• Aucun résultat trouvé

Résultat des élections présidentielles de 2012 à Port-de-Bouc

A. La géographie et le politique

Les travaux fondateurs de Siegfried ont été les premiers à utiliser des cartes pour décrire des comportements politiques (Siegfried, 1913, op. cit.). Goguel, Yves Lacoste et de nombreux autres ont prolongé ce travail combiné dans des ouvrages parfois colossaux (Lacoste, 1986). Après un relatif déclin des outils géographiques en science politique, dépassés par les sondages (années 1970 et 1980), ceux-ci sont revenus en état de grâce depuis les années 2000. Des comportements de votes particuliers (la spatialité du vote Front national), de même que le développement de nouveaux moyens informatiques ont permis ce retour (Lévy, 2002). Depuis l’outil géographique s’est de nouveau intimement intégré aux travaux de science politique et n’est plus le seul apanage des cartographes.

La géographie dans la science politique française : je t’aime, moi non plus

Lorsque André Siegfried publie son premier ouvrage de géographie politique, il «ௗremarque, dans les élections, que les opinions politiques sont sujettes à une répartition géographiqueௗ» (Siegfried, 1913, op. cit.), et décide ainsi d’étudier les élections sous cet angle. L’auteur utilise dans son ouvrage des cartes recoupant les votes majoritaires dans les différents cantons de l’Ouest français et de nombreuses caractéristiques territoriales. Il utilise en effet des variables tant sociodémographiques, économiques et même géologiques afin d’expliquer pourquoi, une partie de l’Ouest porte à gauche, tandis que l’autre vote à droite. Son travail, précurseur, se base sur des corrélations visuelles et non sur des corrélations statistiques, ce qui peut se comprendre à une époque où l’outil informatique est inexistant. Son travail sera suivi d’un autre plus abouti portant cette fois sur l’Ardèche (Siegfried, 1949).

Si les méthodes développées par André Siegfried sont particulièrement innovantes, elles ont néanmoins fait l’objet de critiques comme le souligne Michel Bussi (1998). Parmi les critiques faites à l’encontre du travail de Siegfried, l’une concerne principalement sa méthode. C’est Cox, un géopolitologue américain qui lui reproche le traitement a-spatial de ses séries géographiques en expliquant que «ௗLes premiers travaux de Siegfried, par exemple, détachaient les unités spatiales de l’espace au sein duquel elles étaient incluses et tentaient d’expliquer les caractéristiques du comportement électoral en s’appuyant uniquement sur les caractéristiques économiques et sociales des unités étudiées : on ne trouve guère d’intérêt porté aux relations spatiales sur le comportement électoral.ௗ» (Cox, 1969) (Bussi, 1998, op. cit.). Lui était donc reprochée la non-prise en compte de la spatialité elle-même en tant que phénomène influant sur le vote des individus. Les cantons n’étaient pour André Siegfried que des lieux de regroupements assez artificiels dont les relations les uns avec les autres avaient peu d’importance, tout comme les traditions historiques (Bois, 1960). Malgré les biais de ce travail fondateur, les ouvrages d’André Siegfried ont véritablement fondé la tradition française de géographie électorale de laquelle viennent de nombreux chercheurs. François Goguel, Béatrice Giblin-Delvallet, Michel Bussi ou plus récemment Jean Rivière ont ainsi approfondi le sillon tracé par la géographie électorale et ont su faire évoluer les outils de cette discipline.

Cette tradition géographique a été relativement isolée de la science politique pendant de nombreuses années comme le souligne Michel Bussi (1998, op. cit.). Au début des années 1990, aucun des livres de sociologie électorale publiés par des politistes ne faisait grand cas des analyses écologiques. Les cartes sont ainsi l’apanage d’ouvrages purement géographiques, qui profitent de quelques chapitres pour traiter de politique (Lacoste, 1984). En 1991, la thèse de Michel Bussi traitant exclusivement de faits politiques est une thèse de géographie. La même année, l’ouvrage du géographe Jacques Lévy, Géographies du politique (1991) se plaint encore du manque de discussion entre la géographie politique et la sociologie électorale. Il trouvera une oreille attentive chez les seconds puisqu’en 1992, le livre Les comportements politiques de Nonna Mayer et Pascal Perrineau réutilise l’approche écologique. Avec elle, l’utilisation de l’outil cartographique revient en grâce dans la science politique française (Mayer, Perrineau, 1992). C’est ensuite les différents ouvrages collectifs du CEVIPOF et en particulier les ouvrages collectifs dirigés par Pascal Perrineau qui vont

asseoir cette nouvelle sociologie électorale qui devient alors de plus en plus visuelle (Perrineau, Ysmal, 1995). Petit à petit, les tableaux chers à Duverger laissent de plus en plus de place à des cartes qui se sophistiquent au fil des ouvrages. Depuis les années 2000, l’utilisation des données de l’INSEE par nombre de chercheurs a permis de «ௗdémocratiserௗ» les techniques de géographie. Des logiciels opensource46 comme philcarto ont également rendu possible cette démocratisation.

