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P SYCHOLOGIE SOCIOCULTURELLE ET THEORIE DE L ’ ACTIVITE

Le champ de la psychologie socioculturelle a utilisé et développé les concepts d’activité, d’outil, entre autre, et ceux-ci me donnent des clefs pour la compréhension des processus mis en avant dans les chapitres précédents.

La notion d’activité initialement développée par des psychologues russes (Vygotski, Leontiev), au début du 20ème siècle, a été reprise par des chercheurs contemporains (Engeström 1999, Bronckart 2004, Rochex 1995). Cette notion d’activité ou de système d’activité permet de penser l’articulation entre un individu, d’une part acteur de son développement, et d’autre part contraint et orienté par des pré-construits historico-culturels (Bronckart, 2004).

2.5.1 La notion d’activité

Pour Vygotski, Leontiev et leurs continuateurs, toute activité humaine est collective, orientée vers un objet et culturellement médiatisée, c’est-à-dire instrumentée, structurée, transformée par des outils et des signes socialement élaborés par les générations antérieures. Engeström parle aussi de système d’activité (Engeström &

Miettinen 1999).

Chaque activité est ancrée historiquement ; elle prend donc une forme particulière, offre un certain cadre en fonction des contextes physiques, économiques et historiques, dans lesquels elle se trouve et en fonction desquels elle s’organise (Bronckart, 2004).

devenir une grille d’entretien qui guide les interactions et qui par conséquent transforme certainement l’objet de discours.

2.5.2 L’objet et le mobile de l’activité

Les auteurs de la théorie de l’activité mettent en avant qu’ il ne peut y avoir d’activité sans objet et sans autrui. Donc l’objet, le mobile de l’activité, ne peut être que difficilement trouvé en ne regardant que les actions, c’est-à-dire l’ “expression tangible“ de l’activité, mais il peut être cerné quand les actions sont prises comme faisant partie d’une activité où d’autres sont présents (physiquement ou pas).

Pour expliciter ces quelques phrases, nous allons nous appuyer sur un exemple donné par Engeström (1999) ; il s’agit de sa contribution à un congrès, pour lequel il a rédigé et présenté un texte. Si on se contente de regarder que le résultat des actions de l’orateur, celles-ci nous paraissent très limitées et bornées à la situation, le texte en soi n’ayant qu’un impact momentané sur les participants. Si par contre, on considère l’implication du même orateur dans le groupe organisateur, ses actions prennent une autre dimension, un sens plus large leur est conféré, car c’est la projection de l’objet en résultat qui se transforme. Bien que l’objet reste toujours le même, sa projection en résultat diverge selon que l’on regarde l’individu et ses actions ou l’individu, ses actions et son inscription dans un groupe, dans une activité collective. L’objet relie donc les actions individuelles à l’activité collective.

« The projected outcome is no longer momentary and situational ; rather, it consists of societally important new, objectified meanings and relatively lasting new patterns of interaction. It is this projection from the object to the outcome that, no matter how vaguely envisioned, functions as the motive of this activity and gives broader meaning to my actions » (Engeström, 1999, p.31).

L’objet est en même temps quelque chose de donné et quelque chose d’anticipé, de projeté. L’objet peut être l’un et l’autre, idéel ou matériel, présent visuellement ou uniquement dans l’imagination, dans la pensée. Selon les chercheurs de la théorie historico-culturelle de l’activité, l’objet détermine l’horizon des actions possibles, mais non pas des actions spécifiques. Un même mobile ou objet peut engendrer des actions fort différentes. Et vice versa, une même action peut être soutendue par des mobiles très éloignés, selon les individus.

En d’autres mots, des individus peuvent partager le même objet global (les enfants et la lecture), mais en raison de leurs histoires différentes, de leurs positions, ils peuvent construir l’objet et les autres composants de l’activité (outils, règles, rôles) de manières totalement ou partiellement différentes. Un système d’activité est toujours hétérogène et à plusieurs voix, d’où en constante construction et renégociation. L’activité langagière permet la régulation du système d’activité et contribue « à l’entente sur ce que sont les contextes de ces activités » (Bronckart, 2004, p.104).

