CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
3. L’enquête de terrain
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Ces trois dimensions ont été divisées en indicateurs qui ont été reformulés sous forme de question. Le guide d’entretien se trouve en annexe.
3. L’enquête de terrain
Dans cette seconde section, nous allons décrire toute la démarche empirique autour de la réalisation des entretiens. Nous commencerons par présenter la manière dont nous avons choisi et contacté les participants. Puis nous donnerons quelques informations autour de la réalisation des entretiens.
a. L’enquête de terrain à Genève
Le choix a été fait de sélectionner de manière équivalente une dizaine d’établissements du secondaire 1, c’est-‐à-‐dire Cycle d’orientation et une autre dizaine d’établissements du primaire, situés dans le canton de Genève. Pour le secondaire, nous avons choisi de contacter les 20 établissements du canton en espérant un taux d’acception de 50%. Pour le primaire, étant donné la quantité des établissements (environ 90 écoles), nous avons choisi des établissements exclusivement sur la ville de Genève avec un établissement à Carouge (commune urbaine), ce qui permettait une bonne représentativité de la mixité socio-‐culturelle. Nous avons choisi 20 établissements en espérant un taux d’acception de 50%.
Pour la prise de contact avec les directeurs et directrices, nous avons sollicité Bernard Schneuwly, professeur à la faculté, et directeur du IUFE pour envoyer une lettre aux participants. La lettre que nous avions rédigée au préalable expliquait le thème de la recherche de manière large. Nous expliquions que l’entretien allait porter sur : la mixité socioculturelle des établissements (élèves et personnel pédagogique), les modèles de référence de gestion de la diversité, les stratégies employées, les relations (enseignants, élèves, familles et communautés), les réformes du système éducatif genevois, votre expérience des relations interculturelles. Une fois la lettre envoyée, nous avons contacté par téléphone les directeurs des établissements sélectionnés. Le taux de réponse positive était meilleur qu’escompté. Nous avons pu fixer des rendez-‐vous avec 12 directeurs et directrices du Cycle d’orientations et 13 de l’enseignement primaire.
Afin de tester la grille d’entretien, un entretien exploratoire a été mené avec une doyenne d’un Collège du post-‐obligatoire du canton de Genève. Cet entretien a permis de bonifier les questions de la grille pour la suite de la recherche. Il a été effectué le 22 novembre 2011.
i. Profil des participants genevois
Les informations concernant les directeurs et directrices interrogées à Genève sont résumées dans le tableau suivant. Nous avons donné un pseudonyme chiffré aux directions interrogées pour préserver leur anonymat, de la même manière qu’à leur établissement. DS signifie direction de l’enseignement secondaire, DP direction de l’enseignement primaire. CO signifie cycle d’orientation et E école.
Tableau 17: Profil des participants genevois Pseudo
nyme
Lieu Sexe Nombre
d’année
d’expérience en tant que
directeur ou directrice
Pseudo nyme
Lieu Sexe Nombre
d’année d’expérience en tant que directeur ou directrice Directions de l’enseignement secondaire Directions de l’enseignement primaire
D0 CL0 F / DP1 EP1 F 3 ans
DS1 CO1 M > 10 ans DP2 EP2 F 3 ans et demi
DS2 CO2 M > 10 ans DP3 EP3 M 4 ans
DS3 CO3 M Entre 5 et 10 DP4 EP4 F 4 ans
DS4 CO4 M Entre 5 et 10 DP5 EP5 F 4 ans
DS5 CO5 M > 10 ans DP6 EP6 F 4 ans
DS6 CO6 M < 1an DP7 EP7 F 4 ans
DS7 CO7 M > 10 ans DP8 EP8 F 4 mois
DS8 CO8 M 5 ans DP9 EP9 F 4 ans
DS9 CO9 M 4 ans DP10 EP10 M 4 mois
DS10 CO10 M > 10 ans DP11 EP11 F 4 ans
DS11 CO11 M > 10 ans DP12 EP12 M 4 ans
DS12 CO12 F Entre 5 et 10 DP13 EP13 F 2 ans
ii. Conduite d’entretien et transcription
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Sur la base de nos impressions, nous pouvons dire que la plupart des entretiens se sont déroulés dans une atmosphère de confiance. Les deux premiers entretiens DS1 et DP1 étaient plus directifs mais au fur et à mesure des entretiens nous avons pu nous détacher de la grille et proposer des relances plus pertinentes. Il est important de signaler que malgré le cadre établi, une certaine spontanéité du discours a été préservée.
