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Chapitre IV : vers “ l’outil informatique ”

2. Les suites du plan IPT (1987-88)

2.1. Aspects du contexte

2.1.1 Aspects politiques

Les données politiques changent à l’issue des législatives de mars 1986 qui sont à l’origine de l’élection d’une nouvelle majorité parlementaire et de la première

“ cohabitation ” de la Ve République.

En matière d’informatique, certaines mesures prises par les gouvernements précédents sont reconsidérées. Ainsi, l'Agence de l'informatique, dont les actions notamment en matière de logiciels éducatifs faisaient l’objet de divers critiques, et le Centre Mondial pour l'Informatique sont supprimés en 1986. Notons que ce dernier, qui était également très mis en question (cf. Brulé 1990), compte parmi ses réalisations les

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plus notables des recherches concernant l’apprentissage du langage LOGO par de jeunes enfants.

2.1.2 Aspects matériels et logiciels

En septembre 1986, Jean-Luc Michel écrit, pour l’École libératrice (la revue du Syndicat National des Instituteurs), un compte rendu de sa récente visite au SICOB. Ce

document75 donne une bonne idée des nouveautés de l’époque.

On y apprend ainsi :

. l’effervescence internationale autour des “ disques optiques numériques de données à lecture laser ” (CD-ROM) “ ce qui laisse augurer la possibilité de disposer d'immenses bases de données pour des prix incroyablement réduits ”

. l’apparition de logiciels “ assez extraordinaires, qui, associés à des scanners, permettent d'obtenir sur son ordinateur une copie directe des textes numérisés (sans être obligé de tout dactylographier) ”. L’auteur note que “ leurs prix sont encore très élevés (au moins 50 000 F) ”, mais que l’on est peut-être pas loin “ du jour où chaque CDI pourra en disposer pour créer ainsi ses propres bases de données ”

. l’annonce de l’apparition de nouveaux micro-ordinateurs “ de nature à changer le paysage éducatif et familial ”. Des compatibles PC de Amstrad “ qui semblent offrir des rapports qualité/prix tout à fait extraordinaires ” et un nouvel Apple 2 GS, doté pour la première fois d’un processeur de 16 bits. L’auteur remarque à ce propos que les constructeurs français et particulièrement Thomson, qui vient de commercialiser les MO6 et les TO8, vont subir une “ concurrence terrible ”

“ Vu les segments auxquels s'attaquent Amstrad (5 à 15 000 F) et Apple (10 à 15 000 F), la gamme Thomson se situant dans la même fourchette de prix va beaucoup souffrir.” (Jean-Luc Michel, L’École libératrice, septembre 1986)

Cette époque va, en effet, être celle de la fin des ambitions en matière de développement d’une micro-électronique nationale. Nous le verrons mieux lorsque nous envisagerons l’époque suivante, au cours de laquelle vont commencer à se diffuser, notamment dans les écoles, des ordinateurs de type IBM PC.

La télématique française est, par contre, alors en plein essor. En accompagnement de la généralisation du service annuaire électronique (qui s’achève en décembre 1987), des terminaux Minitels sont distribués gratuitement, mais sur demande, aux usagers du téléphone (le parc atteindra plus de 3 millions en août 1987, cf. Marchand, 1988, p. 25).

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Parallèlement, le nombre de services disponibles sur le réseau Télétel est passé de 145 en janvier 1984 à 4 400 en janvier 1987 et atteindra 6 000 à la fin de cette même année (ibid. p. 26). Même si une petite minorité seulement de la population utilise régulièrement le Minitel, tous les français connaissent son existence en raison des importantes campagnes d’information et de promotion. Celles-ci, qui ont débuté lors des premières expériences (Vélizy), se sont renforcées encore avec le développement de l’annuaire électronique et des différents services commerciaux (dont ceux recouverts par l’appellation générique “ minitel rose ”, qui défrayent la chronique).

En mars 1987, le ministère de l’Education nationale va ouvrir EDUTEL, un serveur offrant différents services et informations à tous ceux qui sont concernés par le système éducatif et en particulier aux enseignants. L’existence d’un serveur leur étant tout particulièrement destiné, et qui fait l’objet d’une large campagne d’information, va être l’occasion pour un certain nombre d’enseignants d’expérimenter l’usage du Minitel.

2.1.3 Aspects éducatifs

René Monory, le ministre de l’Éducation nationale du nouveau gouvernement, demande moins d’un mois après sa nomination à J. Lesourne de “ formuler les questions essentielles qu’il convient de poser, à moyen et à long terme, pour préparer l’avenir du système éducatif de notre pays ” (lettre du ministre de l’Éducation nationale à J. Lesourne, 15 avril 1987).

