CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
1. Posture épistémologique
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CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
Après avoir présenté notre modèle théorique ainsi que les questions de recherche orientant notre analyse de l’empirie, nous allons détailler dans ce chapitre notre méthodologie de recherche. Nous commencerons par exposer la posture épistémologique de notre étude en expliquant sa dimension qualitative mais également comparative. Viendront ensuite les descriptions des terrains d’enquête ainsi que des participants interrogés. Nous terminerons par présenter nos méthodes de récolte et d’analyse des données.
1. Posture épistémologique
Notre recherche s’inscrit dans le champ des méthodes qualitatives. Cependant, définir une recherche par la méthode employée ne permet pas de comprendre le regard posé par le chercheur sur le monde. A la suite de Charmillot et Dayer (2007), nous souhaitons distinguer la posture de recherche de la technique dans ce chapitre.
a. Paradigme interprétatif et approche phénoménologique
Le paradigme dans lequel nous nous inscrivons est celui du paradigme interprétatif ou compréhensif, qui considère la réalité comme une construction sociale et cherche à mettre en évidence le sens produit par l’individu (Savoie-‐Zajc, 2000). Dans cette production de sens transparait non seulement une logique propre à l’individu, la manière dont il donne sens à ses actions, mais également une logique collective d’action sociale (Charmillot & Dayer, 2007). Pour comprendre ce savoir ainsi produit, ce dernier ne doit pas être isolé de son contexte de production mais au contraire y être relié (Karsenti & Savoie-‐Zajc, 2000). Dans cette posture de recherche, l’influence du chercheur n’est pas ignorée mais explicitée et objectivée. La définition de la recherche interprétative par Savoie-‐Zajc (2000, p.176) résume ainsi les différents points susmentionnés :
Une forme de recherche qui exprime des positions ontologique (sa vision de la réalité) et épistémologique (associé aux condition de production du savoi) particulières dans la mesure où le sens attribué à la réalité est vu comme étant construit entre le chercheur, les participants à l’étude et même les utilisateurs des résultats de la recherche. Dans cette démarche, le chercheur et les participants ne sont pas neutres : leurs schèmes personnels et théoriques, leurs valeurs influencent leur conduite et le chercheur tente de produire un savoir objectivé.
Afin de pouvoir identifier le sens construit par les individus, diverses perspectives existent dans le paradigme compréhensif : théorisation ancrée, induction analytique, analyse structurale, etc. (voir par exemple Mucchielli, 2007). Ces perspectives proposent un regard particulier à l’objet étudié. C’est ce regard que nous souhaiterions préciser à travers l’explication de notre choix méthodologique autour de l’approche phénoménologique. Dans le but de définir l’approche phénoménologique, nous retenons la définition suivante proposée par Mucchielli (2007, p. 3) :
Dans l’approche phénoménologique, lorsque l’on interroge quelqu’un sur un objet du monde, on postule qu’il nous présente cet objet tel qu’il lui apparaît et donc avec ce qu’il signifie. Il ne nous décrit pas l’objet tel qu’il est, mais tel que sa relation à lui permet de le décrire. L’objet décrit est englobé dans son intentionnalité et dans son être au monde
La perspective phénoménologique pose donc la question de l’objet et du sens de la relation que le sujet entretien avec cet objet. Théorisée initialement par Schütz (1987), l’approche phénoménologique cherche à connaître les interprétations de l’objet et non pas l’objet en lui-‐même. L’objet que nous avons défini dans notre cadre théorique est celui de la reconnaissance de la diversité culturelle exprimée dans le leadership des directions d’établissement scolaire. De quelle manière allons-‐nous pouvoir interpréter le sens que prend cette reconnaissance pour les directions ? Avant de décrire ce point en présentant nos techniques d’enquête, nous souhaiterions nous arrêter sur le statut épistémologique de la comparaison.
b. La comparaison comme perspective…
Nous avions pu présenter rapidement notre perspective comparative dans le premier chapitre de cette étude, en soulignant notamment les avantages qu’elle représentait en terme de décentration pour la compréhension de l’objet (Groux & Porcher, 1997; Nóvoa, 1995; Van Daele, 1993), comme l’expliquent ici, de manière un peu provocante Baudelot et Establet (2009, pp. 11-‐12) :
L’élargissement aux comparaisons internationales nous aide à sortir de cette dramaturgie stérile et à mieux comprendre ce qui nous arrive. Ce déplacement de l’attention n’a pas seulement vocation à satisfaire une légitime curiosité pour l’ailleurs, mais à rafraîchir le regard sur nous-‐mêmes, à mettre à l’épreuve des convictions, à objectiver des hypothèses, à vérifier les analyses. Bref, les comparaisons internationales sont à la fois un instrument de connaissance et de reconnaissance : elles fournissent le produit de contraste nécessaire pour isoler la singularité du modèle national et les conséquences de son élitisme congénital . La littérature internationale en éducation comparée est cependant plus souvent de type quantitatif. Les systèmes éducatifs sont comparés entre eux à travers de grandes
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enquêtes comme PISA ou PIRLS. Notre perspective est différente. Nous n’avons en effet pas la prétention, avec une recherche qualitative, de pouvoir mesurer l’effet de caractéristiques structurales sur des performances particulières. Nous souhaiterions plutôt comprendre l’objet étudié, à savoir la reconnaissance de la diversité par les directions d’établissement scolaire en comparant le discours de deux groupes de participants inscrits dans des contexte sociaux proposant un rapport à la diversité propre.
