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3 / Synthèse nouvelle : « Comté de Nice » et « Côte d’Azur »

La présentation de la nouvelle manifestation culturelle, « Voucalia38 » créée en 1997, a

été placée sur la page d'accueil, en remplacement de l'annonce du carnaval qui vient de se

38 Il s'agit d'un Festival de Polyphonies Méditerranéennes, traduction concrète d’une démarche d’affirmation de l’identité niçoise : «De tous temps, la musique s'est enrichie des apports voisins. La musique niçoise du XIXe siècle, et "Nissa la Bella" en particulier, qui rappelle qu'elle se joue sur des rythmes qui ont nom

terminer. Sa position privilégiée en entrée de site, témoignant de l'importance qui lui est accordée, nous a incités à en consulter la présentation. Son organisation récente (quatrième édition en 2001), s’inscrit comme le rappellent les organisateurs eux-mêmes dans la stratégie de relance de l’identité niçoise marquée par l’organisation en 1997, à l'initiative de la nouvelle municipalité, des premiers États Généraux de l’Identité Niçoise39. Les

initiateurs de ce festival se situent en effet dans la continuité de la démarche du projet défini par les États Généraux de l’Identité Niçoise.

Cette initiative nouvelle se propose d'organiser et de maîtriser la confrontation entre une certaine vision du passé, et le futur que l’on souhaite construire. D'emblée, les organisateurs inscrivent leur manifestation dans la référence noble à l'histoire et refusent d’être considérés comme une manifestation folklorique40 à vocation touristique. Ils tiennent

à se démarquer de toute assimilation au folklore habituel :

« VOUCALIA n’est pas un festival de folklore, il n’est pas superflu. VOUCALIA est un carrefour de convivialité, de profondeur et d’harmonie, un panorama de 360° qui associe aux origines tous les apports qui ont fait de Nice ce qu’elle est. » (www.ville-nice.fr)

Les organisateurs de Voucalia se défendent donc de lancer une « mascarade » de plus sur le marché déjà encombré du folklore touristique. Ils inscrivent leur manifestation dans une démarche de relance de l'identité niçoise, de redéfinition de l'image et du contenu du territoire auquel ils souhaitent restituer la dimension de l'histoire. Le projet de ce festival se pose comme une démarche nouvelle et originale :

« Conjuguant enracinement et ouverture, Nice affirme sa vocation historique : réunir Comté de Nice, vieux pays latin marqué par une histoire et une culture originale et Côte- d’Azur, mythe mondial du plaisir frivole inventé sur ses rivages. » (www.ville-nice.fr)

Il s'agit pour ses initiateurs de réussir la synthèse entre l’histoire du Comté de Nice et de l’identité niçoise, et sa réalité économique moderne de pôle touristique mondial. À cette fin, le contenu de chacun des deux termes de la synthèse recherchée est énoncé :

« Comté de Nice : une histoire, une culture et des traditions qui évoquent l’esprit d’un pays à part, un mélange de convivialité, de fierté et d’attachement, marqué par la communion de la mer grecque et de la montagne ligure. Pas du folklore pour visiteurs pressés, mais un véritable art de vivre, de penser et de créer.

Côte d’Azur : de la modernité, du luxe, des loisirs, du rayonnement planétaire, du mélange culturel. »

Dans le cadre de cette synthèse d'image recherchée par les promoteurs du festival, nous sommes donc en présence de deux éléments que l'on cherche à faire fusionner : la tradition symbolisée par le Comté de Nice et son histoire, et la modernité symbolisée par la Côte d'Azur en tant que capitale internationale du tourisme. Dans l'optique des organisateurs de ce festival, les traditions locales sont présentées comme un art de vivre qui n’a rien de

polka, mazurka ou valse ?» «C'est cette démarche qui justifie la création de VOUCALIA, ancrée dans la tradition et ouverte par la création qu'elle inspire.» Cette démarche de célébration identitaire est originale en ce qu'elle évoque les apports extérieurs déjà intégrés dans les traditions locales.

39 Les premiers États Généraux de l'Identité Niçoise se sont tenus le 7 juin 1997 dans les locaux de la mairie en présence et avec la participation des autorités municipales.

