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A. Sur la procédure

1. Sur la durée de la procédure

a) Arguments des parties

133. La Société Générale, le Crédit Mutuel, CIC, CE Participations, la Banque de France, les Banques Populaires, BNP et Paribas se plaignent de la durée excessive de la procédure.

134. Les parties font valoir que la procédure dans son ensemble a duré six ans, depuis la saisine d’office jusqu’à la séance devant l’Autorité de la concurrence du 24 novembre 2009. Par ailleurs, six années se seraient écoulées entre la date des faits reprochés, qui remontent à l’année 1999, et la date à laquelle les banques concernées ont su qu’elles auraient à répondre de ces faits en 2005. En comparaison, les parties estiment qu’elles ont bénéficié de délais très courts pour répondre aux demandes de renseignements, à la notification de griefs et aux deux rapports établis par les services d’instruction.

135. Ces délais, qui seraient exclusivement imputables aux services d’enquête et d’instruction, auraient privé les parties de la possibilité de se défendre utilement, compte tenu des changements de personnel et de la difficulté à collecter des documents anciens archivés.

Les difficultés invoquées concernent essentiellement la recherche d’éléments à décharge en réponse au sondage de prix effectué par les rapporteurs, dont les parties n’auraient eu connaissance qu’au moment de la notification des griefs en 2008, sans que ces données, initialement classées en annexe confidentielle, leur soient communiquées avant 2009.

b) Le droit applicable

136. Aux termes d’une jurisprudence constante, le délai raisonnable prescrit par l’article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») doit s’apprécier au regard de l’ampleur et de la complexité de la procédure, cette circonstance devant être appréciée concrètement (voir par exemple les arrêts de la cour d’appel de Paris du 29 janvier 2008, Le Goff Confort SAS, du 8 avril 2008, Glaxosmithkline, du 6 mai 2008, Lafarge Ciments, du 24 novembre 2009, Chevron Products, et du 24 juin 2008, France Travaux).

137. La jurisprudence communautaire est également en ce sens, la Cour de justice des Communautés européennes considérant que « le caractère raisonnable du délai est apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l'enjeu du litige pour l'intéressé, de la complexité de l'affaire ainsi que du comportement du requérant et de celui des autorités compétentes » (arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185/95 P, Rec. p. I-8417, point 29). La Cour de justice a précisé que « la liste de ces critères n'est pas exhaustive et l'appréciation du caractère raisonnable du délai n'exige pas un examen systématique des circonstances de la cause au regard de chacun d'eux lorsque la durée de la procédure apparaît justifiée au regard d'un

seul. (…) Ainsi, la complexité de l'affaire peut être retenu[e] pour justifier un délai de prime abord trop long. (…) Le cas échéant, la durée d'une étape procédurale peut être d'emblée qualifiée de raisonnable lorsqu'elle apparaît conforme au délai moyen de traitement d'une affaire du type de celle en cause. » (arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I-8375, points 187 et 188). Enfin, la Cour de justice a indiqué que « le caractère raisonnable d'un délai ne saurait être examiné par référence à une limite maximale précise, déterminée de manière abstraite, mais doit être apprécié dans chaque espèce en fonction des circonstances de la cause. » (même arrêt, point 192).

138. Par ailleurs, la sanction qui s’attache à la violation par les autorités de concurrence de leur obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure ou sa réformation mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi (voir les arrêts de la Cour de cassation du 28 janvier 2003, Domoservices, et du 6 mars 2007, Demathieu et Bard) sous réserve, toutefois, que la conduite de la procédure n'ait pas irrémédiablement privé les entreprises mises en cause des moyens de se défendre (voir notamment l’arrêt de la cour d’appel de Paris, Le Goff Confort SAS, précité, et l’arrêt de la CJCE du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Verninging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied (NFVG), C-105/04, Rec. p. I-8725, point 42).