Bourdieu parlait « d’improvisation réglée ». L’idée était de laisser parler les directeurs spontanément à partir de la première question : « quels seraient pour vous les avantages et les inconvénients des villes multiculturelle comme Genève ou Montréal ? ». En effet, après avoir testé notre guide d’entretien lors d’une phase test, nous avons trouvé la conduite d’entretien ouverte plus pertinente pour deux raisons. La première est que le climat de confiance était plus facile à installer sans question directrice. Les directeurs se sentaient plus « experts » du sujet (Blanchet & Gotman, 2007). Ils parlaient plus facilement et ainsi la place laissée aux conceptions émergentes ou spontanées (non planifiées dans la recherche) devenait plus importante. La seconde raison est que les directeurs venaient à aborder spontanément la plupart de nos indicateurs de la dimension « gestion d’établissement ». Il nous semblait donc plus judicieux de laisser les directeurs s’exprimer en les recadrant de temps à autre par rapport à nos indicateurs d’entretien. Pour reprendre une formule usitée en méthodologie qualitative, nous avons tenté d’adopter la posture de la « neutralité bienveillante ».
Tous les entretiens se sont déroulés dans les bureaux des directeurs et directrices. Très souvent, nous étions interrompus par le téléphone ou quelqu’un qui venait frapper à la porte (en moyenne 1 à 2 fois par entretiens). Tous les entretiens ont été transcris dans leur intégralité. Les moments inaudibles ont été signalés comme tel dans les transcriptions : « inaudibles » ou « 3.54 » au moment où l’entretien était inaudible. Les entretiens ont été transcrits à l’aide du logiciel HYPER TRANSCRIBE. La durée moyenne des entretiens était de 58 minutes. L’accord des participants a été obtenu avant de pouvoir les enregistrer et utiliser les données tout en conservant leur anonymat.
b. L’enquête de terrain à Montréal
Pour choisir les directions d’établissements à Montréal, nous avons procédé en plusieurs étapes. Tout d’abord nous avons commencé par une phase exploratoire d’observation non systématique afin de mieux comprendre le contexte scolaire québécois et de pouvoir nouer contact avec des chercheurs à l’Université de Montréal. Cette phase a duré 4 mois, réparti en deux séjours de 2 mois en décembre 2009-‐janvier 2010 puis à l’été 2011. Nous sommes ensuite revenu en automne 2012 pour la récolte de données.
Au total, notre séjour au Québec a duré 6 mois.
Une fois les contacts établis, nous avons rédigé une demande d’expérimentation formelle à la Commission scolaire de Montréal (CSDM). Cette dernière demande en effet que les demandes de recherche dans les écoles soient centralisées. 20 écoles ont été sélectionnées : 12 écoles primaires et 12 écoles secondaires dans la ville de Montréal.
Cependant, la CSDM a pris du retard dans ce dossier sans nous en avertir. La réponse de la CSDM est parvenue un mois et demi après la date communiquée. Notre séjour de recherche étant limité nous avons dû trouver un autre moyen de contacter les écoles
La récolte de données s’est déroulée entre octobre et novembre 2012. Pour contacter les directions, nous avons sollicité l’intermédiaire du professeur Tardif et des collègues de l’Université de Montréal dans le département d’administration. M. Gabriel Boileau, M.
Robert Céré et M. Richard Boudreault m’ont mis en contact avec leur réseau respectif, dont celui des directeurs et directrices à la retraite ainsi que celui de leurs anciens étudiants en administration. Nous avons ensuite contacté les directions pour convenir d’un entretien. Les entretiens ont été réalisé dans les bureaux des directions en activité.
