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Conclusion : Deux régions pour cadre, quatre villes pour terrain

I. Dans les Bouches-du-Rhône

2. Sur le canton de Martigues et Port-de-Bouc

Sur la ville de Martigues, c’est un autre homme qui est à la tête de la section locale du Front national : Emmanuel Fouquart. L’entretien que nous avons réalisé avec lui nous a permis de comprendre les logiques de vote dans l’aire Martigues-Port-de-Bouc, voisine de Fos mais dont la sociologie est différente. Il s’agit d’une zone anciennement ouvrière ou les deux villes sont dirigées par le parti communiste français depuis les années 1940. Le Front national y est devenu le principal concurrent. Le diagnostic de ce candidat FN sur la montée de son parti se base avant tout sur l’idée d’un rejet du PCF local plutôt que sur une évolution de la sociologie de la ville ou du salariat de façon plus générale. Le Front national assume sur ces villes un discours très droitier. Cela parait paradoxal puisqu’il ne s’agit pas pour le Front national de convaincre les électeurs de gauche dans une ville où le PCF est encore très puissant mais bien de faire le pari que les abstentionnistes seront attirés par un discours très à droite et centré sur l’identité nationale.

AH : D’accord. Et du coup hum Martigues et Port-de-Bouc c’est deux villes qui sont assez similaires. Comment ça se fait que le Front national arrive à faire de très bons scores sur ces villes qui sont pourtant communistes depuis longtemps maintenantȹ?

Emmanuel Fouquart : C’est parce que je pense qu’à travers les gens qui votent communistes y’a eu des gens qui ont évolué, mais on est quand même. On est quand même à 56 % de votants pour les départementales donc il reste environ la

moitié d’abstention. Ces personnes-là heu, il faut les motiver pour transformer, pour changer, parce

Encadré 7 : Emmanuel Fouquart Âgé d’une cinquantaine d’années, ancien gendarme et gérant aujourd’hui une société de crédit, il est conseiller municipal depuis 2014. Il a été candidat aux élections départementales de 2015 sur le canton de Martigues-Port-de-Bouc et y a obtenu au deuxième tour 41,32 % des suffrages exprimés. Depuis la démission d’Adrien Mexis, c’est lui qui gère le Front national sur la région istroise et martiguoise. Son statut d’ancien gendarme l’incite à axer ses propositions sur les thématiques sécuritaires locales.

que les communistes ont utilisé tous leurs réservoirs que ce soit aux municipales ou aux départementales.

Tout comme le candidat frontiste d’Istres, il semble considérer que le plus important facteur dans le vote tient à l’action des hommes politiques locaux, que ce soit au niveau de la campagne ou au niveau de l’intimidation des opposants. Les explications sociologiques semblent quant à elles passer au second plan pour Emmanuel Fouquart.

Emmanuel Fouquart : Y’a des gens qui ont été agressés, des, des militants qui ont été agressés, pendant la campagne départementale.

AH : Ah oui.

Emmanuel : Pas chez nous.

AH : D’accord.

Emmanuel : Au niveau d’ici, du canton, c’est moi qui a été agressé, à la mairie de Port-de-Bouc, à l’intérieur de la mairie de Port-de-Bouc.

AH : À l’intérieur, ah oui.

Emmanuel : Oui, oui, donc au vu des résultats, certains ont voulu se déchainer et voilà.

AH : D’accord. Et c’est pas propre aux villes qui sont gérées par le parti communisteȹ?

Emmanuel : Non, non, c’est pas propre aux villes, ils sont, ils sont haineux en général mais au niveau des agressions physique ca a beaucoup baissé.

AH : D’accord, c’est peut-être des rapports qui s’améliorent ou ils acceptent le, la présence de partis d’oppositionsȹ?

Emmanuel : Non ils craignent la réponse judiciaire. On a deux villes communistes mais elles sont quand même différentes j’ai l’impression que Port-de-Bouc est resté un peu ancré aux années 50.

AH : Oui et c’est peut-être dû aussi au communisme municipal qui est différent à Port-de-Bouc qu’à Martiguesȹ? À Martigues ils se sont alliés avec la gauche alors qu’à Port-de-Bouc c’est un peu plus sclérosé.

