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Éléments de comparaison entre la "new institutional economics" et l'approche substantive

14. Une étude critique de la hausse des prix à l'ère ramesside

2.1 Les causes permissives

Nous voudrions montrer que les raisons avancées pour justifier l'appauvrissement en céréales ne sont pas toujours satisfaisantes quels que soient, par ailleurs, les liens existant entre baisse des ressources et hausse des prix.

Selon KITCHEN26, les mouvements de prix sont liés aux grandes difficultés des

classes pauvres et des travailleurs des tombes royales27. Si l'on entend par "grandes difficultés

" un appauvrissement de la population dû à la diminution des versements publics, le fait est peu établi. En effet, pour JANSSEN, les salaires des travailleurs, dans la mesure où ils sont payés en grains, semblent rester constants pendant toute la XX° dynastie28. Selon lui,

compenser le coût d'une croissance du prix du grain par une baisse de la quantité distribuée mensuellement, n'entre pas dans la conception égyptienne29. Nous pouvons ajouter qu'une

telle manœuvre n'a guère de sens. Ainsi, prenons le cas d'un ouvrier recevant en moyenne 5 1/2 khar 30. Supposons, de plus, que le prix du khar soit de 2 deben, 5 1/2 khar sont alors

équivalent à 11 deben. Si l'administration ne verse plus que 2 3/4 de khar quand celui-ci atteint le prix de 4 deben, l'ouvrier reçoit toujours 11 deben. Cette pratique semble dénuée de

sens, car l'ouvrier est immédiatement conscient de la diminution de sa ration. Néanmoins,

une telle pratique pourrait avoir une utilité dans l'hypothèse où sa ration, équivalente dans les deux cas à 11 deben, serait entièrement échangées contre d'autres biens dont le prix n'a pas varié. Mais alors, il n'y aurait pas d'utilité à verser des rations en céréales par rapport à un versement de deben métallique31. De plus, dans ce cas, l'ouvrier égyptien ne consommerait pas

les céréales de sa ration, ce qui serait surprenant. Ainsi, nous ne pouvons nous satisfaire de l'hypothèse d'une manipulation de la valeur des sacs de grains organisée par le gouvernement telle qu'elle est avancée par le Lexikon der Aegyptologie.

Un autre élément associé parfois à la hausse des prix est la corruption croissante sous les règnes de Ramsès IV à VII et l'ascension de familles qui monopolisent, notamment, des fonctions sacerdotales32. Ceci peut être illustré par des chapardages de grains des revenus de

temples. Un papyrus de Turin permet d'établir que les détournements par un capitaine de bateau se sont élevés à près de 6000 sacs33. On ne peut en déduire un appauvrissement

suffisant des greniers des institutions concernées au point que les revenus de la population diminuent fortement, et entraînent une pénurie sur les marchés. Mais surtout, en période de hausse de prix, les contrevenants auraient certainement écoulé ces céréales contribuant ainsi à modérer les hausses, et non pas à les accentuer. On ne peut ainsi que souscrire avec l'affirmation de Serge SAUNERON: "C'est sans doute l'état d'instabilité économique et la

misère générale du pays qu'il faut rendre responsables de cette anarchie extraordinaire qui

26 K.A. KITCHEN, The Third intermediate period in Egypt(1100-650 B.J.C), Arris and Phillips L.T.D:

Warminster, England, 1973.

27 Ibid.,p.246

28 J.J JANSSEN, op.cit., p.556. 29 Ibid.

30 Ibid.

31 On n'a pas retrouvé trace d'une telle monnaie-marchandise. 32 K.A. KITCHEN, op.cit., p.246.

33 Ibid. L'étude du papyrus de Turin à laquelle fait référence K.A. KITCHEN a été menée par T.E. PEET,"A

historical document of Ramesside Age", J.E.A. (10) 1924. En réalité, le papyrus fait mention d'un détournement de 5004 khar d'orge, mais ceci résulterait d'une erreur d'écriture; le vrai montant du détournement serait de 5724 khar, (cf. p.126). Le détournement se serait produit entre l'an 1 du règne Ramsès IV et l'an 4 du règne de Ramsès V.

triomphait dans les provinces""34. La corruption n'est pas une cause de l'instabilité

économique mais plutôt une conséquence.

Il pourrait également être tentant d'établir un lien entre la multiplication des pillages de tombeaux et la hausse de prix. En effet, les voleurs, pourvus de revenus supplémentaires, se porteraient acheteurs sur les marchés, contribuant ainsi à faire croître les prix. Cependant, comme le scandale de ces vols éclate dans les années 13 à 17 du règne de Ramsès IX35, il

semble donc difficile de lier ce phénomène à la hausse intervenant sous Ramsès VII. Le lien existant serait plutôt entre l'accroissement des vols et la baisse des prix (leur niveau est moins élevé sous Ramsès IX que sous Ramsès VII), ce qui est paradoxal d'un point de vue des mécanismes purs du marché.