Quant aux directions à la retraite, nous les avons rencontrées chez eux pour la majorité ou dans un café pour deux d’entre elles. Le choix de contacter des directions en retraite a été motivé par deux raisons : une raison d’intérêt scientifique car les directeurs retraités ont une grande expérience derrière eux et ils sont également détachés de toute appartenance institutionnelle, et peuvent donc s’expriment plus librement ; une raison pratique, les directeurs étant facilement joignables pour un entretien durant la période de terrain. Cette idée a été suggérée par M. Boileau dont nombre de ses contacts étaient des directions à la retraite. A posteriori, nous pouvons dire que ce choix s’est avéré judicieux puisque les entretiens des directions à la retraite ont été riches d’information.
Les directions sélectionnées travaillent ou ont tous travaillés à Montréal. La majorité a travaillé en milieu multiethnique et/ou défavorisé. Les directions se sont portées volontaires pour participer à la recherche après avoir reçu un courriel des professeurs de l’Université de Montréal.
i. Profil des participants interrogés
Nous devons par ailleurs signaler deux particularités au profil des participants qui figure dans le tableau ci-‐dessous. Tout d’abord, nous n’avons pas jugé pertinent de distinguer l’enseignement primaire du secondaire puisque la majorité des directions avaient évolué dans les deux milieux. C’est ainsi que les directions évoluant dans le secteur des adultes avaient souvent travaillé dans des établissements de l’école obligatoire. Les informations données dans ce tableau le sont donc à titre indicatif et ne feront pas l’objet d’une analyse particulière. Par ailleurs, nous n’avons pu obtenir des entretiens qu’avec des directeurs ou directrices d’établissement scolaire pour les raisons précitées.
Nous avons cependant pu contacter des directions adjointes afin d’enrichir notre masse de données.
Tableau 18 : Profil des participants montréalais
Pseudo Lieu Sexe Statut et/ou nombre d’année en fonction
Type d’école ou emploi actuel
DM1 EM1 F Formatrice >15 ans directrice Université de Montréal DM2 EM2 F Consultante >15 ans directrice Ministère
DM3 EM3 F En activité-‐ adjointe >5 ans Adulte (Francisation) DM4 EM4 M En activité-‐ adjoint >5 ans Secondaire
DM5 EM5 F En activité-‐adjointe>10 ans Primaire
DM6 EM6 M En activité-‐directeur >15 ans Secondaire et francisation DM7 EM7 F En activité-‐ adjointe >5 ans Secondaire
DM8 EM8 M En activité-‐directeur >10 ans Adulte (Francisation) DM9 EM5 F En activité-‐directrice >10 ans Primaire
DM10 EM10 F En activité-‐directrice >10 ans Secondaire
DM11 EM11 F En activité-‐directrice >10 ans Adulte (Francisation)
DM12 EM12 F Retraite /
DM13 EM13 M Retraite /
DM14 EM14 F Retraite /
DM15 EM15 F Retraite /
DM16 EM16 M Retraite /
DM17 EM17 F Retraite /
DM18 EM18 F En activité-‐directrice >10 ans Primaire DM19 EM19 M En activité-‐directeur >10 ans Secondaire
Les quartiers dans lesquels exercent les directions sont à majorité multiethnique. Nous n’allons pas les associer aux directions pour préserver leur anonymat. Les quartiers retenus ont été les suivants : Côte-‐des-‐neiges, Parc-‐extension, qui sont les quartiers les plus multiculturels de la ville ; St Michel et Cartierville qui sont également des quartiers multiculturels ; et Hochelaga qui est un quartier moins diversifié culturellement et abritant une population défavorisée.
ii. Conduite d’entretien et transcription
Les entretiens se sont déroulés dans une réelle atmosphère de confiance. Nous avons modifié quelque peu la grille d’entretien pour l’adapter au contexte montréalais. La plupart des entretiens se sont déroulés dans les bureaux des directions, pour celles en fonction. Très souvent nous étions interrompus par le téléphone ou quelqu’un qui venait frapper à la porte (en moyenne 1 à 2 fois par entretiens). Les entretiens avec les retraités ont eu lieu à leur domicile, sauf pour deux d’entre eux que nous avons rencontrés dans un café. Ces deux entretiens ont été plus difficiles à transcrire à cause des bruits ambiants (DM12 et DM17).