Emmanuel : Oui c’est plus sclérosé et passéiste, ils sont sur des slogans heu, très haineux, heu, voilà, on a l’impression de revoir un peu les périodes staliniennes, beaucoup plus marquées à Port-de-Bouc qu’à Martigues. Martigues c’est un peu plus ouvert.

Il décrit Port-de-Bouc comme une ville très pauvre, ce qui explique un ras-le-bol des citoyens qui auraient selon lui plus tendance à voter FN. Même si dans la réalité les quartiers pauvres ne votent que peu FN et ce sont majoritairement les quartiers pavillonnaires nouveaux.

AH : Et Port-de-Bouc dans ce cas-là c’est une ville qui vous parait différente oùȹ? Parce qu’à Port-de-Bouc y’a pas d’industrie en fait.

Emmanuel Fouquart : L’industrie est déjà partie, il reste quelques sociétés

AH : Oui à la grand’colle effectivement.

Emmanuel : Mais les chiffres de 2011 c’était on est sur une ville avec 20 % de chômeurs, heu, ça c’était pour 2011 et 40 % de logements sociaux.

De même, il parle d’un environnement urbain qu’il considère comme «ௗassez mauvaisௗ» à Port-de-Bouc comparé à Martigues. Les pavillons construits sont des petits budgets. Sa profession, liée à l’immobilier, lui permet d’avoir un avis assez précis de la structure immobilière de l’aire Martigues – Port-de-Bouc. Il considère ainsi que les quartiers au nord de Port-de-Bouc sont des quartiers modestes pour les personnes n’ayant pas les moyens d’habiter à Martigues. Ce sont donc des classes populaires propriétaires qui semblent habiter sur ces zones plutôt que ce qu’on pourrait appeler «ௗles classes moyennesௗ».

Emmanuel Fouquart : Non l’environnement, la ville elle déplait. Ça je l’ai remarqué au travers de la profession, pas en tant qu’élu. Au travers de la profession. Moi je suis dans le financement des biens immobiliers et j’ai des retours comme ça.

AH : Pourtant y’a quelques quartiers pavillonnaires effectivement à Port-de-Boucȹ? Au nord de la nationale, y’a des trucs qui se sont construits.

Emmanuel : Oui bergerie, bergerie 2, les lotissements bergerie 2, 1 et bergerie est qui est le 3 mais ca reste des habitats qui sont anciens.

AH : D’accord.

Emmanuel : Après les tout derniers qui se sont créés tout neufs qui sont vers Castillon heu on est sur des toutes petites parcelles de terrain, on est sur des projets à 290.000 à 300.000 euros. (Silence)

AH : Classes moyennesȹ?

Emmanuel : On est sur une classe moyenne ou des primoaccédants qui avaient des, qui ont déjà des revenus mais c’est vraiment tassé comme lotissements, c’est un tout petit lotissement y’a pas d’aisance c’est vraiment compressé au niveau de l’habitat.

AH : C’est ce qu’on appelle les petits pavillons, un peu pour les classes.

Emmanuel : Ouais.

AH : Un peu populaire mais qui veulent accéder…

Emmanuel : Tout ce qui est classe ouvrière mais des gens qui ont déjà des responsabilités à travers l’entreprise qui leur permettent de dégager des revenus un peu plus importants.

Ces propos sur la structure de la ville font écho à d’autres portant directement sur la vie à Port-de-Bouc. Celle-ci est décrite par un militant frontiste de Port-de-Bouc qui a une vision assez négative de sa ville. Il souligne d’une part le manque d’activités municipales (ce qui est loin d’être le cas) et d’autre part la délinquance et le côté Far West des rues de Port-de-Bouc.

AH : Et heu pour revenir à Port-de-Bouc notamment vu que c’est là où vous habiter. Qu’est-ce que vous avez comme impression sur cette villeȹ?

Paul : C’est une ville dortoirȹ!

AH : Hum. Y’a pas beaucoup d’activitésȹ?

Paul : Oui, où quelque part tout le monde fait ce qu’il veutȹ!