139. A cet égard, la cour d’appel de Paris précise que « le respect des droits de la défense revêtant une importance capitale dans les procédures [suivies devant l’Autorité de la concurrence], il importe d'éviter que ces droits puissent être irrémédiablement compromis, notamment en raison d'une durée excessive de la phase d'enquête et que cette durée soit susceptible de faire obstacle à l'établissement de preuves visant à réfuter l'existence de comportements de nature à engager la responsabilité des entreprises concernées ; que pour cette raison, l'examen de l'éventuelle entrave à l'exercice des droits de la défense ne doit pas être limité à la phase même dans laquelle ces droits produisent leur plein effet, à savoir la seconde phase de la procédure administrative; que l'appréciation de la source de l'éventuel affaiblissement de l'efficacité des droits de la défense doit s'étendre à l'ensemble de cette procédure en se référant à la durée totale de celle-ci, enquête comprise » (voir les arrêts du 10 novembre 2009, Beauté Prestige International SA, et du 23 mars 2010, Gaz et électricité de Grenoble, reproduisant les motifs des arrêts de la CJCE du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 7, et NFVG, précité, point 50).

140. Les juridictions nationales et communautaires ont jugé qu’il incombe aux entreprises concernées d’établir que, à la date de la communication des griefs, leurs possibilités de réfuter ceux-ci étaient limitées à cause de la durée excessive de la procédure antérieure d’enquête (cf. cour d’appel de Paris, arrêts cités au point 140 et CJCE, NFVG, point 56).

141. Pour apprécier si le principe de délai raisonnable a été respecté en l’espèce, il convient donc d’examiner dans un premier temps si la durée de la procédure était excessive compte tenu des circonstances de l’espèce, et, dans l’affirmative, d’examiner dans un second temps si la durée excessive de la procédure a privé les banques de la possibilité de se défendre utilement contre les griefs qui leur étaient reprochés.

c) Appréciation en l’espèce

En ce qui concerne la durée de la procédure

142. L’affaire concerne l’ensemble des commissions interbancaires perçues à raison des paiements effectués par chèques sur le territoire national. Les griefs ont été notifiés à douze

établissements de crédit, et le dossier comporte plus de 40 000 pièces. La DGCCRF, saisie pour enquête par le rapporteur général du Conseil de la concurrence en 2004, a mené de multiples investigations auprès des établissements bancaires et auprès de sociétés clientes remettantes de chèques. A la suite de la remise du rapport d’enquête en 2005, les services d’instruction du Conseil ont, ainsi que le rapport du 14 août 2008 le rappelle (§ 225), mené plus de quarante auditions et ont procédé à un sondage d’une ampleur sans précédent auprès de sept cents entreprises pour relever les conditions bancaires applicables à leurs opérations de remise de chèques pour la période couvrant les années 2000 à 2006 (prix direct, forfait, sous-traitance, dates de valeur, commission de mouvement, etc.). Par ailleurs, l’appréciation des pratiques a nécessité des études économiques poussées, pour l’évaluation notamment du caractère exemptable des pratiques en cause.

143. Les parties ont pu bénéficier des délais prévus par l’article L. 463-2 du code de commerce pour faire valoir leurs observations. Par ailleurs, les actes d’instruction qui ont eu pour effet d’allonger la phase contradictoire de la procédure (désignation d’un expert, envoi d’un rapport complémentaire) ont été diligentés afin de respecter au mieux les droits des parties tant pour l’établissement des faits que pour la mise en œuvre du principe de contradiction. Il en est de même de la décision n° 09-S-04 du 11 décembre 2009, qui a permis aux parties d’accéder à l’intégralité des données du sondage de prix et de produire d’ultimes observations écrites.

144. A titre de comparaison, la durée de la présente procédure est inférieure au délai moyen observé pour le traitement d’affaires de même type par la Commission européenne. Ainsi, les procédures d’enquête et d’instruction engagées par la Commission afin d’apprécier la conformité des commissions multilatérales d’interchange appliquées aux paiements par carte transfrontaliers dans l’Espace économique européen ont duré plus de dix ans dans l’affaire Visa (décision du 24 juillet 2002, COMP 29.373, rendue sur saisine du 30 mars 1992) et plus de quinze ans dans l’affaire MasterCard (décision du 19 décembre 2007, COMP 34.579, rendue sur saisine du 30 mars 1992).

145. La durée de la présente procédure, enquête comprise, n’est donc pas excessive eu égard à la nature, à l’ampleur et à la complexité de l’affaire.

En ce qui concerne la possibilité des parties de se défendre contre les griefs notifiés 146. En tout état de cause, la possibilité pour les entreprises mises en cause de se défendre

contre les faits qui leur étaient reprochés n’a pas été affectée par la durée de la procédure.

