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Max Weber: par-delà primitivisme et modernisme ?

Politix, (13), 52, pp. 247-252, 2000

Recension effectuée pour Politix, (13), 52, pp. 247-252, 2000, à propos de M. Weber (1998),

Économie et société dans l'Antiquité (précédé de) Les causes sociales du déclin de la civilisation antique - Introduction de H. Bruhns, traduit par Catherine Colliot-Thèlène et

Françoise Laroche.

L'édition de ces deux textes importants de Weber constitue, en France, un événement pour qui veut comprendre le projet de la sociologie weberienne. Les historiens de l'Antiquité ont trop longtemps ignoré ces textes, comme H. Bruhns, l'introducteur, le souligne (p. 35-36), lesquels, pourtant, auraient pu jeter les prolégomènes d'un dépassement au débat opposant les "primitivistes" aux "modernistes". Ceux-ci, comme Meyer, et plus tard Rostovsteff, projettent sur l'Antiquité des modes de pensée et des systèmes institutionnels propres à la modernité, et s'inscrivent contre la problématique de Weber1. Un des fondateurs du courant "primitiviste", après Rodbertus, est Bücher, courant que Finley a incarné, d'une certaine façon, par la suite2. En effet, la particularité de Weber est d'user, certes de façon parfois problématique (cf. infra.), du concept de "capitalisme" et de déclinaisons possibles de ce concept ("capitalisme rationnel" ou "non rationnel"), pour penser différentes époques historiques. Ainsi, Weber ne tombe pas dans les pièges de la vision "moderniste" de l'économie antique.

Il n'est pas inutile de revenir sur la définition que Weber donne du capitalisme: "Il y

capitalisme là où les besoins d'un groupe humain qui sont couverts économiquement par des activités professionnelles le sont par la voie de l'entreprise: plus spécialement, une exploitation capitaliste rationnelle est une exploitation dotée d'un compte de capital […] s'il est vrai que le capitalisme se rencontre sous diverses formes dans toutes les périodes de l'histoire, la couverture des besoins quotidiens par sa voie n'est, quant à elle, propre qu'à l'Occident. Et encore cette situation ne date-t-elle que de la seconde moitié du XIXième siècle"3

(souligné par Weber). Pour qu'on ait affaire à un capitalisme accompli, Weber insiste sur la nécessité, de la liberté de marché, d'une technique rationnelle et d'un droit rationnel. Il note que la polis n'a pas connu ces conditions4. Dans l'ouvrage qui nous occupe (p. 99), il met l'accent sur le fait que les "moyens de production doivent avoir été des objets d'échange", ce qui montre bien la spécificité du capitalisme comme système. Souvent, souligne Weber, l'histoire économique montre "que l'entreprise est une chose hybride" (p. 100). La lecture des travaux historiques de Weber est de nature à participer à une recherche féconde aux confins de la sociologie, de l'économie et de l'histoire; mais elle peut aussi modérer les prétentions de ceux qui pensent avoir enfin fait de l'histoire économique une "science" par son inclusion dans la science économique d'inspiration "néoclassique", aujourd'hui à nouveau dominante5. L'ouvrage se compose de deux parties: le premier article de ce recueil, version révisée d'un

1 Voir son ouvrage édité en 1923, Histoire économique, Gallimard (1991), p. 144, n. 2 et 1998, pp. 93-96

d'Économie et société dans l'Antiquité.

2 Pour un point de vue actuel sur ce débat, voir J. Andreau, "Présentation", Annales H. S. S., 50ième année, n°5,

sept-oct. 85, pp. 947 960, 1995.

3 M. Weber, L'Histoire économique, op. cit., p. 296. 4 Ibid., p. 297.

5 J. Maucourant, "Le défi de New Economic History", La Revue du Mauss, 2, pp. 65-81, 1997. NOTE DE 2008:

les deux textes du présent recueil, c'est-à-dire "Echange, commerce et monnaies dans les économies non modernes - un réexamen de l'approche de Karl Polanyi", tout comme "Une analyse économique de la redistribution est-elle possible - éléments de comparaison entre la ‘‘new institutional economics'' et l'approche substantive", offrent également des éléments critiques de la nouvelle approche orthodoxe (économie des "coûts de transaction" etc.).

exposé de 1896, propose une explication, assez remarquable pour l'époque, de la chute de Rome. Le second article, publié en 1909 pour une encyclopédie de science économique, est connu par les spécialistes sous le titre Agraverhältnisse im Altertum: Weber interprète les sociétés antiques et leurs évolutions grâce à une série d'idéaux-types ("féodalisme urbain" par exemple). La fin de ce texte présente, tout en les amendant à la marge, les intuitions que l'auteur avait développées quinze ans plus tôt quant "aux fondements de l'évolution à l'époque

impériale".