40 Cette posture critique à l'égard des autres manifestations folkloriques n'est pas sans rappeler celle également critique, et définitive formulée par A. Compan : « Ce sous-produit détestable : ce folklore, au nom germanique et qui aboutira aux situations les plus burlesques, sinon les plus stupides. On verra peu à peu ce produit de remplacement porter ombrage à la langue du pays, puisqu'elle en fait un spectacle. En 1939, on remarque que certains membres de ces sociétés, harnachés à la niçoise, ne comprennent même pas les mots et les phrases dont ils se servent. (...) la chanson et l'art populaire sont bien antérieurs à de pareilles mascarades. »

commun avec un folklore pour touristes consommateurs pressés. Il s’agit de promouvoir un mode de vie, un art de vivre « authentiquement » traditionnel. Adossé à une noblesse historique qu’on veut et qu’on présente cohérente et épique, celui-ci serait le pendant sérieux chargé de faire contrepoids au « mythe mondial du plaisir frivole » inventé sur « nos » rivages, rançon du succès du tourisme. En formulant cette définition, ce festival innove en ce qui concerne l'image de Nice, en la présentant comme la synthèse de la tradition et de la modernité, c'est-à-dire la fusion du Comté de Nice et de la Côte d’Azur, synthèse heureuse du passé et du présent préparant un futur harmonieux. Cette problématique se fixe en quelque sorte comme objectif de résoudre la contradiction entre l’affirmation identitaire arrimée à l’histoire du Comté, et la négation de l’identité consubstantielle de la définition même de la Côte d’Azur.

Nous avons là une thématique nouvelle par rapport aux autres tentatives qui se sont succédées au cours de l'histoire ou qui sont actuellement mises en œuvre. En effet, les efforts de correction de l’image liée au carnaval ont débuté assez tôt, et ont d’abord consisté, on l'a vu, à promouvoir une dimension intellectuelle de carrefour international des idées avec la création du CUM en 1932, initiative destinée à s'affranchir du ghetto doré de l’image de « ville de loisirs et de plaisirs frivoles ». Dans cette démarche, l’identité locale n’avait pas sa place et était ignorée. Elle était en général considérée comme vestige d’un certain archaïsme que l’on cherchait à dépasser, même si le particularisme niçois était largement cultivé à des fins de politique locale, mais jamais comme argument d’image pour la ville. Ensuite, plus proches et contemporains, initiés depuis un peu plus de deux décennies, d'autres efforts ont été déployés pour promouvoir l’image moderne de pôle industriel de hautes technologies. Mais dans ce cas également, l'identité locale n'a pas été sollicitée, c'est plutôt la valorisation de la dimension internationale et le caractère multiculturel de la Métropole Technologique que l'on s'est attaché à promouvoir. Ces démarches ont ainsi en commun de n'avoir pas utilisé les traditions et l’identité locale comme éléments positifs de promotion de l’image de la ville, alors que cette tentative nouvelle de correction de l'image, par la synthèse qu'elle propose, se distingue des précédentes en ce qu'elle fait appel aux traditions et à l'identité locale.

Le souci de la modernité, par contre, paraît avoir été partagé par l'ensemble des problématiques de correction qui ont été initiées. Ainsi, il a été dès les années trente présent sur le registre, on l'a vu, du rayonnement intellectuel et artistique. De même, la modernité représente une préoccupation majeure des décideurs du monde socioéconomique actuels pour lesquels les hautes technologies et l'innovation en sont les symboles. Elle reste également une préoccupation centrale dans la démarche des promoteurs du festival puisqu'elle figure en très bonne place comme second terme de la formule de synthèse proposée. Mais la modernité n'a pas le même contenu suivant l'émetteur d'image qui la formule. En effet, la modernité dont il est question dans la formule proposée par les organisateurs du Festival Voucalia est celle de la « Côte d'Azur » capitale internationale du tourisme, qu'ils se proposent de faire fusionner avec l'image d'un passé (re)construit, alors que la modernité cultivée par les décideurs socioéconomique est celle de la « Côte d'Azur » métropole technologique de l'Europe du Sud rayonnant par-delà les frontières des États, comme nous venons de le voir en analysant les sites internet de la CCI et surtout de CAD. L’utilisation d’un même terme, « modernité », prend ainsi un contenu différend suivant qu'il émane du site de la mairie ou des sites de la CCI et de CAD.

Cette nouvelle image de « synthèse » proposée par le site municipal repose donc sur une conception différente de la modernité, elle se trouve donc décalée par rapport aux préoccupations affichées par les décideurs socioéconomiques au travers des sites qu'ils gèrent.

Cependant malgré les décalages qu'elle peut engendrer, cette politique de relance de l’identité niçoise a sa cohérence, car elle se propose de répondre aux questions posées par l’évolution de la clientèle touristique. Il convient donc d'étudier les mécanismes par lesquels l’identité niçoise, assise sur une construction de l'histoire locale, est mobilisée aux fins de production de « l’authenticité » nécessaire à la satisfaction d'une nouvelle clientèle soucieuse de tourisme culturel.

III / CONSTRUCTION DE L’IDENTITE LOCALE ET « AUTHENTICITE »