Le rapport “ Éducation et société demain : à la recherche des vraies questions ” est rendu public en décembre 1987, en même temps que le “ Plan pour l’avenir de l’Éducation nationale ”. Il sera par la suite souvent cité comme le premier document officiel prônant un rapprochement du système scolaire avec le système économique. Retenons ici que cette réflexion sur le système éducatif dans son ensemble désigne comme une des priorités “ absolue ”, l’amélioration du niveau de l’enseignement primaire, qui doit “ assurer la construction rigoureuse des savoirs instrumentaux ” tout en prenant en compte “ l’aspect opératoire des connaissances, l’autonomisation de l’acquisition des savoirs et l’épanouissement de la créativité ”.

Par ailleurs, parmi les trois grands problèmes transversaux retenus, on peut noter “ l’influence du progrès technique sur la pédagogie ”. Les difficultés relevées à ce sujet sont principalement liées : à l’attitude des enseignants face à des outils qu’ils maîtrisent mal, aux bénéfices réduits d’une simple transposition de pratiques antérieures, à l’insuffisance des didacticiels.

Le problème des logiciels disponibles pour des usages pédagogiques est, en effet, un des problèmes critiques de cette période. Les produits distribués dans la valise

pédagogique accompagnant le matériel IPT sont apparus “ pour certains de qualité technique insuffisante, pour d’autres, peu performants sur le plan pédagogique ” (Inspecteur général Lafond, rapporteur de la commission informatique dans un entretien

donné au cahier de l’Éducation nationale, en novembre 198776). Ce problème, qui marque

l’état du développement de l’informatique pédagogique, n’est pas propre à la France : “ D’après un rapport de l'OCDE d'octobre 1988 sur la qualité des logiciels éducatifs : les logiciels éducatifs sont d'une qualité médiocre dans le monde entier ” (cf. Château, 1989b, p. 1) ”.

Des mesures importantes pour l’enseignement secondaire sont prises à ce sujet au dernier trimestre de l’année 1986. Il s’agit “ d’encourager la création d’un véritable marché ” du logiciel éducatif (Lafond, op. cité). Des logiciels créés par des éditeurs privés peuvent recevoir l’agrément d’une commission spécialement créée au ministère en décembre 1986. Ils font alors l’objet “ d’une licence mixte ” : le ministère achète un “ droit d’usage ” au niveau national et les établissements (qui le souhaitent) peuvent les acquérir à un prix très modique.

Cependant, ce dispositif ne concerne pas l’enseignement élémentaire “ tout simplement parce que depuis les lois de Jules Ferry, l’achat des documents pédagogiques relève, dans ce cas, des municipalités et non du ministère de l’Éducation nationale. Il n’est donc pas possible de passer des licences mixtes pour les écoles ” (Lafond, op. cité).

Le marché des logiciels pour les niveaux “ maternelle ” et élémentaire va tout de même se développer au cours des années suivantes, surtout d’ailleurs plus tard, sous la forme de cédéroms, lorsque les matériels multimédias commenceront à être diffusés,. Cependant, nous aurons à y revenir, il s’agira généralement de logiciels destinés à un usage domestique plutôt que scolaire, les acheteurs visés étant principalement les parents.

En ce qui concerne les mesures officielles prises pour l’enseignement primaire à cette époque, on peut retenir le décret de février 1987 (n°87-53 du 2 février 1987, BO n°6 du 12 février 1987) instituant la fonction de maître-directeur qui va soulever d’importantes protestations et sera en conséquence abrogé et remplacé par un autre décret en avril 1988 (voir BO n° 29 du 8 sept 1988 et n° 32 du 30 sept 1992).

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2.2 Informatique et enseignement élémentaire

2.2 1 De nouvelles directives officielles

Des prescriptions mettant en valeur l’informatique outil

Une circulaire émanant de la Direction des Écoles, adressée aux recteurs, aux Inspecteurs d’Académie et aux directeurs d’Ecoles normales, précise en juin 1987 “ l’utilisation des équipements informatiques des écoles élémentaires ” (circulaire n°87- 160 du 11 juin 1987). Nous la citerons un peu longuement car elle marque un changement important de perspective, par l’insistance nouvelle sur l’informatique en tant qu’outil pour l’enseignement.

La majeure partie de ce texte concerne les quatre types d’utilisation “ justifiant l’équipement informatique de toutes les écoles de France et les actions importantes de formation initiale et continue des maîtres dans ce domaine ”.

