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L ES SENS DES ACTIVITES L IRE ET F AIRE L IRE

Si on se réfère au contexte LFL, il a une structure assez souple, finalement peu contraignante, et comme il a déjà été constaté dans d’autres travaux (Muller &

Perret-Clermont 1999, Muller 1994), une telle structure permet aux acteurs de donner des significations différentes et personnelles aux situations. La structure de LFL est peu contraignante car elle détermine peu les façons d’être, d’agir, d’interagir et les activités proposées à l’intérieur sont peu définies et pas fortement imposées.

On remarque donc des interprétations différentes dans les trois groupes que j’ai analysés. Par le plus grand des hasards, j’ai eu finalement beaucoup de chance dans le choix de ces trois groupes, puisqu’ils illustraient chacun une possibilité différente d’aborder LFL.

J’ai remarqué que la définition de la situation était liée, entre autre, à la motivation mais aussi à l’histoire personnelle de chaque intervenant. De plus, le sens qui est donné à l’activité a une influence sur la mise en scène, sur le cadre posé par l’intervenant-e.

En abordant les différents groupes, il sera vu que le sens de l’activité, sa mise en scène, peut être redéfini, peut changer au cours de l’activité.

Parlons maintenant des différentes façons dont les intervenants ont abordé LFL.

Commençons par le groupe d’Irène, qui me permettra d’étayer le fait qu’une certaine définition de la situation influe sur la mise en scène.

Pour elle, ses motivations sont très claires, elle veut jouer un rôle de “grand-mère“.

Ce besoin, cette motivation se traduit par une attitude très familière, très proche des enfants. Dans la relation “grand-mère“, on peut supposer qu’elle a envie de se positionner dans l’échelle des générations, ou encore qu’elle comble un besoin affectif, ou que cette relation l’aide à faire le deuil de son petit-fils devenu grand et décédé. Ceci est peut-être lié à son histoire personnelle et je la cite : « voilà, on pourrait avoir des petits-enfants, même des arrière-petits-enfants ; c’est pour ça que j’aime les gosses, j’aurais tant aimé avoir des petits-enfants à choyer ».

Pour elle, puisque dans l’activité il y a ce côté relationnel très important, c’est une occasion d’être une “grand-mère“. En tant que “grand-mère“, elle désire transmettre des valeurs qui lui sont chères, et en l’occurrence la lecture.

Le fait est que LFL a pour but la transmission du plaisir de lire. Irène lui donne cependant une signification supplémentaire, liée à l’école, puisque l’activité de l’apprentissage de la lecture, pour elle, est indissociable du scolaire.

La mise en scène qu’elle va établir et les raisons sous-jacentes à cette mise en scène vont dépendre de la définition qu’elle donne de son rôle de “grand-mère“ et de la définition de l’activité qu’elle considère en partie comme scolaire. De là découle une structure “scolaire“ adoucie par le côté “grand-mère“.

On remarquera que dans ce groupe, la mise en scène a été constante, n’a jamais été remise en question et n’a jamais changé. Peut-être en est-il ainsi parce que cette mise en scène est claire, bien structurée, bien acceptée par tous, qu’Irène maîtrise l’événement et que toutes les plages de lecture, de jeux, de goûter sont très bien établies et ritualisées. De plus, l’objet de l’activité est chaque fois clairement défini, et au besoin il est répété : « on dessine ou on lit, puis après on fera des jeux».

Ce cadre offre donc, par ses rituels, une sécurité et une place à chaque enfant, ce qui apparemment leur convient puisque les absences sont très rares et liées uniquement à des maladies. Effectivement, les enfants semblent contents et paisibles lors des séances. De plus, une mère illustre bien cet état de fait lorsqu’elle dit que son enfant se réjouit d’aller à LFL et qu’il n’a jamais passé une aussi belle année scolaire.

Parlons maintenant du groupe “Ivan“. Ici il sera mis en évidence comment le changement d’un élément dans la mise en scène peut permettre un changement dans le sens donné à la situation.

Pour lui, sa motivation première est d’occuper son temps libre, parce que LFL est une activité qui, à son sens, peut rendre service aux enfants. Sa motivation peut-être d’abord perçue comme extérieure à lui-même, puisqu’il dit : « on m’a engagé… ».

Il commence par mettre en place une mise en scène, en l’occurrence sans jeux, qui traduit une certaine conception du sens qu’il donne à l’activité, c’est-à-dire, pour lui, permettre aux enfants de bien s’exercer à la lecture. Le peu de succès qu’il rencontre, quant au but qu’il se donnait, le fait se remettre en question et remettre ainsi aussi en cause la mise en scène. Il va par exemple cesser d’apporter des livres

de la maison et aller choisir avec les enfants des livres de la bibliothèque. Il va aussi instaurer le jeu quand il apprend que d’autres groupes le font.

