cependant moins abordée chez Shields.
Du côté de la francophonie, l’étude d’Archambaut (2008) sur les établissements défavorisés utilise également le cadre théorique du leadership pour la justice sociale.
Les directions interrogées dans cette étude décrivent les spécificités de la gestion d’un établissement multiculturel défavorisé :
-‐ Un engagement moral pour l’équité et la justice sociale (certaines directions parlent de « feu sacré »)
-‐ des attentes élevées pour tous les élèves et la croyance en leur capacité de réussite, partagées par les enseignants,
-‐ la connaissance du milieu scolaire dans lesquels les directions travaillent (établissement, familles et communauté)
-‐ des relations de partenariat avec la communauté et les familles
Les résultats de l’étude empirique d’Archambaut (2008) permettent de valider certains éléments de la théorie du leadership pour la justice sociale, notamment l’engagement moral particulier, ou feu sacré, des directions exerçant un tel leadership, qui apparaît nécessaire pour faire réussir les élèves. Les attentes élevées et les relations avec la communauté ont été mentionnées dans la littérature mais il est intéressant de voir qu’elles sont apparues comme essentielles pour les directions en exercice. La connaissance du milieu est peut-‐être moins décrite dans la littérature. Même si elle peut paraître implicite, l’établissement de relations de partenariat nécessite une connaissance de l’autre partie. Cet élément est ressorti de manière très importante dans le discours des directions. Savoir où vivent les familles, comment et où elles vont faire leurs courses, rencontrer les membres de leur communauté, etc. fait partie du métier pour les directions interrogées. Il s’agit en effet d’un moyen pour essayer de limiter la distance entre l’institution scolaire et les familles. Dans ce sens, cette pratique s’incarne tout à fait dans le concept de leadership pour la justice sociale.
4. Synthèse du modèle d’analyse et formulation des questions de recherche
a. Rapport à la diversité et leadership : comment penser le rôle des directions ?
Comment modéliser le rôle des directions dans la réussite scolaire des élèves issus de l’immigration ? Nous avons pu soulever certains éléments issus de la littérature empirique dans la revue de la littérature, et notamment dans les champs d’action du leadership. Les discussions théoriques présentées dans ce chapitre nous permettent de préciser ces champs d’action en les inscrivant dans des paradigmes et conceptualisations des relations à l’altérité.
120
Comment l’institution scolaire traite-‐t-‐elle les élèves de statut minoritaire, et notamment ceux issus de l’immigration ? Quelle place donne-‐t-‐elle à la diversité et à son expression ? La discussion conceptuelle nous permet de formaliser une variété des formes de prise en compte de la diversité dans l’école obligatoire, allant de la posture d’assimilation à la posture intégrative. Le schéma ci-‐dessous synthétise cette diversité de positionnement :
Figure 7: Conceptualisation du rapport de l’école face à la diversité culturelle
Les modèles d’acculturation repris de Berry et Bourhis (Berry, 1990; Berry, 2005;
Bourhis, Moïse, Perreault, & Sénécal, 1997) sont articulés aux cadres de référence guidant l’agir scolaire (Dubet & Duru-‐Bellat, 2004; Payet et al., 2011). De la posture assimilative où les différences sont neutralisées au profit du modèle culturel du groupe majoritaire, à la posture intégrative où les différences sont reconnues dans l’espace scolaire (Honneth, 2000; Taylor, 1994), il existe bien évidemment une variété conséquente de positionnements. Nous avons voulu représenter ici les plus importants qui se situent aux deux extrémités du spectre sans prétendre à une forme de hiérarchie ou de progression entre elles. La posture individualisante de l’anomie a également retenu notre attention, car elle ressort fréquemment des discours enseignants. Dans cette posture, la différence de l’élève n’est pas neutralisée mais elle n’est pas prise en compte par l’école qui met l’accent sur l’enfant en soi, plutôt que sur ses appartenances à des groupes culturels. Nous avons également ajouté le rapport de folklorisation, qui représente une forme de valorisation souvent exprimée par les enseignants mais la limite à une représentation réifiée et stéréotypée des cultures des élèves (Abdallah-‐
Pretceille, 2005; Gérin-‐Lajoie, 2011). La reconnaissance va plus loin dans la prise en compte des différences, car elle postule que ces dernières ont une réelle existence dans la classe et représentent une ressource pour l’élève, l’enseignant, la classe et l’établissement dans son entier. L’ethnicité est valorisée par l’institution scolaire. Les enseignants de la diversité représentent des modèles de réussite, pour les élèves de la diversité mais pour la société multiculturelle dans son ensemble (Villegas & Irvine, 2010).
Qu’en est-‐il du rôle des directions d’établissements scolaire dans ce rapport à la diversité? Comment conceptualiser leur action spécifique dans la reconnaissance de la différence culturelle et la réussite de tous ?
