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Chapitre III : Un éveil à l’informatique fondé sur l’approche LOGO

3. En guise de synthèse de la première période

3.1 Contexte

Dans la seconde moitié des années 1970, étape préliminaire de l’histoire qui nous intéresse ici, les points importants sont bien sûr l’apparition sur le marché des micro- ordinateurs et “ l’informatisation de la société ”. La diffusion matérielle et sociale de l’informatique et les problèmes qu’elle soulève ont été nommés par le chef de l’État lui- même, ont fait l’objet d’un rapport officiel dont la teneur, largement médiatisée, précise des enjeux concernant tous les citoyens.

On note que c’est alors qu’est décidé le premier plan d’équipement d’établissements scolaires (10 000 micros), c’est-à-dire la toute première opération de généralisation concernant l’enseignement secondaire. On peut remarquer, d’une part, que cette décision

est prise seulement un an après que des micro-ordinateurs sont devenus accessibles aux

particuliers (du moins à une frange aisée de ceux-ci) et, d’autre part, que l’évaluation de l’expérimentation (des 58 lycées) n’est pas encore terminée et que les aspects pédagogiques de l’opération restent largement en suspens. Les enjeux liés à une politique industrielle et plus généralement à l’informatisation de la société apparaissent ici de façon particulièrement claire.

L’informatisation de la société dans son ensemble prend un nouveau tournant dans les premières années de la décennie 1980, avec la diffusion sociale des micro-ordinateurs (baisse des coûts et offres plus importantes). Si l’informatisation des entreprises s’accélère, les particuliers sont maintenant également visés par les constructeurs et éditeurs de logiciels (qui prennent désormais une place importante). Prestige social, réussite sociale et/ou scolaire, avenir, jeunesse et informatique sont très fréquemment associés dans les discours promotionnels. A côté, ou à la place d’une informatique “ lourde ”, centralisée, menaçante pour les libertés et pour l’emploi, on voit apparaître une informatique présentée comme “ douce ”, “ légère ”, “ individuelle ”, “ conviviale ”, “ de loisirs ” (cf., notamment, l’article de A. Ehrenberg, “ Les tropiques du futur ”, Esprit 1983, sur la micro-informatique au Club Méditerranée).

L’engagement dans le domaine des nouvelles technologies des dirigeants politiques élus en 1981 est très affirmé. Les nombreux discours, accompagnant les mesures prises, soulignent les enjeux industriels mais aussi culturels et éducatifs de l’informatique. De plus, le souci d’une informatisation “ démocratique ” (ou d’une démocratisation de l’informatique ?), qui va se traduire en 1985 par le plan Informatique Pour Tous, est, dès le début, mis en avant. Tous les membres de la société et particulièrement les jeunes sont invités à se sentir concernés.

Le colloque Informatique et Enseignement de 1983 est un des symboles de ce mouvement. Un document, distribué dans le cadre de ce colloque, fait état des efforts d’équipement pour l’Education nationale (déjà réalisés ou prévus), en voici un extrait :

Les principales opérations d’équipement micro-informatique à usage pédagogique dans l’éducation nationale (extrait d’un document du dossier Colloque Informatique et enseignement, 21-22 novembre 1983)

Ordinateur familial Micro-ordinateur type profes.

Nombre installé fin 1981 0 1 700

Nombre installé fin 1983 3 000 8 000

Nombre installé fin 1984 20 000 12 000

1988 100 000

Mais, l’équipement matériel n’est qu’un des aspects de cet effort. Production et

diffusion de logiciels (cf. rôle du CNDP), formation des enseignants68, recherche (cf., par

exemple, premier Colloque scientifique francophone sur l’enseignement assisté par ordinateur, de septembre 1984) sont également prises en compte.

Par ailleurs, le processus “ d’informatisation ” prend place dans une société où l’éducation est en “ crise ”. La réflexion sur de nouveaux contenus et de nouvelles méthodes d’enseignement, la nécessité de mieux adapter l’institution scolaire, dans son ensemble, aux changements sociaux peuvent constituer un terreau favorable pour des actions de modernisation s’appuyant sur de nouvelles technologies. Le “ malaise enseignant ” peut lui favoriser chez certains maîtres une dynamique d’innovation, la recherche d’une revalorisation mais chez d’autres un repli, une crainte devant des outils présentés parfois déjà comme susceptibles de les remplacer.

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20 centres dispensent des formation approfondies d’une année en 1983-84, et par ailleurs 20 000 enseignants, essentiellement du secondaire, ont bénéficié en 1981-82 et 1982-83 d’une formation d’une centaine d’heures

3.2 Informatique et enseignement élémentaire

En 1980, se tînt un colloque dont le titre “ Informatique et enseignement : le mariage du siècle ” est symptomatique de l’enthousiasme régnant alors. C’est cette même année que la question de l’introduction de l’informatique dans enseignement élémentaire fut pour la première fois clairement posée.

La diversité des réponses apportées (cf. rapport Simon/rapport Schwartz) montre bien, cependant, qu’il n’y a pas encore de consensus à ce sujet. Les mesures institutionnelles (équipement d’Ecoles normales, formation initiale des enseignants) constituent des amorces, mais aussi des solutions d’attente visant à préparer les maîtres à faire face à la progression prévue de l’informatisation (cf. Simon, 1981, p. 11).

Pour ce niveau d’enseignement, le de l’Education préconisait un éveil à l’informatique dans le cadre d’activités “ prenant pour thème l’environnement de l’école ” (ce qui montre la place qu’avait déjà l’informatique dans cet environnement). Mais, dans un autre ordre d’idée, cela permettait aussi d’introduire l’informatique à l’école sans nécessairement y introduire des ordinateurs...

