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1. SUR LAPPLICABILITÉ DU DROIT DE LA CONCURRENCE

249. Les parties soutiennent que le droit de la concurrence n’est pas applicable en l’espèce.

Elles estiment, en effet, que les neuf commissions interbancaires en cause ne peuvent être anticoncurrentielles et font valoir à cet égard l’absence de marché interbancaire. Elles précisent que, compte tenu de l’universalité des moyens de paiement, toute banque doit accepter les ordres de paiement donnés par les clients de toute autre banque et n’a donc pas le choix de son partenaire. La mise en rapport des banques tirées avec les banques remettantes étant contrainte par une volonté tierce, il n’y aurait pas d’offre ni de demande et, partant, pas de marché. Selon certaines parties, il en résulte que seule une commission interbancaire qui viserait les conditions tarifaires appliquées aux clients finaux pourrait faire l’objet d’un examen au regard des règles de concurrence.

250. La Banque Postale considère quant à elle que l’Autorité de la concurrence n’est pas compétente pour apprécier « le principe et le montant des commissions interbancaires » ni pour se substituer ainsi au régulateur sectoriel qu’est la Banque de France.

251. Il convient tout d’abord de rappeler que, dans l’arrêt Züchner du 14 juillet 1981, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que les activités bancaires n’échappaient pas à l’application du droit de la concurrence (172/80, Rec. 1981, p. 2021, point 8). La Cour de

justice a précisé que les transferts de fonds effectués par les établissements bancaires au profit de leurs clients, s’ils relevaient de la mission propre des banques, ne constituaient pas des « services d’intérêt économique général » au sens du traité (point 7 de l’arrêt).

252. La même règle est énoncée en droit interne par l’article L. 511-4 du code monétaire et financier, qui dispose que : « Les articles L. 420-1 à L. 420-4 du code de commerce s'appliquent aux établissements de crédit pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes définies à l'article L. 311-2 ainsi qu'aux établissements de paiement pour leurs services de paiement et leurs services connexes définis à l'article L. 522-2 ».

253. Si les parties font valoir qu’il n’existe pas de « marché interbancaire » du chèque, le système de compensation interbancaire des chèques s’insère dans le système global de paiement par chèque, de nature quadripartite. Ce système met en rapport, pour chaque opération liée à un paiement par chèque (le paiement lui-même ou des opérations connexes telles que le rejet d’un paiement), deux clients finaux – le payeur (ou tiré) et le bénéficiaire (ou remettant) – et deux intermédiaires – la banque tirée et la banque remettante. La banque tirée et la banque remettante peuvent être la même personne (le chèque est alors dit intrabancaire) ou deux personnes distinctes (le chèque est dit interbancaire).

254. Dans cette dernière hypothèse, les rapports entre les intermédiaires relèvent de la sphère interbancaire et les rapports entre chaque client final et son intermédiaire s’inscrivent dans la relation banque-client. On distingue ainsi deux faces du marché, s’agissant des services liés au paiement par chèques : un marché de l’émission de formules de chèques qui met en rapport les banques tirées et les payeurs et un marché de la remise de chèques qui met en rapport les bénéficiaires et les banques remettantes.

255. Lorsqu’une opération donnée réalisée entre les clients finaux de deux banques ne comporte pas d’aspects interbancaires autres que des accords techniques assurant l’interopérabilité du système, chacune des deux banques détermine avec son client l’équilibre propre à la relation banque-client. En revanche, lorsque les banques décident qu’une opération de paiement réalisée entre deux de leurs clients finaux générera des effets interbancaires, comme le versement d’une commission par la banque remettante à la banque tirée, un tel accord est susceptible d’influencer leurs coûts et, partant, la politique de tarification des services qu’elles rendent à leur clientèle.

256. La sphère interbancaire et la sphère banque-client sont donc deux sphères distinctes mais interdépendantes, puisque des accords interbancaires sont susceptibles de produire des effets en dehors de la sphère interbancaire et d’influer sur la formation des prix dans la relation banque-client.