Weber caractérise la "civilisation antique" en son essor, fait remarquable pour l'époque de la République romaine, par les traits suivants: un caractère urbain et côtier, l'importance de la production fondée sur l'esclavage et la présence de liens monétaro-marchands qui, bien que peu développés, sont essentiels à la pérennité des structures économiques considérées (voir, notamment, p. 63-68 et p. 318-322). Il est important toutefois de considérer que l'essentiel pour la "subsistance de l'homme", comme l'aurait dit Polanyi6, ne provient pas de l'échange mais des mécanismes de "l'économie naturelle": Weber souligne en effet que "Ce ne sont pas

les masses qui, par leurs besoins courants, interviennent dans le trafic international, mais une mince couche de possédants. Il en résulte que l'inégalité des fortunes est, dans l'Antiquité, la condition de l'essor du commerce (souligné par nous)" (p. 66). Néanmoins, il se réfère au

concept de "capitalisme antique" parce qu'il ne veut pas limiter "sans motif" le concept

"d'économie capitaliste". En effet (p. 101): "si donc on n'introduit pas dans ce concept des déterminations sociales, mais qu'on accepte qu'il vaille, avec un contenu purement économique, partout où des objets possédés et échangés sont utilisés par des individus privés à des fins d'acquisition dans l'économie d'échange, le caractère largement capitaliste d'époques entières de l'histoire antique paraît alors tout à fait assuré (….) Il faut aussi se garder des exagérations".

Weber est donc contraint d'expliquer pourquoi le capitalisme de l'Antiquité n'a pu donner naissance au capitalisme "rationnel" des temps modernes. Il insiste alors sur le "caractère politique spécifique des communautés antiques" (p. 114, souligné par nous) qui engendre et "accroît l'instabilité du capital existant et de la formation du capital"; ainsi, le "droit de disposition" de la polis sur les fortunes individuelles était "souverain" d'une façon que le Moyen-Age n'a jamais connu (p. 114; voir aussi p. 374 pour une illustration de la différence entre ces époques). H. Bruhns, dans l'introduction (p. 48-49), soutient que le recours au concept de capitalisme est nécessaire pour l'entreprise comparatiste de Weber: en effet, on comprend l'utilité d'invariants permettant de penser les différences. Mais il nous semble que parler de "capitalisme" pour l'Antiquité, peut semer la confusion. C'est dans une telle confusion que tombe Weber7 quand il note, relativement à la civilisation de l'Antiquité,

"qu'aucun capitalisme n'apparut alors". Ce propos peut sembler curieux eu égard aux textes

dont nous faisons ici l'écho. Peut-être, les conditions matérielles de cette édition de 1923, très particulières, sont à l'origine de ce flou terminologique. Mais il est un fait essentiel: il n'y a pas fondamentalement d'approximation conceptuelle. Pour Weber, seul le capitalisme "rationnel" peut engendrer un système cohérent. Soulignons donc l'essentiel du propos de Weber qui est ici de mettre en évidence une discontinuité entre modernité et non-modernité; c'est ce que développe K. Polanyi8 dans une démarche qui s'inscrit en partie dans l'esprit du modèle weberien.

Les succès militaires sapent néanmoins la base sociale du monde romain, selon Weber (p. 65-69), dans la mesure où le faible coût des esclaves favorise l'entreprise esclavagiste et l'inégalité croissante de la répartition des richesses. Même si les conquêtes permettent une "ascension politique de la paysannerie" (p. 323), l'évolution économique bouleverse ces acquis. Notons que la mise en concurrence du travail non-libre face au travail libre (p. 344- 350) est fondamentalement une "lutte de classe", comme la nomme Weber, sanctionnée par la

6 K. Polanyi, The Livelihood of man, Academic Press, 1977. 7 M. Weber, L'Histoire économique, op. cit., p. 371.

défaite du petit propriétaire citoyen qui était le fondement même de la "cité hoplitique". Weber insiste sur ce fait notable dès la fin de la République: l'émergence d'une classe de paysans dépendants (voir la question des coloni, p. 356-7). Une part de ce processus est

politique: il y a eu des luttes de pouvoir décisives quant à l'appropriation de l'ager publicus

(p. 351). Toutefois, l'influence déterminante, que la noblesse a pu acquérir dans cette lutte, est aussi due à sa richesse croissante.

