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2-1- Le sujet est un nom au cas nominatif

Les grammairiens arabes avaient l’habitude d’évoquer la question du « marquage casuel » ( i‘rāb)63 là où il s’agit de l’étude des composants de la phrase. Dans la grammaire

60 Ben Gharbia Abdel-Jabbar (1999: p. 314).

61 Le Robert Dictionnaire d’aujourd’hui (1994 : p. 976), terme « Sujet ».

62 Nous revenons sur les justifications de ce privilège en étudiant la place qu’occupe le sujet dans la phrase.

63 Le terme (i‘rāb) est un nom verbal, il est associé au verbe (’a‘raba) qui signifie proprement « rendre à la manière des arabes, exprimer en bon arabes » ce sens littéral du mot (i‘rāb) s’est vu acquérir chez les grammairiens arabes le sens technique que nous adoptons dans cette séquence.

traditionnelle, ce terme désigne la variation de la finale des mots64 et rappelle souvent que cette variation est déterminée par l’insertion des mots dans un énoncé. Nous nous intéressons dans cette séquence qu’au marquage casuel de l’élément sujet. En effet, à l’examen des ouvrages de la grammaire classique, nous remarquons que le sujet est présenté au sein de la classe des ( marfū‘āt) noms au cas nominatif. Cette classification s’appuit sur la forme et trouve son explication dans la théorie de l’(i‘rāb). Cette théorie était une donnée fondamentale dans l’étude des composants de la phrase et essentiellement dans celle du sujet. Les grammairiens classiques ont toujours accordé une place centrale au phénomène de l’(i‘rāb)65. Cette position les a invité à justifier la présence des marques casuelles, à chercher dans le principe qui motive l’(i‘rāb) et à éxaminer les règles qui gouvernent la distrubitions de ces marques. Nous retenons essentiellement les contrubitions d’Al-Mubarrad, d’Al-Zzağğāğī, d’Al-Ğurğānī, et d’Al-Astarabādī.

Dans le Muqtaḍab, Al-Mubarrad (m. 285/898) avance les premièrs éléments d’une réponse à la question (pourquoi le sujet est au cas nominatif ?). Il affirme tout d’abord que le nominatif est la marque spécifique du noyau prédicatif, le verbe est en effet, comparable au thème et au propos qui constituent le noyau de la phrase nominale. Il ajoute que donner au sujet le cas nominatif permet de le distinguer du complément d’objet de la phrase verbale, car ce dernier est mis au cas accusatif. Il dit : « la raison pour laquelle le sujet est au nominatif est qu’il forme avec le verbe une phrase après laquelle il est ligitime de cesser de parler et qui apporte une information à l’interlocuteur. Ainsi le sujet et le verbe ont le même statut que le thème et le prédicat (…) et la raison pour laquelle le sujet est au nominatif et le complément à l’accusatif, c’est (que cela permet de) distinguer le sujet du complément en plus de la raison que je viens de te donner » (…wa’innamā kāna -l- fā‘ilu raf‘an li’annahu huwa wafi‘lu ğumlatun yaḥsunu al-ssukūtu ‘alayhā wa tağibu bihā -l-fā’idatu li-l-muḫātabi fa-l-fā‘ilu wa -l-fi‘lu bimanzilati al-ibtidā’i (…) wa -l-maf‘ūlu bihi naṣbun ’iḏā ḏakarta man fa‘ala bihi, wa ḏalika li’annahu ta‘addā ’ilayhi fi‘lu -l-fā‘ili. Wa

64Les marques casuelles sont au nombre de trois: Dans le cas du ( raf‘) nominatif (NOM), la dernière lettre du mot prend la voyelle ( u ) dite (amma ). Les composants porteurs de cette marque appartiennent à la classe des (marfū‘āt ) exemple ( a Zaydun) « Voici Zayd (NOM) ». Dans le cas de (nab) accusatif (ACC), la dernière lettre du mot prend la voyelle ( a ) dite ( fata). Les composants affectés par ce cas relèvent de la classe des (mansūbat), exemple (ra’aytu Zaydan) « J’ai vu Zayd (ACC) ». Finalement, dans le cas du (ǧārr) génitif (GEN), la dernière lettre du mot prend la voyelle ( i ) dite (kasra ). Les composants porteurs de ce cas sont regroupés dans la classe des (maǧrūrāt), exemple (marartu bi Zaydin) « Je suis passé par Zayd (GEN) ».

65 Cette idée a été discutée par J.P. Guillaume dans son article intitulé: « Les discussions des grammairiens arabes à propos des marques d’i‘rāb » dans Histoire Epistomologie Langage; (1998 : XX, fascule 2).

’innamā kāna -l-fā‘ilu raf‘an wa -l- maf‘ūlu bihi naṣban liyu‘rafa -l-fā‘ilu mina -l-maf‘ūl bihi ma‘a -l-‘illati al-latī ḏakartu »66.