257. La Commission a ainsi eu l’occasion d’examiner la légalité de plusieurs types de commissions interbancaires au regard des règles du droit de la concurrence (voir, par exemple, les décisions du 30 mars 2002, Visa, et du 19 décembre 2007, Mastercard, précitées, ou les décisions du 17 octobre 2007, Groupement des Cartes Bancaires « CB », affaire COMP/D1/38606 et du 8 septembre 1999, GSA, affaire IV/34.010).

258. De même, le Tribunal de première instance des Communautés européennes a eu à connaître de tarifs interbancaires dans le cadre de l’affaire dite du « Club Lombard », sans que l’application du droit de la concurrence soit remise en cause (arrêt du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T-259/02 à T-264/02 et T-271/02, Rec. p. II-5169, point 176).

259. En droit interne, le Conseil de la concurrence a examiné, dans sa décision n° 88-D-37 du 11 octobre 1988 relative au Groupement des cartes bancaires «CB», la conformité au droit

de la concurrence de commissions interbancaires, dites commissions d’interchange, appliquées par les banques de commerçants aux banques de porteurs de cartes.

260. En conséquence, contrairement à ce que soutiennent les parties, les neuf commissions interbancaires en cause relèvent bien du champ d’application de l’article L. 420-1 du code de commerce et de l’article 81 CE (devenu l’article 101 TFUE). Elles entrent donc dans le champ de compétence de l’Autorité de la concurrence, tel que défini au I de l’article L. 462-5 du même code.

2. SUR LAPPLICABILITÉ DU DROIT COMMUNAUTAIRE

261. La Banque de France, LCL et le Crédit Agricole soutiennent qu'il ne peut être fait application, dans la présente espèce, de l'article 81 CE. Selon CE Participations, seule la CEIC serait exclue du champ d'application de cet article, à la différence des CSC.

262. Les articles 81 CE et 82 CE (devenus 101 et 102 TFUE), dans leur version en vigueur au cours de la période de commission des pratiques, s’appliquent aux accords horizontaux et verticaux et aux pratiques abusives d'entreprises qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres. Se fondant sur le traité et les lignes directrices de la Commission relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (JO 2004 C 101, p. 81), l’Autorité de la concurrence considère que trois éléments doivent être démontrés pour établir que des pratiques sont susceptibles d’avoir sensiblement affecté le commerce entre Etats membres : l’existence d’échanges entre Etats membres portant sur les produits ou les services faisant l’objet de la pratique, l’existence de pratiques susceptibles d’affecter ces échanges et le caractère sensible de cette possible affectation (voir décision du Conseil de la concurrence n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés des pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre Mer et Total Réunion, confirmée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 novembre 2009).

a) Sur l’existence d’échanges entre les Etats membres

263. La Banque de France fait valoir que le chèque n'est pas un moyen de paiement transfrontalier.

264. Les lignes directrices de la Commission précisent cependant que « la notion de

« commerce » n'est pas limitée aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de services, mais a une portée plus large qui recouvre toute activité économique internationale, y compris l'établissement » (point 19). Ainsi, « le commerce entre Etats membres peut également être affecté dans des cas où le marché en cause est national ou subnational » (point 22).

265. A cet égard, la présente affaire doit être appréciée en tenant compte de la libéralisation des services bancaires, assurée notamment par la deuxième directive 89/646/CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice (JO L 386, p. 1), qui pose le principe de l'agrément communautaire unique.

Accordé par un Etat membre à un établissement de crédit, cet agrément lui permet d'exercer dans toute la Communauté l'ensemble des activités bancaires de base, soit en créant des établissements secondaires, soit en fournissant ses services directement à partir

du pays où il est établi. L'Etat membre d'origine assure le contrôle global de l'établissement bancaire, l'Etat d'accueil surveille les succursales établies sur son territoire.

