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Synthèse : disparité du système et perte de la fonction originelle de l’article 17

L

ARTICLE

17 CEDH

Les deux tentatives d’interdiction du discours d’incitation à la haine raciale démontrent une disparité du système.

L’article 17 CEDH est finalement appliqué restrictivement aux discours d’incitation à la haine, la Cour l’utilisant principalement dans le cadre des propos négationnistes. De plus, sa fonction originaire s’en voit réduite, la Cour ne l’appliquant plus en tant que clause d’abus de droit permettant de déclarer un discours contraire aux valeurs de la Convention au stade de la recevabilité mais l’insérant dans l’examen conventionnel de l’article 10 par. 2 CEDH. Certes, la grande majorité des propos négationnistes reste condamnée en raison de leur simple contenu malgré une application indirecte de l’article 17 CEDH. Il s’agit néanmoins d’une perte structurelle de la fonction de déchéance de cette clause. Le constat est encore plus flagrant dans le cadre des autres formes d’incitation à la haine, la Cour préférant largement développer une argumentation sous l’égide de l’article 10 par. 2 CEDH prenant en compte le contexte de l’affaire en s’appuyant sur une série de critères factuels.181 Cette démarche permettrait ainsi d’éviter les risques ou dangers potentiels de l’application d’une disposition qui priverait la Cour de l’examen conventionnel et du test de la proportionnalité.182

180 DIACONU Ion, La liberté d’expression et les discours d’incitation à la haine, Tangram, n° 27, Bulletin de la Commission fédérale contre le racisme, 2011, p. 54.

181 HERVIEU Nicolas, Pénalisation de discours homophobes et expansionnisme jurisprudentiel de la notion de

« liberté d’expression irresponsable », in Lettre « Actualités Droits-libertés » du CREDOF, 10 février 2012, disponible sur le site : http ://revdh.org/2012/02/10/liberte-dexpression-art-10-cedh-penalisation-des-discours-homophobes-et-expansionnisme-jurisprudentiel-de-la-notion-de-liberte-dexpression-irresponsable/., dernière consultation le 08. 05. 2013.

182 FROWEIN, 2000, p. 36.

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Cependant, certains auteurs regrettent, au regard de l’actualité démontrant la persistance de groupements extrémistes, le manque d’utilisation de l’article 17 CEDH par la Cour.183 Ils estiment que le message qui leur est adressé « aurait tout à gagner, en terme de clarté, de pédagogie, et donc de dissuasion, à être délivré de façon abrupte par le glaive de la déchéance de protection conventionnelle pur et simple plutôt qu’à être dilué et obscurci dans la casuistique du droit commun, de ses trop subtiles balances des intérêts contextualisées, et de ses distinguos pas toujours convaincants ».184 De plus, protéger un discours de haine pour avoir l’illusion de défendre la liberté d’expression peut être inadéquat. Une solution proposée par Fish serait de traiter tous les discours racistes sur la base du contenu de la même façon que la Cour procède pour les propos négationnistes.185

Néanmoins, la jurisprudence strasbourgeoise privilégiant l’article 10 par. 2 CEDH reste indéniable. Face à cet abandon progressif de la clause d’abus de droit au profit de l’examen conventionnel classique, il est possible de s’interroger sur les raisons qui auraient pu pousser la Cour à privilégier la voie de l’article 10 par. 2 CEDH. Une première explication tient au radicalisme de la méthode de l’article 17 CEDH. En effet, cet article prive la Cour du test de proportionnalité dont l’étude peut conduire par exemple à une disproportion évidente de la peine au regard de l’atteinte qui a été commise. De plus, l’examen du contexte de l’affaire ne peut avoir réellement lieu, or il a été démontré que la Cour accorde une grande importance aux éléments factuels. Le rôle subsidiaire de la Cour est également remis en cause si celle-ci applique immédiatement l’article 17 CEDH sans pouvoir tenir compte de la marge d’appréciation nationale permettant aux Etats, jugés mieux placés que la Cour, d’adapter la Convention à leur particularité propre.186 Un autre argument d’ordre stratégique permettrait éventuellement d’expliquer le détachement de la Cour pour l’article 17 CEDH. En effet, il pourrait s’agir de « ne pas donner de mauvaises idées à certains Etats, toujours prompts à brandir cette disposition à tort et à travers pour étouffer en leur sein tout authentique pluralisme politique ».187

Une dernière vision abordée serait de pousser davantage l’analyse qu’opère la Cour pour l’appliquer aux propos négationnistes de sorte que tous les discours de haine raciale soient traités sous le champ des restrictions de l’article 10 par. 2 CEDH.188 Cette doctrine s’oppose donc à ce que les propos négationnistes forment une catégorie particulière de discours nécessitant un traitement particulier. Tout en respectant les souffrances humaines endurées et parfaitement conscients des crimes atroces ayant été commis lors de la Seconde Guerre mondiale, ces auteurs estiment que l’examen juridique doit être effectué dans la sobriété la plus totale et non d’un point de vue émotionnel.189 Tous les discours d’incitation à la haine

183 VAN DROOGHENBROECK, 2001, n° 24 ; DE GOUTTES Régis, A propos de conflit entre le droit à la liberté d’expression et le droit à la protection contre le racisme, in : PETTITI Louis-Edmond, Mélanges en hommage à la Louis Edmond Pettiti, Bruylant, Bruxelles, 1998, pp. 258-259.

184 VAN DROOGHENBROECK, 2001, n° 24.

185 LOWE Peter/ JONSON AnnMarie, An Interview with Stanley Fish, Australian Humanities Review, Février 1998 cité par KEANE David, Attacking Hate Speech under Article 17 of European Convention on Human Rights, p. 658.

186 CANNIE/ VOORHOF, 2011, pp. 69-71.

187 VAN DROOGHENBROECK, 2001, n° 21.

188 CANNIE/ VOORHOF, 2011, p. 83; WACHSMANN, 2001, pp. 585-599.

189 CANNIE/ VOORHOF, 2011, pp. 81-82.

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raciale devraient donc faire l’objet d’un test de proportionnalité et d’une prise en compte du contexte. De plus, ces derniers ne comprennent pas la différence de traitement opérée entre les propos niant l’Holocauste, protégés par l’article 17 CEDH et par exemple les jugements turcs sur les propagandes séparatistes190, qui sont développés sous l’angle de l’article 10 par. 2 CEDH. Ils estiment donc, plus fondamentalement, que vouloir protéger la démocratie contre le négationnisme risque en réalité de nuire aux valeurs démocratiques essentielles d’égalité.191 En définitive, que ce soit par la voie radicale de l’abus de droit de l’article 17 CEDH ou par le jeu des restrictions à la liberté d’expression de l’article 10 par. 2 CEDH, la Cour condamne le discours d’incitation à la haine. Le procédé peut certes aboutir à des résultats jurisprudentiels qui diffèrent mais de manière générale, la Cour strasbourgeoise ne reste pas insensible face aux propos incitant à la haine raciale.

190 Voir notamment arrêt Sürek.

191 CANNIE/ VOORHOF, 2011, p. 82.

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3 L’ ENJEU DE L ’ INTERDICTION DU DISCOURS DE HAINE RACIALE