Il apparaît donc que les hausses des prix des céréales ne peuvent s'expliquer que par des raisons plus profondes tenant au désordre. La corruption et les vols ne sont que des

manifestations permises par l'affaiblissement du pouvoir central consécutif à l'affaiblissement

économique. Ces causes seraient la famine et le déclin de l'Empire égyptien.

Selon DRIOTON et VANDIER, l'Égypte traverse une période de mauvaises récoltes pendant le règne de Ramsès VII et de ses successeurs, ce dont on parle quelques années plus tard sous l'appellation de "l'année des hyènes, quand on avait faim "36. CERNY faisait déjà

référence à cette "année des hyènes " pour expliquer la croissance des prix37. Le papyrus

Lansing, originaire de Thèbes, et que l'on peut probablement dater de la fin de le XXème dynastie (ce au moins pour la copie)38, contient une évocation des malheurs du paysan qui n'a

plus les moyens de réaliser l'ensemencement. Il conviendrait néanmoins de trouver des documents attestant l'apparition des mauvaises récoltes sous Ramsès VII ou quelques années auparavant. KITCHEN, par exemple, situe "l'année des hyènes " sous le règne de Ramsès X ou XI39, à une période où précisément les prix sont moins élevés ! Il ne faut pas non plus

considérer la hausse des prix comme une preuve suffisante de l'existence d'une famine, car cette dernière, dans une économie de redistribution, n'aurait pas un effet automatique sur les prix.

Il reste à envisager la question de l'appauvrissement de l'Égypte du fait du bouleversement intervenu dans sa zone d'influence proche-orientale. Selon DRIOTON et VANDIER, les provinces d'Asie se "jugeaient indépendantes " et "les tributs annuels

n'arrivaient certainement plus d'une manière régulière " tarissant ainsi "la principale source d'enrichissement"40. Il est certain que les multiples invasions qui ont affecté le Proche-Orient à

cette époque ont contribué à l'appauvrissement de l'Égypte, mais ceci procède également d'une autre raison. WAINWRIGHT a pu établir, grâce à l'étude de la grande inscription de Meneptah sur le temple de Karnak que ce dernier a envoyé des grains pour soutenir l'Empire Hittite41. En fait, il semble que l'aide apporté aux Hittites soit plus ancienne. L'aide militaire

remonte au moins à l'an 21 du règne de Ramsès II. Il paraît cependant impossible d'établir, en l'état actuel des connaissances, que l'aide en céréale soit antérieure à Meneptah, voire Ramsès II. La lecture des lettres d'El-Amarna42 ne fait pas apparaître l'envoi de céréales; les objets

exportés, en général, sont pour l'essentiel des bijoux, ustensiles et métaux. Même si l'hypothèse de WAINWRIGHT est exacte, on ne peut établir la proportion des richesses céréalières de l'Égypte ainsi exportées. On ne peut également affirmer que de telles exportations se soient prolongées sous la XXème dynastie, accroissant ainsi les difficultés

34 S. SAUNERON, "Trois personnages du scandale d'Eléphantine", Revue d'Égyptologie (7), 1950, p. 61. 35 K.A. KITCHEN, op.cit., p. 247.

36 E. DRIOTON, J. VANDIER, L'Égypte, 4° édition, Paris: P.U.F., 1984, pp. 360-361. 37 J. CERNY, "Fluctuations in grains prices...", p. 177.

38 Nous tenons cette datation du professeur J.C. GOYON. Le document est traduit par A.M. BLACKMAN, T.E.

PEET, "Papyrus Lansing: A translation with notes", J.E.A., (11), 1925, pp. 284-298.

39 K.A. KITCHEN, op.cit,, p.247.

40 E. DRIOTON, J. VANDIER, op. cit, p. 360.

41 G.A. WAINWRIGHT, "Meneptah's aid to the hittites", J.E.A. (46), 1960, pp. 24-28.

d'approvisionnement de la population. D'ailleurs, à la fin de l'ère Ramesside, l'Empire Hittite n'existe plus, la Phénicie échappe au contrôle égyptien.

Toutefois, les bouleversements consécutifs à l'invasion des peuples de la mer constituent un facteur certain de troubles économiques. La terrible" subversion du XIIIème

siècle", ainsi que la nomme SANDARS, ne peut pas avoir eu des conséquences négligeables43.