147. En effet, la prudence commandait aux banques de conserver toute preuve de nature à établir la licéité de leurs pratiques jusqu’à la fin de la prescription fixée par l’article L. 462-7 du code de commerce, dont le délai a été porté de trois ans à cinq ans par l’ordonnance du 4 novembre 2004, et ce d’autant plus qu’elles ont eu connaissance de l’enquête dont elles faisaient l’objet alors que les pratiques en cause n’avaient pas encore cessé.

148. En premier lieu, il convient de relever que la majorité des banques mises en cause ont eu connaissance qu’elles auraient à répondre des pratiques en cause au plus tard en juillet 2005 lors de leur audition formelle par les enquêteurs14. A cette date, la CEIC et les CSC étaient encore appliquées à l’ensemble des transactions interbancaires par chèque, au niveau qui avait été fixé au sein de la CIR en 2000. La notification des griefs, en date du 14 mars 2008, est intervenue quelques mois à peine après la suppression de la CEIC,

14 cf. annexes 12 et s. du RAE

décidée le 4 octobre 2007 avec effet rétroactif au 1er juillet 2007, et la révision du montant des CSC, intervenue au cours de l’automne 2007.

149. Les circonstances de la présente affaire se distinguent ainsi nettement de celles de l’affaire

« parfumerie de luxe », qui a donné lieu à l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 10 novembre 2009 précité, invoqué par les parties. Dans cette dernière affaire, les pratiques sanctionnées avaient cessé depuis cinq ans à la date des premières auditions formelles des services d’instruction du Conseil de la concurrence en 2005.

150. En deuxième lieu, la Cour de cassation considère que les entreprises incriminées par l’Autorité de la concurrence « sont responsables de la déperdition éventuelle des preuves qu’elles entendaient faire valoir tant que la prescription (…) n’était pas acquise » (Com., 12 janvier 1999, Bull. IV n° 9). A cet égard, les motifs d’ordre interne à l’entreprise incriminée sont indifférents. La Cour de cassation a précisé qu’aucune violation des droits de la défense n’était démontrée lorsque « les difficultés alléguées [relatives à la conservation des preuves] dues à des causes internes aux deux sociétés tenant aux changements intervenus dans leurs directions respectives par suite de leur fusion, sont sans lien avec le déroulement de l’instruction et de la procédure suivie devant le Conseil » (Com., 28 janvier 2003, Bull. IV n° 12).

151. Il résulte de ce qui précède que les banques ne peuvent utilement invoquer la circonstance que les représentants qui ont siégé en leur nom au sein de la CIR n’étaient plus présents dans l’entreprise à la date à laquelle les griefs leur ont été communiqués, rendant ainsi plus difficile la possibilité de recueillir leur témoignage.

152. En dernier lieu, la prescription de l’action commerciale était à l’époque des faits en cause de dix ans, en vertu des dispositions de l’article L. 110-4 du code de commerce. Les banques visées par les griefs devaient donc, en vertu du devoir général de prudence, conserver leurs documents commerciaux de manière à pouvoir présenter leur défense dans le cadre d’une éventuelle action devant le tribunal de commerce (voir, à cet égard, l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 janvier 2008, Le Goff Confort SAS précité). De même, elles étaient soumises à l’obligation générale de conservation des documents comptables et pièces justificatives pendant dix ans imposée par l’article L. 123-22 du code de commerce.

153. Au cas d’espèce, les parties ne contestent pas l’existence d’un accord au sein de la CIR aux fins de créer des commissions interbancaires et d’en fixer le montant, mais le caractère anticoncurrentiel de cet accord et son incidence sur l’économie. Les éventuelles preuves à décharge sont donc essentiellement, ainsi que le soutiennent les parties elles-mêmes, des éléments qui seraient de nature à remettre en cause l’évaluation quantitative du dommage à l’économie effectuée par les services d’instruction pour les années 2000 à 2006.

154. A cet égard, les rapporteurs ont utilisé les données utilisées issues du sondage de prix, qui résultent de l’application des contrats conclus par les banques avec les entreprises clientes, d’une part, et les conditions tarifaires standard applicables à la clientèle qui ont été communiquées par les banques à la demande des rapporteurs, d’autre part. Ces données correspondent à des documents contractuels ou commerciaux, dont la conservation s’impose aux banques en vertu des dispositions mentionnées ci-dessus du code de commerce.

155. Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de la violation du principe de délai raisonnable doit être écarté.