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L’incitation à la haine : contours d’un discours vaguement défini

A l’heure actuelle, il n’existe toujours pas de définition universellement reconnue de l’incitation à la haine. Certes, plusieurs textes internationaux la mentionne et la condamne, mais aucun ne la définit clairement. Là se trouve la première difficulté.

L’interdiction de l’incitation à la haine est évoquée dans plusieurs textes internationaux. Le premier est la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR) qui mentionne à son article 4 let. a : « Ils [les Etats]

s’engagent notamment à déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence ».7 Ce texte interdit la propagande de la haine raciale. Le deuxième texte pertinent est le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte II) qui mentionne à son article 20 al. 2 que « tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi ».8 Par la suite, le Comité des Ministres a adopté une Recommandation n° R (97) 20 sur

« le discours de haine » (Recommandation (97) 20) qui condamne cette forme d’expression et entend donner aux Etats des critères communs pour le définir dans leur législation interne.9 Le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, relatif à « l’incrimination d’actes de nature raciste ou xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques », demande également aux Etats signataires d’adopter des mesures législatives visant à ériger en infraction pénale, toute diffusion de matériel raciste et xénophobe encourageant à la haine et de matériel négationniste.10 Par la suite, la Commission européenne contre le racisme et

6 HAMMARBERG Thomas, Droits de l’homme : la complaisance n’a pas sa place, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2011, p. 328.

7 Assemblée générale des Nations-Unies, Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, entrée en vigueur le 4 janvier 1969, RS 0.104.

8 Assemblée générale des Nations-Unies, Pacte relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur le 23 mars 1976, RS 0.103.2.

9 Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, Recommandation n° R (97) 20 sur le « discours de haine », adoptée le 30 octobre 1997, principe 1.

10L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité relatif à « l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques », adopté le 23 novembre 2001, articles 3 et 6.

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l’intolérance (ECRI) a adopté en 2002 une Recommandation de politique générale n° 7 sur

« la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale » (Recommandation de politique générale n° 7). Celle-ci mentionne en son point 18 a)

« l’incitation publique à la violence, à la haine ou à la discrimination » et e) « la négation […] ».11 L’ECRI recommande aux Etats membres d’adopter une législation pour lutter contre ces formes de discours.

Parmi ces quelques textes internationaux, seule la Recommandation (97) 20 définit ce qu’elle entend par le discours de haine en y intégrant l’incitation à la haine12, les autres se contentant de prôner son interdiction. En effet, la rubrique « champ d’application » de cette Recommandation définit le discours de haine comme « toutes formes d'expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l'antisémitisme ou d'autres formes de haine fondées sur l'intolérance, y compris l'intolérance qui s'exprime sous forme de nationalisme agressif et d'ethnocentrisme, de discrimination et d'hostilité à l'encontre des minorités, des immigrés et des personnes issues de l'immigration ».13 Cependant, cette dernière ne définit pas l’incitation à la haine mais se contente de la rattacher à la notion plus générale de discours de haine. Ce manque de définition laisse la Cour libre de définir le concept d’incitation à la haine. Celle-ci se réfère dans quelques affaires à la Recommandation (97) 20 notamment dans l’arrêt Gündüz c.

Turquie14 et dans l’arrêt Balsyté-Lideikiené c. Lituanie15. La Cour procède donc au cas par cas, en créant une définition au fur et à mesure des requêtes qui lui parviennent. Il lui arrive de confirmer la définition donnée par la juridiction nationale, notamment dans l’arrêt Féret c.

Belgique16 mais aussi d’aller à son encontre, comme par exemple dans l’arrêt Gündüz c.

Turquie17. En cela, la définition que donne la Cour de la notion d’incitation à la haine est autonome, ce qui lui permet de ne pas être contrainte dans son raisonnement.18

Si l’on se penche à présent sur les différentes décisions rendues par la Cour en relation avec l’incitation à la haine, il est possible d’essayer d’en dégager les contours jurisprudentiels. En effet, deux affaires permettent de définir un peu plus clairement ce que la Cour entend par les termes d’incitation à la haine. Dans la première, la Cour déclare que la stigmatisation de la partie adverse est considérée comme une incitation, au motif que « la teneur de l’expression était considérée comme susceptible de favoriser la violence dans la région, en insufflant une haine profonde et irrationnelle envers ceux qui étaient présentés comme responsables des

11 La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, Recommandation de politique générale n° 7 sur

« la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale », adoptée le 13 décembre 2002.