266. Un récent rapport du Sénat relève que : « s'agissant des implantations bancaires d'origine étrangère, la France figure au nombre des pays européens les plus ouverts à la présence sur son territoire d'établissements sous contrôle étranger » (rapport de décembre 2009, « La régulation bancaire à l'épreuve de la crise financière »). Par ailleurs, il résulte des constatations énoncées ci-dessus (point 24) que le chèque représentait 37 % des paiements effectués en France en 2000 et 26 % en 2006. Il est ainsi indispensable pour une banque étrangère souhaitant pénétrer l’ensemble du marché français, au-delà d’une clientèle de niche, de proposer à ses clients la mise à disposition de formules de chèques ainsi qu’un service de remise de chèques.

267. Les conditions, notamment de coût, auxquelles est subordonnée la remise de chèques sur l’ensemble du territoire national sont donc susceptibles d’influer sur la mise en œuvre concrète de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services bancaires, permettant donc de caractériser l'existence d'échanges entre Etats membres.

b) Sur l’existence de pratiques susceptibles d’affecter les échanges entre les Etats membres de manière sensible

268. Les parties font valoir, d’une part, que le coût de revient du chèque pour les banques remettantes, susceptible d’être influencé par les commissions interbancaires en litige, ne constitue pas une barrière à l'entrée sur le marché national. La seule barrière à l'entrée du marché de la banque de détail serait la constitution d'un réseau d'agences locales nécessaire aux relations de proximité avec les clients. Elles font valoir, d'autre part, que la hausse du coût de revient du chèque a une incidence sur le marché de la remise de chèques, et non sur le marché de l’émission.

269. Il résulte de la jurisprudence communautaire qu’un accord entre entreprises, pour être susceptible d'affecter le commerce entre États membres, « doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre États » (voir l’arrêt du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42/84, Rec. p. 2545, point 22). A cet égard, la Cour de justice a jugé qu’« une entente s'étendant à l'ensemble du territoire d'un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité » (voir, par exemple, l’arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a., C-309/99, Rec. p. I-1577, point 95). Le Tribunal de première instance des communautés européennes, dans l’arrêt Raiffeisen Zentralbank Österreich/Commission, précité, a déduit qu’il résultait de cette jurisprudence « qu’il existe, à tout le moins, une forte présomption qu’une pratique restrictive de la concurrence appliquée à l’ensemble du territoire d’un État membre soit susceptible de contribuer au cloisonnement des marchés et à affecter les échanges intracommunautaires. Cette présomption ne peut être écartée que si l’analyse des caractéristiques de l’accord et du contexte économique dans lequel il s’insère démontre le contraire » (point 181). Cette analyse a été confirmée par la Cour de justice dans son arrêt du 24 septembre 2009, Erste Group Bank/Commission (C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, non encore publié au Recueil, point 39).

270. Cette circonstance ne suffit cependant pas à elle seule pour conclure au caractère sensible de l’affectation du commerce intracommunautaire. Celui-ci dépend en effet des circonstances de chaque espèce, et notamment de la nature de l’accord ou de la pratique, de la nature des produits ou services concernés, ainsi que de la position de marché des entreprises en cause. (point 45 des lignes directrices).

271. Au cas présent, les pratiques en cause visent un accord horizontal couvrant l’ensemble du territoire français. Si, ainsi que le relèvent les parties, la difficulté pour les banques étrangères de pénétrer le marché national des services bancaires aux particuliers tient principalement à l’absence de réseaux d’agences locales, cette barrière à l’entrée ne revêt pas la même importance pour l’accès au marché des services bancaires aux entreprises, qui constituent la clientèle potentielle principale des banques étrangères. Les pratiques en cause sont donc bien susceptibles d’affecter le libre établissement des banques étrangères, dès lors que l’application de commissions interbancaires a pour effet d’élever le coût de traitement des chèques remis aux banques par leur clientèle d’entreprises. La réalité d’une telle affectation est illustrée par le cas d’HSBC, qui indique avoir été contraint d’augmenter les tarifs facturés à l’entreprise Carrefour en juillet 2003, du fait de la forte augmentation des coûts unitaires de traitement des chèques, même s’il précise que cette hausse n’est ni nécessairement, ni exclusivement liée à la mise en place de la CEIC (cote 5507). Ainsi, l’accord en litige peut avoir contribué au renforcement des barrières à l’entrée sur le marché des services bancaires en France.

