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Sur une synthèse de l'histoire monétaire

Éléments de comparaison entre la "new institutional economics" et l'approche substantive

11. Sur une synthèse de l'histoire monétaire

Bulletin du livre français1, n° 575 - 576, 1996, pp. 1562-563

Recension effectuée dans le Bulletin du livre français 2(Rubriques: Histoire, sciences

économiques), n° 575 - 576, 1996, pp. 1562-1563, à propos de l'ouvrage de Georges DEPEYROT, Histoire de la monnaie des origines au 18°siècle, tome 1, Introduction - de

l'Antiquité au treizième siècle -, 208 p., Edition Moneta, Wetteren, ISBN 90-74623-05-0 (fax:

32- 93-69-59-25).

Comme le rappelait récemment R. Descat (1995, p. 961), une nouvelle orthodoxie "primitiviste", issue des travaux de M. Finley (1992), domine les études de l'économie antique. Il semble néanmoins que les mutations qui affectèrent le monde grec du VI°siècle avant notre ère, où le développement du phénomène numismatique occupe une place éminente, devrait être considérées avec plus attention. La contribution de G. Depeyrot s'inscrit fort à propos dans le réexamen d'un certain nombre d'hypothèses devenues courantes; ainsi; p. 29, l'auteur suppose que "les mécanismes de formation des prix anciens étaient largement

influencés par l'existence d'une économie de marché". En dépit d'un certain nombre

d'hypothèses "modernistes", le concept de monnaie développé dans cet ouvrage ne renvoie pas à la mise en évidence d'une chose associée aux fameuses trois fonctions. Plus précisément, il y aurait un intérêt à penser la monnaie comme forme de la relation sociale; ce faisant, G. Depeyrot essaie d'articuler une histoire des faits à une histoire des idéologies en tant que celles-ci expriment une rationalisation de certaines pratiques sociales.

Quatre parties structurent ce texte. Dans l'introduction, un certain nombre d'outils théoriques sont présentés. Une finalité du propos d'ensemble est explicitée: il faut comprendre que les représentations sociales visent à "dénier toute violence au fait monétaire" alors que, notamment pour ce qui est du monde féodal, "il n'y a pas de prélèvement sans exploitation

par la monnaie" (p. 27). Les trois parties sont le fruit d'un découpage chronologique; l'analyse

s'appuie sur trois périodes, l'Antiquité, du Bas-Empire aux Carolingiens et les premiers Capétiens. À l'intérieur de chacune d'elles, quelques thèmes reviennent avec force et netteté, tant l'ouvrage est bien structuré; les "théories" monétaires du moment considéré, les prix, les banques, le change et l'État (à travers le problème du financement des guerres). La lecture de cet ouvrage est agréable; le propos est émaillé de nombreuses citations d'auteurs anciens laquelle n'altèrent en rien l'efficacité de l'analyse. Un travail statistique important sous-tend les interprétations. Une bibliographie conséquente permet d'accéder à de nombreux détails qui ne peuvent être présentés dans une telle synthèse. Tout concourt à faire du livre de G. Depeyrot un détour utile à qui veut penser la monnaie à la lumière de considérations récentes.

Néanmoins, on pourra regretter que l'auteur ne pousse plus loin un certain nombre d'interprétations sur la doctrine des Pères de l'Église (voir le trop bref développement de la page 108) et sur la conception de la crise monétaire comme crise sociale qu'il avait esquissée par ailleurs (voir Depeyrot, 1991; pour une synthèse récente sur le Bas-Empire, Hollard, 1991 qui fait par ailleurs appel aux travaux de G. Depeyrot). De plus, la réfutation des thèses primitivistes est parfois discutable. Ainsi, l'auteur, en rappelant l'existence d'un certain nombre de découvertes archéologiques, met en doute l'affirmation de Kraay selon laquelle

"les espèces n'ont pas été inventées pour le commerce" (p. 39-40). Il est certes évident que la

teneur de certaines démonstrations primitivistes doit être revue; il n'est pas néanmoins si sûr que ces découvertes infirment l'hypothèse politique relative à la naissance des pièces de monnaie en Grèce ancienne (Servet, 1984, p. 125). En effet, ce qui est en jeu dans la question

1 Devenu le Bulletin du livre en .français. 2 Devenu le Bulletin du livre en .français.

présente, c'est plus une interrogation sur la genèse que sur le développement du phénomène numismatique. G. Depeyrot lui-même rappelle que c'est dans les convulsions sociales qui caractérisent la Grèce à la fin du VII °siècle qu'il faut chercher la raison de la naissance du numéraire. Ne faudrait-il pas en conclure que le rôle des nomismata participait sans doute plus à l'origine d'une redéfinition générale des rapports sociaux, de l'institution d'une nouvelle mesure des obligations sociales que d'une intention première visant à faciliter les échanges ? Ce n'est sans doute pas un hasard si, encore à l'époque romaine, l'esprit antique est tout à fait capable de saisir l'abstraction de mécanismes monétaires et financiers alors que les représentations nécessaires unissant commerce, production et monnaie n'existent pas encore (Andreau, 1985, p. 8). En réalité, l'autonomie de la sphère économique n'est pas encore acquise; par où se trouvent justifiées les intuitions d'un inspirateur du renouveau du primitivisme, Karl Polanyi (1983). Ces réserves n'affectent en rien l'utilité de la lecture d'un tel ouvrage dont la rare ambition synthétique vaut d'être encore rappelée.

Bibliographie

ANDREAU J., "L'État romain face au monde de la Banque et du crédit - fin de la république et Haut- Empire", États, fiscalités, économies, Actes du cinquième congrès de l'Association française

des historiens économistes, 16-18 juin 1983, Publication de la Sorbonne, 1985, pp. 3-11.

DEPEYROT G., "Le rôle de la monnaie au Bas-Empire romain", pp. 9-21, Cahier Monnaie et Financement, 20, 1991 (disponible en 2008 à la Bibliothèque Walras des laboratoires Triangle et LEFI – Institut des sciences de l'Homme, 14, Av. Berthelot, 69007, LYON).

DESCAT R., "L'économie antique et la cité grecque - un modèle en question"; Annales, HSC, 1995, 5, pp. 961-989.

FINLEY M., L'économie antique, Paris: les éditions de minuit, 1992.

HOLLARD D., "Crise de la monnaie au 3°siècle après J.-C - Synthèse des recherches et résultats nouveaux", Annales, HSC, 1995, 5, pp. 1045-1078.

POLANYI K., La grande transformation, Gallimard, 1983.