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Synthèse 2 ème partie : un marché encastré dans des rapports sociaux et politiques

secteur en construction (1950-1980)

2.4. Synthèse 2 ème partie : un marché encastré dans des rapports sociaux et politiques

L’analyse des comportements économiques des associations gestionnaires (leurs choix de développement, leurs modes de financement) permet de mettre en évidence que ces comportements sont « couplés » à des comportements non strictement économiques, relevant davantage de prises de position politique et d’affiliations militantes.

Cette analyse montre également que les premiers pas dans le secteur, les premiers contacts entre opérateurs et avec les pouvoirs publics génèrent par leur répétition des modèles de comportements attendus qui non seulement évitent le recours à des relations de pure autorité (type de relations illégitimes tant le principe de la « liberté associative » semble admis par l’ensemble des acteurs) mais s’avèrent relativement efficaces pour éviter la malveillance des opérateurs les uns à l’égard des autres ou les conflits ouverts avec les représentants des autorités publiques.

Nous pouvons ainsi caractériser à l’issue de cette analyse une « conception de contrôle » propre à cette période de constitution et d’institutionnalisation du secteur du handicap, qui oriente les comportements des différents acteurs du champ et contribue à reproduire les équilibre entre eux. Nous proposons de qualifier cette conception de contrôle de « politisée » en référence à deux de ses caractéristiques. D’une part, les comportements économiques des opérateurs sont « couplés » et associés dans les perceptions croisées que les acteurs se font du champ, aux affiliations politiques et aux origines militantes des opérateurs associatifs. Les partages de territoires en différentes niches économiques se superposent aux réseaux politiques des associations. La morphologie du marché ressemble à des « grappes » d’associations regroupées autour de niches économiques et de causes politiques à défendre, grappes relativement indépendantes les unes des autres et qui construisent et entretiennent cette non congruence des territoires économiques et politiques. D’autre part, le caractère « politisé » de la conception de contrôle provient du fait que les « acteurs clés » de cette période, ceux qui ont le pouvoir de prendre les décisions concernant la conduite des associations gestionnaires (en termes de stratégie de développement mais aussi en termes de fonctionnement interne des associations) sont les dirigeants bénévoles, présidents et les membres des bureaux des associations. Ainsi, même chez les deux plus gros opérateurs du Rhône, on ne trouve de formalisation des fonctions de direction salariées qu’à partir des années quatre-vingt (Claveranne et al., 2011).

Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques de cette conception de contrôle « politisée » en fonction de quatre dimensions : le rôle des autorités publiques, les stratégies des opérateurs dominants, l’identité des acteurs-clés au sein des organisations associatives et le rôle des acteurs intermédiaires.

Conception de contrôle « politisée » (1950-1980)

1ère dimension : Le rôle et les

capacités d'action des autorités publiques

Autonomie des opérateurs dans la définition des besoins et la maîtrise des parcours des usagers (flux d’entrée et de sortie entre opérateurs) en dépit de quelques tentatives à la marge et de l’apparition de nouveaux acteurs institutionnels en fin de période (CDES et Cotorep)

Contrôle a posteriori exercé par les autorités publiques (principalement l’État) sur les opérateurs

Le contrôle ne s’exerce pas au niveau de l’association gestionnaire mais des établissements et services

2ème dimension : Les stratégies des

organisations "dominantes" vis-à-vis des autres

Partage des territoires associatifs par la recherche et la préservation de niches. Ce partage des territoires passe par la mise en œuvre de dispositifs de contrôle (interlocks, soutien financier des grandes associations vers les petites, participation aux réseaux associatifs et institutionnels)

3ème dimension : Les structures de

gouvernance des opérateurs

Pouvoir des dirigeants bénévoles au sein de CA composés de militants Peu de sièges associatifs structurés employant des dirigeants salariés et des cadres administratifs techniques

4ème dimension : Le rôle des acteurs

intermédiaires

Soutien et relais des associations auprès des autorités publiques, soutien et relais des stratégies d’auto-contrôle collectif des opérateurs

À partir de la fin des années soixante-dix cependant, divers facteurs viennent déstabiliser cette conception de contrôle, dans le sens où ils viennent restreindre son efficacité à stabiliser les relations entre acteurs. Ces facteurs, internes et externes aux opérateurs conduisent à des processus de découplage conduits par de nouveaux acteurs clés au sein des associations (les dirigeants salariés) et entretenus voire encouragés par les autorités publiques. Ces processus de découplage conduisent à l’émergence d’une nouvelle conception de contrôle dans le secteur, que l’on qualifiera de conception de contrôle « managériale ».

