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Surmonter la réticence à dire sa reconnaissance

Dans le document Les mots sont des fenêtres (Page 126-129)

Je fus profondément touché par un passage du livre de John Powell, The Secret of Staying in Love (« Comment rester amoureux »), où l’auteur dit combien il était triste de ne pas avoir su, quand son père était encore en vie, lui exprimer sa reconnaissance. « Quel dommage, me dis-je, de laisser passer l’occasion de remercier ceux qui ont exercé l’influence la plus bénéfique qui soit sur notre vie ! »

Je pensai alors immédiatement à l’un de mes oncles, Julius Fox. Quand j’étais enfant, il venait tous les jours s’occuper de ma grand-mère, qui était totalement paralysée. Auprès d’elle, il ne se départait jamais de son sourire tendre et affectueux. Je le voyais parfois effectuer des tâches qui me semblaient bien ingrates, mais il était toujours plein d’égards et l’on avait l’impression qu’elle lui faisait la plus grande faveur qui soit en le laissant s’occuper d’elle. Cela me donna un merveilleux exemple de force masculine – auquel j’ai souvent fait appel depuis lors.

Or, je me suis rendu compte que je n’avais jamais dit ma reconnaissance à mon oncle, qui lui-même était désormais malade et proche de la fin. J’envisageai de le faire, mais je perçus ma propre réticence : « Je suis sûr qu’il sait déjà ce qu’il représente pour moi, je n’ai pas besoin de le lui dire. D’ailleurs, mes paroles risqueraient de le gêner. » À peine ces pensées m’eurent-elles effleuré que je sus qu’elles n’étaient pas vraies. J’avais trop souvent imaginé que les autres savaient combien je leur étais reconnaissant, pour ensuite découvrir le contraire. Et même si cela pouvait les mettre dans l’embarras, ils avaient tout de même envie d’entendre des paroles de gratitude.

Toujours hésitant, je me dis que les mots ne pouvaient pas faire justice à la profondeur de ce que je voulais communiquer. Je déjouai rapidement cette nouvelle parade : certes, les mots sont de bien piètres vecteurs pour nos réalités les plus profondes, mais, comme je l’ai appris, « tout ce qui vaut la peine d’être fait vaut la peine d’être fait même médiocrement ».

En fait, je me suis retrouvé quelque temps plus tard assis à côté de l’oncle Julius lors d’une réunion de famille, et les mots me sont venus naturellement. Il les accueillit avec joie, sans manifester le moindre embarras. Cette soirée avait été pour moi très riche d’émotions et, en rentrant chez moi, je composai un poème et le lui envoyai. On me raconta par la suite que, pendant les trois semaines qui suivirent et jusqu’à son dernier souffle, il avait demandé chaque jour qu’on le lui lise.

Résumé

Les compliments convenus prennent souvent la forme de jugements, aussi favorables soient-ils, et sont parfois prononcés pour influencer le comportement d’autrui. La CNV invite à faire part de ce qu’on apprécie, juste pour le plaisir. Nous énonçons 1) l’action qui a contribué à notre bien-être ; 2) le besoin particulier que nous éprouvions et qui a été satisfait ; et 3) le sentiment de contentement né de cette satisfaction.

Lorsque nous recevons un remerciement de cette façon, nous pouvons l’accueillir sans éprouver de sentiment de supériorité et sans fausse modestie, en nous réjouissant avec la personne qui offre sa reconnaissance.

1. Traduction adaptée.

Épilogue

J

’ai un jour demandé à mon oncle Julius comment il avait acquis cette remarquable capacité de donner avec bienveillance. Ma question sembla le flatter et, ayant réfléchi un instant, il répondit : « J’ai eu la chance d’avoir de bons maîtres. » Je voulais savoir qui étaient ces maîtres, et il poursuivit : « Ta grand-mère est celle qui m’a le plus appris. Elle était déjà malade quand tu l’as connue, et tu n’as pas su quel genre de femme elle était vraiment. Est-ce que ta mère t’a déjà raconté comment, lors la grande crise de 1929, elle avait recueilli chez elle pendant trois ans un tailleur, sa femme et leurs deux enfants, après qu’il eut perdu sa maison et son commerce ? » Je me souvenais bien de cette histoire. Elle m’avait beaucoup impressionné lorsque ma mère me l’avait racontée, car je n’ai jamais compris où grand-mère avait trouvé la place pour la famille du tailleur, alors qu’elle élevait neuf enfants dans une maison minuscule !

Oncle Julius évoqua la générosité de ma grand-mère à travers quelques autres anecdotes, que j’avais toutes entendues dans mon enfance. L’histoire de l’homme qui se prenait pour Jésus fut le dernier présent que me fit mon oncle avant de mourir. C’était une histoire vraie. Un jour, un homme frappa à la porte de ma grand-mère et lui demanda à manger. Cela n’avait rien d’exceptionnel : ma grand-mère était très pauvre mais, dans le quartier, tout le monde savait qu’elle offrirait une assiette à quiconque viendrait la lui demander. L’homme avait une barbe et des cheveux noirs en broussaille. Ses vêtements étaient élimés et il portait en sautoir une croix faite de bouts de bois grossièrement taillés et assemblés avec une ficelle. Ma grand-mère l’invita dans sa cuisine et lui donna une assiette. En le regardant manger, elle lui demanda son nom :

– Je m’appelle Jésus, répondit-il.

– Vous avez un nom de famille ? – Je suis Jésus Le Seigneur.

Ma grand-mère comprenait mal l’anglais. Un autre oncle, Isidor, me raconta plus tard qu’il arriva dans la cuisine pendant que l’homme était à table, et ma grand-mère le lui avait présenté sous le nom de « M.

Leseigneur ».

Tandis qu’il continuait à manger, ma grand-mère lui demanda où il habitait.

– Je n’ai pas de maison.

– Où donc allez-vous dormir, ce soir ? Il fait froid, dehors.

– Je ne sais pas.

– Voulez-vous rester ici ? proposa-t-elle.

Et il resta sept ans.

La Communication NonViolente était chez ma grand-mère une seconde nature. Elle n’avait pas cherché à cataloguer cet homme – auquel cas, elle se serait probablement dit qu’il était fou et s’en serait débarrassée.

Elle pensait à ce que les gens ressentaient et à ce dont ils avaient besoin, ce qui revenait à dire : s’ils ont faim, on les nourrit. S’ils n’ont pas de toit, on leur offre un abri pour la nuit.

Ma grand-mère aimait aussi danser, et ma mère se souvient l’avoir souvent entendue dire : « Ne marche pas si tu peux danser. »

C’est ainsi que j’achève ce livre en rendant hommage à ma grand-mère, qui pratiquait la Communication NonViolente sans l’avoir jamais apprise.

Annexes

Quelques besoins fondamentaux qui nous animent tous Pratiquer le processus de la CNV

Bibliographie

À propos de l’auteur et du Centre pour la Communication NonViolente Témoignages

Dans le document Les mots sont des fenêtres (Page 126-129)