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L’Europe et la régulation des migrations clandestines

1. Un fonctionnement en réseau

Le fonctionnement en réseau des coopérations européennes dans le champ de l’immigration, dans et hors de l’Europe, a été particulièrement mis en avant dans un article récent du géographe Olivier Clochard (2010). Selon lui, les dispositifs mis en place pour contrôler les flux de migrants tendent à s’organiser de plus en plus sur un mode réticulaire. La lecture qu’il propose s’organise depuis les dispositifs externalisés (politique des visas, officiers de liaisons...) vers les dispositifs internes matérialisés par les centres de rétention, en passant par la coordination d’opérations de surveillance et de contrôle aux frontières par l’agence Frontex.

La politique des visas, le déploiement d’agents de liaisons et le développement en parallèle de systèmes informatiques d’information traduisent le mouvement de «déterritorialisation» des contrôles migratoires (Clochard, 2010). Les Etats membres de l’Union européenne travaillent activement à ce que les mouvements d’immigration soient régulés directement au niveau des pays tiers. Cela nécessite d’une part la constitution de bases d’informations sur les candidats potentiels à

l’émigration, ainsi qu’un partage rapide des données collectées entre les différents acteurs concernés au niveau des Etats membres et des consultas. Le système d’information sur les visas (VIS) entre dans ce cadre (Règlement (CE) n° 767/2008). Il doit permettre un échange rapide de données relatives aux demandes de court séjour. Pour les autorités compétentes, il s’agit d’identifier les personnes qui ne remplissent pas les conditions d’entrée ou qui tentent de rejoindre l’UE en faisant plusieurs demandes de visas dans différents consulats. D’autres bases de données existent déjà : le système d’information Schengen (SIS) qui permet aux Etats membres de l’UE d’échanger rapidement des informations sur les personnes en situation irrégulière (il s’agit de signalements à des fins de non-admission) et de faciliter ainsi les renvois, et le système Eurodac, commun à l’ensemble des pays de l’UE, dans lequel sont référencées les empreintes digitales des étrangers «illégaux» et des demandeurs d’asile.

Un système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) devrait être mis en place d’ici 2013 dans les pays de l’UE ainsi que dans les pays associés (Règlement (CE) n°1987/2006). Il sera utilisé par les gardes-frontières, les fonctionnaires des douanes et les autorités chargées des visas et du maintien de l’ordre dans l’espace Schengen, et il permettra une mise en réseau améliorée des informations relatives aux ressortissants de pays tiers. Par ailleurs, le Parlement européen envisage la création d’une agence chargée de la gestion du SIS II, du VIS et d’Eurodac ainsi que de tout autre système d’information qui pourrait être créé à l’avenir (Le blog de Eu-logos, 2011). La synthèse des différents systèmes d’informations en réseau pourrait se faire dans le cadre du développement du projet Eurosur à l'intérieur de l’UE :

«The internal dimension of EUROSUR was set out in a separate Communication that includes

plans for the facilitation of border crossing for what the Commission calls bona fide [i.e. non- suspicious] travellers, the creation of an EU entry-exit system, an Electronic System of Travel Authorisation (ESTA) to facilitate the entry of suspicious travellers, and “an efficient tool for identifying overstayers”. This «tool“ is very much like the one described on the previous page, and is to be created by fusing the second generation Schengen Information System (SIS II) [the SIS links border checkpoints and police officers throughout the Schengen area to persons and items of interest to the authorities] with the EU Visa Information System (VIS), which will contain the fingerprints and personal data of all visa entrants, to a new entry-exit system which will record all movement into and out of the EU. An “alert“ on the SIS – a de facto arrest warrant – will then be automatically issued for visa holders whose visas have expired and whose exit cannot be verified. The Biometric Matching System is being built by Sagem Defense Sécurité and Accenture. This will enable the fingerprints of travellers to be checked against SIS, VIS and EURODAC (the EU asylum applicants fi ngerprint database)».

Lors du Traité de Prüm de mai 2005, la coopération transfrontalière et la lutte contre l’immigration illégale s’est engagée véritablement sur l’intégration et le partage de données biométriques. Le texte prévoit notamment l’échange de données génétiques, d’empreintes digitales et de données à caractère personnel. L’objectif est de s’assurer de l’authentification des documents et de l’identification des individus.

La logique de réseau inhérente au partage d’information via des bases de données partagées transparaît également de façon concrète dans le déploiement des officiers de liaison à travers le monde, lesquels travaillent à la fois avec les autorités consulaires ainsi qu’avec les polices locales, les compagnies de transport aérien ou portuaire et parfois avec les sociétés de sécurité (Clochard, 2010).

A la frontière et aux marges de l’Europe, deux éléments mettent en avant le développement d’un dispositif de coopération : le passage d’une relation bilatérale de surveillance mise en place par les pays membres de l’UE dans les années 1990 à une gestion collective des contrôles aux frontières, et à la création de l’agence Frontex en 2004 (chargée de coordonner les opérations de surveillance et les retours conjoints d’étrangers en situation irrégulière). Frontex joue d’ailleurs un rôle de mise en réseau des acteurs, européens et nationaux, chargés d’une mission de police, de justice ou de sécurité, dans le but de renforcer l’efficacité des contrôles de l’immigration sur terre, en mer et dans les airs.

