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Lorsque nous nous penchons sur la genèse des fondements de la pensée richirienne, nous voulons préciser l’importance de distinguer très soigneusement la refonte et la refondation de la phénoménologie transcendantale opérées par Marc Richir, même si, bien évidemment, l’une ne va pas sans l’autre. En effet, c’est un axe de notre thèse, Marc Richir semble en effet procéder par ce que nous nommons micro-refontes successives qui mènent toutes à créer les conditions afin d’assurer la possibilité d’une refondation généralisée.

Les refontes sont en quelque manière alchimie entre coulées sidérurgiques et fontes sculpturales. Elles arrivent à faire se couler des concepts hétérogènes en une nouvelle ‘figure conceptuelle’ plus proprement richirienne. Trois exemples majeurs dans le corpus richirien des années 60 et 70 qui toutes attestent la dynamique ‘ogkorythmique’ : la première micro-refonte phénoménologique richirienne entre la déformation cohérente merleau-pontienne, la distorsion dubuffeto- loreautienne et l’illusion transcendantale kantienne dans l’illusion transcendantale phénoménologique et ce que deviendra la réduction architectonique ; la refonte du logologique dubuffeto-loreautien, du sauvage et de l’archaïque merleau-pontien, et de la défenestration loreautienne dans la périphérie

infinie et distordue de la nouvelle cosmologie philosophique devenue phénoménologologie. Et, la refonte de la

différance derridienne, du chiasme merleau-pontien et du mouvement loreautien dans le double-

mouvement de la phénoménalisation.

A titre d’exemple, le couplage des deux dernières micro-refontes transparaît dans cette citation de 1976 où les traces de Derrida et de Merleau-Ponty ont déjà subi, comme l’a précisé avec finesse Alexander Schnell à propos de la refondation richirienne tout entière, une « endogénéisation »96,

ici, en quelque sorte, textuelle :

96 Cfr. Le sens se faisant.

71 «… la phénoménologie étant la différance de la cosmologie d’avec elle-même, et réciproquement, la cosmologie étant la différance de la phénoménologie d’avec elle-même ; par conséquent, il y a chiasme entre les deux, elles s’engendrent mutuellement l’une l’autre et l’une hors de l’autre »97.

Ensuite, la nouvelle cosmologie philosophique de la périphérie infinie et distordue couplée avec la dynamique du double-mouvement de la phénoménalisation sont des notions richirennes qui mèneront, ultérieurement, à la préparation de la refondation de la phénoménologie au travers, et entre autres, du schématisme transcendantal de la phénoménalisation des phénomènes comme rien que phénomènes. La refondation est quant à elle pour ainsi dire architecturale et géologique, pour devenir architectonique. Ce qui veut dire que les nouvelles fondations sont pleines des fontes et refontes qui, formées de nouveaux alliages, sont susceptibles de venir garantir la solidité du nouvel édifice. Marc Richir est un phénoménologue fondeur98 avant d’être refondateur, véritable sculpteur de

concepts avant d’être l’architecte d’un nouvel esprit phénoménologique bâtissant une sorte de cathédrale philosophique ouverte sur la voûte, sublime phénomène. Les refontes sont nécessaires à la refondation, comme les éléments internes nécessaires à sa construction. Voyons cela dans le concret des textes.

De très nombreux éléments extrêmement intéressants apparaissent dès les premiers articles écrits par Marc Richir à la fin des années soixante, entre 1968 et 1972, et ce, bien avant la publication de son premier ouvrage, en 1976, intitulé Au-delà du renversement copernicien, et sous-titré La question de

la phénoménologie et de son fondement. Des données philosophiques essentielles y font leur apparition

effective qui vont nous permettre de mieux comprendre la genèse intellectuelle qui est à l’œuvre dans son travail. Nous qualifions celui-ci de refonte ‘ogkorythmique’ qui mènera à une refondation généralisée de la phénoménologie, ce que nous nommons ‘re-fondationnellisation’ ‘ogkorythmique’. Nous distinguons, en effet, comme nous venons de l’indiquer, la refonte et la refondation, même si dans le corpus elles ne sont pas distinguées. Mais, nous savons déjà que la refonte résulte d’un travail de fonte de concepts hétérogènes en un nouveau qui les intègre de façon créatrice. La refondation, quant à elle, forte de ces nouveaux concepts, construira l’aire architectonique où ils seront mobilisés de manière tout à fait originale. Données philosophiques essentielles donc, qui s’avèrent être des paramètres cruciaux, et dont la dynamique va déteindre tout au long du cheminement des textes postérieurs comme l’action d’une sorte de ‘dispositif’ intellectuel fondamental qui baigne dans une atmosphère philosophique particulière. Le plus étonnant est

97 Marc Richir, Au-delà du renversement copernicien (ARC), Phaenomenologica, Martinus Nijhoff, La Haye,

1976, p. 106.