Weber en arrive à un point nodal de sa démonstration: il affirme, qu'au terme de ces évolutions, les maîtres ont dû faire face à une pénurie croissante d'esclaves, manifeste sous Tibère (p. 72 et p. 384). La fin de l'expansion territoriale, pourvoyeuse d'esclaves, serait ainsi le phénomène clef de la fin du monde antique. C'est pourquoi aurait été accordé aux esclaves un droit à la famille en les attachant à la terre car, argument discutable certes: "ce n'est que

dans le sein de la famille que l'homme peut se développer" (p. 7; voir aussi p. 354). Puis,

progressivement, certaines catégories d'hommes, originellement libres, acceptent un assujettissement grandissant aux propriétaires fonciers, notamment pour fuir les réquisitions de l'empereur à des fins de recrutement militaire (p. 79). Or, ces possédants qui manquent de force de travail sont en mesure d'accorder quelque protection. L'institution du colonat s'inscrit dans ce mouvement (p. 385).

On voit donc comment la transformation de l'Empire en une unité continentale, constituée de domaines orientés vers l'autarcie, ainsi que la déliquescence des villes, abandonnées par les puissants, empêchent non seulement la formation de fortunes monétaires, préalable au "capitalisme rationnel" moderne, mais aussi réduit à peu de chose la circulation monétaire (p. 77). Ceci change la nature des finances de l'État, maintenant structurées par les

"contraintes de l'économie naturelle"; Weber signifie, par ces termes, que le manque de

monnaie mobilisable par l'État conduit à des mécanismes de redistributions décentralisées, ce qui est déjà une amorce de la féodalité. Remarquons aussi que la défense d'une frontière, démesurée pour l'époque, pousse à une première transformation de l'armée en une entité professionnelle (p. 351): mais ceci se traduisit également par une mutation de l'armée en un corps héréditaire de l'État (p. 78 et p. 386), autre amorce des temps féodaux à venir. Enfin, l'entretien en ville de citoyens sans ressources accroît encore le poids des prélèvements fiscaux aux détriments de la dynamique marchande (p. 349). Weber semble être alors le promoteur de la thèse, devenue classique pour certains: la liquidation de la civilisation antique par ""l'économie domaniale" esclavagiste" (p. 344). Or, la connaissance historique a fait depuis quelques progrès.

Finley estime ainsi que la diminution du nombre d'esclaves est "bien moindre" que ce que la thèse "classique" prétend9. Un problème méthodologique crucial est évoqué: quelle est la signification véritable des prix des esclaves et de leurs variations qui sont mis en évidence par certains historiens ? Finley suggère ainsi que c'est au Bas-Empire seulement qu'une pénurie de main servile s'est fait sentir. Il est intéressant de noter que ces affirmations plus récentes ne s'opposent pas à ce que le concept de "capitalisme antique" peut avoir de fructueux. Pour Finley, en effet, l'esclavage est consubstantiellement lié à la production marchande et c'est du déclin de celle-ci qu'on doit inférer la moindre importance de celui-là. Or, le "capitalisme" antique ne connaît de développements marchands que consécutivement à des chocs exogènes10 qui engendrent des marchés; ce fait est d'ailleurs reconnu par un historien "moderniste" comme Rathbone, pourtant fort critique envers Weber et Finley11. Par ailleurs, souligne Finley, le principal stimulant des marchés, l'État, couvre de façon croissante ses besoins, en nature, par le biais de l'économie de redistribution. Nous pouvons penser que c'est la moindre importance des marchés qui rend nécessaire la remontée de "l'économie

9 M. Finley, Esclavage antique et idéologie moderne, Les éditions de minuit, 1979, 1981, p. 170. 10 Ibid., p. 187.

11 Voir D. Rathbone, Economic rationalism and rural society in third-century A. D. Egypt, Cambridge

naturelle". Il semble ainsi que la démarche de Weber, sur le plan purement factuel, conserve une certaine valeur.

