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C. Sur les pratiques

2. Sur la question des restrictions accessoires

305. Les parties font valoir que la CEIC et les CSC constituent des restrictions accessoires au passage à l’EIC. Elles estiment que la dématérialisation des échanges de chèques, projet d’intérêt général, ne comporte en soi aucune restriction de concurrence et que les commissions interbancaires lui sont directement liées dès lors qu’elles ont été créées afin de compenser les charges financières supportées par les banques du fait du passage à ce système.

306. S’agissant de la CEIC, elles soutiennent que celle-ci était objectivement nécessaire au passage à l’EIC, dès lors qu’aucun accord n’aurait été conclu en l’absence de cette commission. A cet égard, les Banques Populaires indiquent que la CEIC n’a pas été créée dans le but d’assurer une meilleure rentabilité du passage à l’EIC pour les banques, mais à seule fin d’obtenir l’accord de l’ensemble des parties à la négociation. L’établissement précise qu’à défaut d’instauration de la CEIC, la seule alternative ouverte aux banques était le maintien des délais de règlement interbancaires qui avaient cours avant le passage à l’EIC. La banque fait valoir que le rôle joué par la Banque de France, autorité de régulation du secteur bancaire, dans l’adoption de ce compromis, en démontrerait le caractère indispensable. Par ailleurs, la Banque de France souligne que la suppression de la CEIC en 2007 n’est pas de nature à en démontrer l’absence de nécessité objective, dès lors qu’une restriction accessoire doit être proportionnée, et, partant, limitée dans sa durée. En outre, le Crédit Mutuel et le CIC estiment que la proportionnalité de la CEIC est établie dès lors que son niveau est inférieur à celui qui aurait été nécessaire pour compenser les pertes des banques majoritairement tirées, comme le Crédit Agricole.

307. S’agissant des CSC, les parties font valoir qu’elles étaient objectivement nécessaires pour permettre la conclusion de l’accord relatif au passage à l’EIC dès lors que celui-ci entraînait un découplage entre la banque sur laquelle repose la responsabilité d’un service et celle qui en supporte effectivement le coût.

a) Le droit applicable

308. Dans son arrêt M6 e.a./Commission du 18 septembre 2001, le Tribunal de première instance des Communautés européennes a précisé la portée de la notion de restriction accessoire en droit de la concurrence qui « couvre toute restriction qui est directement liée et nécessaire à la réalisation d'une opération principale » (T-112/99, Rec. II-2459, points 104 et s.). Les restrictions accessoires ne font pas l’objet d’un examen distinct de celui de l’opération principale au regard du droit de la concurrence. Ainsi, si l’opération principale

ne restreint pas la concurrence, les restrictions accessoires à cet accord sont compatibles avec l’article 81, paragraphe 1, CE.

309. S’agissant de la condition relative au lien direct avec l’opération principale, le Tribunal indique qu’elle correspond à « toute restriction qui est subordonnée en importance par rapport à la réalisation de cette opération et qui comporte un lien évident avec celle-ci » (même arrêt, point 105). S’agissant de la condition relative au caractère nécessaire d'une restriction, le juge communautaire indique qu’il convient « de rechercher, d'une part, si la restriction est objectivement nécessaire à la réalisation de l'opération principale et, d'autre part, si elle est proportionnée par rapport à celle-ci » (point 106). A cet égard, le Tribunal précise que « l'examen du caractère objectivement nécessaire d'une restriction par rapport à l'opération principale ne peut être que relativement abstrait. Il s'agit non pas d'analyser si, au vu de la situation concurrentielle sur le marché en cause, la restriction est indispensable pour le succès commercial de l'opération principale, mais bien de déterminer si, dans le cadre particulier de l'opération principale, la restriction est nécessaire à la réalisation de cette opération. Si, en l'absence de la restriction, l'opération principale s'avère difficilement réalisable voire irréalisable, la restriction peut être considérée comme objectivement nécessaire à sa réalisation » (point 109).

