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Synthèse du chrono-style « le temps de la parentalité »

Dans le document Les usages du temps libéré (Page 133-137)

Ce chrono-style s’organise autour de deux ordres d’activités dominants : les enfants et le travail, qui colonisent à la fois les emplois du temps et une échelle des valeurs quasiment restreinte à cette bi-polarité égalitaire. En effet, une des surprises de cette catégorie est de constater que la sur-valorisation de l’ordre des activités autour des enfants ne s’accompagne pas d’une perte en valeur du travail. Même à temps partiel, nos enquêtés conservent un ethos fort du travail128, s’y investissent largement, sont conscients des inconvénients de la réduction du temps de travail sur une carrière et essaient d’en limiter les effets. Ils mettent d’ailleurs en place des stratégies qui maintiennent le temps libéré dans des proportions qui leur paraissent acceptables. Notamment, une de nos enquêtés dont le temps partiel antérieur avait été encore diminué par les 35h, repassa de 80 % à 90% pour en annuler les effets.

Ce ré-équilibrage entre travail et enfants constitue ici la seule motivation de passage à temps partiel même si ce dernier peut faciliter des objectifs accessoires (activités secondaires) ou avoir lui-même été facilité par des conditions de possibilités (financières et autres) et un sentiment de légitimité sociale.

On retrouve fortement cette bi-polarité dans la structuration du temps. Non pas dans les repères temporels conventionnels utilisés qui conviennent à la fois aux activités autour des enfants et au travail, repères très utilisés ici : les heures, les jours, un fort marquage de la semaine et une nette partition entre semaine et week-end. On retrouve plutôt cette bi-polarité dans les ordres d’événements qui servent également de repères temporels, concrets cette fois-ci : les rythmes des activités liées aux enfants (la présence et l’absence des enfants eux-mêmes, les levers et les couchers, leurs repas, les activités diverses : jeux, TV, etc., avec une nette prédominance des rythmes et des horaires scolaires, très structurants), et les rythmes du travail. La surprise ici n’est pas que ces deux catégories d’activités agissent comme marqueurs temporels, mais bien qu’ils apparaissent comme les marqueurs temporels exclusifs, à partir desquels vont s’organiser et se distribuer les autres activités dans les emplois du temps. L’essentiel des négociations qui décident des enchaînements des activités vont se produire entre ses deux ordres d’activités et donnent d’ailleurs lieu par exemple à des stratégies pour que l’un n’empiète pas sur l’autre ou à des ré-

ajustements fréquents. La place des autres activités : loisirs, sociabilités amicales, activités accomplies par le couple seul, temps pour soi, apparaît comme fragilisée quant à leur inscription dans les emplois du temps, c’est-à-dire menacée par un imprévu ou une ré-organisation autour du travail et des enfants.

En dehors de ces négociations (internes ou avec le conjoint, essentiellement), nos enquêtés affirment mettre en place une organisation minimum. C'est que, dans ce chrono-style -pourrait-on dire- les contraintes temporelles sont supérieures aux ressources, ce qui débouche sur l’impression que de fait, « les choses s’organisent d’elles-mêmes », «comme elles viennent ». Dans les carnets, l’emploi du temps apparaît comme réellement divisé entre ces deux blocs de temps, le travail constituant simplement des plages de temps repérables et les tâches concernant les enfants se divisant en une multitude d’activités, plus éclatées mais constituant une durée au moins équivalente, le plus souvent supérieure à celle du travail.

Le temps libéré par le temps partiel est donc ici un instrument d’équilibrage de ces deux temps majeurs. Il est apprécié positivement comme tel à la fois par ce qu’il apporte aux tâches liées aux enfants : une disponibilité plus grande, et à l’ensemble de l’emploi du temps : une diminution de la pression du quotidien, un assouplissement de la rigidité des horaires. Malgré tout, bien sûr, il est insuffisant (c’est-à-dire jugé tel) pour permettre à d’autres ordres d’activités de se développer significativement comme nous l’avons dit plus haut, mais il s’agit précisément ici d’une particularité inhérente à ce chrono-style et à son principe d’équilibrage égalitaire et d’équi-valence (relative) entre travail et enfants. Il est dans la nature de ces modalités d’investissement de ne pas permettre à d’autres temps de se développer. Avec regret, parfois, et c'est sur ces activités « accessoires » que se polarise l’essentiel des chronopathies. Si l’on manque de temps, si l’on se sent débordé, c'est essentiellement pour faire autre chose, ces activités que l’on a sacrifiées. Mais également, l’importante persistance de la valeur travail amène souvent à reconsidérer son parcours professionnel et à formuler quelques regrets, ou quelques projets fragiles d’amélioration et de ré-orientation professionnelles.

