes planes est utilisée avec une éner-gie de coupure de 70 Ry (Rydberg). Des pseudo-potentiels conservant la norme sont utilisés pour décrire les électrons de cœur, et seuls les électrons de valence sont traités explicitement. Les pseudo-potentiels de Trouiller-Martins [259] pour H, O et Si et de Bachelet-Hamann-Schlutter [260] pour Al, dans la représentation de Kleinman-Bylander [261], décrivent les élec-trons de cœur de chacun de ces atomes. La boîte de simulation a une largeur de 5,18 Å, ce qui correspond à la périodicité de l’argile dans la direction y, et des dimensions de 25 Å dans les deux autres directions (non-périodiques pour le fragment d’argile). Deux types de conditions aux limites ont été testés pour cette boîte : périodique dans toutes les directions, ou seulement dans une direction en utilisant la méthode de Martyna et al. pour écranter le potentiel électrosta-tique [262]. Les deux méthodes fournissent des résultats idenélectrosta-tiques pour la densité électronique. Tous les calculs ont été effectués avec le logiciel de simulation CPMD [263].

Les charges partielles des atomes de bordure sont ensuite estimées par la méthode dite "Re-strained Electrostatic Potential" [264–266]. Celle-ci consiste à déterminer quelles charges par-tielles permettent de reproduire au mieux le potentiel électrostatique à l’extérieur du feuillet

6N’ayant pas d’expérience avec les calculs ab-initio, nous n’aurions pas été en mesure de choisir seuls la fonctionnelle, les pseudo-potentiels et l’énergie de coupure (donc le nombre de fonctions d’ondes planes utilisées comme base pour la description de la fonction d’onde).

généré par la distribution de charge exacte (noyaux et densité électronique). Les charges des atomes n’appartenant pas aux bords (c’est-à-dire ceux de l’argile bulk) ont été fixées à leur valeur dans le champ de force de Smith (puisqu’au terme de cette procédure les atomes de bordure seront "collés" à des mailles d’argile non perturbées pour décrire le feuillet complet), tandis que celles des atomes de bordure sont ajustées en introduisant une contrainte (restrain) les maintenant au voisinage de valeurs "cibles" raisonnables. On a choisi pour ces dernières celles correspondant pour chaque type d’atome à la valeur dans l’argile bulk, afin que les charges par-tielles finales soient représentatives du réarrangement de la densité de charge après coupure du feuillet et dissociation de molécules d’eau en surface (voir plus haut).

En pratique, le potentiel électrostatique est évalué à partir de la distribution de charge exacte (noyaux et densité électronique) sur les noeuds i d’une grille, fournissant un ensemble de valeurs {V(ri)}i=nœud, et les charges partielles {qI}I=atomesont obtenues par minimisation de la quantité :

min {qI}         X i=nœud       V(ri) − X I=atome qI 4π0 1 ||ri− rI||        2 + λ X I=atome qI− qI2         (6.1)

où les qI désignent les charges cibles évoquées plus haut, et λ est un paramètre caractérisant la force de la contrainte au voisinage de ces charges. L’introduction de cette contrainte est nécessaire car la méthode ESP (Electrostatic Potential) converge mal pour les gros systèmes. La valeur de λ a été choisie pour s’assurer que tous les atomes d’oxygène portent une charge partielle négative et que tous les autres atomes ont des charges partielles positives, comme attendu du point de vue chimique. Une valeur trop faible ne garantit pas ce dernier point, tandis qu’une valeur trop élevée augmente l’erreur commise sur le potentiel électrostatique (premier terme de (6.1)). Enfin, dans une gamme de valeurs relativement large, les charges partielles finales dépendent peu de λ (variations de l’ordre de 1%), et nous avons choisi pour nos calculs la valeur λ= 2.

Ce choix de charges cibles et de λ, tout en permettant une bonne convergence de la mé-thode RESP, n’influe pas beaucoup sur le résultat de la procédure. En effet, les différences entre charges cibles et charges finales peuvent être assez importantes, jusqu’à 20% pour les atomes d’aluminium et 35% pour les atomes de silicium. Les charges obtenues sur les deux faces du fragment sont similaires bien que celles-ci ne soient pas parfaitement symétriques (différence de l’ordre de 1 à 5%), et une valeur moyenne a été utilisée pour les simulations classiques. Nous avons également vérifié que les charges obtenues pour une boîte deux fois plus grande étaient identiques. Churakov a montré récemment que la structure prédite dans le vide pour la face [010] considérée ici était en bon accord avec celle obtenue en présence d’un film d’eau à la surface [98]. Ceci nous conforte dans l’utilisation de la structure et des charges partielles déterminées dans le vide pour les simulations classiques en présence d’eau. Nous poursuivons actuellement nos travaux pour déterminer si les charges partielles déterminées par cette méthode à partir de la densité électronique en présence d’eau diffèrent ou non de celles déterminées dans le vide.