310. Enfin, le Tribunal considère que « [d]ès lors qu'une restriction est objectivement nécessaire à la réalisation d'une opération principale, il convient encore de vérifier si sa durée et son champ d'application matériel et géographique n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour la réalisation de ladite opération. Si la durée ou le champ d'application de la restriction excèdent ce qui est nécessaire pour la réalisation de l'opération, elle doit faire l'objet d'une analyse séparée dans le cadre de l'article 85, paragraphe 3, du traité » (même arrêt, point 113 ; voir aussi sur ce point l’arrêt de la Cour du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42/84, Rec. p. 2545, point 20, et l’arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61/89, Rec. p. II-1931, point 78).

311. Par ailleurs, le juge communautaire a précisé que ce n'est que dans le cadre précis de l’article 81, paragraphe 3, CE, qui prévoit la possibilité d'exempter des accords restrictifs de concurrence lorsque ceux-ci satisfont à un certain nombre de conditions, qu’une mise en balance des aspects proconcurrentiels et anticoncurrentiels d'une restriction peut avoir lieu et relève que l'article 81, paragraphe 3, CE « perdrait en grande partie son effet utile si un tel examen devait déjà être effectué dans le cadre de l'article 85, paragraphe 1 [devenu l’article 81, paragraphe 1], du traité » (arrêt du Tribunal du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods, T-65/98, Rec. p. II-2641, point 107).

312. Au stade de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, il incombe aux entreprises mises en cause de démontrer qu’une restriction est directement liée et objectivement nécessaire à la réalisation d'une opération principale (arrêt M6 e.a./Commission, précité, point 122).

b) Appréciation en l’espèce

313. S’il est indéniable que la CEIC était directement liée à la mise en place de l’EIC, système dématérialisé d’échange des chèques, elle-même neutre au regard du droit de la concurrence, les parties ne démontrent pas que cette commission était objectivement nécessaire pour l’adoption du nouveau système, au sens de la jurisprudence communautaire précitée.

314. En effet, l’opération principale qu’il convient d’apprécier en l’espèce pour examiner le caractère accessoire de la CEIC est la dématérialisation de la compensation interbancaire

des chèques. Or, l’EIC pouvait être mis en place sans accélération des échanges interbancaires, et, partant, sans modification des équilibres de trésorerie, dès lors que la fixation de la date de règlement interbancaire relevait d’une libre décision des banques.

L’écart entre la date d’échange des chèques et la date de règlement interbancaire a été fixé en commun par les banques dans le cadre de l’accord du 3 février 2000, en fonction du choix de l’Heure d’arrêté de la journée d’échange (HAJE). La solution qui a été adoptée d’une HAJE à 18 h et d’un délai de règlement interbancaire à J+1 n’était pas imposée techniquement par la dématérialisation des échanges.

315. Le rapport du groupe de travail restreint de la CIR précise ainsi que la CEIC a été proposée avec l’objectif de « compenser les modifications de trésorerie interbancaire qui pourraient résulter du choix de l'HAJE et de l'écart entre échange et règlement » (synthèse du rapport du 8 juin 1999, cote 1374). Il résulte des différents documents de travail de la CIR que, comme le relèvent les Banques Populaires, les banques ont envisagé un délai de règlement interbancaire allongé comme solution alternative à l’instauration de la CEIC (voir point 86).

316. Si les parties soutiennent qu’un délai de règlement interbancaire à J+2 était difficilement acceptable, vis-à-vis notamment de leurs clients, dans la mesure où, à la différence de la solution retenue prévoyant la création de la CEIC, il aurait privé les utilisateurs du système du chèque de l’accélération techniquement permise par la dématérialisation des échanges, un tel argument doit être examiné au regard des dispositions de l’article 81, paragraphe 3, CE. En effet, conformément à la jurisprudence communautaire précitée, c’est dans le cadre de ces dispositions que doit être effectuée la mise en balance des gains d’efficacité, tels que, en l’espèce, l’accélération des échanges interbancaires, et des effets restrictifs d’une pratique pour déterminer si cette dernière peut bénéficier d’une exemption.

317. Dans ces conditions, la CEIC n’était pas objectivement nécessaire à la réalisation de l’opération principale que constituait la dématérialisation de la compensation interbancaire des chèques. Dès lors, elle ne peut être considérée comme une restriction accessoire à cette opération et doit faire l’objet d’une analyse séparée dans le cadre de l’article 81, paragraphe 3, CE.