Al-Zzaǧāǧī, ne va pas loin dans la définition du sujet, il s’intéresse plutôt au sujet formé d’un seul mot pour présenter les différentes marques du nominatif qui sont: la voyelle ( u ) pour le singulier le (’alif wa nūn ) (āni) pour le duel et le ( wāw wa nūn ) (ūna) pour le pluriel, il cite quatre marques du nominatif et dit à juste titre: « Le nominatif a quatre marques: la voyelle u , la lettre wāw et les lettres ’alif et nūn » (li-l-rraf‘i

‘alāmātun ’arba‘u: al-ḍḍammatu wa -l-wāw wa -l-’alifu wa-l-nnūn )67. Quant le sujet est notion simple, il prend (u), quand il est nom au duel il fini par (āni) et quand il est l’un des cinq mots: (’aẖūka, ’abūka, fūka, ḥamūka, ḍū), la marque du nominatif est le (wāw).

Al-Zzağğāğī affirme toutefois, que l’opposition (sujet/ objet) est une donnée capitale justifie la mise en place des cas flexionnels. Il insiste surtout sur le fait que les finales des mots varient, pour renvoyer aux valeurs sémantiques et surtout fonctionnelles qui les affectent alternativement. Dans Al-īḍāḥ fī ‘ilali -l-nnaḥw, il note : « Dés lors que les noms sont affectés par différents valeurs sémantiques et sont (tantôt) sujets, (tantôt) compléments, (tantôt) premiers termes (tantôt) seconds termes d’annexion, et qu’ils ne représentent rien dans leur forme extérieure et leurs structure morphologique, qui renvoie à ces valeurs sémantiques, (…) ils ont été affectés des voyelles d’i‘rāb pour indiquer ces valeurs, et l’on a dit (ḍaraba Zaydun (NOM )‘Amran (ACC)) en signalant par la mise au nominatif de Zayd que l’action est à lui et par la mise à l’accusatif de ‘Amr que l’action porte sur lui…»68 ( ’inna -l-’asmā’a lammā kānat ta‘tawiruhā -l-ma‘ānī, fatakūnu fā‘latan wa maf‘ūlatan wa muḍāfatan wa muḍāfan ’ilayhā wa lam takun fī ṣuwarihā wa

’abniyatihā ’adillatan ‘alā hāḏihi ma‘ānī bal kānat muštarakatan, ğu‘ilat ḥarakātu -l-i‘rābi fīhā tunbi’u ‘an hāḏihi -l-ma‘ānī faqālū ḍaraba Zaydun ‘Amran fadallū biraf‘i Zyd

‘alā ’anna -l-fi‘la lahu wa binaṣbi ‘Amr ‘alā ’anna -l-fi‘la wāqi‘un bihi)69.

Plus tard (vers le 11ème siècle) la naissance de la science connue sous le nom de « la sémantique grammaticale » (‘ilm -l-ma‘ānī) la question sera abordé autrement. C’est à Al-Ğurğānī que nous devons des remarques importantes dans ce domaine. « Le principe fondamental posé par Al-Ğurğānī, est que toute variation au niveau de la forme

66 Al-Mubarrad (1994: I, p. 146).

67 Al-Zzaǧāǧī (1984: p. 17).

68 Nous avons adopté dans ce passage la traduction faite par J.P. Guillaume dans son article sur les discussions des grammairiens arabes à propos des marques d’i‘rāb (1998 : p. 47).

69 Al-Zzağğāğī (1996 : p. 69).

grammaticale d’un énoncé est nécessairement corrolée à une variation au niveau du sens et que par conséquent chaque catégorie de la grammaire est aussi une catégorie sémantique »70. Il s’agit donc de réfléchir sur la relation entre marquage casuel et sens.

Cette réflexion conduit Al-Ğurğānī à annoncer les trois valeurs sémantiques de base : (fā‘iliyya) « le fait d’être sujet », (maf‘ūliyya) « le fait d’être complément » et (’iḍāfa)

« annexion ». Nous reprenons ici uniquement les propos de ce grammairien concernant l’élément sujet. Il dit: « sache que le nominatif appartient basiquement au sujet et que sa présence dans le thème de la phrase nominale en est un cas dérivé » (’i‘lam ’anna -l-rraf‘a li-l-fā‘ili fī -l-’asl, wa kawnuhu fī -l-ibtidā’i far‘un ‘alā dālika).71 Le sujet est donc parmi les éléments affectés par le nominatif, il est également premier dans ce cas par rapport au thème, car, selon Al-Ğurğānī, la prédication verbale est conceptuellement première par rapport à la prédication thématique.

La thèse développée par le fondateur de la sémantique grammaticale a ouvert le chemin à Al-starabādī (m.646/1283) pour formuler un point de vu intéressant au sujet du marquage casuel. Tout d’abord, Il annonce que le phénomène d’(i‘rāb) ne concerne pas les mots isolés. En effet, il n’y a de flexion qu’en cas de construction (tarkīb) quand les mots sont liés les uns aux autres au sein de l’énoncé.