Plusieurs thèses de Weber peuvent être ainsi retenues: d'abord, le Bas-Empire est un protoféodalisme. Ensuite, il y eut une impossible genèse du "capitalisme rationnel" à partir du "capitalisme antique"12. Le "capitalisme" propre à l'Antiquité n'impliquait pas un élargissement des jeux de l'échange monétaro-marchand dans l'essentiel de la structure économique; la chute de l'Empire est liée à la régression des échanges monétaires et de la "superstructure politique" qui est liée à ces échanges (p. 81). Il insiste enfin beaucoup sur la signification du retour à "l'économie naturelle" car "la masse des non-libres retrouva la

famille individuelle et la possession privée" (p. 82) . Weber note d'ailleurs, que, dès le Bas-

Empire, la "cohésion de la famille non-libre" est protégée comme jamais: les membres du "cheptel parlant" cèdent la place à des personnes. Le rôle du christianisme, pour Weber, aurait été important à cet égard. Ces changements, qui préparent le Moyen-Age, sont la matrice de l'économie de marché véritable. Ce fait de l'extension de l'appropriation privée, après la mort du monde antique, est important pour l'émergence d'un "capitalisme rationnel" mais ne relève d'aucune téléologie. Certes, durant ce moment où les non-libres commencèrent à recouvrer l'autonomie, c'est l'effondrement de la "superstructure" monétaire et marchande de la civilisation antique qui nécessairement se produisit et la conduisit à sa perte. Sur un autre plan, les détails de la comparaison faite par Weber entre la Cité antique et la Cité médiévale sont à lire avec attention (pp. 365-375).

Weber, dans ce texte, souligne également que le capitalisme moderne a une base juridique qui est une condition de sa rationalité spécifique. Plus tard, il insistera sur un ethos spécifique comme condition de possibilité du capitalisme rationnel, sans jamais mettre en exergue ce trait pourtant saillant que constituent les luttes serviles dans l'émergence d'un monde nouveau13: Weber propose une interprétation économique, en "dernière instance", si l'on ose le dire ainsi, de l'histoire politique antique, ce qui reste bien sûr discutable.

Une autre partie de l'ouvrage est consacrée à l'étude des sociétés orientales (Mésopotamie, l'Égypte et l'ancien Israël), la Grèce et l'étude de la période hellénistique. Dans l'introduction de cette partie (p. 117), Weber révèle son point de vue: c'est "la stabilité

croissante de la politique et de l'économie", sur le mode "oriental", qui engendre la stagnation

du capitalisme. Bien que disposant de peu d'éléments au regard de la connaissance actuelle, Weber réalise ce tour de force de jeter des programmes de recherches, dont on peut penser qu'ils eurent des conséquences indirectes majeures, notamment en assyriologie. Il interprète ainsi subtilement certaines références aux "prix", qu'un examen rapide aurait assimilé à des prix de marchés (pp. 152-153), anticipant des développements majeurs de Polanyi14.

Les développements relatifs à l'Égypte sont sans doute ce qui a le plus vieilli: d'abord, parce que Weber fait un usage pour le moins rapide de la catégorie de "l'esclavage", ensuite parce qu'il accorde aux contraintes techniques de l'irrigation un poids discutable dans l'explication des structures sociales (p. 159-202); enfin, parce que ses développements sur ""l'apolitisme" des peuples dominés" (p. 180) laissent rêveur, comme si l'histoire politique et sociale de ce peuple n'était pas riche de conflits proprement politiques: la monarchie "liturgique" hellénistique n'éteint pas les conflits de classes. Le fantasme du "despotisme oriental" qui a hanté le XIXième siècle a donc eu quelque effet dans l'œuvre de Weber. Notons qu'il est possible maintenant d'avoir un regard différent sur la société égyptienne dans l'Antiquité15. Remarquons aussi que la grande synthèse de Rostovsteff, même si elle a un peu

12 M. Weber, Histoire économique, op. cit., 1923, p. 353 et pp. 372-373. 13 P. Dockès, La libération médiévale, Flammarion, 1979.

14 C. Arensberg, H. Pearson, K. Polanyi, Les systèmes économiques dans l'histoire et la théorie, Larousse, 1957,

1975.