Les nouveaux outils de la géographie électorale

Déjà en 1988, Pascal Buléon reconnaissait que «ௗLe travail quantitatif, avec l’impressionnante technologie qu’il mobilise bénéficie d’un préjugé favorable. Il mesure et mesurant, ne saurait faire erreur. Il est vrai que le traitement informatique a permis un saut décisif dans le traitement de centaines de milliers de données que comporte un scrutin électoral.ௗ» (Buléon, 1988). Malgré les remarques de Pascal Buléon, l’utilisation de données agrégées dans la sociologie électorale et dans la géographique politique française aura un grand retard vis-à-vis du monde anglo-saxon. Beaucoup d’auteurs vont, dans les années 1980 et 1990, émettre de nombreuses critiques vis-à-vis du traitement de données quantitatives. Chevalier affirme ne pas comprendre pourquoi il faudrait «ௗpratiquer de savantes analyses de régression, afin de définir des variables significatives, pour aboutir à des coefficients de corrélation, alors que toutes ces analyses sophistiquées enfoncent des portes déjà largement ouvertes par le bon sens et l’intuitionௗ» (Chevalier, 1985). Pourtant, n’est-ce pas le rôle de la sociologie que de dépasser, sinon d’au moins confirmer, ce que le bon sens et l’intuition ne font que supposer ? Beaucoup d’autres chercheurs comme Lévy, Lacoste, Giblin, Goguel et Dogan émettront également des critiques à l’égard de l’utilisation de statistiques en géographie électorale (Bussi, 1998, op. cit.). L’utilisation de données quantitatives deviendra malgré tout de plus en plus fréquente grâce aux articles de jeunes chercheurs s’inspirant des travaux anglo-saxons. Si au départ, seules les corrélations sont utilisées, ces travaux convaincront néanmoins de l’utilité d’intégrer des données quantitatives dans l’étude du vote.

Ainsi, l’usage de données agrégées issues des recensements et leur représentation cartographiée, même s’il est aujourd’hui encore moins répandu que l’utilisation de sondages, est devenue classique en France, notamment grâce au développement de logiciels adaptés au traitement de ce type de données. Cet essor a été corrélé avec l’élection présidentielle de 2002 à la suite de laquelle les chercheurs ont remarqué que le vote Front national présentait une répartition géographique particulière. Après cette élection, plusieurs concepts ont émergé et ont nécessité l’utilisation de l’outil géographique et de données agrégées. Le concept de gradient d’urbanité est de ceux-là (Lévy, 2002, op. cit.). De nombreuses cartes portant sur les zones de force du Front national ont été dessinées et ce sont des communes plutôt que des électeurs qui ont été étudiées (Buléon, Fourquet, 2003, pp.453-467).

Plus récemment encore, de jeunes chercheurs comme Joël Gombin ont lié outils statistiques et géographiques dans leurs études sur le vote. Ce dernier a notamment étudié deux départements où le Front national est important, les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse, en utilisant des outils nouveaux en France : les modèles multi-niveaux (Gombin, 2005, op. cit.). En effet, pendant de nombreuses années, les chercheurs français se sont cantonnés à effectuer des travaux de corrélations puis de régressions. Aujourd’hui, l’introduction de modèles multi-niveaux (par ailleurs relativement courants dans le monde anglo-saxon) a permis de renouveler l’intérêt des approches quantitatives. Comme le soulignent Pascal Bressoux, Paul Coustère et Christine Leroy Audouin, «ௗLes analyses multiniveaux constituent un développement récent de la modélisation, adapté au problème de l’analyse écologique en sciences sociales, c’est-à-dire apte à rendre compte des effets de milieu sur le comportement des individus. Elles sont nées du besoin d’apporter une réponse à la question du choix de l’unité d’analyse, chaque fois que les données présentent une structure hiérarchique.ௗ» (Bressoux, Coustère, Leroy-Audouin, 1997, p.67-96). Si l’article de ces chercheurs concernait le domaine de l’éducation, les analyses multi-niveaux ont rapidement trouvé leur utilité dans le domaine de la sociologie électorale. Là aussi en effet, le chercheur est très souvent confronté au problème du niveau d’analyse. Là également, les unités de base peuvent être regroupées dans des catégories hiérarchiques supérieures (cantons, circonscriptions, départements, régions…). Ces outils permettent d’éliminer les erreurs d’inférences écologiques en utilisant plusieurs niveaux d’analyses à partir des mêmes données.