Il devient par conséquent primordial de porter une attention toute particulière aux contextes dans lesquels s’inscrivent ces discours. Nous avons ainsi pu décrire dans les chapitres précédents les enjeux sociaux et scientifiques que représentaient la reconnaissance de la diversité culturelle par les directions pour le Québec et le canton de Genève. Néanmoins se pose la question de l’échelle de comparaison et du rapport province/canton/ville.
L’unité d’analyse que nous souhaitons comparer est celle de l’acteur direction d’établissement scolaire du secteur public. Il s’agit de notre plus petit échelon d’analyse.
En déplaçant notre regard à un niveau plus méso, notre comparaison devient plus complexe puisque la ville dans laquelle exercent ou exerçaient les directions interrogées n’a pas la même dimension, comme nous avons pu le voir dans notre premier chapitre.
Néanmoins, cette différence nous paraît justement représenter un intérêt de comparaison plus qu’un frein puisque la comparaison ne saurait être intéressante si aucune différence n’était présente. L’enjeu de cette étude est justement de pouvoir mettre en relief les similitudes et les différences des discours, au regard de notre objet, et de pouvoir les articuler aux similitudes et différences des contextes sociaux étudiés.
La recherche comparée nécessite donc une comparaison géographique à la fois diachronique et synchronique, l’ici ne pouvant être compris sans son ancrage historique propre (Groux & Porcher, 1997). Notre étude nous paraît répondre aux exigences de la recherche comparée dans la mesure où elle s’intéresse à une unité d’analyse micro, l’acteur direction d’établissement, tout en l’intégrant à un espace macro dont la construction historico-‐sociale est rendue visible.
L’objet d’étude que nous avons choisi semble être plus qu’adéquat pour être analysé du point de vue comparatif car il serait impossible de le penser sans sa dimension macro-‐
sociale et internationale. La question de la reconnaissance de la diversité culturelle à l’école et dans la société dépasse en effet les frontières géographiques pour s’inscrire dans un phénomène mondial de rapport à la migration. Par ailleurs, ce phénomène mondial est traduit et interprété par les acteurs dont les acteurs de l’éducation. Ce sont précisément les directions d’établissement scolaire et la manière dont elles comprennent et rendent intelligibles ce phénomène qui nous intéresse dans cette étude.
c. … et processus
Les processus cognitifs et techniques qui sont à l’œuvre dans la comparaison sont les mêmes que dans la perspective phénoménologique, ou disons plutôt que cette dernière utilise la comparaison comme méthode d’analyse. Comme le précise Mucchielli (2007, p.3) : « Il s’agit pour le chercheur de recueillir de multiples descriptions de mêmes objets ou phénomènes provenant de sujets différents pour essayer de trouver « ce qu’il y a de commun à ces différentes approches » ». La comparaison peut se résumer comme un processus de recherche de différences et de similitudes, afin d’identifier des relations entre les éléments ainsi comparés et de pouvoir alors formuler une intelligibilité de l’objet étudié. Nous reviendrons dans ce chapitre sur le processus d’analyse des données qui suit exactement le schéma de la comparaison.
2. L’entretien comme choix d’instrument de recherche
Après avoir présenté l’ancrage épistémologique de notre étude, nous allons maintenant justifier le choix de notre instrument de recherche : l’entretien, et expliquer comment nous avons structuré son canevas.
Notre perspective de recherche étant interprétative, l’entretien de recherche s’est imposé comme l’instrument privilégié. La définition de l’entretien que nous retenons est celle proposée par Savoie-‐Zajc (1997) : « une interaction verbale entre des personnes qui s’engagent volontairement dans pareille relation afin de partager un savoir d’expertise, et ce, pour mieux comprendre un phénomène d’intérêt pour les personnes impliquées » (p.265). L’entretien permet à la personne interrogée, l’acteur qui nous intéresse dans la recherche, de pouvoir exprimer son vécu, ses représentations, sa façon de penser et la logique qui la structure. Il donne à voir à la fois les logiques individuelles et collectives. Nous pouvons nous appuyer sur les propos de Blanchet et Gotman (2007, p. 25) pour justifier notre choix
La valeur heuristique de l’entretien tient donc à ce qu’il saisit la représentation articulée à son contexte expérientiel et l’inscrit dans un réseau de signification (…) Saisir la traduction personnelle des faits sociaux que l’on veut interroger c’est chercher le texte conjoint des épreuves et des enjeux tels qu’ils sont reliés dans la pratique, restituer le déroulement de la vie sociale dans son espace naturel d’effectuation, à partir des catégories propres de l’acteur.
Autrement dit le chercheur fait essayer de comprendre à travers ce récit sur les faits exprimés l’inscription individuelle des phénomènes sociaux. Dans ce sens, l’entretien de recherche nous semble représenter un instrument adéquat pour notre objet et perspective de recherche.
Il existe plusieurs degrés de structuration d’un entretien. En fonction de l’approche épistémologique et des objectifs de recherche, le guide sera plus ou moins directif. Nous avons choisi de travailler avec un guide d’entretien semi-‐structuré (Blanchet & Gotman,