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Synthèse et perspectives

Rappelons que le PNRB, à l'occasion de la révision de sa charte (Axe 8, page 74), affiche de manière explicite l'importance de la gestion des jussies. Le texte est le suivant :

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Apparue pour la première fois en Brière sur le secteur de Bréca, elle est combattue depuis par le Parc et ses partenaires, mais constitue une réelle menace sur l’équilibre biologique des marais. Dans d’autres marais où elle est implantée, son développement est tel qu’elle provoque une asphyxie de la vie aquatique, et interdit pratiquement le passage des embarcations.

En Brière, dès son apparition, le Parc a engagé, avec le concours de la Commission syndicale de Grande Brière Mottière, des opérations expérimentales : chantiers d’arrachages manuels (avec recrutement de personnel saisonnier en 1999), traitement chimique...

L’arrachage manuel semble la solution la plus satisfaisante. En 1999, la plante a été arrachée dans tous les secteurs où elle était localisée, mais on a pu constater nettement cette même année qu’elle gagnait du terrain.

Vu sa grande faculté à s’implanter et à se développer, la menace est bien réelle, et le Parc sera vigilant face à son extension. En liaison avec les acteurs locaux, il continuera de mettre en place les moyens de lutte contre cette plante.

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Depuis son introduction en 1994 et malgré les efforts permanents de régulation des jussies, leur colonisation du territoire du Parc Naturel Régional de la Brière est donc restée en constante progression. Elle a même apparemment montré une accélération depuis 2008.

Cette évolution comporte toutefois d'importantes disparités spatiales : en effet, la situation de certains milieux fortement colonisés évolue peu alors que la colonisation progresse très vite dans des milieux nouvellement colonisés, en particulier vers le Sud et l’Est du territoire.

Pour le moment l'intégration des données des variabilités climatiques (pluviométrie ou températures estivales) ou de la régulation annuelle des niveaux des eaux, ne permet pas d'identifier des incidences sur la dynamique de colonisation à l'échelle du site.

D'autres difficultés proviennent, à une échelle locale, des différents modes de colonisation et d’intervention en lien direct avec le type de biotope (canal, plan d'eau, prairie) et, par exemple, les arrachages de jussies terrestres sous forme prostrée et l’évacuation des déchets correspondants sont plus difficiles à mettre en œuvre en raison de la taille réduite des plantes et des accès peu aisés aux sites.

La colonisation assez récente de prairies est un enjeu supplémentaire de cette gestion, ajoutant des nuisances concernant plus spécifiquement le monde agricole et qu'il va être nécessaire de réduire.

Les impacts de cette colonisation sur la biodiversité sont insuffisamment connus pour établir un bilan précis de la situation, d'autant que l'arrivée de l'écrevisse de Louisiane est venue modifier cette évolution.

Toutefois, il a déjà été admis que les travaux réguliers d'arrachages présentent des effets positifs sur la diversité floristique indigène, modifiant à cette échelle du territoire les processus de compétition interspécifique au détriment des jussies.

D’autres solutions techniques sont éventuellement à envisager, comme la fauche ou le pâturage, qui pourraient s'intégrer à long terme dans la démarche de gestion. Toutefois, leur mise en œuvre nécessitera des suivis assez précis pour que leur efficacité et leur niveau d'innocuité vis-à-vis des communautés végétales dans leur ensemble soient correctement évalués.

De nombreuses questions restent évidemment posées, comme par exemple :

- quelles sont les modalités d'extension de la colonisation dans de nouveaux sites ? - quels sont les facteurs écologiques qui pourraient évoluer sur le territoire et améliorer

la situation en réduisant "naturellement" la dynamique de colonisation ? - quelles sont les possibilités de limitation de cette extension ?

- quelles sont les possibilités de hiérarchisation des zones dans lesquelles intervenir ? - quels sont les éléments de stratégie de gestion qui pourraient permettre d'intervenir sur

les sites nouvellement colonisés avec des chances de succès ?

- quels sont les effets d'interventions répétées et à long terme sur les dynamiques de colonisation végétale ?

Cette situation pourrait être actuellement considérée comme un relatif échec mais les grandes multiplicité et complexité des milieux aquatiques de ce territoire(plans d'eau, canaux et prairies humides), sont une contrainte extrêmement importante des interventions de gestion et, de toute manière, rendent irréaliste tout objectif de réduction rapide de ces colonisations.

La diversité des usages de ces zones humides n'est pas spécifique de ce site mais ajoute à la complexité de cette gestion, à la fois dans les représentations des divers usagers et intervenants mais aussi pour les objectifs affichés et les mises en œuvre pratiques des interventions. D'autres intervenants externes au site, déjà bien identifiés par le PNRB, comme les collectivités territoriales englobant le territoire (département et région), l'Agence

de l'Eau et le Ministère Chargé de l'Ecologie, ont également des rôles importants dans cette gestion, en particulier sur les aspects réglementaires et économiques de la démarche engagée.

Les efforts continus de coordination, les améliorations des modalités pratiques des interventions, les recherches menées en parallèle pour préciser les conditions de développement des jussies dans le contexte briéron, constituent en fait les seuls garants d'une optimisation à moyen ou à long terme de cette gestion.