272. L’espèce se distingue des circonstances de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de justice du 21 janvier 1999, Bagnasco e.a., C-215/96 et C-216/96, Rec. 1999, p. I-135), invoqué par les parties. Saisie à titre préjudiciel de la compatibilité avec le droit communautaire de conditions bancaires uniformes relatives au cautionnement général devant garantir l'ouverture d'un crédit en compte courant et dérogeant au droit commun du cautionnement en Italie, la Cour de justice avait relevé, pour conclure à l’absence d’affectation du commerce intra-communautaire, que la participation de filiales ou succursales d'établissements financiers non italiens au service bancaire concerné était limitée, et que « la possible utilisation des [contrats en cause] de la part de la clientèle principale des banques étrangères, c'est-à-dire les grandes entreprises et les opérateurs étrangers, n'a pas une grande importance et, en tout cas, pas une importance décisive dans le choix fait par les banques étrangères de s'établir ou non en Italie, dans la mesure où les contrats tels que ceux en cause au principal ne sont que rarement utilisés par ce type de clientèle » (points 51 et 52 de l’arrêt). C’est un raisonnement similaire, fondé sur l’intérêt limité du produit en cause pour les banques étrangères, qui avait poussé la Commission à conclure à l’absence d’affectation sensible du commerce entre Etats par la commission interbancaire imposée sur les virements à communication structurée aux Pays-Bas dans sa décision du 8 septembre 1999, GSA, précitée.

273. Dans l’affaire du « Club Lombard », le Tribunal de première instance des communautés européennes a précisé que : « il résulte de l’arrêt Bagnasco e.a., (…), qu’il peut exister des accords couvrant l’ensemble du territoire d’un État membre qui ne produisent pas d’effet sensible sur le commerce entre États membres. Par ailleurs, la Commission a retenu une approche analogue dans la décision Banques néerlandaises II (…). L’infraction complexe dont il s’agit en l’espèce se distingue cependant des accords visés par l’arrêt et la décision cités au point précédent (…). En effet, les concertations au sein du « réseau Lombard » impliquaient non seulement presque tous les établissements de crédit en Autriche, mais également une très large gamme de produits et de services bancaires, notamment les dépôts et les crédits et, de ce fait, elles étaient susceptibles de modifier les conditions de la concurrence dans l’ensemble de cet État membre. » (points 182 et 183 de l’arrêt Raiffeisen

Zentralbank Österreich/Commission, précité, confirmé par l’arrêt de la Cour de justice, Erste Group Bank/Commission, précité, point 40).

274. Au cas d’espèce, les concertations au sein de la CIR impliquaient les douze principaux établissements de crédit établis en France. Du fait de l’utilisation massive du chèque comme moyen de paiement en France au cours de la période en cause, les conditions tarifaires régissant la remise de chèques, en particulier par les entreprises, clientèle potentielle des banques étrangères, étaient susceptibles de revêtir une réelle importance dans le choix de ces banques de s’établir ou non en France. Dès lors que l’offre d’un service de chèques à la clientèle impose la participation au système de compensation de chèques interbancaires, les établissements bancaires étrangers souhaitant s’établir en France étaient nécessairement affectés par la pratique dénoncée, à savoir l’établissement de commissions pour le traitement des chèques interbancaires. Dans ces conditions, le caractère sensible de l’affectation du commerce intracommunautaire est établi.

275. Il résulte de tout ce qui précède que les pratiques mises en œuvre peuvent être qualifiées au regard de l’article 81 CE.