La durée moyenne des entretiens étaient de 58 minutes, tout comme les entretiens genevois. Tous les entretiens ont été transcris dans leur intégralité. Les moments inaudibles ont été signalés comme tel dans les transcriptions : « inaudibles » ou « 3.54 » au moment où l’entretien était inaudible. Les entretiens ont été transcrits à l’aide du logiciel HYPER TRANSCRIBE. Par ailleurs, l’accord des participants a été obtenu avant de pouvoir les enregistrer et utiliser leur données, tout en conservant leur anonymat.
Nous pouvons également souligner le fait que notre identité de chercheuse suisse semble avoir eu moins d’impact sur les discours à Montréal qu’à Genève. Le discours obtenus à Montréal nous a semblé plus sincère et moins politiquement correct qu’il a pu nous paraître parfois à Genève, notamment lors des premiers entretiens. La question de la diversité culturelle est en effet un sujet sensible, notamment à cause de sa forte médiatisation. Nous pouvons expliquer cette différence d’une part par la présence de directions à la retraite à Montréal qui n’avaient plus le souci de représenter leur fonction, ensuite par l’éloignement géographique (si la chercheuse avait été de l’Université de Montréal par exemple, les directions auraient probablement plus contrôlé leur discours), et enfin par la prise de contact réalisée à Genève qui s’est faite via l’Université et qui a probablement été interpreté par les directions genevoises comme plus coercitive que le contact à Montréal qui s’est fait sur base plus volontaire.
Néanmoins, les discours étaient riches dans les deux contextes et les conditions de l’enquête de terrain ne semblent pas avoir amoindri la qualité des données. Dans les deux cas, nous avons pu recueillir une variété de représentations sur la question de la diversité culturelle à l’école. La crainte d’un discours trop consensuel a donc été écartée.
Enfin, relevons le fait que tous les entretiens réalisés ont été transcrits et analysés. Afin de simplifier la lecture, nous avons lisser ces transcriptions en ôtant tout ce qui était inutile ou pouvait gêner la compréhension (comme par exemple les « euh » « ben » « là » etc.).
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4. Le processus d’analyse qualitative
Nous allons ici détailler la méthode d’analyse des données que nous avons choisie pour cette recherche. La méthode qualitative générale est définie comme suite par Mucchielli (2007, pp. 22-‐23):
Une méthode qualitative est une succession codifiée de processus de travail intellectuel proprement humain (comparaison, induction, généralisation, recherche de forme, invention de sens). Ce travail se fait dans le but d’expliciter, en compréhension, à l’aide de concepts induits de l’observation, la structure intime et le fonctionnement interne d’un phénomène social. (…) Une méthode qualitative décortique essentiellement pour quelle finalité et comment le phénomène se produit. Elle donne une réponse à la question : « que se passe-‐t-‐il ici, face à telle situation-‐problème ? ». Elle analyse aussi l’organisation globale du phénomène et les conséquences du phénomène dans le cadre de l’étude définie.
Dans l’éventail des méthodes qualitatives existantes, nous allons plus précisément nous baser sur les principes énoncés par Miles et Huberman (2003).
a. Le processus d’analyse qualitative selon Miles et Huberman (2003)
La méthode d’analyse qualitative d’Huberman et Miles (2003) est un processus itératif qui se déroule selon trois étapes :
-‐ La condensation des données -‐ La présentation des données
-‐ La formulation et la vérification de conclusion
L’itération implique un va et vient entre les données et l’analyse qu’il produit en terme de relations identifiées. Desgagné (1994, p.80, cité dans Mukamurera, Lacourse, &
Couturier, 2006) explique ce processus :
le codage de certains éléments du discours incite le chercheur à faire une première tentative d’organisation des données (à se les représenter d’une certaine façon qui peut être un premier schéma) et ensuite à retourner aux données mêmes pour en apprécier la pertinence, c’est-‐à-‐dire pour voir comment cette re-‐présentation se confirme, se modifie ou se contredit. Lors de ce retour aux données, le chercheur reprend sa codification et le processus itératif se poursuit jusqu’à ce qu’une organisation plausible et cohérente, assurant l’intelligibilité du discours, permette de conclure à la saturation des diverses significations codifiées.
Cette itération du processus a trois intérêts majeurs selon Mukamurera et al.(2006) Tout d’abord le processus itératif permet de modifier la cueillette des données si