12 WEBER Anne, Manuel sur le discours de haine, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2009, p. 3.

13 Recommandation n° (97) 20, champ d’application.

14 Arrêt CourEDH dans la cause Gündünz c. Turquie du 4 décembre 2003, requête n° 35071/97, par. 22.

15 Arrêt CourEDH dans la cause Balsyté-Lideikiené c. Lituanie du 4 novembre 2008, requête n° 72596/01, par.

81.

16 Arrêt CourEDH dans la cause Féret c. Belgique du 16 juillet 2009, requête n° 15615/07, par. 78.

17 Arrêt Gündüz, par. 40.

18 OEITHEIMER Marion, Protecting Freedom of Expression: the Challenge of Hate Speech in the European Court of Human Rights Case Law, Cardozo Journal International and Comparative law, vol. 17, 2009, pp. 428-429.

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atrocités alléguées ».19 Elle affirme également que le terme « incitation » signifie « attiser la haine ».20 La seconde affaire précise que l’incitation à la haine ne requiert pas nécessairement l’appel à un acte de violence ni à un acte délictueux. En effet, il n’est pas nécessaire d’inciter à un acte concret, car inciter à un sentiment, une émotion ou une attitude suffit pour que les propos soient qualifiés d’incitation à la haine.21 La Cour rajoute également que « les atteintes aux personnes commises en injuriant, en ridiculisant ou en diffamant certaines parties de la population suffisent pour que les autorités privilégient la lutte contre le discours raciste face à une liberté d’expression irresponsable ».22 En effet, selon la Cour « un tel discours est inévitablement de nature à susciter parmi le public et particulièrement parmi le public le moins averti, des sentiments de mépris, de rejet, voire pour certains, de haine à l’égard des étrangers ».23 Cependant, il importe peu que l’auteur ait réussi concrètement, par ses propos, à inciter à la haine un public. En effet, l’infraction réside dans l’intention d’inciter de l’auteur et non dans le résultat d’une telle incitation.24

Voici les quelques éléments de définition qui découlent de la jurisprudence strasbourgeoise relative à la notion d’incitation à la haine. Il est évident que ceux-ci restent particulièrement vagues. C’est la raison pour laquelle de nombreuses voix s’élèvent au sein même de la Cour pour demander davantage de clarté et de précisions sur une notion juridique qui devrait être interprétée plus restrictivement selon eux.25 En effet, plusieurs juges objectent que l’impact potentiel d’un discours sur les droits d’autrui ne suffit pas pour restreindre la liberté d’expression.26 Selon eux, il doit exister une action illégale découlant directement du discours ou qui en serait favorisée. En l’absence d’une telle action, commise ou susceptible de l’être, la prévention, par la condamnation du discours, n’aurait pas de raison d’intervenir. En effet, « la simple intolérance, le sentiment sans action ou du moins sans tendance manifeste à l’action, ne saurait constituer un délit ».27

Cependant, il est possible que la Cour ait pris le parti de laisser subsister un certain flou face à ce type de discours, en ne définissant pas trop restrictivement l’incitation à la haine d’une manière qui risquerait de la contraindre dans ses appréciations futures, et préfère s’octroyer une certaine marge de manœuvre, afin d’adopter une attitude davantage pragmatique lui permettant de décider librement si un discours doit être qualifié d’incitatif ou non à la haine.

19 Arrêt CourEDH dans la cause Sürek c. Turquie du 8 juillet 1999, requête n° 26682/95, par. 61.

20 Ibid., par. 62.

21SUMNER Leonard Wayne, Criminalizing Expression: Hate Speech and Obscenity, in: DEIGH John DOLINKO David, The Oxford Handbook of Philosophy of Criminal Law, Oxford University Press, Oxford, 2001, p. 27.

22 Arrêt Féret, par. 73.

23 Ibid., par. 69.

24 SUMNER, 2001, p. 27.

25 Arrêt Féret, Opinion dissidente du juge SAJO à laquelle déclarent se rallier les juges ZAGREBEL SKY et TSOTSORIA.

26 Ibid.

27 Ibid.

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