6.2.2 Détail des simulations

Les ions et les molécules d’eau ont d’abord été introduits aléatoirement dans la boîte de simulation, et le système a été équilibré par des simulations Monte-Carlo dans l’ensemble NVT (déplacements d’ions et de molécules d’eau uniquement), pour 5 106 pas à 1000 K, puis 5 106 pas à 500 K et enfin 1,5 107 pas à 298 K. Les 6 ions Na+dans le micropore après équilibration

6.2. SYSTÈME D’ÉTUDE 173

ont ensuite été remplacés par 6 ions Cs+ pour étudier l’échange entre cations. Après 106 autres pas de Monte-Carlo à 298 K, des simulations de dynamique moléculaires dans l’ensemble NVT ont été effectuées avec le logiciel DLPOLY. Des simulations ont par ailleurs été conduites sans remplacer les ions Na+par des Cs+, et les résultats obtenus pour l’eau, les ions Na+et Clsont identiques à ceux présentés dans cette section (le calcul des potentiels de force moyenne et du tenseur de diffusion n’a pas été repris dans ce cas).

Le choix de simulations à volume constant est le plus simple pour prendre en compte la coexistence entre une solution bulk (micropore) et une argile bihydratée observée dans les conditions souterraines. Au cours de l’équilibration, les molécules d’eau se répartissent entre micropore et interfeuillet, et la situation finale correspond à la fois à la densité de l’eau mas-sique dans le pore et à un contenu interfoliaire de 12-13 molécules d’eau par contre-ion. Ceci indique que le nombre de molécules d’eau choisi est cohérent avec la coexistence entre argile bihydratée et micropore, puisque la distance interfoliaire expérimentale de 15, 4 Å [242, 243] a été obtenue par simulations Monte-Carlo avec le champ de force de Smith pour un contenu en eau similaire [83].

La température est maintenue à 298 K en utilisant un thermostat de Nosé-Hoover, et les équations du mouvement pour l’eau sont intégrées en utilisant l’algorithme SHAKE (voir la section 3.2.2 page 88). Les interactions électrostatiques sont calculées par la méthode d’Ewald. Le pas de temps utilisé est ∆t = 1 fs. Après l’équilibration par Monte-Carlo, le système est à nouveau équilibré pendant 500 ps, avant une simulation de 20 ns.

6.2.3 Observation des trajectoires

L’observation des trajectoires au cours de la simulation fournit déjà une première approche de la dynamique de transfert en bordure de feuillet.

Eau

La figure 6.5 illustre trois configurations des molécules d’eau : à l’instant initial, après 500 ps et après 10 ns. Les molécules initialement dans le pore sont indiquées en rouge, celles initiale-ment dans l’interfoliaire en vert. On observe qu’en quelques nanosecondes les molécules d’eau se sont complètement homogénéisées. Même si la dynamique complète fait également interve-nir la géométrie de la boîte, cela indique clairement que les molécules d’eau sont susceptibles de passer rapidement d’un type de porosité à l’autre, sous l’effet de l’agitation thermique.

Cations et anions

La figure 6.6 illustre deux configurations des ions, à l’état initial et après quelques nano-secondes. On observe que les cations sont susceptibles de passer d’une porosité à l’autre sous l’effet de l’agitation thermique, ce qui n’est pas le cas des anions. Ceci est cohérent avec les notions d’échange cationique et d’exclusion anionique.

(a) t= 0 ns (b) t= 0, 5 ns

(c) t= 10 ns

F. 6.5: Configurations des molécules d’eau à l’instant initial (a), après 500 ps (b) et après 10 ns (c). Les molécules d’eau initialement dans le pore sont en rouge, celles initialement dans l’interfoliaire en vert.

(a) t= 0 ns (b) t= 8, 5 ns

F. 6.6: Configurations des ions à l’instant initial (a) et après 8, 5 ns (b). Les molécules d’eau sont grisées pour mieux voir les ions Na+(bleu), Cs+(orange) et Cl(rose).