Dans le cadre théorique du leadership en éducation, peu de travaux portaient explicitement sur la prise en compte de la diversité culturelle. Les travaux autour du leadership pour la justice sociale permettent de cerner les enjeux spécifiques ainsi que les caractéristiques du rôle, notamment la nature de la vision critique et militante, ainsi que les pratiques « justes » et « équitables » afin de mener à bien cette vision. Les leaders sont des personnes engagées moralement en faveur de la justice sociale et remettent fortement en question les structures actuelles de l’école qui désavantagent tous les élèves s’éloignant de la norme. Le leadership pour la justice sociale impose de déconstruire les barrières structurelles qui limitent la réussite des élèves issus des minorités. Il vise à éliminer toutes les formes de marginalisation ou de discrimination, allant du commentaire raciste aux filières ségrégatives.
Bien que ces travaux, réalisés essentiellement par Theoharis et Shields (Shields, 2010;
Theoharis, 2007), restent majoritairement à un niveau théorique, leur articulation avec les résultats empirique du leadership efficace semble tout à fait pertinente. En effet, les spécificités mise en évidence dans le leadership pour la justice sociale peuvent tout à fait s’inscrire dans les catégories établies par Leithwood (2005) dans sa définition des domaines d’action que sont le but, les personnes et l’organisation ; en y ajoutant les relations à la communauté (au sens large, communautés culturelles comprises) et à la famille, mises en avant dans notre revue de la littérature mais également dans ce chapitre (Vatz Laaroussi, Rachédi, et al., 2008). Le schéma ci-‐dessous, illustre la spécificité du modèle de leadership pour la justice sociale :
d’établissements scolaire en particulier. Le schéma ci-‐dessous résume l’articulation des deux modèles :
Figure 9: Articulation des deux modèles théoriques
Le leadership pour la justice sociale articulé aux variétés de posture de l’agir scolaire face à la diversité va nous servir de cadre d’analyse pour notre enquête empirique. La section qui suit présente les questions de recherche ainsi que ses indicateurs. Le chapitre suivant détaillera la méthodologie de recherche nous permettant de proposer des réponses à ces questions.
b. Formulation des questions de recherche
A partir des conclusions de la synthèse présentée, issus de la littérature empirique et théorique, nous souhaitons transformer notre question de départ portant sur le rôle des directions dans la réussite scolaire des élèves issus de la migration pour l’orienter sur la reconnaissance de la diversité culturelle à travers l’exercice du leadership des directions d’établissements scolaires. Comme vu précédemment, le concept de leadership nous permet de préciser le terme de rôle des directions d’établissements. Ce même concept sera articulé à la reconnaissance de la diversité qui permet de spécifier notre orientation
Modèles d’acculturation
Mission de l’école Egalité formelle
Assimilation Intégration
Equité Neutralisation
Rapport aux différences culturelles Reconnaissance
Individualisation Anomie
Folklorisation
Leadership
Elèves
Buts
Enseignant Organisation
famille communauté
Vision
124
en terme de facteur de réussite scolaire des élèves issus de la migration. En partant du constat que l’école, surtout l’école suisse, ne parvient pas encore à faire réussir ses élèves issus de la migration aussi bien que les élèves autochtones, nous postulons, à partir de la littérature présentée, qu’une meilleur reconnaissance de la diversité permettra une meilleure réussite scolaire.
Nous posons donc la question de recherche suivante :
Dans quelle mesure les directions d’établissements scolaires reconnaissent-‐elles la diversité culturelle dans la conception et l’exercice de leur leadership ?
Cette question sera abordée dans une perspective comparée. L’objectif est en effet de comparer les conceptions des directions genevoises et montréalaises quant à l’exercice de leur leadership dans la reconnaissance de la diversité culturelle.
A partir des lectures présentées, nous proposons l’hypothèse suivante :
La reconnaissance de la diversité culturelle s’inscrit de manière plus significative dans le leadership des directions montréalaises que dans le leadership des directions genevoises.
Nous formulons cette hypothèse sur la base du constat d’ethnicisation plus marquée des relations sociales au Québec qu’à Genève, dans un contexte de société multiculturelle reconnaissant légitime l’expression des différences culturelles. Nous pensons notamment que le rôle plus important donné à la communauté par la société québécoise représente une ressource pour les familles et les directions afin de favoriser la réussite scolaire des élèves issus de la migration.
Afin de pouvoir structurer notre procédure d’analyse, nous souhaitons poser les sous-‐
questions suivantes, relatives aux dimensions du leadership pour la justice sociale mise en évidence dans ce chapitre :
1/ But et vision du leadership
Dans quelle mesure la reconnaissance de la diversité culturelle s’inscrit-‐elle dans les buts et visions du leadership exprimés par les directions ?