A partir de là, la motivation n’est plus extérieure, il se l’est appropriée et à partir de là, il prend en compte les besoins des enfants.

On remarque donc que dans ce groupe la mise en scène a changé, qu’elle a été remise en question, et que ce changement a permis de construire une autre définition de la situation. La nouvelle signification que prend LFL a des répercutions positives sur l’implication des enfants. Ils sont, par exemple, à présent, toujours là aux séances et désirent continuer LFL l’année prochaine.

Ivan, comme Irène, maîtrise l’événement, la structure est bien établie et ritualisée.

Par rapport à la définition de l’objet de l’activité, elle doit apparemment être claire, puisque Ivan ne doit jamais l’aborder. Effectivement, les enfants paraissent être au clair puisque, lors du choix des livres à la bibliothèque, les enfants proposent une bande dessinée à Ivan et on entend un des garçons dire « il va dire non » et l’autre de répondre « mais non c’est de la lecture ».

Terminons par le groupe “Ilona“, qui permettra de mettre en évidence que le fait de jouir d’une certaine liberté, d’un certain pouvoir dans le déroulement des séquences n’apporte pas forcément la satisfaction attendue aux enfants et que paradoxalement c’est le groupe dans lequel les absences sont le plus fréquentes.

Les motivations d’Ilona sont les suivantes : pour elle, la lecture est indispensable dans la vie et de plus, elle aime les enfants. Quand elle aborde le sujet LFL, l’idée forte qui la guide est que « ce moment doit être un plaisir, ce ne doit pas être comme à l’école… ».

Pour elle, l’idée de contrainte est trop liée à l’idée de l’école. On pourrait supposer qu’il y a là un lien avec son vécu. Cette idée de contrainte, de discipline, l’empêche d’instaurer un cadre précis, une structure ritualisée, l’empêche aussi d’en appeler à mettre sur pied une autorité qu’elle ressentirait comme négative, puisqu’elle se veut non directive. La mise en scène est désirée par Ilona ; mais sans cesse renégociée par les enfants et par Ilona elle-même qui accède toujours aux désirs de ceux-ci.

Ceci est lié au sens qu’elle donne à l’activité. Le manque de structure en découle.

Elle ne se laisse pas le droit de maîtriser l’événement, qui par la même, manque de rituels, de balises, de points de repères. Car elle-même, peut-être, n’arrive pas à se

positionner, et n’a apparemment pas encore trouvé les ressources culturelles qui pourraient l’aider à donner un “sens pour soi“ à la situation.

Les enfants ne semblent pas forcément satisfaits, manquent beaucoup et c’est dans ce groupe que les enfants lisent le moins d’eux-mêmes. D’ailleurs, ils ne semblent pas au clair quant à la définition de l’objet de l’activité car, par exemple, lors du premier enregistrement, après la lecture d’une histoire de construction de planeur, un enfant demande s’ils pourront aussi en construire un au cours d’une des séances.

Lors du deuxième enregistrement, un autre enfant demande si une fois ils iront à la patinoire et Ilona de spécifier : « nous, on se retrouve pour lire des beaux livres ».

En finalité, il faut constater que le dispositif qui permet, apparemment, le mieux de donner satisfaction aux enfants et aux adultes est le suivant : une structure ritualisée, assez immuable, avec au sein de cette constante des plages diverses bien établies que l’enfant connaît et attend (lecture, jeux, goûter, etc.). L’ordre semble aussi avoir son importance, comme par exemple commencer par une plage, comme celle du goûter qui met en confiance.

Il est aussi à signaler que, dans la mise en scène, le lieu dans lequel se déroule la séquence a certainement son importance. On peut penser, par le biais des groupes, que le fait que la séance se déroule soit chez l’intervenant, soit dans une petite salle, soit dans une salle de classe assez impersonnelle, a une incidence sur la participation des enfants. On peut penser, par exemple, que le fait d’être chez quelqu’un participe à la construction d’un sentiment de sécurité, qui fait de ce lieu un endroit rassurant que l’on peut s’approprier comme sien, ne serait-ce qu’un court moment.

Il est à remarquer l’importance également des limites données dans le lieu même.

Par exemple, Irène donne des consignes très précises quant aux endroits où les enfants peuvent aller ou ne pas aller chez elle. Ces consignes font partie du cadre mis en place par l’intervenante et accepté par les enfants.

Pour conclusion, en suivant Bernardin (1997), il est donc important d’inscrire l’activité dans un cadre repérable et une temporalité structurante, avec une définition de l’objet de l’activité et éventuellement de l’enjeu qui le légitime.