Sur le terrain, on sentait également un frémissement. Jusque-là (fin des années 1970), seuls quelques chercheurs, essentiellement de l’INRP, une poignée d’enseignants associés à leurs recherches sur LOGO et quelques IREM (Instituts de Recherche pour

l’Enseignement des Mathématiques69) étaient concernés. Mais, à cette époque, comme

dans d’autres sphères de la société, de premiers maîtres de l’enseignement élémentaire, souvent des hommes jeunes, commencent à s’intéresser à l’informatique, s’informent et, dès que cela devient possible, se forment, voire s’équipent de micro-ordinateur. Ils sont parfois aidés et soutenus par des associations d’enseignants qui commencent également à s’investir (achat de matériels, organisation de stages).

Mais, c’est en 1982, 1983 qu’une évolution de l’intérêt pour “ l’éducation informatique ” à l’école primaire est vraiment perceptible, tant en France où des mesures de généralisation concernent pour la première fois l’enseignement élémentaire (en 1983), qu’au niveau international (cf. création du groupe enseignement élémentaire de IFIP en 1983 et opération d’équipement de toutes les écoles primaires britanniques de 1982 à 1984, dans le cadre du “ Microelectronics Education Programme ”).

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Les premiers IREM ont été créés en 1969, au moment où les “ mathématiques modernes ” étaient introduites dans l’enseignement élémentaire.

3.3. Vers l’informatique pour tous

L’inextricabilité des différentes dimensions concourant au processus

d’informatisation de la société en général et de l’école en particulier rend pratiquement impossible de cerner avec précision les raisons de l’évolution perceptible à partir des années 1982, 1983.

Nous proposerons, néanmoins, une liste de facteurs ayant dû (selon différentes modalités et avec des poids divers) intervenir, en particulier dans la décision française concernant l’enseignement élémentaire (que ce soit pour l’établir, la justifier, la renforcer). Pour les exposer, nous les avons répartis par grandes catégories, mais ces catégories loin d’être étanches, se chevauchent, s’interpénètrent et d’autres classements sont tout aussi bien envisageables.

- Des facteurs économiques, industriels, commerciaux :

On a vu que l’apparition de micro-ordinateurs français de type familial n’était pas étrangère à la décision française (cf. Savary, 1983). Le fait que ce type de matériel soit nettement moins onéreux rendait possible d’envisager des achats en nombre (les écoles, contrairement aux collèges et aux lycées, se comptent par dizaines de milliers ! ) ; mais, conjointement, cela permettait d’ouvrir un marché à l’industrie française (notons que l’autre pays européen précurseur en la matière, la Grande-Bretagne, équipe, à la même époque, ses écoles de micro-ordinateurs nationaux - principalement des BBC Micro de la société Acorn).

De façon plus indirecte, la pression des industriels étrangers, principalement américains, visant à promouvoir la micro-informatique domestique (débouchés à court et moyen terme, création d’un “ besoin ”, formation de futurs consommateurs) est bien sûr une dimension à considérer. En ce qui concerne plus particulièrement l’éducation, et dans cette période le niveau primaire, l’influence d’instances internationales, telles l’IFIP réunissant industriels et chercheurs, est également à relever.

- Des facteurs liés à la diffusion de l’informatique dans la société :

L’introduction (réalisée ou en voie de réalisation) de l’informatique dans de très nombreux secteurs de la société fait de celle-ci, désormais, une nouvelle dimension de l’environnement social et technique, que l’on peut juger bon de faire connaître aux élèves (cf. “ éveil humain et social ”, “ éveil technologique ”).

Par ailleurs, l’informatique est présentée largement, à partir de cette époque, comme le progrès et la modernité à la porté de tous (cf. discours politiques et commerciaux) ; dans

ce contexte, la laisser aux portes de l’école peut contribuer à donner une image passéiste de celle-ci.

La très inégale répartition des micro-ordinateurs dans les foyers commence à interroger. Permettre l’accès à l’informatique (“ un progrès du savoir aux conséquences universelles ” F. Mitterrand, déjà cité) à un plus grand nombre, bientôt à tous, est un enjeu pour un gouvernement ayant mis en avant son souci d’une informatique

démocratique (et qui est le premier gouvernement socialiste de la Ve République).

De plus, une pression sociale commence à s’exercer par l’intermédiaire de parents (usagers dans le cadre de leur travail), d’enseignants précurseurs, d’associations.

- Des facteurs éducatifs :

L’accessibilité des micro-ordinateurs familiaux, évoquée précédemment, mais aussi la disponibilité de nouveaux dispositifs (LOGO en particulier), de nouveaux logiciels (ELMO, EAO) peuvent permettre d’envisager de mettre au service des plus jeunes élèves les apports de la démarche (“ éveil logistique ”) et des outils informatiques. Cette accessibilité rend également plus réaliste le souhait de faire entrer dans l’ensemble du système scolaire, ce “ cheval de Troie des temps modernes ” que beaucoup estiment capable de rénover en profondeur l’enseignement.

L’exemple de la Grande-Bretagne, qui a équipé ses écoles primaires entre 1982 et 1984, la naissance d’un intérêt au niveau international pour les usages de l’informatique dans le premier degré peuvent constituer un facteur d’encouragement.

Ces différents aspects, qui se sont renforcés tout au long de cette dernière période, ainsi que la volonté politique (qui sous-tend un certain nombre d’entre eux) vont conduire au lancement du plan Informatique Pour Tous, que nous allons examiner dans le prochain chapitre.