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L’Europe et la régulation des migrations clandestines

2. Les campagnes d’information comme stratégie de contrôle de l’immigration

2.2. Les supports des campagnes d’information

Au travers des campagnes d’information, l’OIM cherche la plus grande audience afin d’influencer l’opinion publique, de faire de l’émigration un débat public et d’influer sur les comportements des migrants potentiels. Pour cela, l’organisation utilise différents supports de communication : principalement la télévision et/ou la radio, mais aussi des posters et brochures, ou encore des pièces de théâtre.

• L’usage des médias de masse

Pour prévenir les formes de migrations qualifiées «d’illégales» l’OIM s’appuie principalement sur les «mass media». La télévision par exemple est l’un des canaux utiles à la mise en oeuvre des politiques européennes d’immigration.

En décembre 2007, la Suisse a diffusé un spot télévisé au Nigeria et au Cameroun, financé par l’OIM et par l’Office fédéral des migrations (ODM), dans le but de lutter contre l’immigration clandestine (Campagne Suisse contre l’immigration, 2008) (Fig. 1.2.5).

Fig. 1.2.5. Une campagne suisse contre l’immigration (Capture d’écran). [en ligne]. Disponible sur : http://

www.dailymotion.com/video/x3yjic_campagne-suisse- contre-l-immigratio_news (consulté le 01.03.11).

La vidéo dure un peu moins de deux minutes. On y voit un fils appelant depuis une cabine téléphonique à son père resté dans la maison familiale au Sénégal. Le discours rassurant du fils concernant son hébergement, son travail et son inscription à l’université contraste avec les images angoissantes qui dépeignent sa condition de clandestin : la vie de SDF, la mendicité et les courses poursuites avec la police. Le message qui apparaît à la fin du spot se veut explicite : «Don’t believe everything you hear. Leaving is not always

living».

La diffusion de cette vidéo s’est faite quelques mois avant l’entrée de la Suisse dans l’espace Schengen, c’est-à-dire la levée des contrôles d’identité systématiques aux frontières et le raccordement au Système d’Information Schengen (SIS)21. L’objectif du clip est de montrer aux

familles ce à quoi les migrants sont confrontés lorsqu’ils arrivent en Europe, et ici en Suisse. Comme dans chaque campagne d’information de l’OIM il s’agit d’éviter la mise en danger des individus qui penseraient à partir. Pour le gouvernement Suisse, ce spot vise à faire savoir qu’il n’y a pas de travail pour les personnes qui n’emprunteraient pas les voies légales de l’immigration. L’Espagne aussi s’est engagée dans une campagne de lutte contre l’immigration irrégulière. En septembre 2007, un spot est diffusé sur les principales chaînes de la télévision sénégalaise par le groupe d’information espagnol «El Mundo» : on y voit une femme racontant comment elle a perdu son fils qui tentait de rejoindre l’Europe par la mer. L’image du corps du jeune homme vient marquer la fin du témoignage, puis c’est le chanteur sénégalais Youssou N’Dour qui apparait pour faire passer le message : «Ne risque pas ta vie pour rien, tu es l’avenir de l’Afrique» (Fig. 1.2.6).

21 Le SIS est une base de donnée de l’Union Européenne permettant aux Etats membres d’échanger des informations concernant les personnes et les biens. Le SIS est particulièrement utilisé dans la lutte contre l’immigration irrégulière.

Fig. 1.2.6. ; Une campagne espagnole contre l’immigration. (Capture d’écran). [en ligne]. Disponible sur : http://www.youtube.com/watch? v=LZBgBeBMTos&feature=player_embedded# (consulté le 01.03.11)

L’objectif est clairement de dissuader les futurs clandestins sénégalais. Deux autres clips sont diffusés aux heures de grandes écoutes sur les principales chaînes du pays (RTS, RTS2 et Canal info), mais aussi sur les radios sénégalaises et dans la presse.

• Une diffusion plus discrète : posters et brochures

Les posters et les brochures sont aussi utilisés par l’OIM pour communiquer sur les dangers de l’immigration clandestine. Il s’agit là d’une diffusion plus discrète que celle passant par la télévision ou la radio.

En 2001, l’Organisation Internationale des Migrations a édité, avec l’Office des Migrations Internationales (remplacé par l’OFII depuis avril 2009), une brochure destinée aux migrants du Calaisis. Le document, intitulé «Dignity or

Exploitation, the choice is in your hands», visait à

décourager les migrants ayant atteint Calais, et le centre de Sangatte, de se rendre en Angleterre

(Fig. 1.2.7).