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Un fondeur, outre le sculpteur pratiquant la fonte ou la personne travaillant dans une fonderie et surveillant les opérations de fusion et de coulée, est également un skieur de fond. Un phénoménologue fondeur, Marc Richir en l’occurrence, serait dès lors un philosophe qui pratique la fusion (fonte et coulée) de concepts et qui, par un travail de fond, prépare les matières entrant dans la composition de ce qui deviendra une (re)fondation, une nouvelle édification philosophique proprement dite, de la phénoménologie.

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qu’ils sont assez clairement définis et sont de nature, nous semble-t-il, à éclairer l’ensemble de la démarche.

Nous ne tentons donc ni de penser plus loin ou mieux que Marc Richir ne l’a fait lui-même, ni de dévoiler des raisons ou des éléments non déclarés par notre auteur, mais nous voulons seulement, par la plus fine analyse possible des articulations problématiques présentes dans les premiers textes, amener à plus de clarté et surtout à mieux comprendre l’ensemble de ce qui y est, et sera plus tard, avancé. A ce titre, les éléments apparemment disséminés qui se trouvent dans les tout premiers textes, sont, lorsqu’ils sont envisagés, repris et rassemblés à nouveaux frais par l’éclairage de notre élément ‘ogkorythmique’ fondamental hyper et ultra-phénoménologique, de nature à jeter de nombreuses lumières sur les textes postérieurs, c’est un axe majeur de notre thèse ; textes ultérieurs qui apparaissent, il faut bien l’admettre, d’un abord parfois, et même souvent, difficile, voire abrupt. C’est donc à une clarification pédagogique que nous travaillons en même temps qu’à une synthèse problématique dont la trame vise à réarticuler, à réfléchir et à comprendre, en profondeur, l’ensemble de l’œuvre de façon cohérente.

Nous allons voir que ces ‘cadres’ philosophiques fondamentaux sont intimement liés à certains concepts empruntés à d’autres philosophes, repris, travaillés et, bien souvent, il faut l’admettre, améliorés, refondus en de nouveaux, plus à même à servir les ambitions de notre auteur. Il s’agit principalement, notamment à cette époque, mais pas seulement, des avancées philosophiques de Derrida, de Heidegger, de Merleau-Ponty et de Max Loreau99.

Nous pensons que, notamment chez Max Loreau, tout à la fois, les notions de mouvement, de pratique (poïesis), de geste, d’informe, d’infini et de différence, et, celles de Théorie, de Culture et de formes finies ont largement participé à la mise en place des bases dynamiques qui prépareront la refondation de la phénoménologie, et ce, notamment à travers la genèse, chez Marc Richir, de la bipolarité conceptuelle entre le phénoménologique et le symbolique.

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Ce dernier, en outre, a été son professeur à l’Université de Bruxelles. Son influence nous semble

considérable, d’autant que Marc Richir n’en parle, somme toute, que très peu (Max Loreau n’est, du reste, pas le seul à n’être que peu cité), quelques fois dans les premiers articles. Une exception malgré tout, et

d’importance, et nous verrons ce qu’il faut en penser : il lui consacre un article dans la revue Critique, datant de mars 1972, intitulé : « Pour une cosmologie de l’Hourloupe » où il y commente le livre que Max Loreau a consacré au peintre Jean Dubuffet chez Weber en 1971 : Délits, déportements, lieux de haut jeu. Et, il faut également le signaler, il lui dédie néanmoins un article qui date de 1970 intitulé : « Le Rien enroulé. Esquisse d’une pensée de la phénoménalisation ». Enfin, nous allons le voir, il reconnaîtra sa dette dans un texte de 1968 intitulé : « ‘Grand’ jeu et petits ‘jeux’ ». Nous reviendrons longuement sur ces trois articles. D’autant plus que Max Loreau a poursuivi, de son côté, un travail philosophique qui culminera en 1987 avec un ouvrage intitulé : La genèse du phénomène. Mais déjà, en 1964 et en 1966, paraissent deux textes clefs, dont Marc Richir ne parle pas, et qui nous semblent proprement remarquables et déterminants à bien des égards : « Les cadres ontologiques de la peinture contemporaine » en 1964 et « Infini, pensée apparaissante et nature » en 1966. Sans oublier, bien entendu, Dubuffet et le voyage au centre de laperception, en 1966 également, qui

