3. Première modélisation du rôle des directions dans la réussite scolaire des élèves issus de l’immigration
Que retenir de la littérature empirique internationale sur le rdes directions d’établissements dans la gestion de la diversité culturelle ? Tout d’abord, force est de constater que la prise en compte de la diversité est loin d’être majoritaire dans la littérature sur le leadership. Dans la recherche anglo-‐saxonne par exemple, pionnière dans le domaine, le leadership est fortement associé aux mesures de performances des établissements (Hallinger & Heck, 1996; Leithwood et al., 2004). Par leadership, nous entendons le fait de « donner des directions et exercer une influence » (Leithwood et al., 2004). En écartant les débats sur le modèle de leadership efficace, nous retenons surtout l’effet essentiellement indirect des directions (Leithwood et al., 2004; Pont et al., 2008).
L’effet est médiatisé. Les directions ne sont pas les premiers responsables des performances des élèves. Les différences individuelles des élèves et la qualité de l’enseignement dispensé sont des facteurs explicatifs plus importants.
Un certain nombre de critique peuvent donc être apportées à l’orientation dominante de la littérature sur le leadership. Tout d’abord, du point de vu méthodologique ces études
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sont essentiellement quantitatives et ne permettent pas de comprendre la réalité précise des directions d’établissement scolaire. Une série de variables, parfois identifiés comme des bonnes pratiques sont mises en évidence, mais les divergences dans la définition des indicateurs entre les différentes études limitent la validité empirique des résultats. La précision des variables ou pratiques identifiées est également critiquable et recouvre un grand nombre de gestes professionnels. Enfin, il convient de relever la principale faiblesse de cette littérature à savoir un effet essentiellement médiatisé des directions sur la réussite scolaire des élèves comme le montre la section 1c de ce chapitre. Les caractéristiques socio-‐culturelles des élèves restent prédominantes ainsi que la qualité des pratiques pédagogiques (Leithwood et al. 2004 ; OCDE 2005).
Si l’effet des directions sur la réussite scolaire est limité, ces dernières peuvent néanmoins contribuer à la création et au maintien d’un environnement scolaire favorisant l’apprentissage. De quelle manière ? Hallinger et Heck (1996) identifient trois domaines d’action :
-‐ les buts -‐ les personnes -‐ l’organisation
Le leadership pédagogique efficace tient compte de ces trois dimensions : les missions de l’école centrées sur la réussite des élèves, l’empowerment des acteurs de l’éducation, notamment des enseignants, ainsi que le contrôle et le développement d’une organisation scolaire cohérente avec les missions de l’école (composition des classes et des regroupements, projet d’établissement, etc.).
Figure 5 : Modélisation du leadership pédagogique
Certes, la question de la réussite scolaire des élèves issus de la migration, et la manière dont les directions peuvent œuvrer en ce sens, ne sont pas l’objet principal des études sur le leadership. Néanmoins nous pouvons retenir certains éléments pertinents relevant des tâches organisationnelles du métier de direction. Tout d’abord, la recherche francophone met en avant une grande diversité des rôles exercés par les directions, dépassant souvent les rôles prescrits (Baluteau, 2009; Barrère, 2006b; Demailly, 2000;
Derouet & Dutercq, 1997). Ensuite, comme nous l’avons vu (Baluteau, 2009; Brassard et al., 2004), les activités dites administratives peuvent parfois être porteuses d’enjeux importants pour les élèves issus de l’immigration. Par exemple, la rédaction du projet d’établissement, la gestion des filières, la composition des classes et les dérogations à la carte scolaire peuvent représenter des leviers d’action, en faveur de la réussite, ou au contraire, contribuer à renforcer les inégalités à travers une ségrégation renforcée. Ces objets de recherche nous paraissent plus pertinents pour la suite de notre travail que les conclusions ambigües, à la fois positives et négatives, concernant les représentations des directions envers la diversité culturelle (Archambault & Harnois, 2008; Cattonar et al., 2007).
Un autre levier d’action en faveur de la réussite des élèves issus de l’immigration est la mobilisation de l’équipe enseignante. Cette dimension du métier a été plus abondamment traitée dans la littérature francophone, bien qu’elle ne soit que rarement mise en lien avec la gestion de la diversité culturelle. Le métier de direction est surtout
Leadership pédagogique
Elèves
Buts Enseignants Organisation
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abordé sous l’angle des conséquences des réformes de la nouvelle gouvernance, à travers la mise en évidence des questions que ces réformes soulèvent sur l’organisation du travail dans les établissements scolaires (Cattonar & Lessard, 2011; Gather Thurler &
Perrenoud, 2004; Pelletier, 2007). La légitimité des directions auprès des enseignants représente un réel défi (Gather Thurler et al., 2011). La reconnaissance de leur rôle de leader pédagogique est loin d’être effective. Les rôles des acteurs des établissements ne vont pas forcément de soi, surtout pas pour les directions, et sont en constante négociation (Barrère, 2006a; Gather Thurler et al., 2011).
