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La politique des visas participe à bloquer l’accès au territoire européen

L’Europe et la régulation des migrations clandestines

3. La politique des visas participe à bloquer l’accès au territoire européen

Dans le livre «Ulysse from Bagdad» d’Eric-Emmanuel Schmitt, Saad Saad, le héros, part de Bagdad pour rejoindre l’Europe. Dans son périple, Saad échoue au Caire, en Egypte, où il décide naïvement de s’avancer vers le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) pour y obtenir le statut de réfugié en Europe :

« (...)

Comment je m’étais imaginé la scène ? Je crois que, dans mes songes, je me voyais tirant la sonnette d’une grande, belle maison où un personnel stylé se précipitait pour m’introduire ; un haut-secrétaire des Nations Unies me recevait aussitôt dans un bureau ombreux, j’y racontais mon histoire, mes souffrances puis l’on m’accordait le statut de réfugié ; après cela, la scène devenait brouillonne car je ne savais pas comment la rythmer ; disons que de gentilles femmes m’offraient une collation, voire deux, puis que je séjournais dans une chambre simple mais coquette le temps de quelques appels téléphoniques ; enfin le haut-secrétaire des Nations Unies me recevait de nouveau pour me délivrer des papiers en règle, un visa, ainsi qu’un billet pour Londres, en s’excusant toutefois qu’à cause des restrictions budgétaires il ne fût pas au tarif de première classe.

! Voilà ce que j’avais rêvé mille fois. La réalité allait me démontrer que j’étais nul en imagination. Nul, zéro pointé, recalé ! J’allais découvrir que ce n’était pas mon imagination que j’avais cultivé, mais ma bêtise.

! Dans la rue où me déposa le chauffeur de taxi, des centaines de Noirs rôdaient, dormaient, attendaient devant l’Agence. Je parcourus plusieurs fois la chaussée pour comprendre ce qui se passait. Toute l’Afrique humiliée stationnait là, des Libériens, des Ethiopiens, des Somaliens, des Soudanais, des Dinka du Soudan au bassin haut perché sur leurs jambes interminables, des Sierra- Léonais aux membres mutilés, des familles entières fuyant les massacres du Rwanda et du Burundi».

Ulysse from Bagdad, Eric-Emmanuel Schmitt, pp. 128-129.

Les consulats européens à l’étranger constituent un réseau diplomatique dans lequel chaque consulat représente une frontière, la première, de l’espace Schengen. Cette frontière n’est pas linéaire mais ponctuelle (S.Weber, 2009), porte d’entrée sur l’Europe, qui se situe bien au delà du territoire européen stricto sensu. Depuis mars 2001, le Conseil européen a fixé une liste des pays

tiers (Règlement (CE) No 539/2001) pour lesquels les ressortissants doivent obligatoirement obtenir

un visa s’ils veulent franchir les frontières extérieurs des Etats membres de l’Union européenne

(Fig. 1.2.9).

Fig; 1.2.9. ; «La libre circulation de l’Espace Schengen» (scan). Source : «Atlas des migrants en Europe», Clochard (dir.), 2009, p.28

Les consulats européens à l’étranger constituent un barrage « à la source ». Avant les polices aux frontières, les douanes ou les offices d’immigration, les consulats sont le lieu des premiers contrôles des mouvements migratoires en direction de l’espace Schengen.

3.1. L’instauration d’un « visa Schengen »

La mise en place d’un visa de court séjour22, dit «visa Schengen» est l’une des mesures

d’harmonisation des politiques des Etats membres de l’UE depuis la création de l’espace Schengen. Le visa de court séjour concerne les ressortissants non-communautaires, c’est-à-dire les ressortissants d’un pays tiers tel que fixé par le parlement européen depuis le 15 mars 2001. Pour effectuer un séjour de moins de trois mois dans un ou plusieurs pays de la zone Schengen, les personnes concernées doivent posséder un document de voyage (tel qu’un passeport par exemple), mais aussi un visa unique délivré par un des Etats membres et valable dans l’ensemble de l’espace Schengen. Elles doivent aussi être en mesure de justifier l’objet de leur voyage, ses conditions et prouver qu’elles disposent de ressources nécessaires pour la durée du séjour et leur retour.

A l’échelle internationale, le visa unique constitue de fait un outil de gestion des flux de personnes en direction de l’Union Européenne. Le visa Schengen est en effet un moyen délocalisé de bloquer, ou non, les étrangers avant qu’ils ne partent, de les « maintenir à distance ».

L’obtention d’un visa de court séjour peut s’avérer extrêmement difficile, comme le notent les auteurs de l’Atlas des migrants en Europe (2009):

« Dans de nombreuses villes des pays tiers, les abords des consulats des pays de l’Union européenne se signalent par de longues files d’attente dans les rues. Par exemple à Tanger, Ouagadougou ou Alger, les queues se forment avant l’aube. Elles sont le seul signe visible du parcours du combattant que les étrangers vont devoir effectuer. La constitution du dossier n’est pas toujours simple à comprendre pour celles et ceux qui ne parlent pas la langue du consulat. Les formulaires ne sont pas toujours traduits dans la langue du pays. La pièce originale considérée comme incomplète est souvent synonyme d’une nouvelle visite au consulat. Et lorsque les documents fournis sont suspects, c’est fréquemment une fin de non- recevoir, sans aucune motivation. (...) Au prix du visa s’ajoutent les frais de dossier que le requérant doit verser au moment de sa demande. L’obtention du «précieux timbre» peut être un coût non négligeable pour la personne. Reste l’attente de la réponse qui peut être interminable ». (Clochard (dir.), 2009, p.29)

22 Le visa de long séjour ne fait pas l’objet d’harmonisation à l’échelle européenne. C’est à chacun des Etats d’attribuer un titre de séjour aux personnes désirant résider plus de trois mois au sein de l’UE.