15 A. Théodoridès, "Les Égyptiens anciens" citoyen ou "sujet" de Pharaon", Revue Internationale des Droits de

vieilli, demeure une indication précieuse sur les conflits sociaux de cette époque16. Plus généralement, la distinction conceptuelle Orient/Occident proposée par Weber pose problème: ainsi la conclusion tirée de la "casuistique" du Talmud, qui serait révélatrice d'une absence de "problème social", est-elle vraiment acceptable ? (p. 296)

En revanche, l'analyse relative à l'époque grecque classique reste un modèle, sans doute parce que moins marquée par l'ethnocentrisme: en effet, combien est particulier ce "capitalisme", qui n'apporte pas de progrès technique, dont la demande solvable est déterminée par le politique et qui demeure à la marge du système économique global (pp. 249-250 et p. 252) ? Weber revient d'ailleurs plusieurs fois sur le fait que "l'économie

monétaire n'est pas le capitalisme" (p. 388), idée parfois oubliée des historiens professionnels

et qu'il développe pour le cas de l'Égypte ptolémaïque (p. 268).

Ainsi, un intérêt de la démarche de M. Weber est de mettre en évidence des îlots de capitalisme avant la fin du Moyen-Age, tout en insistant sur le caractère systémique du régime capitaliste. Celui-ci repose primordialement sur le fait que le caractère capitaliste et rationnel d'une époque n'a de sens que si "la couverture des besoins quotidiens" se fait sous cette forme capitaliste17, rappelons-le, ce qui demeure une parfaite singularité de l'Occident moderne. Il est par ailleurs utile de rappeler la prudence avec laquelle Weber lui-même parle du "capitalisme" dans l'Antiquité (p. 116-117) à un moment où le discours de certains historiens se fait moins prudent qu'autrefois sur ce concept. Ce point est d'importance: beaucoup d'économistes et d'historiens modernes sont encore tentés d'écrire l'histoire du point de vue de l'échange économique. Mais alors, si la tendance au gain est une condition suffisante du capitalisme, pourquoi spontanément les institutions sociales ne l'ont-elles pas produit plus tôt ? L'histoire, comme l'écrit Weber, nous permet de redonner à la contingence toute sa place. Plus, il nous permet de comprendre que c'est en dehors de la sphère des comportements intéressés qu'on peut le mieux comprendre la logique économique. Relire Weber permet de comprendre la singularité de la modernité où "le capitalisme moderne crée

les conditions de sa propre croissance" (p. 380), ce qui n'est pas le cas d'un "capitalisme"

structuré par le politique (p. 383).

C'est pourquoi, à cet égard, on peut prétendre, contre Braudel et en parfaite congruence avec les thèses de Polanyi, qu'il n'y a pas de véritable économie de marché sans

capitalisme18

. Il appert donc que la synthèse des apports de Weber et Polanyi est à même de constituer une problématique intéressante de l'économie historique des sociétés anciennes. Il faut aussi constater, contre une lecture par trop anti-marxienne de Weber, que la conclusion de ce livre montre à quel point Marx et Weber pouvaient être proches dans certaines interprétations de la dynamique du capitalisme (p. 389-390).

Enfin, les considérations concrètes développées ici par Weber, nous permettent de relativiser une interprétation de son l'œuvre, celle que l'on doit notamment à R. Boudon et Bourricaud19 Comme l'écrit S. Latouche: "Max Weber ne fait pas ce qu'il dit faire (…)

L'homme sur lequel il raisonne est très peu un homo œconomicus, c'est un homme socialisé par l'histoire et qui fait l'histoire comme l'histoire l'a fait"20

. Nous espérons que les économistes et sociologues, qui éprouvent la tentation d'annexer l'œuvre de Weber dans le champ de l'"individualisme méthodologique", feront ainsi preuve de plus de prudence. En réalité, Weber lui-même, en 1906, insistait sur le fait que le développement des sciences était plus fondé sur la résolution de "problèmes concrets" que sur des "considérations purement

épistémologique ou méthodologique"21. On comprend mieux que la distance, qui existe entre

16 M. Rostovsteff, Histoire économique et sociale du monde hellénistique, Paris, Robert Laffont, 1941, 1989,

p. 500

17 M. Weber, Histoire Economique, op. cit., p. 296.

18 A. Caillé, Splendeurs et misères des sciences sociales, Librairie Droz 1986, p. 192.

19 R. Boudon et F. Bourricaud, "Max Weber", Dictionnaire critique de sociologie, P. U. F., 1994, pp. 680-687. 20 S. Latouche, Colloque "Histoire économique", Université Paris 7, 1994, p. 8.

l'approche weberienne et la doctrine de l'individualisme méthodologique, ait entraîné des