apporte aussi des éléments clefs de compréhension. Il faut également signaler les deux articles que Max Loreau consacre à Hegel, en 1969 et en 1970.

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Ces notions seront également très précieuses pour mieux saisir ce qui fera passer, chez Marc Richir, de l’autre côté de Husserl ou plus loin que lui en lui, refondant ainsi radicalement la phénoménologie, avec les notions de non présence, de non intentionnalité, de méta-doxique, de méta-eidétique et, entre autres, de non positionnalité, de transitionnalité et d’infigurabilité.

Il nous faut préciser d’emblée que Marc Richir cite très peu, en général, dans son travail, suivant en cela un rythme d’écriture en spirale qui approfondit, lentement et petit à petit, ses propres avancées à mesure. C’est donc entre les lignes, en filigranes et sous le boisseau bien souvent, que nous devons tenter de surprendre les filiations conceptuelles. Et, bien loin de nous l’idée que Marc Richir ne les montre pas volontairement, force est de constater qu’elles existent et permettent, c’est là l’important à nos yeux, de mieux lire en profondeur, et surtout avec plus de clarté, les veines sous-terraines des textes qui nous amèneront à pied d’œuvre pour dégager la teneur philosophique la plus intrinsèque des enjeux de la refondation phénoménologique.

C’est la raison pour laquelle nous voudrions montrer que l’influence, dans les années 60 et 70, de Derrida et de Loreau est capitale lorsqu’il s’agit de comprendre ce qui est mis en jeu. Merleau- Ponty sera l’autre source française tout aussi importante. Nous y viendrons également en détail. Plus loin, nous examinerons aussi son rapport à Maldiney, autre penseur essentiel pour Marc Richir, mais qui arrivera plus tard dans le parcours philosophique. Nous nous bornerons à analyser ces quatre penseurs francophones, dans le cadre de cette thèse, tant il y a à en dire pour notre propos. Lacan et Levi-Strauss sont également à signaler. Bien sûr, les influences de Platon, de Kant et de l’idéalisme allemand (Fichte, Schelling et Hegel), ainsi que celles de Heidegger et de Fink, sont évidemment cruciales. Le rapport à Husserl étant massif, et ce, dès 1968.

Nous commencerons donc par un groupe de trois premiers articles. Tout d’abord, nous examinerons: « Le Rien enroulé. Esquisse d’une pensée de la phénoménalisation » en 1970100,

article dans lequel nous assisterons à l’acte de naissance de la phénoménologie richirienne en voie d’être refondue et refondée. Ensuite, nous reviendrons sur les tout premiers articles qui l’ont précédé: « ‘Grand’ jeu et petits ‘jeux’ », paru en 1968, dans lequel nous débusquerons notre problématique ‘ogkorythmique’ encore dans les limbes mais pleines de ce que deviendra la nouvelle phénoménologie. Et enfin, pour ce premier groupe, nous en passerons par les

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Pour ces premiers articles et les textes de ces deux premiers chapitres, nous nous permettrons de citer Marc Richir, parfois longuement, afin de nous imprégner de sa manière très particulière de penser d’autant plus que s’y trouvent logés les premiers lacets philosophiques de ce qui n’aura de cesse de servir au grand œuvre. Ce sera, en effet, fort important pour mieux appréhender les textes ultérieurs qui en sont issus comme l’arbreenraciné dans son terreau. Ainsi nousprenons le pari qu’à suivre, pas à pas et paragraphe par

paragraphe, notre auteur, nous faciliterons la compréhension de l’ensemble du corpus richirien eu égard à nos ambitions.

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« Prolégomènes à une théorie de la lecture », en 1969, nouvelle voie d’accès au texte et à l’ ‘ogkorythme’.