3.2. Emergence et banalisation d’une notion : «l’émigration illégale»

Cette politique des visas a aussi pour objectif de lutter contre l’immigration clandestine. Le visa Schengen constitue une monnaie d’échange avec les pays tiers. Il arrive que les gouvernements des Etats membres de l’Union européenne proposent d’augmenter le nombre des visas si le pays tiers s’engage à mieux surveiller ses frontières et/ou accepte la réadmission de ses ressortissants qui seraient en situation irrégulière sur le territoire européen.

En contrepartie des efforts des pays tiers pour endiguer l’émigration, les gouvernements de l’UE leur octroient des aides financières s’élevant parfois à plusieurs centaines de millions d’euros, appelées «aides à la surveillance des frontières» ou «aide au développement» (Rodier 2006). C’est la cas au Sénégal, en Libye ou encore au Maroc, pays dans lequel une loi «relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc et à l’immigration et l’émigration irrégulières» existe depuis 2003 (Clochard, 2009, p.29.).

En quelques années, l’utilisation indifférenciée des notions «d’émigration illégale» et «d’émigration clandestine» est étroitement liée à cette politique des visas. Elle marque la banalisation du mouvement de pénalisation qui touchent aujourd’hui les candidats au départ au Maroc, mais aussi en Tunisie, en Algérie et ou encore au Sénégal.

3.3. Le visa de transit aéroportuaire

Le Visa de Transit Aéroportuaire (VTA) est une exception à la règle générale permettant le transit sans visa dans la zone internationale des aéroports (c’est le principe de libre transit posé par l’annexe 9 de la convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale). Les VTA

résultent d’une action commune (Action commune n° 96/197/JAI, 1996) des Etats membres de

l’Espace Schengen. Cette réglementation oblige les ressortissants de certains pays tiers23 à posséder

un visa de transit lors d’une escale ou d’un transfert entre deux tronçons d’un vol international. Le VTA permet d’atteindre sa correspondance, mais ne permet pas d’accéder au territoire national du pays de l’espace Schengen concerné.

Le visa de transit aéroportuaire est délivré par les autorités consulaires des Etats membres de l’espace Schengen. Chaque Etat peut compléter la liste commune. La France a par exemple établie une liste des Etats dont les ressortissants sont soumis au visa consulaire de transit aéroportuaire (Arrêté du 23 février 2010).

23 Au 01/08/1996 : Afghanistan, Ethiopie, Erythrée, Ghana, Irak, Iran, Nigéria, Somalie, Sri Lanka, République Démocratique du Congo (ex Zaïre).

En délivrant un VTA, les services consulaires des États membres doivent vérifier l'absence de risque en matière de sécurité ou d'immigration irrégulière (Action commune n° 96/197/JAI, 1996, art. 2). Ils sont ainsi chargés, indirectement, de réguler les flux de demandeurs d’asile (Clochard, 2009, p.31). En effet, l’obligation de VTA pour un ressortissant d’un pays tiers interdit de fait l’accès au territoire de l’espace Schengen et donc la possibilité de déposer une demande d’asile en Europe.

Le visa de transit aéroportuaire apparaît comme un dispositif complémentaire au «visa Schengen» à destination de celles et ceux qui envisageraient de s’approcher de l’Union européenne par la voie des airs. En éditant et en actualisant des listes de pays dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa, les pays de l’Union européenne dessinent la géographie d’un monde partagé avec d’un côté un espace de libre circulation (ou de circulation facilitée) pour les ressortissants de pays exemptés de visas et de l’autre un espace de cantonnement dans lequel sont maintenus à distance les «voyageurs indésirables».

3.4 Les Officiers de Liaison «Immigration» (OLI) : une solution complémentaire à la délocalisation des contrôles migratoires

Les officiers de liaison «immigration» (Règlement (CE) n°377/2004) européens travaillent à la surveillance de l’accès au territoire européen en amont, c’est-à-dire au niveau de ce que les anglo- saxons appellent «virtual border» .

Placés sous la responsabilité consulaire de leur Etat, les officiers de liaison «immigration» entretiennent des contacts avec les autorités d’un ou plusieurs pays afin de prévenir l’immigration clandestine. Leur rôle consiste notamment à échanger des informations avec les autorités des pays tiers concernant les flux d’immigration illégale, les itinéraires, les modes opératoires, l’existence d’organisations criminelles ou la production de faux documents. Les officiers de liaison sont aussi chargés d’aider les autorités du pays hôte à prévenir l’immigration irrégulière, de faciliter la coopération entre les Etats tiers et les Etats européens et de permettre le retour des immigrés illégaux dans leur pays d’origine.

Les actions des OLI présents dans un pays tiers sont aussi mutualisées. Les informations et les expériences sont échangées et les relations avec les transporteurs commerciaux sont harmonisées.

L’objectif des officiers de liaison «immigration» est très concrètement de réguler les mouvements d’immigrants en direction de l’Union européenne en installant durablement des contrôles migratoires européens «à la source». Ils sont aujourd’hui présents dans presque tous les pays du monde et principalement au niveau des aéroports internationaux.

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