Al-’Astarabādī affirme: « Les sens qui nécéssitent la mise en place des marques d’i‘rāb ne surviennent au non que lorsqu’il est mis en relation avec son régisseur. La construction est donc une condition à la flexion.» (wa-l-ma‘ānī al-mūǧibatu li-l-i‘rābi

’innamā taḥduṯu fī -l-’ismi ‘inda tarkībihi ma‘a al-‘āmili, fa-l-ttarkību šarṭu ḥuṣūli mūǧibi al-i‘rābi )72. Notre grammairien ajoute : (’inna -l-maqṣūda ’ahamma min ‘ilmi al-nnaḥwi ma‘rifatu al-i‘rābi -l-ḥāṣili fī -l-kalāmi ba‘da al-‘aqdi wa -l-ttarkībi) « le but suprême de la science de grammaire est de connaître la flexion (le sens fonctionnel) ». Il en résulte que le mot isolé de ses relations syntaxiques avec les autres n’intéressait pas trop les grammairiens, car ce qui importe pour eux c’est la construction, la phrase. Pour justifier la mise en place des marques casuelles Al-’Astarabādī affirme : « Le moyen qui fait qu’un nom prend un sens nécessitent une marque casuelle quelconque. Ce sens veut dire que le nom est composant de base ou expansion » (wa ’innamā ğu‘ila -l-i‘rābu fī ’āhiri -l-kalimati li’annahu dāllun ‘alā waṣfi -l-’ismi ’ay kawnuhu ‘umda ’aw faḍla)73. Cette

70 J.P.Guillaume (1998 : p. 53).

71 Al-Ğurğānī (S.D. p. 210).

72 Al-’Astarabādī (1982: I, p. 17).

73 Ibid: p. 25.

perspective conduit Al-’Astarabādī à reconnaitre les trois catégories flexionnelles : les (marfū‘āt), les (manṣūbāt) et les (mağrūrāt).

Selon la définition avancée par Ibn -l-Ḥāǧib et commentée dans le Šarh -l-Kafiya, les (marfū‘āt) sont les composants qui comportent les marques de la « subjectivité » (fā‘iliyya) à savoir (al-ḍḍamma), ( al-’alif) et (al-wāw). Les composants ayant pour cas l’une des marques indiquées sont classés composants de base. Ils sont au nombre de trois:

le sujet (fā‘il), le thème ( mubtada’) et le prédicat (ẖabar). La nomination (fā‘iliyya) provient du nom (fā‘il), représentant des (marfū‘āt) par excellence. Cette classification du sujet parmi les (marfū‘āt) a eu l’unanimité des grammairiens arabes aussi bien classiques que contemporains. En revanche, Al-’Astarabādī, ne s’arrête pas à ce que la théorie canonique a adopté, il propose une expliquation des valeurs sémantiques des marques casuelles dans le cadre de la théorie de la prédication (isnād). Ainsi le nominatif marque qu’un nom est (‘umda), c'est-à-dire qu’il appartient au noyau prédicatif. L’accusatif marque les éléments non prédicatifs (faḍlāt), et le génitif marque les éléments non-prédicatifs précédés par une préposition effectivement réalisée ou sous entendue. Nous retenons bien évidemment de cette démarche ce qui concerne l’élément sujet.

Al-’Astarabādī note à juste propos : « Le nominatif est la marque du fait que le nom est prédicatif, et ne se trouve que dans les éléments prédicatifs » (…al-rraf‘u ‘alamu

kawni-l-’ismi ‘umdatu-l-kalāmi wa lā yakūnu fī ġayri -l-‘umadi)74.

Pour conclure nous remarquons que la théorie de l’(i‘rāb) était une donnée fondamentale dans l’étude des composants de la phrase et essentiellement celle du sujet.

Ainsi les grammairiens ont mis l’accent sur la flexion du sujet et la place qu’il occupe dans la phrase. Ils étaient tous daccord sur le fait que le sujet appartient à la classe des noms au cas nominatif. La plupart d’entre eux ont insisté sur l’idée de dire que l’opposition (nominatif / accusatif) sert à distinguer le sujet du complément. Cette démarche les a conduits à tracer certaines caractéristiques du sujet, et à aborder des questions importantes d’ordre syntaxique et surtout d’ordre sémantique. Nous constatons finalement que la théorie de la flexion a dominé la pensée et l’analyse grammaticale arabe. Toutefois, cette théorie a été critiquée par certains grammairiens, le plus connu fût Qutrub (m. 206/821).

Celui-ci a contesté qu’il y ait un lien systématique entre la distribution des marques casuelles dans un énoncé et son sens. Il a estimé ainsi que la flexion ne sert pas à distinguer

74 Ibid. p. 24.

les fonctions et les valeurs sémantiques75 puisqu’il existe des mots qui ont la même marque casuelle mais pas la même fonction.

Des chercheurs contemporains tel que Vollers, Ibrāhīm Anīs, Kalīfa Al-Ğunaydī et bien d’autres ont repris les remarques de Qutrub et ont longuement discuté au sujet de l’(’i‘rab). Nous ne reprenons pas ces discussions en détails, car ils ne sont pas utiles pour notre recherche.