C’est à ce niveau qu’apparaît la notion de sens, « exprimant le rapport qui existe entre ce pourquoi on agit et ce que l’on fait réellement » (Rochex, 1995, p.47). En d’autres termes, le sens correspond au rapport entre l’objet de l’activité et sa projection en résultat, ou le mobile de l’activité et le résultat des actions.

Le sens donné à une activité n’est pas figé une fois pour toute, il peut se transformer au cours de l’activité, au cours des actions, des interactions avec autrui.

En effet, comme le montre Rochex (1995) avec l’exemple d’Annie Ernaux, « où ce n’était plus pour fermer la gueule des filles que je racontais ces histoires, c’était pour vivre dans un monde plus beau, plus pur, plus riche que le mien. Tout entier en mots » (p.154). Ici, les livres, les mots, le langage prennent finalement sens pour eux-même, « et non plus seulement pour réaliser des mobiles de restauration narcissique. Le langage, les livres et l’écriture en particulier permettent de plus en plus à l’enfant de construire et d’accèder à un autre monde, conceptuel et imaginaire, nourrissant par la même un intense sentiment de fascination » (p.154).

« Le sens n’est ni un donné, ni un pré-requis. Il se négocie, se remanie au gré des expériences. Engagé dans l’activité, on peut ne pas en ressortir tel qu’on y est entré, car celle-ci est caractérisée par des transformations constantes : elle “peut perdre le motif qui l’a fait naître et se transformer alors en une action réalisant peut-être un tout autre rapport au monde, une autre activité ; à l’inverse, l’action peut acquérir une force motivante autonome et devenir une activité particulière“ (Leontiev, 1975, p.121). La maîtrise de l’action peut ouvrir de nouvelles perspectives d’activité, mais aussi le résultat peut excéder le but visé et engendrer de nouveaux mobiles » (Bernardin, 1997, p.19-20).

2.5.3 Les outils et les signes dans l’activité

La théorie de l’activité comprend aussi une autre notion, celle de la médiation par des outils et des signes, indispensable pour cerner l’activité, le système d’activité.

Les outils et les signes peuvent transformer l’activité (les outils techniques modifient les formes et la structure des opérations de travail), mais ils la représentent, ils la signifient aussi (Gilly 1995). Ces derniers ne déterminent pas l’activité, mais ils peuvent devenir des ressources pour construire l’activité et pour la définir.

Ces outils culturels (les systèmes d’écriture, les cartes, etc.) à la fois symboliques et matériels, ont été socialement élaborés par les générations antérieures mais ils ne sont pas figés, ils peuvent être transformés, combinés selon leur utilisation dans les activités. Un même outil peut être utilisé d’une toute autre manière selon qu’il se trouve dans un système d’activité ou dans un autre, car il prendra une toute autre signification. Selon Engeström (1999), les réseaux entre systèmes d’activité assurent le mouvement des outils, artefacts et par là leur transformation, parfois.

A propos des artefacts, Rabardel et Béguin (2000) proposent une distinction intéressante. Selon eux, un artefact devient un instrument seulement à travers l’activité du sujet, celui-ci peut ou ne peut pas donner un nouveau sens à l’artefact comme un instrument pour accomplir une tâche.

« Les actions, objets, outils, symboles n’ont pas de signification en eux-mêmes. Leur signification est constituée par le rôle que ces éléments reçoivent dans l’activité, aux yeux des acteurs, au cours d’interactions sociales » (Muller Mirza, 2002, p.151).

Ce qui me paraît intéressant dans cette théorie, est le fait de considérer que le mobile, l’objet premier incitant le sujet à s’investir dans une activité peut se transformer en cours de route, au cours des interactions avec autrui et les outils.

Cette activité va elle-même se développer, ce qui peut engager le sujet dans un processus d’apprentissage, de transformation dans le cours même de l’activité ou dans d’autres systèmes d’activité.