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L’usage préventif de la force à l’école

Dans le document Les mots sont des fenêtres (Page 113-116)

J’aimerais raconter ici comment, avec un groupe d’élèves, nous avons eu recours à la force dans un but de protection pour remédier à une situation chaotique dans une école parallèle. Cette école accueillait des élèves qui étaient en échec scolaire ou s’étaient fait renvoyer des établissements classiques. La direction et moi-même espérions démontrer qu’une école fondée sur les principes de la CNV répondrait aux besoins de ces élèves. Je fus chargé de former les enseignants à la CNV et de jouer un rôle de consultant pendant l’année. N’ayant eu que quatre jours pour préparer les professeurs, je n’étais pas parvenu à bien établir la différence entre CNV et permissivité. Il en résulta que certains enseignants fermaient les yeux au lieu d’intervenir dans des situations de conflit ou devant des comportements perturbateurs. Bientôt, un tel désordre s’installa que la direction était presque résolue à fermer l’école.

Je demandai à parler aux éléments les plus perturbateurs. Le directeur m’envoya huit garçons de onze à quatorze ans. Voici quelques extraits de notre discussion.

MBR : (Exprimant mon sentiment et mes besoins sans poser de questions inquisitrices.) Je suis très contrarié par ce que m’ont dit les professeurs sur le désordre qui règne dans beaucoup de classes. Je tiens fort à ce que cette école soit une réussite. J’espère que vous pourrez m’aider à identifier les problèmes et à envisager des solutions.

WILL : Ils sont nuls les profs dans cette école !

MBR : Veux-tu dire, Will, que tu es déçu des enseignants et que tu aimerais que, dans certains cas, ils s’y prennent autrement ?

WILL : Mais non ! Ils sont nuls parce qu’ils restent plantés là et ils ne lèvent même pas le petit doigt.

MBR : (Essayant à nouveau de recevoir les sentiments et désirs de mon interlocuteur.) Tu veux dire que tu es déçu parce que tu aimerais qu’ils réagissent davantage quand il y a des problèmes ?

WILL : C’est ça, oui. Quoi qu’on fasse, ils restent plantés là, à sourire comme des imbéciles.

MBR : Serais-tu disposé à me donner un exemple concret ?

WILL : Facile ! Pas plus tard que ce matin, un mec rentre avec une bouteille de Scotch dans la poche – gros comme une maison. Tout monde le voit. La prof aussi, mais elle fait comme si elle n’avait rien vu.

MBR : (M’efforçant toujours de comprendre pleinement.) J’ai l’impression que tu n’éprouves pas de respect pour les professeurs lorsqu’ils n’interviennent pas. Tu aimerais qu’ils fassent quelque chose ?

WILL : Ben, oui…

MBR : Je suis déçu, parce que je voudrais qu’ils résolvent les problèmes avec les élèves, mais il semble que je n’ai pas su leur montrer ce que je voulais dire.

La conversation s’engagea ensuite sur la question pressante des élèves qui refusaient de travailler et dérangeaient ceux qui en avaient envie.

MBR : Je tiens à essayer de résoudre ce problème, parce que les enseignants m’ont dit que c’est celui qui les inquiète le plus. Je vous serais reconnaissant de me dire si vous avez des idées.

JOE : Le prof devrait avoir un martinet !

MBR : Alors tu dis, Joe, que tu voudrais que les enseignants battent les élèves lorsqu’ils dérangent les autres ?

JOE : Si on veut que les élèves arrêtent de faire les imbéciles, c’est la seule façon.

MBR : (M’efforçant toujours de recevoir les sentiments de Joe.) Tu doutes qu’une autre méthode puisse marcher ?

JOE : (Il acquiesce de la tête.)

MBR : Si c’est le seul moyen, je me sens découragé. Je déteste cette façon de résoudre les problèmes et j’aimerais en trouver d’autres.

ED : Pourquoi ?

MBR : Pour plusieurs raisons. Supposez que j’arrive à vous empêcher de mettre l’école sens dessus dessous en vous battant avec le martinet. Que se passe-t-il le jour où trois ou quatre élèves que j’ai frappés en classe se trouvent près de ma voiture quand je veux rentrer chez moi ?