318. De même, en ce qui concerne les CSC, les parties ne démontrent pas que ces commissions étaient objectivement nécessaires pour l’adoption du nouveau système, au sens de la jurisprudence communautaire précitée.

319. Dans sa décision GSA du 21 octobre 1999 précitée, la Commission européenne a étudié la conformité de commissions multilatérales d’interchange destinées à rémunérer les prestations effectuées par la banque débitrice pour la banque créditrice dans le cadre du système néerlandais de virements à communication structurée au regard des dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE : « d'un point de vue pratique, il est nécessaire que les banques intervenant dans l'opération soient d'accord sur la répartition éventuelle des frais, c'est-à-dire retenir ou non le principe d'une compensation et, dans l'affirmative, en fixer le niveau. Compte tenu des caractéristiques inhérentes à un système de paiement tel que celui du virement à communication structurée, les négociations à ce sujet doivent de toute évidence être menées préalablement, c'est-à-dire avant que le système de paiement soit effectivement utilisé par les banques pour le traitement des opérations de paiement réalisées par leurs clients. (…) Si les banques décident d'instaurer une commission interbancaire, l'accord sur le niveau de la commission peut en principe être bilatéral ou multilatéral. En l'espèce, les banques ont décidé d'instaurer une commission multilatérale uniforme, bien que celle-ci soit devenue un plafond en 1992. On peut aussi envisager qu'un certain nombre de banques prennent l'initiative en se mettant d'accord sur des

commissions bilatérales et que les autres banques cherchent à se joindre à l'une d'elles, de sorte que cette série de commissions bilatérales s'appliquent aussi à elles. Les banques pourraient également passer des accords multilatéraux sur une formule de calcul de la commission interbancaire en fonction de paramètres variant d'une banque à l'autre. (…) La pratique montre que les négociations bilatérales sur les commissions interbancaires pour le traitement électronique des virements à communication structurée sont techniquement possibles. Ainsi, avant l'entrée en vigueur de l'accord GSA, il existait entre plusieurs grandes banques des accords bilatéraux sur la compensation de ces frais » (considérants 47 à 49).

320. Une analyse similaire peut être suivie au cas d’espèce s’agissant des CSC adoptées par les banques. La rémunération des prestations rendues par les banques remettantes aux banques tirées dans le cadre d’un système de compensation dématérialisé, comportant le

« blocage » physique des chèques au niveau de la banque remettante suivi de l’échange d’images-chèques, pouvait, en principe, faire l’objet de négociations bilatérales. En effet, rien n’indique que des négociations bilatérales sur des commissions interbancaires pour le traitement des opérations connexes à l’EIC seraient techniquement impossibles. Par ailleurs, si les parties font valoir que le principe de négociations bilatérales se heurtait au nombre élevé d’acteurs en jeu, et que celles-ci se seraient donc traduites par d’importants coûts de transaction, un tel argument doit être examiné au regard des dispositions de l’article 81, paragraphe 3, CE. En effet, c’est dans le cadre de ces dispositions que doit être effectuée la mise en balance des effets proconcurrentiels, tels que l’économie de coûts de transaction, et anticoncurrentiels d’une pratique restrictive pour déterminer si cette dernière peut bénéficier d’une exemption.

321. Les banques pouvaient également se mettre d’accord sur les modalités de calcul de chaque commission en fonction de paramètres variant d’une banque à l’autre. Si les parties font valoir qu’un tel accord était impossible sans qu’il soit procédé à l’échange d’informations sensibles entre banques, en méconnaissance des règles du droit de la concurrence, cet argument doit être écarté dès lors que la mise au point d’une formule de calcul théorique ne nécessitait pas l’échange de données individuelles entre les banques.

322. Dans ces conditions, les CSC n’étaient pas objectivement nécessaires à la réalisation de l’opération principale que constituait la dématérialisation de la compensation interbancaire des chèques. Dès lors, elles ne peuvent être considérées comme une restriction accessoire à cette opération et doivent faire l’objet d’une analyse séparée dans le cadre de l’article 81, paragraphe 3, CE.