Enfin, les centres de rétention administrative, dernier maillon d’une chaîne de contrôle et de «prise en charge» de l’immigrant, sont devenus «des éléments clés, des noeuds importants dans le

fonctionnement des coopérations et des réseaux policiers» (Clochard, 2010). Bien qu’ils ne soient

pas tous connectés entre eux, ils sont le support d’une gestion communautaire des individus «indésirables», dans la mesure où ils permettent le placement et le déplacement des étrangers au sein de l’UE, en vue de leur identification, et par la suite de leur admission ou de leur expulsion.

« En matière d’organisation des contrôles migratoires, la figure du réseau - ensemble de

dispositifs interconnectés et gérés de manière centralisée tantôt à une échelle locale mais souvent plus large - tend à s’imposer. La façon dont sont disposés les instruments et les lieux de contrôle nous conduit à penser qu’il n’y a plus aujourd’hui, dans les parcours des migrants; un seul moment qui ne soit pas affecté par un de ces dispositifs.» (Clochard, 2010).

2. ... pour une logique de contrôle «périphérie/centre»

La logique qui anime les politiques de contrôle migratoire mises en place par les Etats membres de l’UE est celle d’un dispositif de défense tout autant que de gestion des flux d’immigrants. Il ne s’agit pas tant de se protéger en différenciant des territoires - et des populations - à partir d’une frontière linéaire que d’organiser la surveillance et le contrôle sur un continuum allant du lointain, «un extérieur», au plus proche, c’est-à-dire «l’intérieur». Les dispositifs mis en place se déploient donc selon une logique concentrique qui traduit l’idée d’un rapport gradué entre un centre et la périphérie (Fig. 1.2.14).

Fig. 1.2.14. ; Représentation schématique de politiques européennes de contrôle de l’immigration. OT, 07.07.11

Les formes de contrôles de l’immigration mises en place par les pays de l’Union européenne tendent à organiser une «prise en charge» des émigrants de plus en plus coercitive à mesure qu’ils se rapprochent du territoire de l’espace Schengen : depuis un contrôle diffus qui se manifeste au travers des campagnes d’information ou des modalités d’attribution du «visa Schengen», jusqu’à un contrôle resserré autour des personnes lors de l’interception des embarcations au cours d’opérations coordonnées par Frontex, et le placement des individus dans des centres de rétention aux marges, ou à l’intérieur de l’Europe (Fig. 1.2.15).

Fig. 1.2.15. ; Représentation graphique de la corrélation entre la distance à l’Europe et la force des contrôles migratoires en direction des migrants «clandestins». OT, 13.07.11

Ces représentations schématiques et graphiques n’ont pas pour objet de rendre compte de l’ensemble des modalités de contrôle de l’étranger développées par les Etats membres de l’Union européenne. Elles visent uniquement à donner à lire le processus complexe qui tend depuis les années 1980 à rendre de plus en plus puissantes les formes de régulation de l’immigration qui s’appuient sur l’espace.

CONCLUSION

La fermeture des frontières de l’Europe est impossible. Les dispositifs de contrôles migratoires les plus performants n’empêchent pas le passage clandestin, comme le rappel Virginie Guiraudon :

«(...) malgré la militarisation de la frontière aux Etats-Unis ou en Europe, les échanges

commerciaux, financiers et les flux migratoires continuent et augmentent.» (Guiraudon, 2008,

p.177)

Les gouvernements des pays européens n’envisagent pas de rendre totalement hermétique leurs frontières. Il serait également faux de croire que les états membres de l’UE n’ont aucune maîtrise des flux d’immigration. Selon Bigo et Guild (2005) : «L’Europe n’est ni une forteresse, ni une

passoire». Cette idée traduit bien l’enjeu des politiques européennes de contrôle de l’immigration

telles qu’elles se mettent en place aujourd’hui : ce n’est pas la fermeture des frontières qui est visée, mais plutôt la régulation des flux d’immigration, c’est-à-dire la mise en place de dispositifs visant à distinguer ceux qu’il convient de laisser entrer de ceux qu’il faut renvoyer.

Cette double logique de sélection et de discrimination, qui passe par le développement de la surveillance et de la sécurité sur le territoire de l’UE ainsi que par la construction d’une figure du «clandestin», ou de «l’illégal», à la frontière, questionne le rapport à «l’autre», à l’altérité dans les sociétés. La mise en oeuvre des politiques européennes de contrôle de l’immigration produit un dispositif de gestion quantitative, voire de tri, des étrangers, avec toutes les problématiques que cela peut impliquer pour les individus (socialement, économiquement, psychologiquement...). En définitive, ce n’est pas tant l’efficacité de la politique des frontières (Guiraudon 2008) qu’il importe de questionner dans le cadre de ce travail, que les conséquences sociales de cette politique pour les individus en mouvement vers ou à l’intérieur de l’Europe.

En outre, et dans cette optique, l’échelle européenne et l’étude de la diffusion des politiques de contrôle migratoire depuis l’Europe vers le reste du monde ne suffisent pas pour saisir l’ensemble des contraintes et des formes de contrôles sociaux qui se cristallisent autour du migrant «clandestin». Il convient alors de déplacer le regard vers d’autres d’échelles. Ainsi, la deuxième partie de cette thèse traite du passage et pose l’analyse à l’échelle du groupe des migrants «clandestins». La troisième partie vise quant à elle à étudier plus finement, c’est-à-dire à l’échelle des individus, les manifestations et les conséquences politiques des contrôles migratoires.

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