ED : (Esquissant un sourire.) Vous auriez intérêt à avoir un bon gourdin !

MBR : (Certain d’avoir compris le message d’Ed et sachant qu’il sait que j’ai compris, je continue sans paraphraser.) C’est exactement ce que je veux dire. Je voudrais que vous compreniez que je n’aime pas cette façon de régler les choses. Je suis trop distrait pour penser à avoir toujours un bon gourdin sur moi, et même si je m’en souvenais, je n’aimerais pas m’en servir contre quelqu’un.

ED : Vous pourriez éjecter le type.

MBR : Tu veux dire que tu aimerais que nous renvoyions temporairement ou définitivement des élèves ?

ED : Oui.

MBR : Je n’aime pas davantage cette idée. Je veux montrer qu’il y a d’autres méthodes pour résoudre les conflits à l’école que de renvoyer des élèves. J’aurais un sentiment d’échec si c’était ce que nous avions de mieux à faire.

WILL : Si un mec ne fait rien, pourquoi est-ce qu’on ne peut pas le mettre dans une salle à ne rien faire ?

MBR : Tu veux dire, Will, que tu aimerais qu’il y ait une pièce où l’on puisse envoyer les élèves qui dérangent les autres ?

WILL : C’est cela. Ils n’ont pas besoin d’être dans la classe s’ils ne font rien.

MBR : Cette idée m’intéresse beaucoup. J’aimerais bien entendre comment tu envisagerais le fonctionnement d’une telle salle.

WILL : Il y a des jours où, en arrivant au collège, on se sent mal. On n’a pas envie de faire quoi que ce soit. Alors, on pourrait aller dans une salle spéciale jusqu’à ce qu’on ait envie de faire quelque chose.

MBR : Je comprends ce que tu dis, mais je pense que le professeur va se demander si les élèves iront d’eux-mêmes dans la salle à ne rien faire.

WILL : (D’un ton assuré.) Ils iront.

Je leur dis qu’à mon avis ce projet pourrait marcher si nous parvenions à faire comprendre qu’il ne s’agissait pas de punir, mais de proposer un endroit à ceux qui n’étaient pas prêts à étudier et, dans le même temps, de donner à ceux qui en avaient envie l’occasion de travailler. Je suggérai également que la

« salle à ne rien faire » aurait plus de succès si tout le monde savait qu’elle avait été proposée par des élèves et non imposée par la direction.

Une « salle à ne rien faire » fut donc ouverte pour les élèves qui étaient perturbés et ne se sentaient pas capables de travailler, et pour ceux qui dérangeaient la classe. Parfois, les élèves demandaient à y aller, parfois c’étaient les professeurs qui leur demandaient de s’y rendre. L’enseignante qui maîtrisait le mieux la CNV fut placée dans la « salle à ne rien faire », où elle eut des conversations très fécondes avec les adolescents. L’ordre fut effectivement rétabli dans l’école grâce à cette salle, parce que les élèves qui l’avaient imaginée expliquèrent clairement son but à leurs camarades : préserver les droits des élèves qui voulaient travailler. Nous utilisâmes le dialogue avec les élèves pour démontrer aux professeurs que l’on pouvait résoudre les conflits autrement qu’en battant en retraite ou en réprimant par la force.

Résumé

Dans les situations qui ne laissent aucune place à la communication – en cas de danger imminent, par exemple –, nous pouvons parfois être amenés à employer la force dans un but de protection. L’intention est alors d’éviter les dommages corporels ou les injustices, jamais d’amener des individus à souffrir, à se repentir ou à changer. L’usage répressif de la force tend à générer de l’hostilité et à renforcer la résistance au comportement que l’on cherche à susciter. La punition entame la sincérité des rapports et l’estime de soi, et concentre notre attention sur les conséquences de l’acte en faisant oublier l’intention première. Les reproches et la punition ne suscitent pas les motivations que nous aimerions inspirer à l’autre.

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