L'évolution de la représentation de la gestion des jussies, fréquemment observée sur des sites où ces plantes créent des nuisances jugées inacceptables par les populations locales, passe généralement par des phases successives :

- dans un premier temps, en fonction des informations accessibles au grand public, sont exprimés des espoirs d'éradication ou au moins de régulation rapide de ces nuisances, - dans un deuxième temps, les informations qui arrivent au fil du temps réduisent

progressivement ces espoirs et modifient fortement les représentations des populations concernées, pour en arriver à un constat d'échec qui peut faire douter du bien-fondé de la démarche de gestion engagée,

- une troisième phase, qui devrait en fait être acceptée comme la "dernière", est la nécessité de poursuivre les interventions de gestion au moins tant que les objectifs d'utilisation du territoire concerné ne sont pas modifiés et que la colonisation n'est pas régulée à un niveau de nuisances jugé acceptable par les usagers. Ce qui se traduit très directement par "vivre avec" sans, la plupart du temps, être capable de prévoir la durée de cette coexistence conflictuelle. Cette méconnaissance de la durée prévisible de la gestion est d'ailleurs une des difficultés majeures de sa perpétuation, aussi bien dans les aspects organisationnels que dans les financements indispensables.

Rappelons enfin que les jussies ne sont pas les seules espèces exotiques envahissantes sur le territoire du PNRB. Dans l'article dont est tiré le tableau 1 figure également une liste des espèces animales. Les relations qui se mettent en place entre les jussies et certaines de ces espèces, dont en particulier l'écrevisse de Louisiane, viennent encore modifier les évolutions de la colonisation par ces plantes et le PNRB présente très clairement ses objectifs d'une régulation de ces "phénomènes invasifs".

Issue des informations générales recueillies dans la littérature technique et scientifique déjà disponibles et des données analysées à partir des expériences de gestion, cette démarche cognitive devra présenter différentes phases jugées nécessaires pour optimiser la mise en œuvre des interventions de gestion, en fonction des situations à gérer.

Une "grille d'analyse", déjà proposée dans d'autres contextes de gestion de plantes exotiques envahissantes 3-4, a été utilisée dans le cas présent pour identifier les acquis et les besoins en matière de connaissances et de décisions qui constituent la structure même de toute démarche et pour commencer à repérer les éléments qui pourraient être transposables dans d'autres sites ou situations.

Cette grille d'analyse s'articule autour de trois types d'informations indispensables, c'est à dire des acquisitions de données, des choix stratégiques et logistiques et des évaluations a posteriori.

Elle peut être déclinée de la manière suivante : - connaissances disponibles ou à acquérir :

o caractéristiques du site concerné (biotopes, communautés végétales et animales),

o usages et usagers (bilan complet des usages du milieu), o gestionnaires (moyens) et cadre règlementaire,

o nuisances et/ou dommages causés par les espèces exotiques envahissantes (bilan),

o espèces responsables des nuisances (biologie, écologie), - choix :

o techniques d'intervention (modalités pratiques),

o programme d'intervention (organisation, financement, etc.), - évaluations :

o efficacité de la gestion (réduction de la colonisation, satisfaction des usagers), o impacts écologiques des interventions.

3 DUTARTRE A., 2002. Panorama des modes de gestion des plantes aquatiques : nuisances, usages, techniques et risques induits. Ingénieries N° 30, 29-42.

4 DUTARTRE A., HAURY J., JIGOREL A., LAPLACE C., 1997. Possibilités de gestion de l'invasion de la retenue de Pen Mur (MUZILLAC, MORBIHAN) par une plante aquatique exotique : Egeria densa. Cemagref, Unité de Recherche Qualité des Eaux, ENSA/INRA Rennes, INSA Rennes. Rapport pour le Conseil Général du Morbihan, 142 p.

Signalons qu'une part importante de ces éléments d'analyse est déjà présente dans les divers documents écrits disponibles au PNRB et chez ses partenaires. Un complément d'intégration de ces éléments reste toutefois à réaliser pour parfaire l'analyse en cours et mener le programme à son terme.

La poursuite de ce programme est la suivante :

- prévu en juin, un séminaire de transmission des résultats de cette première analyse à l'ensemble des parties prenantes de la gestion de l'espèce sur le site permettra de confronter les résultats de cette analyse aux avis et demandes des différentes parties prenantes pour extraire des éléments explicatifs complémentaires utiles à la finalisation de l'étude.

- les relevés de discussions de ce séminaire seront ensuite intégrés afin de reformuler un bilan des connaissances disponibles, des acquis sur les interventions de gestion sur l'espèce donnée et des éventuels besoins de "comblement" des lacunes subsistant dans les connaissances pour améliorer encore les pratiques de gestion.

Le rapport final de l'analyse globale de la démarche engagée par le gestionnaire comportant une identification d'éventuelles pistes d’amélioration de la gestion de l'espèce en Brière et des éléments transposables à d'autres sites sera remis à la fin de l'exercice 2012.

Bibliographie partielle

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