(1980-2010)

La période qui s’étend des années quarante aux années soixante-dix peut être qualifiée de période de structuration du champ du handicap. Si au début de la période, la confusion et la diversité règnent sur les manières de faire à la fois du côté des opérateurs (comment gérer des équipements, quel type d’accompagnement proposer aux personnes handicapées ? Comment les attirer dans les établissements ? etc.) et du côté des autorités publiques (comment contrôler les opérateurs ? comment orienter les financements publics au plus près des besoins des personnes handicapées ? etc.), des règles sont rapidement définies (pour le financement et le contrôle notamment), des interprétations et des mises en œuvre locales de l’applications de ces règles se construisent, des pratiques de gestion des associations se diffusent et des hiérarchies s’établissent entre opérateurs. Il est ainsi aisé, pour les opérateurs eux-mêmes et pour les autorités publiques d’identifier en fin de période, au plan national comme au plan local des opérateurs dominants, dont la légitimité est autant politique (liée aux actions de mobilisation collective menées à l’échelle locale ou nationale ou à des partis pris sur les modes d’accompagnement des personnes handicapées) qu’économique (importance du nombre d’établissements et de places gérés à l’échelle nationale et/ou locale).

À partir de la fin des années soixante-dix, le champ entre dans une autre phase de développement que l’on peut qualifier de stabilisation. Ce qui peut apparaître comme les signes d’une « grande transformation » du secteur du handicap, en particulier l’introduction d’une procédure d’appel à projets et les injonctions au regroupement des associations ne font que cristalliser des processus déjà à l’œuvre pour peu que l’on se donne les moyens de les observer de près. La cristallisation des positions et des oppositions sur ces sujets entre des opérateurs « pragmatiques » qui justifient ces nouvelles règles du jeu et des opérateurs « politiques » qui dénoncent une marchandisation du handicap est d’ailleurs en elle-même révélatrice de la stabilisation des rapports de force entre les secteurs puisqu’elle recoupe sensiblement les oppositions entre gros opérateurs dominants dans le champ et petits opérateurs.

L’analyse des processus de stabilisation des rapports de pouvoir se fera en trois temps. Nous commencerons d’abord, à partir de l’exploitation des données statistiques sur les opérateurs du Rhône et de l’Isère par établir plusieurs constats sur les transformations « morphologiques » du champ : les transformations des stratégies des opérateurs dominants qui tendent à diversifier leur offre d’équipement et l’amorce d’un mouvement de concentration des opérateurs qui contribue à renforcer la position des gros opérateurs associatifs (3.1). Nous montrerons ensuite que deux ensembles de processus participent conjointement à la stabilisation des positions dans le champ du handicap. Les premiers concernent les transformations des rapports entre les opérateurs et les autorités publiques. Les nouveaux instruments de contrôle à distance mobilisés par ces dernières contribuent en effet à entretenir les rapports de pouvoir en confortant à la fois les avantages « matériels » déjà acquis des gros opérateurs et les conceptions des bonnes conduites à tenir pour les opérateurs associatifs, qu’ils partagent avec ces gros opérateurs (3.2). Les seconds processus concernent les transformations des formes de lutte économique légitimes entre opérateurs. De nouvelles pratiques économiques émergent de la part des opérateurs dominants, dont on peut penser qu’elles sont amenées à devenir dominantes (majoritaires) dans le champ. Ces pratiques consistent d’abord en l’adoption de stratégies de diversification par lesquelles les opérateurs s’implantent sur des territoires de concurrence inédits pour

eux et sans liens avec leurs affiliations politiques d’origine. Elles se manifestent également par la recherche d’efficience et l’engagement dans des stratégies de rapprochement avec d’autres opérateurs. Ces pratiques contribuent elles aussi à reproduire les positions dans le champ. Le développement de l’ensemble de ces nouveaux comportements économiques dans le champ du handicap est soutenu par une nouvelle conception de contrôle que nous qualifierons de « managériale » à la fois en référence à son contenu (elle valorise les critères de bonne conduite gestionnaire de l’association) et aux acteurs qui la soutiennent et la diffusent (les dirigeants salariés des gros opérateurs associatifs) (3.3 et 3.4)

3.1. Saturation des territoires concurrentiels et renforcement des positions