Si la recherche anglo-‐saxonne a bien montré que la mobilisation des équipes enseignantes est un facteur clé pour la réussite des élèves, il n’est pas toujours aisé pour les directions de pouvoir travailler en collaboration avec les enseignants. Les réformes de la nouvelle gouvernance ont brouillé les cartes d’une certaine façon, en diminuant l’autonomie et la souveraineté pédagogique des enseignants, face aux leaders pédagogiques que sont devenues les directions (Baluteau, 2009; Barrère, 2006a, 2006b).
Comme le résume Baluteau (2009, p. 3) : « à une légitimation officielle du rôle pédagogique du personnel de direction répond une dé-‐légitimation de la part de professeurs enclins à maintenir leur autonomie individuelle au nom d’une expertise professionnelle ». Les réformes de la nouvelle gouvernance mettent l’accent sur l’échelle de l’établissement (sa pédagogie, ses résultats), dans un contexte de concurrence accrue (Felouzis et al., 2013). La pratique enseignante perd ainsi de son autonomie et de sa singularité, et les relations entre enseignants et directions s’en trouvent considérablement modifiées.
Dès lors comment faire travailler les enseignants dans l’optique de faire réussir les élèves ? Une des conclusions de la recherche que nous retenons est celle de la nécessité de proposer des projets qui font sens (Barrère, 2002). Les enseignants ne sont pas réfractaires par nature mais auraient plutôt tendance à embarquer dans un travail s’ils en voient une plus-‐value. Bien évidemment, c’est également à la direction de savoir diriger les enseignants vers les réels besoins de l’établissement, c’est à dire ceux des élèves. Mais comme Barrère (2002) le souligne, ces intérêts sont souvent convergents.
Dès lors, nous pouvons nous interroger sur la tendances des établissements multiculturels et défavorisés à travailler sur la vie scolaire et la gestion des sanctions, plutôt que sur l’apprentissage des élèves (Payet, 1997; Van Zanten, 2001). L’ordre scolaire est certes une préoccupation légitime des établissements scolaires, néanmoins, il n’est que très rarement associé au respect et à l’acceptation des différences, contrairement à la conception des missions des écoles défavorisées et efficaces (Archambault et al., 2011). Dans ces mêmes établissements où les inégalités de réussite sont criardes pour les élèves issus de la migration, les équipes pédagogiques, et les directions, ne passent-‐elles pas à côté de l’enjeu essentiel ?
Outre la mobilisation de l’équipe enseignante, à travers des projets visant la réussite des élèves, il nous paraît essentiel de souligner le rôle des directions dans l’établissement de
partenariat avec la communauté, qu’il s’agissent des partenaires sociaux qui œuvre autour de l’école ou des communautés culturelles. Plutôt mise en évidence comme une dimension secondaire de l’exercice du leadership, devant la gestion des relations internes, la gestion des relations externes nous paraît revêtir une importance significative à l’heure d’œuvrer pour la réussite des élèves issus de l’immigration. Cette dimension du métier est soulignée par le rapport Fleury (2007) comme une nécessité pour la gestion sereine des accommodements raisonnables. Outre la connaissance du fait religieux, la qualité des relations avec la communauté apparaît comme un facilitateur dans la prise de décision (Fleury, 2007). La connaissance du milieu scolaire est également relevée par les directions (Archambault & Harnois, 2008) comme une nécessité à l’exercice d’un leadership efficace pour les élèves issus de l’immigration.
Figure 6 Modélisation du leadership favorisant la réussite des élèves issus de la migration
Le schéma précédent illustre le modèle du leadership favorisant la réussite des élèves issus de l’immigration, construit à partir des indicateurs de la recherche empirique, émanant de la littérature sur le leadership efficace ainsi que le leadership d’établissement multiculturel et défavorisé. La réussite scolaire des élèves issus de l’immigration peut s’inscrire dans les valeurs de l’école (but), être un objet de formation
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continue des enseignants (personnes). Elle peut également être retenue comme un critère dans la composition des classes (organisation). Le projet d’établissement, ou plan de réussite au Québec, peut représenter l’outil fédérateur en rassemblant les enseignants autour d’un objectif pertinent, car centré sur la réussite des élèves, et cohérent vis à vis de l’organisation scolaire existante ou proposée. Outre ces trois indicateurs, les recherches québécoises notamment, mettent en avant la nécessité d’accorder du temps à l’établissement d’un partenariat avec les familles et la communauté. Ces deux acteurs deviennent en effet clé en vue de faire réussir les élèves issus de l’immigration, moins familiers avec les codes du système scolaire que ne le sont les élèves autochtones.
Cependant, ce modèle reste lacunaire et ne permet pas de pouvoir saisir la complexité du rôle des directions engagées dans la réussite des élèves issus de l’immigration. Il ne donne pas non plus à voir les interactions entre les différentes dimensions. Il convient donc d’explorer, dans le chapitre qui va suivre, les recherches théoriques nous permettant d’affiner ce modèle, en cherchant notamment à conceptualiser le rapport à la diversité culturelle.