La “ familiarisation avec l’informatique ” ainsi que “ la mise en œuvre des “ Programmes et instructions ” en sciences et technologie (au cours moyen) et en mathématiques ” sont brièvement rappelées, mais la part la plus importante est consacrée à “ l’informatique comme ensemble d’outils pour l’enseignement ”.

Deux catégories de logiciels susceptibles d’être utilisés comme outils sont considérées :

. des logiciels d’EAO, “ correspondant à une utilisation pauvre et encore limitée de l’ordinateur ”, mais qui peuvent “ constituer une aide pour des apprentissages simples ” et “ au moins une occasion d’acquérir une première habitude des matériels et de leur utilisation fonctionnelle. ”

. “ des logiciels destinés à servir d’outils dans l’enseignement ”, tels le traitement de texte, le tableur, des générateurs de formes graphiques, des logiciels d’accès à des bases de données, des imagiciels. Ces logiciels “ dont le nombre augmentera vraisemblablement à l’avenir, devraient rendre l’usage de l’informatique plus simple et donc plus accessible à beaucoup de maîtres ” (...) “ Ne trouvant leur efficacité et leur sens que par la place que l’enseignant leur assigne dans sa démarche propre ”, ils devraient être acceptés plus facilement que des logiciels d’EAO imposant une démarche pédagogique à laquelle le maître n’adhère pas forcément.

Tous les maîtres sont invités “ à chercher comment utiliser cet outil pour écrire que constitue le traitement de texte ”. Les apports possibles de ce dernier sont longuement détaillés : “ situation que l’élève à tout intérêt à connaître dès l’école ”, “ appropriation

d’une application où l’informatique manifeste clairement sa nature et sa puissance spécifique ”, “ encouragement puissant à écrire ”,... L’insistance est telle, que l’auteur prend le soin de préciser en conclusion que cet exemple “ ne doit évidemment pas détourner de chercher et de mettre en œuvre d’autres applications de l’informatique ”.

En septembre de la même année, le ministre de l’Education lors d’une conférence de presse sur l’état de l’informatique dans l’enseignement expose, pour ce qui concerne l’enseignement primaire, ce que l’on peut considérer comme une synthèse de cette circulaire :

“ ... ces matériels doivent être utilisés en vue de objectifs suivants :

- donner à tous les enfants une première familiarisation avec l’informatique ; assurer la mise en œuvre des programmes de sciences et technologies (cours moyen) et de mathématiques ;

- utiliser les outils pédagogiques que peuvent constituer, dans toutes les disciplines, pour l’enseignant comme pour les élèves, les logiciels qui répondent le mieux aux besoins de l’enseignement. Au premier chef, le traitement de texte est l’exemple même d’une application informatique utile dans de très nombreuses disciplines et situations scolaires. Les maîtres peuvent l’intégrer progressivement dans leur enseignement, indépendamment de leurs compétences propres en informatique. ” (extraits du document distribué lors de la conférence de presse du ministre le 1er septembre 1987, publiés dans le bulletin de l’EPI, n°47)

Comme dans le premier plan de 1981 et dans la circulaire de mars 1983, un seul exemple d’application est détaillé, mais alors qu’il s’agissait auparavant de LOGO, il s’agit maintenant du traitement de texte. D’un langage et de dispositifs incluant une conception de l’enseignement (ou plutôt de l’apprentissage), nécessitant un effort important d’appropriation de la part du maître, on est donc passé à un logiciel-outil, non conçu spécifiquement pour des usages scolaires, censé pouvoir être maîtrisé en peu de temps.

La circulaire du 14 octobre 1987 relative à l’équipement des écoles élémentaires (matériels et logiciels) rappelle une fois de plus les trois objectifs, mais le troisième est, d’une part, formulé un peu différemment puisqu’à “ outil pour l’enseignement ” est substitué “ instrument d’enseignement au service de toutes les disciplines ” et, d’autre part, il est précisé à deux reprises que les maîtres étant seuls responsables de leurs méthodes “ cela ne peut pas constituer une obligation ”, “ il n’est pas question d’une généralisation obligatoire ”.

Une note de mai 1988 aux recteurs et Inspecteurs d’Académie concernant la formation rappelle encore, à propos des logiciels dont doivent disposer toutes les Ecoles normales, “ les priorités ministérielles pour les Ecoles en informatique ” :

. “ programmes des cours moyens de sciences et technologie concernant l’informatique ”

. “ traitement de texte […] ”

. “ dans toutes les disciplines des logiciels qui sont de vrais outils. ”

Le développement d’un réseau d’instituteurs assurant un rôle d’aide et de ressources

Un élément important, mais d’un tout autre ordre, est mentionné dans une lettre du ministre aux recteurs d’Académie le 2 mars 1988 (n°76) concernant les budgets attribués à la formation : “ le développement d’un réseau d’instituteurs animateurs itinérants (à titre temporaire).”