Enfin, tout comme Adrien Mexis, Emmanuel Fouquart souligne que l’insécurité est un vrai problème non seulement pour les électeurs de son parti mais pour tous les habitants de Port-de-Bouc. En tant qu’ancien gendarme, il donne beaucoup d’importance à cette question. Néanmoins,

lorsqu’il parle des dealers, il aborde ce sujet comme s’il était normal dans une ville comme Port-de-Bouc. Il reconnait même, trivialement, que ces derniers lui sont utiles car ils surveillent les affiches de sa campagne.

AH : Et y’a des quartiers spécifiques sur les villes où la délinquance est plus élevéeȹ?

Emmanuel Fouquart : Si y’a des quartiers de délinquanceȹ? Ça va être surement heu, les c’est la Lèque à Port-de-Bouc qui fait d’ailleurs c’est dans le coin ou y’a eu voilà. Y’a les Comtes aussi. Puisque pendant la campagne municipale on a eu l’occasion de rencontrer des (silence).

AH : Des habitantsȹ?

Emmanuel : Des dealers, oui des habitants oui, des dealers, des locaux ahah, voilà. Heu quelques dealers qu’on a eu l’occasion de rencontrer, leur présenter notre programme.

AH : Ça ne marche pas, j’imagine.

Emmanuel : Si si ça s’est passé très bien.

AH : Ah ouiȹ?

Emmanuel : Ils ne voulaient pas faire d’esclandre hein parce que faire des esclandres avec nous c’est pas bon leur commerce ils peuvent (pas) le faire ailleurs. Ça ils ont pas voulu. Après des, de, au niveau délinquance je sais pas j’ai pas d’éléments mais y’a quand même des guetteurs aussi sur les Amarantes à Port-de-Bouc, ça nous a permis d’ailleurs d’avoir notre affiche qui n’a pas été arrachée. Puisqu’elle a été surveillée en même temps.

Par ailleurs, plus loin dans l’entretien il soulignera que son électorat est plutôt constitué de classes moyennes, du moins de personnes habitant dans les zones préservées et donc, d’après ses dires, éloignées des zones de logements sociaux. Ces personnes votent Front national pour que des projets de logements sociaux ne soient pas lancés dans leurs quartiers. Il s’agit de motivations

NIMBY (Not In My Backyard78) qui vont amener les gens à voter pour un Front national moins

en faveur de la construction de logements sociaux que le PCF local.

AH : Et comment vous expliquiez notamment les différents quartiers, qui vous sont favorablesȹ? Par exemple Carro qu’est-ce que c’estȹ?

Emmanuel Fouquart : C’est plus le village, le village de pêcheur, y’a l’aspect touristique et heu là-bas ils craignent que des terrains soient transformés en, pour de l’ha, de l’habitat HLM.

AH : D’accord. Et c’est peut-être des zones plus riches que la moyenneȹ?

Emmanuel : Non c’est leur côté village tranquille, y’a un impact aussi qui est très important eu niveau touristique donc si on leur met des HLM là-bas ils ne vont pas (aimer).

Ainsi, les deux élus principaux de notre zone d’étude dans les Bouches-du-Rhône dressent un portrait assez flou de leur électorat. Ce « flou » semble parfois volontaire et leur permet de brosser l’image d’un électorat diversifié. Ils considèrent par ailleurs que l’essor de leur parti est principalement dû à un ras-le-bol de la politique nationale et municipale notamment au niveau

78 On peut traduire le terme NIMBY en : « pas dans mon arrière-cour » permet de décrire l’opposition généralement forte de la plupart des résidents d’un quartier à un projet d’intérêt général, mais qui a pour effet d’affecter directement leur environnement : par exemple des éoliennes, un centre de réinsertion de jeunes délinquants…

sécuritaire. Les gens seraient ainsi inquiets à propos de l’insécurité au niveau local et se mettraient à voter pour le Front national. Ce ne sont pourtant pas les quartiers directement à proximité des zones «ௗà risqueௗ» qui votent pour le parti de Marine Le Pen mais ceux qui semblent avoir peur de voir émerger des zones HLM dans leur quartier jusqu’à présent préservé. L’impact de la présence de ces candidats frontistes semble quant à lui très faible sur Fos-sur-Mer et Port-de-Bouc puisqu’ils ne font pas campagne sur ces villes et se concentrent sur Istres et Martigues. L’essor du Front national sur ces deux communes semble donc relativement indépendant de toute action politique locale du Front national.