S’il n’a pas profité à l’ensemble des temps de vie, en revanche le temps libéré à donné lieu à de profonds remaniements des emplois du temps. Outre le fait que l’on a vu que le temps partiel accompagne une ré-orientation radicale des priorités, une fois passé à temps partiel on ré-organise profondément et/ou on assouplit : on dégage le temps jugé nécessaire pour les enfants, pour les activités récurrentes, ou pour les imprévus, inévitables. Mais également on redistribue d’autres ordres d’activités voisins. Pendant le temps complet de Denise (employée de commerce), par exemple, les tâches ménagères de base (celles qui ne sont pas directement liées à la présence des enfants mais nécessairement accrues par celle-ci) étaient

éparpillées dans les moments libres de la semaine, essentiellement entre midi et quatorze heures et le dimanche. Aujourd’hui, elle les concentre principalement le même jour, le lundi (jour « libéré »), et réserve le dimanche et les repas de midi à du repos en famille. Son lundi est donc pour elle un jour un peu particulier « pas un jour de travail, mais pourtant c'est un jour de semaine où on se lève à la même heure ». Il est difficile en revanche de dire si ce temps libéré est un temps destiné à durer ou un temps provisoire appelé à se retransformer en temps complet de travail lorsque la pression temporelle du temps parental diminuera, les enfants grandissant. Nos enquêtés, là-dessus, sont très partagés. Et parfois eux-mêmes contradictoires. Nous en reparlerons lorsque nous évoquerons le devenir des chrono-styles, dans une partie générale.

11.2 - Le temps du multi-investissement

Il s’agit d’une catégorie où l’on ne retrouve pas d’hégémonie temporelle d’une activité centrale, que ce soit en durée ou en représentation, ni même le partage de cette hégémonie entre deux activités dominantes comme dans la catégorie précédente. Ici, on assiste à un ré-équilibrage des investissements dans les différents ordres d’activités de la vie quotidienne, où aucun n’est particulièrement mis en exergue de façon significative au regard des indicateurs que nous nous sommes donnés. C'est pour cela que l’on parlera d’une catégorie du multi-investissement. L’expression ré- équilibrage est d’ailleurs à prendre de façon neutre, pas nécessairement positive. Tous nos enquêtés ne vivent pas cette catégorie de temporalité avec un égal bonheur, comme nous prendrons la peine de le montrer. Enfin, signalons que, chez nos enquêtés, cette tendance à l’investissement multiple pré-existe au passage à temps partiel. Celui-ci ne fait qu’accentuer la cohérence de ce chrono-style par un ré- équilibrage et va éventuellement permettre une « fuite en avant » dans la multiplication des activités.

Dans notre étude, cette catégorie concerne : - 14 cas sur 33 enquêtés ;

- de 28 à 58 ans ;

- 5 hommes pour 9 femmes ;

- des situations familiales diverses ;

- des modalités de temps partiel entre 20% et 80%, sous forme de jours libérés ou de jours allégés ;

Cas concernés

Maud-

Line Médecin du travail 55 ans En couple 2 de 30 et 25 ans Choisi 60% Le lundi et le vendredi G3 Jean Médecin libéral 52 ans En couple 3 de 27, 20 et 18 ans Choisi A décidé de rassembler sa charge de travail sur 3 ou 4 jours À essayé différentes modalités G3 Maryse Laborantine 58 ans En couple 4 de 23 à 29 ans Imposé / choisi129 40% Travaille le lundi et le jeudi matin G4 Aurore Animatrice

sociale 40 ans En couple 2 de 13 et 11 ans Choisi 80% Le mardi et le jeudi matin G4 Prisca Infirmière 41 ans En couple

Aucun Choisi 50% Alternance de

2 sem à 35h avec 2 sem sans travail

G4

Milène Secrétaire

du privé 49 ans En couple 2 de 19 et 16 ans Choisi 60% Le lundi et le vendredi G5 Georges Architecte libéral 53 ans En couple 2 de 27 et 15 ans Choisi A décidé de rassembler sa charge de travail sur 3 jours ½ Lundi et vendredi après-midi mais peut changer G3 Thomas Dentiste

libéral 35 ans Pas en couple 2 de 11 et 7 ans Choisi A décidé de rassembler sa charge de travail sur 4 jours Le mercredi et le vendredi après-midi G3 Francis Educateur

spécialisé 42 ans En couple 4 filles de 13, 6, 4 et 1 ans Choisi 80%, puis 20% Horaires irréguliers G4 Renée Caissière en grande surface 49

ans Pas en couple 2 de 30 et 23 ans

Choisi /

imposé130 80% Horaires irréguliers G5

Paul Professeur

de lettres 50 ans En couple 2 de ans Choisi 80% Le après-midi et mardi le jeudi après- midi

G3

Isabelle Vendeuse 31

ans Pas en couple Aucun Imposé 50% Horaires irréguliers G5 Chlotilde Educatrice

spécialisée 51 ans En couple 2 de 24 et 18 ans Choisi 50% Le mercredi après-midi, le jeudi et le vendredi G4 Valérie Educatrice spécialisée 28 ans Pas en couple

Aucun Choisi 50% Le lundi, le

jeudi matin et le vendredi

G4

129 Elle souhaitait ne plus travailler pour pouvoir élever ses enfants, ses employeurs lui ont alors proposé de garder son emploi mais en réduisant sa charge de travail à 40%, elle a accepté.

11.2.1. Le passage à temps partiel

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