Dans certains départements, dès la mise en place du plan IPT et même avant parfois (comme dans le Nord), des instituteurs formés à l’informatique avaient disposé de décharges de services pour aider leurs collègues d’autres écoles à mettre en place des activités informatiques dans leur classe.

Cette formule, “ qui paraît excellente dans la phase d’adaptation actuelle ”, doit être généralisée puisque le ministre demande à chaque Inspecteur d’Académie “ d’estimer les crédits nécessaires à la poursuite ou à la mise en place de telles actions ”.

Il ne s’agit pas de créer un nouveau corps de spécialistes car, d’une part, il est recommandé que ces instituteurs “ conservent autant que possible une partie de leur service dans leur propre classe ” et de plus “ ces fonctions ” doivent leur être “ confiées, en règle générale pour une année, avec reconduction possible une ou deux fois, au maximum ”.

Le recours à des “ agents extérieurs de changement ”, dont le rôle dans le processus d’adoption d’une innovation a été bien étudié par les sociologues, mais qui en éducation est rarement pris en compte (cf. chapitre I), est un fait qu’il importe de souligner ici. Nous reviendrons sur le rôle de ces acteurs du terrain dans la troisième partie de ce travail.

2.2.2 Etat de l’équipement matériel des écoles

Le rapport de Jean-Yves Château, déjà cité, donne des informations sur l'équipement informatique des écoles élémentaires pendant cette période (Château, 1989a)

Le Plan IPT a permis, d’après lui, l'attribution de 38 587 postes isolés et 8 605 "Nanoréseaux", mais un certain nombre d’achats ayant été effectué par la suite, l’auteur estime que le parc informatique des écoles primaires atteint environ 104 000 machines en 1988-89.

Comparant les ratios élèves par machine aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada avec ceux estimés pour le France en 1985 (40,6 élèves de l'élémentaire par poste de travail), Y. Château considère que la situation de la France “ est parmi les meilleures qui soient dès 1985 ”. Mais, il pose néanmoins la question de la signification de cette avancée quantitative :

“ Cet accroissement doit-il être dit important ou non, et cette place de choix, au bout du compte, signifie-t-elle que l'école élémentaire en France dispose d'un équipement matériel important et suffisant ? ” (ibid. p. 4)

Par ailleurs, l’auteur relève des inégalités dans l’accès des élèves aux équipements, inégalités dues au mode de répartition des matériels dans le cadre du plan IPT :

“ La répartition des postes de travail d'un département à l'autre est assez inégale du point de vue des écoles, encore plus du point de vue des classes, et d'avantage encore du point de vue des élèves. En ce sens, l'influence du principe d'équipement de l'opération IPT (prendre le nombre d'écoles comme base du nombre d'équipements d'un département) se fait encore sentir en 1987 de façon déterminante" (ibid. résumé p. 2)

Cette inégalité ne va que croître par la suite puisque les conditions locales vont

devenir décisives. En effet, le plan IPT achève l'action de l'État en ce qui concerne l'équipement en matériel informatique des établissements scolaires. Ce sont les autorités locales ayant en charge le fonctionnement matériel des établissements (pour le premier degré : les municipalités) qui deviennent responsables des matériels acquis par l'État et doivent aussi se charger de leur renouvellement.

Pour ce qui concerne la maintenance des matériels IPT, elle était jusque-là le plus souvent assurée par le CRDP, un CDDP (lorsque ceux-ci disposaient des personnels et des matériels nécessaires) ou bien encore par un lycée technique et, dans quelques Académies, par des équipes mobiles spécialement créées. Mais, dès la rentrée 1986-87, le passage de relais aux collectivités locales implique la responsabilité de celles-ci pour cet aspect également et certaines vont souscrire des contrats avec des sociétés de service (les matériels IPT ne sont plus sous garantie en 1986-87 et, de plus, ils se sont révélés à l’usage peu fiables et sujets à de nombreuses pannes).

Des MO6 et surtout des TO8D sont à cette époque parfois achetés pour les écoles (dotations municipales, crédits écoles, coopérative...) afin de compléter ou de remplacer des matériels IPT. Il faut signaler que le TO8D, diffusé en 1987 par Thomson, (notamment pour prendre le relais des matériels IPT, sa puissance étant nettement plus importante) n’est pas un poste pouvant s’ajouter sans problème au nanoréseau : il peut être connecté à la tête du réseau, mais fonctionne difficilement en même temps que les autres nano-machines.