La géographie électorale aujourd’hui

Dans le même temps que se complexifiait la géographie avec ces nouveaux outils, certains géographes ont également remis au goût du jour la géographie électorale telle qu’elle avait été initiée par André Siegfried. Ce sont en France des chercheurs issus d’études en géographie qui ont renouvelé cette approche (Bussi et Badariotti, 2004). Michel Bussi, en particulier, a effectué un travail de géographie électorale portant sur l’Ouest français, et a ainsi ressuscité l’héritage d’André Siegfried. Il y a étudié toutes les variables du vote, des caractéristiques socio-individuelles à l’implantation locale des partis politiques avec pour objectif d’embrasser toutes les explications du vote et d’utiliser une méthodologie nouvelle (Bussi, 1991). Yves Lacoste et Béatrice Giblin ont également permis la remise au goût du jour d’une géographie électorale qui se veut plus «ௗinterprétativeௗ» et «ௗhistoriqueௗ» que quantitativiste. Ils ont ainsi effectué des travaux à l’échelle des régions françaises mêlant histoire économique et politique, géographie physique et étude des résultats électoraux.

D’autres géographes comme Hervé Le Bras ont approfondi cette géographie plus classique en créant ce qu’on pourrait appeler une «ௗgéographie de la permanenceௗ». Le but de cette sociologie portant sur l’ensemble du territoire français est de découvrir les grandes forces structurant durablement le paysage politique français (Le Bras, 2002). Il s’agit ainsi de se dire que «ௗtout bouge et rien ne changeௗ» dans la géographie électorale française et donc de dépasser cette bougeotte apparente pour expliquer pourquoi «ௗrien ne changeௗ». Ainsi pour résumer la pensée de Hervé Le

Bras, de très anciennes variables structurent le vote en France, ces variables ne se modifient pas, et in fine, le vote ne se modifie pas, malgré les changements d’apparences et d’étiquettes. L’auteur identifie notamment des facteurs très anciens comme le type de famille pour expliquer certains votes actuels. Ces travaux ont été soumis à critique car ils impliquent un immobilisme contestable des comportements de vote au fil des époques et accentuent ainsi la focale sur la permanence plutôt que sur les dynamiques.

Il faut souligner que si les outils de la géographie électorale sont en France de plus en plus courants, il existe encore peu d’études portant sur des zones étudiées à une échelle infra communale. Bernard Alidières a été, en 2005, l’un des premiers à effectuer ce genre d’étude à propos du vote Front national (2006, op. cit.). Il a travaillé à l’échelle du bureau de vote sur la ville de Tourcoing en y mêlant outils géographiques et sociologiques. Ce type de travail portant sur des quartiers précis nous semble pertinent et c’est donc logiquement que nous avons décidé de dresser la cartographie du vote Front national à cette échelle. L’auteur démontrait notamment qu’au niveau des quartiers de la ville de Tourcoing, des effets de contexte étaient présents de même que des effets de voisinage. Julien Audemard et David Gouard ont également effectué un travail, certes plus succinct, mais également à l’échelle du bureau de vote sur la ville de Montpellier (Audemard, Gouard, 2015). Leur article est à rapprocher de l’étude effectuée à propos de la ville de Perpignan sur le vote Front national (Fourquet, Lebourg, Manternarch, 2014, op. cit.). Il nous a néanmoins paru intéressant ne pas faire une simple monographie, mais de réaliser en plus de cela une enquête comparative portant sur des milieux distincts.

Ainsi, les outils de la géographique électorale, aujourd’hui réinvestis par les chercheurs en science politique, sont selon nous devenus indispensables à la compréhension de phénomènes sociaux spatialement situés tels que le vote. Le comportement électoral retrouve ainsi, une de ses caractéristiques fondamentales, c’est-à-dire : d’être en partie le produit d’un contexte géographique. Néanmoins, malgré l’existence occasionnelle de travaux à l’échelle du bureau de vote, il existe encore peu de travail comparatif entre deux territoires distants de centaines de kilomètres étudiés au niveau du bureau de vote. La thèse de Jean Rivière à ce sujet reste en ce sens un cas exceptionnel (Rivière, 2009). Nous pensons que la comparaison de milieux différents permettra de mesurer le rôle des effets de contexte qui semblent se modifier en fonction de la structure morphologique de la ville. Ces effets ne peuvent pas être modélisés statistiquement, et c’est donc pour cela que nous avons utilisé plusieurs méthodes de travail dans le cadre de notre thèse.

Encadré 3 : La carte, cet objet politique

Le principal avantage de la carte est également son principal défaut. Destinée à être simple et intuitive, elle est immédiatement comprise par le lecteur. Cet objet graphique, parce qu’il parle aux sens, est ainsi un outil de manipulation. Les cartes ne sont pas des images du monde, mais des représentations de ce monde telles que vues par le cartographe. Nicolas Lambert et Christine Zanin expliquent que «ௗFaite de choix et de simplifications, elle (la carte) est une représentation de la réalité et non la réalité elle-même.ௗ» (Lambert, Zanin, 2016, p.12). Pour l’illustrer, ils proposent les cartes suivantes. (Ibid, p.67). Dans le même sens, le travail de Jean-Pierre Bord (Bord, 2003) permet de comprendre comment des cartes du même phénomène peuvent selon la façon dont elles sont construites transmettre des messages radicalement opposés. Il prend pour exemple la répartition des musulmans dans le monde et souligne que selon la représentation choisie, celui-ci est tantôt lointain, tantôt proche, tantôt homogène, tantôt fracturé.