Fig. 1.2.7. ; «Dignity or exploitation, the choice is in your hands». Brochure de l’OIM à destination des migrants en transit dans le calaisis, 2001.

La couverture pose clairement la position de l’OIM : «Irregular migration is an open door to

exploitation, precarity and failure». En huit

pages, les auteurs exposent les mauvaises

conditions d’accueil à Sangatte, les difficultés et la dangerosité d’un passage illégal vers la Grande- Bretagne, les faibles possibilités d’obtenir l’asile au Royaume-Uni, le travail illégal et les risques d’exploitation. «There is a better choice» explique la brochure : «If you want to go home, IOM can

assist you in cooperation in French OMI». A la fin de l’année 2001, cette brochure était le seul

document diffusé par l’OIM à destination des migrants. L’organisation chargée de «gérer les migrations» ne proposait donc qu’une seule issue aux migrants «clandestins» : le retour au pays. L’exemple d’une brochure de l’OIM destinée aux migrants du Calaisis, lorsque le centre de Sangatte était encore ouvert, est particulièrement intéressant, de par son contenu, mais aussi de par

le lieu de sa diffusion. Contrairement à la grande majorité des campagnes d’information de l’OIM

qui s’adressent aux migrants «potentiels» dans leur pays d’origine, cette brochure s’adressait à des personnes qui étaient déjà en Europe, au niveau de la dernière frontière les séparant du pays dans lequel elles avaient choisi de se rendre. Bien que la plupart des migrants n’étaient qu’à une trentaine de kilomètres du pays de destination, l’information contenue dans la brochure était focalisée sur les risques du passage en Grande-Bretagne et les conditions de vie difficiles là-bas. On ne peut en revanche rien lire sur les démarches à engager pour demander l’asile au sein de l’espace Schengen et ainsi quitter une situation qui «n’est et ne peut être que temporaire et précaire» (« (...) the

situation is and can only be a temporary and precarious one»), (OIM, 2001, p.1).

Les formes de régulation migratoire par l’information destinées aux immigrants «illégaux» se déclinent ainsi selon deux modes : décourager à partir ou encourager à rentrer.

• D’autres modes de communication : l’exemple du théâtre

Le théâtre est l’un des supports des campagnes d’information menées par l’OIM (2010). En mars 2010, un pièce intitulée «Mutach» («La dernière» en amharique, la principale langue du pays en Ethiopie) était jouée dans les zones rurales de la région d’Oromia Ethiopie. Il était question d’un père partagé entre la nécessité économique d’envoyer son fils à l’étranger et la disparition de sa fille victime de la traite un an plus tôt. L’objectif de la pièce était de faire prendre conscience des risques d’un voyage vers le Moyen-Orient à travers la Somalie (traversée du désert), le Golfe d’Aden (noyade) et le Yémen (exploitation), mais aussi d’inviter à réfléchir sur des solutions locales pour lutter contre le chômage qui touche les campagnes en Ethiopie.

Cette campagne d’information par le théâtre résonne avec une autre pièce jouée à Cherbourg par la

compagnie Sénégalaise Bou-Saana en 2010 intitulée «Le destin du clandestin» (Bou-Saana, 2007)

Fig. 1.2.8. ; Une représentation de la pièce «Le destin du destin» à Cherbourg. Compagnie Bou-Saana, 2007. Extrait : «Il y avait des CDD et des CDI maintenant il y aura les TSDI : « Temps de Séjour à Durée Incertaine ». Dans le but de préserver des irréguliers à perpétuité expulsables. Régularisation des sans papiers, paix et salut sur toi, notion démodée». OT, 13.10.09

Le comédien s’attachait à relire les représentations européennes des migrations africaines. Il proposait notamment de regarder au delà des questions économiques en interrogeant la colonisation, le rôle des images de l’Europe véhiculée au Sénégal, la frustration d’une partie de la population sénégalaise. Le ton léger et humoristique était parfois opposé à des questions plus graves telles que le «retour impossible» du à l’engagement d’un dette, d’un honneur, et de la peur d’être comparé avec «l’autre» qui a réussi au village, mais aussi le risque de mort lors du voyage qui n’empêche pas de prendre la décision de partir.

Cet exemple du théâtre met en miroir deux regards sur un même phénomène. D’un côté, une institution européenne, l’OIM, allant sur le continent africain pour décourager les migrants potentiels de partir, et de l’autre une compagnie de théâtre venant du Sénégal jusqu’en Europe pour bousculer les représentations des européens sur l’émigration africaine.

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